Sécurité : quels défis pour la France en 2017 ?

04/2017

Les années 2015-2017 ont été pour la France des « années terribles » sur le plan de la sécurité. Sécurité intérieure d’abord, puisque le pays a été touché par de nombreux attentats en 2015 et 2016, de l’attaque contre Charlie Hebdo et de l’hypermarché cacher (7 et 9 janvier 2015) à l’assassinat du Père Jacques Hamel dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (26 juillet 2016), en passant par l’attentat contre le Bataclan et le Stade de France (13 novembre 2015) et celui de Nice (14 juillet 2016)1.

Sécurité européenne ensuite puisque plusieurs pays de l'Union ont été touchés par le terrorisme. L’environnement de cette dernière n’est plus aussi sûr qu’il l’était. Au Sud, les soulèvements arabes ont provoqué l’effondrement de plusieurs Etats (Libye, Syrie), une guerre civile internationalisée (Syrie), une forte instabilité (Tunisie, Egypte), de nouvelles vulnérabilités (Jordanie, Liban) et une dissémination des armes et de la violence du Moyen-Orient vers le Sahel. A l’Est, la résurgence des initiatives russes depuis la guerre en Géorgie (2008) à l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine depuis 2014 et la nouvelle aventure de Vladimir Poutine en Syrie sont lourds de menaces.

Sécurité globale ou internationale enfin. En Asie, on assiste à la montée en puissance de la Chine et les interrogations qu’elle suscite, notamment pour la liberté de circulation maritime dans la très stratégique mer de Chine du Sud. De l’autre côté de l’Atlantique, le nouveau locataire de la Maison Blanche est insaisissable, il tance ses alliés, doute de la pertinence de l’OTAN, multiplie provocations et approximations et divise l’Amérique qu’il voudrait entourer de murs. Enfin, la pauvreté reste importante à travers le monde et source de nombreux conflits, de nombreux Etats se sont effondrés, la cyber-menace s’accroît sans cesse, la criminalité internationale et la fragilité des biens communs, à commencer par l'environnement en période de réchauffement climatique, sont plus importantes que jamais.

Nous pourrions en rester à cette typologie classique des défis à la sécurité de la France. Parce que consacrée, elle est finalement familière en dépit de ses nuances sombres. Mais les défis s’interprètent également à la lumière de ceux qui en ont la charge. Nous assistons à une triple crise qui devrait interpeller la prochaine équipe dirigeante de notre pays. La première relève de la décomposition des cercles d’appartenance traditionnels de la France : le cercle européen, le cercle atlantique et celui dit de la francophonie. La deuxième crise découle de la menace qui pèse sur notre instrument diplomatique et militaire qui a urgemment besoin d’être modernisé. La troisième crise et dernière est celle qui pourrait résulter d’un aveuglement intellectuel qui pourrait entraîner d’« étranges défaites »2 si les approches stratégiques ne sont pas diversifiées.

LA CRISE DES CERCLES D'APPARTENANCE

La France est un membre influent de l'Union européenne, de l’Alliance atlantique et une puissance globale disposant de relais d’influence, essentiellement en Méditerranée et en Afrique, territoires avec lesquels elle partage une histoire commune. L'Union européenne est aujourd’hui en crise. Crise institutionnelle marquée par des blocages décisionnels ; politique renforcée depuis le Brexit; économique depuis la crise financière qui a commencé en 2008 ; sécuritaire depuis les attaques terroristes qui ont mis à jour les dysfonctionnements et l’absence de coordination entre les Etats membres et depuis les menées russes en Ukraine devant lesquelles les Vingt-huit se sont retrouvés impuissants et enfin crise morale à l’heure où des milliers de personnes trouvent la mort en tentant de rejoindre l’Union ou sont accueillies par des barbelés.

Le cercle d’appartenance atlantique, que la France a choisi de rejoindre en 1949, est lui aussi en difficulté. Il a souffert de la distance d’un Barack Obama, davantage attiré par les défis du Pacifique et qui a pu laisser certains de ses alliés douter de sa détermination à les protéger en cas de crise grave. L’OTAN souffre aujourd’hui des gestes incohérents et des signaux contradictoires envoyés par Donald Trump. L’Amérique met en danger ce qu’elle a elle-même construit à l’heure où la menace russe ressurgit et où le peer competitor chinois s’affirme. Par ailleurs, le pays de la deuxième armée de l’Alliance atlantique, par ailleurs candidate (de moins en moins au fil du temps) à l'Union européenne – il s’agit bien sûr de la Turquie – retrouve des réflexes autoritaires.

Enfin, le cercle de la francophonie a connu de grands bouleversements : les printemps arabes et le développement de nouveaux conflits au Moyen-Orient. Le Maghreb reste fragile et l’Afrique francophone n’est plus celle de Jacques Foccart (ce qui n’est pas forcément à regretter). Elle est complexe comme l’ont montré, entre autres, les épisodes ivoiriens des années 2000 (au moment de l’opération Licorne, et notamment des affrontements entre troupes françaises et foule ivoirienne en 2004), départs massifs de la communauté française installée dans le pays) et s’ouvre désormais à la concurrence, notamment chinoise.

Comment reconstruire ces cercles d’appartenance censés protéger les citoyens des aléas les plus violents de la mondialisation et qui ont mobilisé tant d’énergie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Nous sommes à la fin d’un cycle. La France doit réinventer ses cadres de sécurité. A-t-elle une idée de ce qu’elle veut faire ? Avec quels partenaires souhaite t-elle en priorité ? Et avec quels moyens ?

