Musée ou mémorial ? L'ouverture du Centre de documentation Fuite, expulsion réconciliation à Berlin au terme de vingt ans de controverses

09/11/2021

Entretien avec Catherine Perron


Pouvez-vous nous parler de la difficile naissance de ce centre de documentation consacré aux douze millions d’Allemands expulsés de la partie orientale de l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale ?

Catherine Perron : L’histoire du Centre de documentation Fuite expulsion réconciliation (Dokumentationszentrum Flucht Vertreibung Versöhnung) a été tout, sauf une promenade de santé. Comme l’a fait remarquer Angela Merkel lors de la pose de la première pierre en juin 2013 : « le chemin vers ce début de construction d'un centre de documentation de la Fondation a véritablement nécessité de nombreuses étapes difficiles », et de poursuivre « je n’ai pas toujours été sûre que ce projet réussirait, mais il a réussi ».

Au total, il aura fallu plus de vingt années pour que ce Centre voit le jour. Vingt années ponctuées par de vives controverses et une importante transformation du projet initial. Celui-ci, initialement porté par un groupe restreint, à savoir la Fédération des expulsés (Bund der Vertriebenen, BdV1), empreint de revanchisme, marqué par la concurrence entre les victimes et tendant à considérer la politique mémorielle allemande comme un jeu à somme nulle a finalement débouché sur la création d’une institution portée par l’État allemand qui s’efforce d’articuler des mémoires antagonistes et qui porte une grande attention à la contextualisation historique de son objet. Sa trajectoire pour le moins heurtée fournit de multiples exemples des conflits susceptibles de se nouer autour de la politique de l’histoire dans l’Allemagne unifiée. En effet, les luttes autour de ce qui doit être remémoré de ce passé et des formes adéquates que doit prendre cette remémoration ont mis au jour la manière dont les Allemands conçoivent à la fois leur identité et leur place au sein d’une Europe unifiée.

La genèse du Centre de documentation Fuite expulsion réconciliation (Dokumentationszentrum Flucht Vertreibung Versöhnung), qui a ouvert ses portes le 23 juin 2021 à Berlin, s’inscrit dans d’une conjoncture (géo)politique et historico-mémorielle singulière, marquée à la fois par l’ambition de réunifier le continent européen, et partant l’Allemagne, par un tournant mémoriel (une volonté de revisiter les récits de la Seconde Guerre mondiale forgés sous la guerre froide et la montée en puissance de mémoires minoritaires dissonantes) et par l’importance prise par la figure de la victime dans les politiques du passé. Dans ce contexte, la trajectoire de ce projet de musée-mémorial a été constamment en tension entre d’une part, la volonté des associations d’expulsés de « combler un vide mémoriel » par la reconnaissance « des terribles souffrances » des Allemands expulsés et de « l’immense injustice subie » pour reprendre leurs termes, et d’autre part, le désir d’inscrire cette mémoire dans son contexte historique et d’en souligner la dimension européenne. Le projet s’est en outre inscrit au fil du temps dans des cadres politiques changeants, de la réconciliation avec les voisins est-européens de l’après guerre froide en passant par l’impuissance européenne face aux guerres d’ex-Yougoslavie et leurs nettoyages ethniques et pour finir la « crise migratoire » de 2015.  

Pour en revenir à l’histoire du Centre, l’idée en a été lancée en 1999 par Erika Steinbach, députée issue de la frange conservatrice de la CDU au Bundestag, fraîchement élue à la tête de la Fédération des expulsés. A ce moment-là, le BdV craint de ne plus peser dans le jeu politique (ouest)allemand, d’autant que presque soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale se profile la disparition progressive de la génération des témoins de l’expulsion. La Pologne et la République tchèque viennent d’entamer leurs négociations en vue de leur adhésion à l’Union européenne, projet fortement soutenu par le gouvernement allemand, qui voit dans une Europe élargie un cadre favorable dans lequel déployer des relations bilatérales pacifiées avec ses voisins orientaux. Ce processus de réconciliation menace cependant les positions voire l’existence même de la Fédération des expulsés, qui vient de vivre une décennie de défaites symboliques. Non seulement, l’organisation a échoué à peser véritablement sur les traités bilatéraux entre l’Allemagne et ses voisins orientaux, mais aucune de ses revendications n’a abouti : ni la révision de la frontière Oder-Neisse ni le Heimatrecht (sorte de droit au retour), pas davantage que la restitution des biens expropriés aux expulsés ou les indemnisations pour les dommages et souffrances subis par ces derniers lors de l’expulsion.
C’est dans ce contexte qu’Erika Steinbach s’empare d’une revendication d’un type nouveau. Investissant le champ mémoriel, elle plaide pour la création d’un lieu situé à Berlin, qui soit davantage qu’un mémorial2 et qui « documente l’histoire et les souffrances des expulsés ». Initialement appelé « centre des 15 millions » (sous-entendu d’expulsés), ce projet est présenté comme venant combler un vide mémoriel. En effet, les représentants des expulsés craignent de se retrouver à la marge des politiques mémorielles de l’Etat allemand.

