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23.05.2025
Accès à l’IVG : des inégalités persistantes en Europe
À l’heure où les droits sexuels et reproductifs sont remis en cause dans plusieurs pays du monde, huit étudiantes du Certificat Égalité femmes-hommes et politiques publiques de Sciences Po, accompagnées de l’association des Anciennes Députées, ont étudié l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans l’Union européenne. Leur rapport propose une analyse comparative approfondie de la situation dans huit États membres de l’Union. Il met en lumière les obstacles qui entravent encore aujourd’hui l’effectivité de ce droit à avorter, et formule des pistes d’action concrètes pour une réponse coordonnée au niveau européen.
Lire le rapport rédigé par Fleurine Bey, Louise Germanicus, Rim Kannada, Charlotte Laigre, Audrey Milcent, Gabriela Pe ña Mancero, Margaux Rousseau et Anne-Sophie Tietmeyer :
rapport : L'accès à l'avortement dans l'union européenne (PDF, 21 Mo)
Un droit largement reconnu, mais inégalement accessible
Aujourd’hui, le droit à l'avortement est reconnu dans la majorité des pays de l'Union européenne : sur les 27 pays membre de l’Union, 25 autorisent l’avortement sans conditions restrictives. Cependant, il existe encore un décalage entre la reconnaissance juridique de l’IVG et son accessibilité réelle. Dans un certain nombre de régions du continent, les femmes se heurtent à des freins multiples : déserts médicaux, invocation de la clause de conscience par les médecins, délais restrictifs, stigmatisation sociale, etc.
Des législations contrastées, entre avancées, reculs et inertie
Dans leur rapport, les étudiants ont étudié de manière approfondie huit pays européens choisis pour la diversité de leurs cadres législatifs et contextes sociopolitiques.
- La république de Malte, archipel de 565 000 habitant·es, est le seul pays de l’Union européenne à criminaliser l'avortement dans presque toutes les circonstances, y compris en cas de viol ou d'inceste. Le Code pénal maltais indique que toute personne qui provoque l’avortement d’une femme enceinte, avec ou sans son consentement, ainsi que toute femme provoquant son propre avortement ou y ayant consenti, encourt une peine de dix-huit mois à trois ans de prison (article 241). Depuis 2023, une loi permet aux femmes d’interrompre une grossesse seulement si leur vie est en danger et que le fœtus n’est pas viable.
- L'Irlande, république de 5 millions d’habitant·es, a organisé en 2018 un référendum sur l'accès à l'avortement : plus de 66 % de la population irlandaise a voté pour que l’interdiction d’avorter soit supprimée de la constitution. Le Thirty-sixth Amendement de la constitution irlandaise autorise désormais la loi à réglementer l'IVG, via le Health (Regulation of Termination of Pregnancy) Act. L’avortement est depuis lors autorisé sur demande jusqu'à 12 semaines de grossesse.
- La Suède, royaume de près de 11 millions d’habitant·es, est souvent cité comme un modèle progressiste en matière d’accès et de protection des droits sexuels et reproductifs. Depuis 1974, la loi Lag (1974:595) om abort autorise les femmes à recourir à une interruption de grossesse jusqu’à la 18ème semaine, sans justifier leur décision. Ce droit est intégré dans le Code suédois de la santé publique. Par ailleurs, la législation suédoise ne reconnaît pas de clause de conscience spécifique à l’IVG : le personnel soignant n’a donc pas le droit de refuser de pratiquer un avortement s’il en a la charge dans ses fonctions.
- Le royaume des Pays-Bas, pays de 18 millions d’habitant·es, propose l’un des délais d’interruption de grossesse les plus longs au monde. L’avortement n’y est plus une infraction depuis 1981, date de la Wet afbreking zwangerschap, loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Depuis 1984, les femmes peuvent avorter sur simple demande jusqu’à 22 semaines de grossesse.
- La république de Pologne, territoire de 37 millions d’habitant·es, restreint fortement l’accès à l’avortement. Après la chute du régime communiste, une loi sur “la planification familiale, la protection du fœtus humain et les conditions d'admissibilité de l'avortement” est entrée en vigueur en 1993, n’autorisant aujourd’hui l’avortement que dans deux cas précis : lorsqu’il existe un danger pour la vie de la femme enceinte, ou lorsque la grossesse résulte d’un acte criminel tel qu’un viol ou un inceste. Le fait d’aider une femme à avorter est aussi interdit et passible d’une peine d’emprisonnement.
- En Italie, république de 59 millions d’habitant·es, l’avortement est toujours inscrit dans le Code pénal (article 545), mais il n’est pas puni dès lors qu’il est pratiqué dans le cadre défini par la loi (Legge 194), en vigueur depuis 1978. Les femmes peuvent interrompre leur grossesse sur demande jusqu’à 90 jours (environ 12 semaines) sans avoir à justifier d’un motif particulier. La loi 194 encadre également l'objection de conscience, qui permet aux personnels de santé de refuser de pratiquer ou de participer à une IVG pour des raisons de conscience : selon les données du Ministère de la santé italien (de 2021), plus de 6 gynécologues sur 10 sont objecteurs de conscience.
