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05.07.2016

“C’est à Sciences Po que je suis devenu socialiste”

Michel Rocard à Morlaix (Bretagne, France) en octobre 1981. (crédits : Roland Godefroy, Wikimedia, Creative Commons 3.0)

Michel Rocard, décédé le 2 juillet 2016, avait commencé ses études supérieures à Sciences Po (promotion 1952). Des années fondatrices pour l’ancien Premier ministre, salué aujourd’hui comme une des figures majeures de la vie politique française. Un “homme pressé” qui ne cessa jamais d’apprendre.

“C’était le mot de politique dans le titre qui m’avait attiré”

Pendant ses années de lycée, alors qu’éclate la guerre d’Indochine, l’élève Michel Rocard comprend qu’Adolf Hitler est arrivé au pouvoir démocratiquement : “la politique peut produire Hitler quand on s'en occupe mal ou pas, j'ai eu l'envie d'en faire”¹. C’est ainsi qu’à l’âge de 17 ans, après l’obtention de son Baccalauréat, il tourne le dos aux mathématiques auxquelles son père, le scientifique de renom Yves Rocard, le destinait. Et intègre Sciences Po en section Service Public, “sans consulter personne”, non sans déclencher un conflit familial avec celui qui l’imaginait déjà en Polytechnicien. “En 1947, trois semaines d’hypotaupe (Maths Sup’) m’ayant rapidement convaincu que la transmission génétique n’assurait pas à coup sûr celle des aptitudes scientifiques, j’ai prévenu mon père, après coup, que j’étais allé m’inscrire comme étudiant à l’Institut d’études politiques de Paris.”², raconte-t-il. “Je ne sais pas très bien pourquoi, c’était  probablement déjà le mot de politique dans le titre qui m’avait attir锹.

“À Sciences Po, Michel Rocard était déjà un homme pressé”

Ainsi, résume-t-il dans Le cœur à l’ouvrage³, “le choix initial de mes études supérieures fut le produit d’une réaction et d’une volonté (...). Se préparer à l’action publique exigeait un savoir sur la société. Il me faudrait l’acquérir.” Une fois à Sciences Po, Michel Rocard entame sa formation politique auprès de professeurs de renom : Wilfrid Baumgartner et François Bloch-Lainé en finances publiques, Suzanne Basdevant-Bastid en droit international, Jacques Donnedieu de Vabres et Bernard Chenot en droit administratif, André Siegried en géographie et Pierre Laroque en Questions sociales.

En économie, il suit les cours de Jean Fourastié et Jacques Rueff qui l’influenceront par leur conception néolibérale de l’économie dans sa volonté de fonder une “deuxième gauche”.

Son apprentissage politique se poursuit après les cours. En désaccord avec son choix pour Sciences Po, sa famille lui a imposé de subvenir à ses frais d'études et de loisir. “Par un reste d’indulgence - en fait un excellent souci pédagogique”, écrit-il, son père le fait engager comme tourneur-fraiseur dans son laboratoire de physique de l'École normale supérieure, où il a pour contremaître Monsieur Bertin, un “vieux militant politique et syndical, qui fut pour beaucoup dans les choix que j’allais faire”³.  

“À Sciences Po, Michel Rocard était déjà un homme pressé”, raconte l’ancien étudiant Pierre-Yves Cossé (promotion 1956) ⁴. “Il traversait le hall à pas rapides, une lourde serviette à la main. Il travaillait pour financer ses études. Il militait aussi : soit une espèce rare, qui suscitait le scepticisme. Surtout quand on est partisan de la vieille SFIO puis d’un « groupuscule », le PSU.”

C’est en effet quelques mois après son arrivée à Sciences Po, qu’il rejette l’idéologie communiste et s’engage avec les socialistes. Alors étudiant en première année, il était suivi par deux tuteurs en deuxième année : Jacques Carcassonne, futur président du tribunal de commerce de Paris, et Jean Elie, futur préfet. Ces deux jeunes socialistes lui prouvent qu’anticolonialisme et socialisme sont conciliables et qu’ils sont à la SFIO pour réformer le parti et donner un nouveau souffle au socialisme. Michel Rocard, séduit par leur vision du monde et leur militantisme européen, décide de les rejoindre: “Déjà était perceptible en 1947 à Sciences Po un esprit dominateur des étudiants communistes : ils avaient raison, [...] et [ceux] qui défendaient encore le capitalisme et les libertés étaient que des pourris. C’est comme ça que je suis devenu étudiant socialiste”¹.

Un homme qui ne cessa jamais d’apprendre

“C’était déjà un homme de l’oral qui savait écouter et donnait des exposés soir et week-ends dans des salles enfumées. Avec un tel goût pour la communication directe et l’échange, il a aimé ses études Rue Saint-Guillaume”, résume Pierre-Yves Cossé. Très actif au sein du groupe SFIO de Sciences Po, il se voit propulsé secrétaire du groupe de Paris des Étudiants socialistes et étend son réseau au sein de l’école : “Je parvins à mener une politique très extravertie, à nouer des contacts solides avec la galaxie étudiante”³. Dans les couloirs de Sciences Po, il côtoie beaucoup d’étudiants, qui, comme lui, intégreront l’ENA : Edouard Balladur, Michel Gentot, Jérôme Monod, et Jacques Chirac, l’un de ses amis proches à cette époque.

La suite se passe à quelques pas de là, au 56 rue des Saints Pères. Après son diplôme obtenu en juillet 1952, Michel Rocard intègre la promotion “18 juin” de l'École nationale d’administration. Il en sort en 1958, devient inspecteur des Finances, puis secrétaire général du Parti Socialiste Unifié (PSU) deux ans plus tard. Les Archives d’histoire contemporaines du Centre d’histoire de Sciences Po, conservent de nombreux fonds d’archives éclairant l’histoire de la “deuxième gauche”, comme ceux d’Alain Savary, de Daniel Mayer ou encore de Gilles Martinet, membre fondateur du Parti.

Suite à l'échec de François Mitterrand aux élections présidentielles de 1974, Michel Rocard rejoint finalement le Parti socialiste duquel il deviendra Premier secrétaire. Sa carrière politique fait de lui l’un des hommes de pouvoir les plus emblématiques de la gauche et de la Vème République. En éternel étudiant, “son goût pour l’érudition ne s’est jamais démenti”, écrit Pierre-Yves Cossé : il ne cessa jamais de lire, d’écrire, et d’apprendre.

¹ France Culture. Émission “A voix nue”,  juin 2013.

² Rocard, Michel. Si Ça Vous Amuse... : Chronique De Mes Faits Et Méfaits. P.26. Paris: Flammarion, 2010.

³ Rocard, Michel. Le Coeur à l’ouvrage. Seuil, 1987.

Émile Boutmy Magazine, le journal des alumni, n°1, printemps 2015.

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