Comment ce projet s'inscrit-il dans le paysage mémoriel de l'Allemagne unfiée ?

Catherine Perron : En cette fin des années 1990 s’achève une décennie qui a laissé une forte empreinte sur le paysage mémoriel et de commémorations de l’Etat allemand. L’initiative de Erika Steinbach est concomitante de l’adoption par le Bundestag le 24 juin 1999 d’une résolution sur la création d’un mémorial central de la Shoah (Holocaust Mahnmal) dédié aux Juifs d’Europe assassinés et de la présentation par le tout nouveau ministre fédéral chargé de la Culture, Michael Naumann, d’un concept fédéral pour les mémoriaux (Gedenkstättenkonzeption). Centrée autour de la question de la place de la mémoire des victimes de la dictature est-allemande par rapport à celle des victimes du régime national-socialiste et de la mise en place d’un dispositif étatique de patrimonialisation de ces passés, la Gedenkstättenkonzeption est censée assurer à chaque mémoire sa juste place. Or la mémoire des expulsions n’y figure pas.

Plus de cinquante ans après la fin de la guerre, alors que l’Etat fédéral allemand unifié officialise et institutionnalise une culture mémorielle que l’on pourrait qualifier de négative, plaçant les crimes commis par les Allemands au cœur de son identité, l’initiative des associations d’expulsés peut se comprendre comme une réaction à la centralité octroyée à la mémoire des victimes juives de la guerre et comme une tentative d’imposer la reconnaissance des victimes allemandes, dans une relation de concurrence. Dans tous les cas, les débats que cette initiative va soulever démontrent la force des liens entre ces deux mémoires et la complexité de l’articulation de ces deux passés dans un discours mémoriel unifié.

Cette question de la reconnaissance et du poids conféré au thème des souffrances allemandes liées aux expulsions par rapport à celui des souffrances des Juifs et des peuples des pays occupés par les nazis, en particulier est-européens aura été source de conflits durant de longues années, provoqué maintes démissions et scandales ainsi que le renvoi d’un directeur en décembre 2014. Elle demeure un point sensible jusqu’à aujourd’hui. Un lieu de recueillement a été intégré au musée, qui prouve bien son ambition de servir de mémorial. Mais la représentation de la souffrance des victimes est étroitement encadrée : par exemple par l’agencement du parcours de la toute nouvelle exposition du Centre de documentation qui impose au visiteur de passer par les salles dédiées à la Seconde Guerre mondiale avant de pouvoir accéder à celles consacrées aux expulsions, une manière de matérialiser l’ordre de causalité historique.


L'entrée du Centre de documentation Fuite expulsion réconciliation à Berlin 
@ Shutterstock

Du point de vue des contenus, le Centre  tout en honorant la mémoire des victimes des expulsions  se devait en effet d’éviter trois écueils dans la narration qu’il allait présenter, trois topoï qui avaient jusque-là imprégné le discours et les représentations des associations d’expulsés : premièrement, il convenait d’éviter de proposer une relecture de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui présente les expulsés comme les principales victimes de ce conflit et remette en question la légitimité de l’ordre européen né des accords de Potsdam. Deuxièmement – et cela découle du premier point –, il importait de veiller à ce que l’attention portée aux expériences et aux souffrances allemandes ne fasse écran aux expériences des habitants des pays voisins notamment est-européens. Enfin, il s’agissait ne pas placer expulsions et génocide sur un même plan - ce que notamment la reprise du leitmotiv du « plus jamais ça » emprunté aux commémorations de la Shoah pouvait faire craindre – en soulignant la différence de nature entre les deux phénomènes, notamment dans les buts qu’ils poursuivaient. La personne d’Erika Steinbach tout comme le poids et l’influence des représentants du BdV au sein des organes dirigeants tel que le conseil de la Fondation constitue la deuxième source de conflit, sur laquelle je reviendrai plus bas dans le texte3.