QUEL INSTRUMENT ET QUELS MOYENS ?

Ces questions nécessitent un instrument diplomatique adaptable aux évolutions du monde et donc les moyens de penser et de mettre en œuvre de tels ajustements du réseau. La France peut compter aujourd’hui sur un double outil diplomatique et militaire reconnu pour ses compétences mais qui a absolument besoin d’être modernisé.

Avec 164 ambassades bilatérales, 17 représentations multilatérales et un vaste réseau consulaire et culturel, la France possède l’un des tout premiers réseaux diplomatiques mondiaux3. Elle compte sur sa présence physique, au demeurant parfois symbolique, dans les Etats pour avoir une influence politique mais la chose n’est plus si évidente. Son instrument diplomatique reste stato-centré. Certes très professionnel et à l’aise dans la négociation multilatérale y compris lorsqu’il s’agit de diplomaties sectorielles particulières (on l’a encore vu lors de la COP 21) l’instrument diplomatique français est plus hésitant à se lancer dans les nouvelles diplomaties publiques et numériques, qui permettent à d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne, de dialoguer plus aisément avec les classes moyennes, les populations, les sociétés des autres pays.

Or les défis sécuritaires actuels sont liés à l’essor de discours autoritaires dans plusieurs Etats (Chine, Russie, Turquie…) ou en dehors des Etats (mouvements religieux) dont la capacité de séduction dans le débat public mondial est désormais avérée. Ces discours maîtrisent le storytelling, notamment dans quelques régions prioritaires où la compétition entre des discours étatiques classiques et des discours protestataires est rude, nécessite probablement une concentration des moyens, voire leur mutualisation avec d’autres partenaires démocratiques, plutôt que la multiplication  d’un des postes nationaux. Repenser le déploiement, les moyens, la rationalisation du réseau pour répondre aux nouvelles urgences sécuritaires est impérieux. Faut-il revoir, par exemple, dans une sorte d’agencement des outils militaires, diplomatiques, culturels, de soft comme de hard power, la combinaison de nos représentations, de nos centres de recherche (les instituts français de recherche à l’étranger), présences commerciale et culturelle comprises, au Proche- et Moyen-Orient ?

L’armée française est louée pour la compétence de ses soldats et la rapidité de sa chaîne de commandement (qui a par exemple permis de lancer l’Opération Serval au Mali en quelques heures en janvier 2013). Mais après deux Livres blancs sur la défense et la sécurité, en 2008 et en 2013, qui ont revu considérablement à la baisse les formats des armées (baisse finalement relativisée après les attentats de 2015-2016), les futures autorités vont devoir faire des choix importants. La modernisation de la dissuasion nucléaire, si on choisit d’y procéder, demandera des dépenses importantes entre 2017 et 2025. La tension entre les missions réalisées sur le territoire national (lutte anti-terroriste) et l’impératif de projection militaire à l’étranger (Moyen-Orient, Sahel…) interdit de poursuivre les baisses d’effectifs et de budget. Elle pose aussi la question de la mise en chantier d’un second porte avion ou d’un moyen de projection comparable. Plus grave encore, l’imprévisibilité russe, qui rend les batailles « à l’ancienne  » envisageables dans le périmètre européen, relance la question du nombre et de la qualité des forces conventionnelles.

On l’aura compris, contrairement aux discours à la mode ces dernières années, les questions sécuritaires à venir ne pourront se traiter « à moyens constants ». Le « faire plus en dépensant moins et mieux » est une chimère dans monde de course aux armements et de multiplication des défis.

LE DEFI DE LA COMPRENHENSION DU MONDE

Enfin, le danger de la défaite intellectuelle et de l’insuffisance de vision stratégique que la France a déjà vécu à plusieurs reprises (au moins en 1870 et en 1940) reste d’actualité en raison de la persistance de l'Etat à privilégier l’expertise interne à l’appareil d’Etat et à ses services, du désintérêt (voire de l’hostilité) d’une grande partie de l’université pour ces sujets, de la faiblesse du tissu français des think tanks et des instituts de recherche privés, de l’absence de grandes fondations liées à des partis politiques (comme en Allemagne)4. Le risque est mois le défi sécuritaire lui-même que le fait que les acteurs, les décideurs, les analystes et les chercheurs peinent à l’appréhender et à le comprendre dans ses manifestations nationales ou internationales5.

Les défis sont nombreux et nous avons besoin de moyens pour y répondre. Leur emploi, comme leurs missions prioritaires, imposent une réflexion préalable. Le principal défi sécuritaire de la France de 2017 réside peut-être dans la capacité de Paris à le définir, à hiérarchiser ses intérêts, et à organiser son outil d’action extérieure ?

  • 1. Voir G. Kepel, Terreur sur l’hexagone. Genèse du djihad français, Paris, Gallimard, 2015 et La rupture, Paris, Gallimard, 2016.
  • 2. M. Bloch, L’étrange défaite, Paris, Folio Histoire, 1990.
  • 3. Voir Ch. Lequesne, Ethnographie du quai d’Orsay, Paris, CNRS, 2017.
  • 4. Voir D. Dakowska, Le pouvoir des fondations : des acteurs de la politique étrangère allemande, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
  • 5. F. Charillon, « Les relations internationales, science royale ? », in Th. Balzacq, F. Ramel, Traité de relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.
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