- En France, l’avortement a été par la loi de 1975, dite “Loi Veil”, du nom de la ministre de la Santé qui l’a portée devant l’Assemblée nationale. Cette loi a autorisé l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à 10 semaines de grossesse. Puis, l’avortement a été progressivement dépénalisé, son encadrement a été transféré du Code pénal vers le Code de la santé publique. C’est l’article L2212-1 qui fixe les conditions générales d’accès à l’IVG, qui peut aujourd’hui être pratiqué jusqu'à la 14ème semaine de grossesse, et qui encadre le “droit à la clause de conscience”. En 2024, la France a inscrit la liberté de recourir à l'IVG dans sa Constitution.
- En Allemagne, pays le plus peuplé de l’Union européenne avec 83 millions d’habitant·es, l’avortement est encore inscrit dans le paragraphe 218 du Code pénal (Strafgesetzbuch, StGB). Mais la loi prévoit des exceptions qui permettent aux femmes qui le souhaitent d’interrompre leur grossesse sans sanction pénale. Pendant l’après-guerre, l’Allemagne était divisée en deux : à l’ouest, en République fédérale, le Code pénal régissait l’avortement de manière stricte, alors qu’à l’est, en République démocratique allemande, une loi avait rendu l’avortement légal et accessible sur demande jusqu’à la 12ème semaine de grossesse dès 1972. Finalement, après la réunification, en 1995, une “loi sur les conflits de grossesse” a réformé le Code pénal (Reform des §218 StGB). Aujourd’hui l’avortement est autorisé jusqu’à 12 semaines de grossesse, à condition que la femme ait d’abord reçu un entretien de conseil obligatoire, puis qu’elle respecte un délai de réflexion de 3 jours avant de pouvoir procéder à l’intervention.
Ce panorama met en lumière la multiplicité des parcours et des cadres législatifs qui régissent aujourd’hui le droit à l’avortement dans les pays d’Europe. Il met en lumière les inégalités persistantes dans l’accès à l’IVG au sein de l’Union européenne.
Des témoignages pour saisir les réalités du terrain
Le rapport rédigé par les étudiantes du Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques pour l’association des Anciennes députées donne aussi la parole à des actrices de terrain : des chercheuses, médecins, militantes, et citoyennes partagent leur expérience autour de l’accès ou des entraves à l’IVG. Ces récits mettent en évidence la dimension éminemment politique du droit à l’avortement et le rôle clé des mouvements militants pour les droits des femmes.
Des propositions pour une réponse européenne
Face à ces constats, les autrices du rapport appellent à une réaction européenne ambitieuse. Le rapport formule des recommandations concrètes, par exemple :
- inscrire le droit à l’IVG dans sa Charte des droits fondamentaux,
- garantir seuil minimal d’accès à l’IVG dans tous les pays membres, qui pourrait être fixé à 12 semaines de grossesse,
- encadrer la clause de conscience,
- renforcer l’éducation sexuelle et les campagnes de sensibilisation,
- soutenir les réseaux d’acteurs et les associations locales et transnationales
- engagés dans la défense des droits reproductifs,
- et faire de l’autonomie corporelle des femmes une priorité politique européenne, un enjeu de droits humains
La campagne d’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) My voice, My choice, lancée en 2023, a recueilli plus d’un million de signatures. La Commission européenne examinera donc la proposition de soutenir financièrement des États membres de l’Union européenne qui réaliserait des interruptions de grossesses, conformément à leur législation nationale, pour des femmes en Europe n’ayant toujours pas accès dans leur pays de résidence à un avortement sans danger et légal.
Le droit à l’avortement, un droit humain fondamental
Ce rapport a été présenté à l’Assemblée nationale le 15 mai 2025. Il propose de considérer l’IVG comme un droit humain et de le mettre au centre de l’agenda politique européen, pour garantir une égalité socio-économique entre les européennes et les européens.
L’association des anciennes députées, par la voix de deux de ses membres, Laurence Gayte, ancienne députée des Pyrénées-Orientales, et Martine Lignières-Cassou, ancienne députée des Pyrénées-Atlantiques, a accueilli ce rapport étudiant avec enthousiasme :
“Ce rapport prouve que la jeunesse européenne est prête à défendre ses droits, à formuler des propositions ambitieuses et à porter une vision inclusive de l’Europe. Il nous appartient, à nous responsables d’hier et d’aujourd’hui, d’ouvrir les portes des institutions à ces voix nouvelles.”
Lire le rapport
En savoir plus
- Le Certificat Égalité femmes-hommes et politiques publiques est proposé par l'École d’affaires publiques et le Programme d’études sur le genre de Sciences Po. Il forme des étudiantes et étudiants en première année de master aux politiques de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et les discriminations.
- L'association des Anciennes Députées est un lieu de débats, d'échanges, d'information, de ressource sur les sujets d'actualité concernant la parité, la place des femmes dans la vie politique et dans la société, la lutte contre les inégalités et les violences à l'égard des femmes.