Si Gundula Bavendamm4, la nouvelle directrice nommée en 2016, a réussi à pacifier la situation (faisant adopter en 2017 sans faire de vagues un concept pour l’exposition permanente et à mener le projet à son terme, ce qui frappe dans cette genèse du Centre de documentation, au-delà des débats des historiens sur la manière de présenter l’expulsion des Allemands sans remettre en question l’ordre européen né dans l’après-guerre tout en œuvrant à la réconciliation (du moins sans mettre en danger les relations bilatérales) est bien la persistance du discours du tabou, du silence ou du vide mémoriel qui existerait autour des expulsions. Ce topos du vide mémoriel demeure très présent dans les discours des politiques, comme dans ceux des représentants des associations de réfugiés et dans la couverture médiatique de l’inauguration du Centre de documentation (y compris dans la presse française). Or évoquer un vide mémoriel voire un tabou en relation avec les expulsions des Allemands d’Europe orientale est clairement erroné, et l’on peut s’interroger sur les raisons de la persistance de ce discours.


Le premier timbre, typique de l’iconographie mémorielle de la fuite et l’expulsion, édité par la poste fédérale allemande à l’occasion des dix ans des expulsions, témoigne de la volonté officielle de maintenir cet événement en mémoire. Dix années plus tard, le même timbre fut mis en circulation sur fond bleu cette fois. La pratique abandonnée pour les trente ans de l’expulsion par la coalition des sociaux-démocrates et libéraux sous Willy Brandt fut reprise à l’occasion des quarante ans ans des expulsions avec un motif différent comme en témoigne le second timbre5@ Shutterstock

En effet, rares sont les événements historiques allemands dont la mémoire a été autant cultivée que celle de la fuite et de l’expulsion6. Et l’idée de créer un musée historique dédié au complexe thématique des expulsions n’a rien de nouveau. Celle-ci s’inscrit dans la volonté de patrimonialiser ce passé allemand en Europe orientale, manifeste dès le début des années 1950. Ces efforts de patrimonialisation ont pris diverses formes, dont la création de musées historiques ou ethnographiques. A partir du milieu des années 1980 et avec le soutien actif du chancelier Kohl, de nombreuses institutions à caractère muséal, consacrées aux grands ensembles régionaux d’où étaient originaires les expulsés ont été créées ou agrandies  : on peut citer par exemple le Oberschlesisches Landesmuseum à Ratingen, le Musée du Haus Schlesien à Königswinter  le Ostpreussisches Landesmuseum à Lüneburg, le Westpreussisches Landesmuseum à Münster-Wolbeck, le Siebenbürgisch-Sächsisches Museum à Gundelsheim. Plus tardivement le Donauschwäbisches Zentralmuseum à Ulm, le Schlesisches Museum zu Görlitz, le Pommersches Landesmuseum à Greifswald, et, dernier en date, le Sudetendeutsches Museum qui vient d’être inauguré à Munich7 ont été fondés. Ces institutions sont financées publiquement, par la Fédération et les Länder via le §96 de la loi sur les expulsés de 1953. Si elles ne sont pas explicitement consacrées à l’épisode de l’expulsion, celui-ci est néanmoins présent dans toutes leurs expositions8. On est donc en droit de s'interroger sur l'apport du Centre de documentation dans ce champ déjà très balisé.
Davantage que d'un vide mémoriel, ce passé souffre d’être méconnu et mal compris des Allemands, à l’image des expulsés qui à leur arrivée furent tout sauf bienvenus. Le manque patent de connaissance de l’histoire est-européenne en général, et en particulier de celle des Allemands ayant vécu dans cette région, s’explique certainement par la complexité de ce passé, par un certain désintérêt pour cette histoire après 1945 mais également par une méfiance envers un passé qui a souvent été instrumentalisé au profit de projets politiques qui ont mené au désastre.

Quelle est l’histoire des Allemands d’Europe orientale ? Où vivaient-ils ? Depuis quand ?

Catherine Perron : Ces Allemands – on peut se demander si ce terme est ici adéquat, il vaudrait sans doute mieux parler de populations germanophones – vivaient à l’Est de la ligne Oder-Neisse.

On peut distinguer deux catégories de territoires et, partant, deux grands groupes distincts parmi les expulsés : d’une part, les citoyens allemands (deutsche Staatsangehörige) qui avaient vécu dans les frontières du Reich (autrement dit dans le Brandebourg oriental, en Prusse orientale, en Poméranie, en Silésie et à Dantzig - territoires qui, à l'execption de Dantzig, faisaient partie de l’Allemagne en 1937), soit presque les deux tiers des expulsés de l’après-guerre ; et d’autre part, les Allemands d’origine ethnique (deutsche Volkszugehörige), c’est-à-dire les minorités germanophones des pays d’Europe centrale issus du démembrement de l’empire austro-hongrois, d’URSS et des Pays baltes, qui représentaient un tiers des expulsés de l’après-guerre.

Ces groupes de populations étaient loin de partager une histoire, voire une origine commune. Certains d’entre eux, tels que les « Souabes du Danube » ou les « Allemands des Sudètes », qui ont constitué de puissantes associations d’expulsés, ont été unifiés a posteriori, essentiellement en vue de peser dans le jeu politique ouest-allemand. Contrairement à ce que leurs noms suggèrent, ni les Saxons de Transylvanie ni les Souabes du Danube n’étaient d’origine saxonne ou souabe et tous ne venaient pas de l’espace germanique. Ces dénominations sont des créations politiques tardives.

Les expulsés sont les descendants de groupes très divers. Tant les raisons de leur émigration vers l’est que leurs pratiques religieuses, leurs origines géographiques et leurs positions sociales diffèrent. Certains faisaient partie de l’ethnie majoritaire au sein de leur empire, telles que les populations germanophones de l’Empire austro-hongrois, position dominante qu’ils ont perdue en 1918 au moment de la création des Etats-nations centre-européens. D’autres ont toujours eu le statut de minorité. Leurs positions sociales tout comme leur influence variaient grandement, y compris au sein d’un même pays. Prenons le cas de l’empire de Russie : les Allemands des Pays baltes, arrivés autour du 12e siècle faisaient partie de la classe dominante alors que ceux de Bessarabie étaient des paysans installés au début du 19e siècle près de la mer Noire. Ces deux groupes ont bien peu de choses en commun. Il en va de même des Saxons de Transylvanie, ayant eux aussi migré depuis le 12e siècle, protestants luthériens, et des Souabes du Banat, majoritairement catholiques, installés à partir du 17e siècle dans les plaines de Pannonie, tous deux pourtant minorités allemandes en Roumanie.

Par ailleurs, le terme de Vertreibung (expulsion) recouvre des phénomènes multiples, aussi bien géographiquement qu’historiquement, ce qui complique la mise en mémoire et a fortiori la narration de ce passé dans une exposition. Alors que le sens commun situe l’expulsion à la fin de la Seconde Guerre mondiale et en attribue la responsabilité aux Etats d’Europe de l’Est ainsi qu’aux Alliés, dans les faits sous la dénomination unifiante d’ « expulsés » (Vertriebene), on trouve les Allemands de Bucovine, de Volhynie, de Bessarabie, de la Dobrutscha, de Bulgarie, de Croatie, de Serbie, de Bosnie et des Pays baltes, victimes des échanges de populations entre l’Allemagne nazie, l’URSS et certains pays d’Europe du Sud-Est9 à la suite notamment de la signature du pacte germano-soviétique de 1939; des populations évacuées par le régime nazi ou ayant fui par exemple de Prusse orientale, de Slovaquie ou de Roumanie (Etat qui n’a pas procédé à l’expulsion de ses minorités allemandes) avant la fin de la guerre face à l’avancée de l’Armée rouge ; des personnes (originaires de Silésie, de Dantzig, de Prusse orientale, de Pologne ou de Tchécoslovaquie par exemple) contraintes de quitter leur région par la violence entre la fin de la guerre et les accords de Potsdam), d’autres transférées de manière plus ou moins ordonnée, pour reprendre les termes des accords de Potsdam, jusqu’au début des années 1950 (par exemple de Hongrie) ou encore d’autres ayant quitté leur région d’origine (essentiellement la Pologne, la Roumanie et l’ex-URSS) entre 1950 et nos jours, pour lesquelles il est difficile de faire la part entre les motivations de départ liées aux pressions subies par les minorités allemandes du fait du passé national-socialiste et celles liées à l’espoir d’un avenir meilleur en RFA.

Par ailleurs, nombre de termes utilisés pour désigner ces régions d’origine sont flous, ont fait l’objet de controverses ou bien ont changé de sens au fil du temps. Les trois termes apparemment très proches : Ostdeutschland/Allemagne de l’Est, deutsche Ostgebiete/territoires allemands de l’Est et deutscher Osten/l’Est allemand, sont une bonne illustration de la complexité de cette question liée à l’instabilité historique des frontières orientales de l’Allemagne. 

Commençons par le terme de Ostdeutschland. Celui-ci était utilisé jusque dans l’après-guerre pour désigner les provinces prussiennes de Prusse orientale : Silésie, Poméranie et une partie de la Neumark. Il a progressivement changé de signification après 1945 pour désigner la zone d’occupation soviétique puis la RDA, régions qui jusque-là étaient situées dans un espace appelé Mitteldeutschland. Certains cependant ont continué à l’utiliser dans son sens premier, en particulier pour remettre en question la légitimité de la frontière Oder-Neisse.



Deutsche Ostgebiete doit au contraire être compris en lien avec la fin de la guerre et les accords de Potsdam. Il désigne un ensemble de territoires dont les frontières ont été déterminées par les Alliés, situés entre la ligne Oder-Neisse à l’Ouest et les frontières du Reich au 31 décembre 1937 à l’Est, à savoir avant le mouvement d’expansion de l’Allemagne nazie vers l’Est. Or cette frontière de 1937 était en elle-même très contestée avant la Seconde Guerre mondiale par les Allemands qui revendiquaient le retour des territoires perdus à la suite du traité de Versailles en 1919 dans le giron du Reich, à savoir la Prusse occidentale, Posen, la région de Hlučín et le territoire de la Memel.

Der deutsche Osten, est sans doute l’expression la plus utilisée, de loin la plus problématique et celle qui a le plus contribué à entretenir la confusion. Utilisée y compris de façon officielle jusque dans les années 2000 pour désigner les lieux d’origine des expulsés, elle crée par son imprécision l’illusion d’une appartenance (sous une forme ou une autre) à l’Etat allemand d’un espace très vaste aux frontières indéfinies en Europe orientale, espace qui s’étend de la côte balte à la mer Noire. Dans la tradition völkisch, cette appartenance est fondée sur le fait que ces territoires ont été peuplés d’Allemands, sans que l’on ne prenne en compte leur nombre réel, l’existence d’autres nationalités sur ces terres et encore moins le fait que nombre de celles-ci n’ont jamais, de près ou de loin, appartenu au Reich allemand. Du fait de sa charge révisionniste, l’usage du terme deutscher Osten a été officiellement abandonné au début des années 2000.

Pouvez-vous nous dire quelques mots du lieu où est situé le centre ? Pourquoi le choix de cet endroit ?

Catherine Perron : On vient de voir que les questions liées à la géographie sont loin d’être anodines et l’on connaît les liens qui unissent mémoire et topographie. Dès lors, il n’étonnera guère que la question du lieu où situer le centre ait été l’une des questions politiquement les plus controversées. Ce qui s’est joué dans cette question de la localisation n’est rien de moins que la future configuration du paysage mémoriel allemand et la perspective donnée à la commémoration des expulsions : perspective allemande ou européenne ?  
Le pluriel choisi par la fédération des expulsés pour nommer leur fondation en 2000 (Centre contre les expulsions) – et la volonté affichée de se consacrer à l’ensemble des expulsions, pas seulement celle des Allemands – ne sont jamais parvenues à cacher le fait qu’il s’agissait bien de placer l’expulsion des Allemands, et ce faisant les souffrances allemandes, au cœur du projet mémoriel. En effet, dès 1999, Erika Steinbach revendiquait que son musée-mémorial soit situé à Berlin, dans la capitale allemande réinvestie10. Les propositions alternatives ont toutes été rejetées. L’une des plus intéressantes émanait du député social-démocrate allemand Markus Meckel, associé aux journalistes polonais Adam Michnik et Adam Krzemiński, qui en 2002 ont proposé de bâtir ce centre à Wrocław (ancien Breslau) en Pologne. Ce lieu aurait conféré au Centre la dimension transnationale revendiquée, tant cette ville, allemande durant plusieurs siècles, dont la population fut expulsée à la toute fin de la guerre et qui a été repeuplée de Polonais eux-mêmes contraints de quitter les Kresy (territoires perdus à l’Est) et en particulier Lwów/Lemberg, est emblématique du phénomène des déplacements de populations liés à la Seconde Guerre mondiale. Cependant, pour la fédération des expulsés il était inenvisageable de situer ce Centre ailleurs qu’à Berlin et plus encore au centre de Berlin.

Le BdV a tout d’abord envisagé de placer le Centre au château de Berlin, dont il ne restait qu’une façade en face du dôme sur l’île aux musées. Finalement, en 2008, au moment où le projet est repris en main par le gouvernement et où la Fondation Fuite, expulsion, réconciliation créée, la « maison de l’Allemagne » (Deutschlandhaus) est choisie pour abriter le musée. Manière de reconnaître sans le dire, que le projet est avant toute chose centré sur l’expérience allemande de l’expulsion et d’inscrire la mémoire de ces victimes allemandes dans le paysage mémoriel et commémoratif jusque-là exclusivement consacré aux victimes des Allemands et partant de réagencer celui-ci.

Le bâtiment – soumis à une rénovation intégrale – présente plusieurs particularités. Celles-ci sont liées à la fois à ses anciens usages et à son emplacement dans la capitale. Dans et autour de ce lieu se déploie le mille-feuille mémoriel si typique de Berlin. Notons tout d’abord l’existence une cohérence thématique entre le musée actuel et les usages passés du Deutschlandhaus. Sous le régime nazi, le bâtiment abrita le ministère du Travail du Reich (responsable de l’organisation du travail forcé) et le Commissariat pour le renforcement de l’ethnicité allemande qui œuvra précisément à la mobilisation des minorités allemandes est-européennes en faveur du projet nazi. Fortement endommagé pendant la guerre et remis en état sous Adenauer, ce bâtiment a accueilli cette fois les représentations des associations d’expulsés et leur fédération (le BdV) à Berlin. De cette époque, il reste trois vitraux représentant des allégories des Heimat perdues, l’un des rares éléments de l’architecture intérieure conservés dans le nouveau musée. Sa position dans le secteur occidental de la ville, à quelques mètres du mur en a fait par ailleurs un lieu d’accueil des réfugiés de RDA, d’où son nom de « maison de l’Allemagne ».

L’emplacement est cependant plus important que l’histoire du bâtiment. Le Centre est situé dans un espace qui abrite les institutions mémorielles centrales de la République fédérale unifiée. Au-delà de sa proximité avec le mur, il fait face aux ruines du portail d’entrée de la gare Anhalter Bahnhof, d’où ont été déportés les Juifs berlinois. Il est quasi mitoyen du lieu de souvenir Topographie de la terreur, lieu où étaient situées sous le IIIe Reich les centrales de la Gestapo, des SS et de l’Office centrale pour la sécurité du Reich et se situe à quelques encablures du mémorial aux Juifs d’Europe assassinés et du musée Juif. Symboliquement, les victimes allemandes sont donc désormais placées aux côtés des victimes des Allemands.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là et les Allemands n’en ont pas fini de chercher une forme juste pour commémorer le passé national-socialiste ou d’éclairer toutes les facettes de ce passé. Deux projets, susceptibles de faire évoluer les points de vue spatiaux et mémoriels sur les thématiques du Centre de documentation, sont en gestation. D’une part, un musée de l’exil, consacré à tous ceux qui ont dû fuir sous le national-socialisme mais aussi à l’exil en général, doit ouvrir en face, autour de la ruine du Anhalter Bahnhof. Placé sous le patronage de la prix Nobel de littérature Herta Müller (elle-même Allemande de Roumanie), il y a fort à parier qu’il viendra enrichir la vision de ce que signifie être contraint de quitter sa Heimat. Par ailleurs, un mémorial pour les victimes est-européennes de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation de la Pologne, dont le principe a été entériné par le Bundestag le 15 septembre 2021 pourrait, lui aussi, y trouver sa place, Askani Platz, en face du Centre de documentation, offrant un autre point de vue sur le conflit mondial. On est curieux du type de coopérations qui se noueront entre ces différentes institutions.



« Sans la terreur apportée par l’Allemagne sous le national-socialisme sur l’Europe et le monde, sans la rupture civilisationnelle de la Shoah commise par l’Allemagne sous le national-socialisme et sans la Seconde Guerre mondiale déclenchée par l’Allemagne, des millions d’Allemands n’auraient pas été contraints de fuir, de subir un déplacement et une réinstallation forcée. Il est d’une importance cruciale que l’histoire des expulsions des Allemands soit ancrée dans son contexte historique. » a souligné Angela Merkel lors de la cérémonie d’inauguration du Centre de documentation sur la fuite, la déportation et la réconciliation le 21 juin 2021 à Berlin. La chancelière a ajouté : « C’est un devoir pour l’ensemble de la société d’entretenir une politique mémorielle vivante, en particulier à destination des jeunes générations qui n’auront plus le privilège de parler avec les témoins directs. Par ailleurs, nous vivons aussi à une époque où « le nombre de personnes déplacées à travers le monde est plus élevé que jamais ». Quel rôle a joué Angela Merkel dans la création du Centre ?

Catherine Perron : La création de ce Centre n’a certainement pas été une préoccupation centrale d’Angela Merkel pas plus que la politique mémorielle n’a été un des domaines de prédilection de la chancelière sortante. Cependant, ce projet aura accompagné les seize années qu'elle a passées à la Chancellerie, sa Kanzlerschaft. Elle en a hérité après que l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a repris à son compte la revendication de création d’un centre pendant la campagne électorale de 2005 et elle a œuvré à ce que le contrat de coalition avec le SPD contienne l’engagement de créer un « signe visible » commémorant les expulsions dans la ville de Berlin.

Au départ, le soutien au projet d’Erika Steinbach procède d’un calcul électoral. En 2005 – année où les élections fédérales promettaient d’être très disputées –, les expulsés représentaient environ 3% des électeurs, un chiffre susceptible de faire la différence. Par la suite, il me semble qu’il faut davantage comprendre les agissements d’Angela Merkel comme une tentative de limiter les dommages consécutifs aux revendications et aux attitudes du BdV (notamment dans les relations bilatérales avec le voisin polonais) que comme un véritable engagement en faveur des revendications des expulsés. D’ailleurs, la chancelière sortante et l’ex-président fédéral Joachim Gauck se sont constamment efforcés d’inscrire cette mémoire dans un cadre plus vaste : notamment celui des mouvements migratoires qui ont affecté la RFA11. Tout ceci qui ne manque pas de piquant quand on sait l’énergie déployée par le passé par la Fédération des expulsés pour établir une distinction catégorielle entre expulsés et migrants, Erika Steinbach aimant à souligner que les expulsions constituaient « une grave violation des droits de l’homme » alors que les migrations étaient quelque chose de « tout à fait délibéré ».

Le discours prononcé par Angela Merkel lors de l’inauguration du Centre se veut une réponse à l’ambivalence constitutive du musée : celui-ci se doit d’être un signe visible rappelant la souffrance des Allemands expulsés, sans changer le sens de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et sans faire de ces 11,5 millions de personnes les principales victimes de celle-ci. Dans les faits, Angela Merkel ne fait que répéter ce qu’elle a déjà dit en juillet 2014 lors du début de chantier de rénovation du Deutschlandhaus. Et elle reprend presque mot pour mot l’article 16 du texte de loi de 2008, qui institue (et encadre) la Fondation Fuite expulsion réconciliation. Il y est énoncé que « l’objet de la Fondation (…) est de maintenir vivantes, dans un esprit de réconciliation, la commémoration et la mémoire de la fuite et des expulsions au 20e siècle, dans le contexte historique de la Seconde Guerre mondiale et de la politique d’expansion et de d’extermination national-socialistes ainsi que de leurs conséquences ».

Finalement, au-delà de l’engagement de la chancelière sortante en faveur de ce projet, ce qui doit retenir notre attention, me semble-t-il, est qu’ici c’est bien le politique qui dit l’histoire, en fixant par la loi un cadre d’interprétation restrictif à l’événement historique qu’a été l’expulsion des populations allemandes d’Europe de l’est et en décidant la place de cet événement dans la chaîne des causalités historiques. Si cette obligation peut à première vue paraître rassurante en ce qu’elle consolide la culture mémorielle allemande, nous sommes cependant en droit de nous interroger : ne donne-t-elle pas raison aux historiens qui, dès la fin des années 1990, mettaient en garde sur l’étatisation de la production de sens historique. A l’image de Norbert Frei, ceux-ci se demandaient si une telle conception normative et étatisée de l’histoire ne marquait pas un recul par rapport à la conception plus critique et ancrée dans le débat sociétal qui prévalait jusque-là en Allemagne de l’Ouest12.

La carrière d’Erika Steinbach, à l’origine député de l’Union chrétienne-démocrate, devenue proche de l’Alliance pour l’Allemagne (AfD) confirme les craintes de ses opposants quant à sa proximité avec le nationalisme d’extrême droite. Quels rapports entretiennent Erika Steinbach et Angela Merkel ?

Catherine Perron : En effet, Erika Steinbach, qui a quitté la CDU en janvier 2017, soutient aujourd’hui l’AfD sans toutefois en être membre. Par ailleurs, elle préside depuis mars 2018 la Fondation Desiderius Erasmus, proche de l’AfD (à l’image de ce qu’est la Fondation Konrad Adenauer pour la CDU ou la Fondation Friedrich Ebert pour le SPD), qu’elle veut faire financer par des subventions publiques puisque l’AfD a obtenu des élus lors des élections fédérales du 26 septembre 2021. Ces positions lui ont valu de ne pas être invitée à l’inauguration du Centre qu’elle a pourtant largement contribué à créer (même si les choses n’ont pas été officiellement formulées ainsi).

La rupture définitive des liens entre Erika Steinbach et Angela Merkel remonte à la crise des réfugiés. La relation de ces deux femmes représentant des courants opposés au sein de la CDU n’a cependant pas toujours été houleuse, bien au contraire. La première avec son projet de Centre contre les expulsions (Zentrum gegen Vetreibungen) a souvent servi de caution conservatrice à la seconde, qui en retour a aidé à l’avancement du projet. Ses prises de positions véhémentes contre la politique de la chancelière sortante et ses tweets à teneur raciste rédigés pendant la crise des réfugiés ont cependant fini par marginaliser Erika Steinbach au sein de son propre parti. Plus grave encore, sa campagne sur les réseaux sociaux contre le président du district de Kassel, Walter Lübke, qui, selon de nombreuses personnalités politiques – y compris issues de son ancien parti la CDU – a pesé dans l’assassinat de ce dernier par l’extrême droite le 2 juin 201913.  

Erika Steinbach a toujours défendu des positions très à droite de la CDU et si l’on peut lui faire crédit d’avoir réussi à moderniser l’image du BdV, elle s’est toujours distinguée par la pugnacité de ses prises de parole qui laissaient peu de place au compromis. Pour les partenaires est-européens de l’Allemagne, et en particulier pour les Polonais, le fait qu’elle ait été une des treize députés la CDU ayant voté contre la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse au Bundestag en 1991 et qu’elle se soit fait passer pour une victime des expulsions alors que ses parents s’étaient installés en Pologne dans le sillage de l’occupation nazie, l’a rendue définitivement inacceptable dans son rôle de bâtisseuse de ponts entre les peuples, rôle qu’elle tenta d’endosser au début des années 2000 lors du lancement du Centre contre les expulsions du BdV. Ce qui n’a pas empêché les adversaires les plus acharnés d’Erika Steinbach, à savoir les élites néo-conservatrices est-européennes et polonaises, d’utiliser des moyens similaires pour asseoir et renforcer leur pouvoir : à savoir utiliser l’histoire à des fins politique.

L’Europe s’est construite en grande partie sur les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Nous pouvons néanmoins nous demander pour quelle raison la mémoire des expulsions et des migrations forcées n’a pas été intégrée aux fondements de l’Union européenne. La réponse ne réside-t-elle pas dans le fait que la mémoire des migrations forcées renvoie à des débats qui questionnent l’identité des nations européennes elles-mêmes ?

Catherine Perron : Pour répondre à cette question je renverrai aux travaux que j’ai menés avec Anne Bazin sur le sujet14.
Nous avons en effet constaté qu’il y a très peu de débats (revendication d'un statut de victime, revendications symboliques (monuments, etc.) ou autres) au niveau européen sur la question des migrations forcées. Ce qui semble a priori étonnant, puisque la mémoire de ce traumatisme est partagée par des millions de personnes en Europe (des Italiens originaires d’Istrie, aux Finlandais de Carélie, en passant par les Polonais des Kresy et bien d’autres groupes encore).
Il serait inexact de dire que le sujet a été délibérément ignoré. Il n'y a pas de volonté explicite, au niveau européen ou au niveau national de taire ce passé ou d’empêcher les débats sur les migrations forcées (expulsions, transferts et échanges de population, nettoyages ethniques etc.).

Mais ces passés douloureux, profondément ancrés dans les mémoires des nombreux groupes qui en ont été victimes, ne sont pas perçus comme une mémoire partagée. Bien que les migrations forcées soient par nature des événements transnationaux, leur mémoire est encore aujourd'hui principalement cultivée au sein de cadres nationaux et plus encore au sein des groupes concernés. Au niveau européen, l’absence de ce thème dans les débats publics est due au fait qu’il est perçu comme susceptible de créer des tensions entre Etats voisins et ce parce que presque aucun travail de mémoire n'a encore été mené sur ces passés douloureux. Les États membres sont généralement mal à l'aise avec cette partie de leur histoire. Les migrations forcées et les  transferts de population sont des phénomènes complexes et de nombreux Etats qui ont dû accueillir ou intégrer des expulsés/rapatriés ont souvent été eux-mêmes à l'origine d'expulsions/déplacements forcés (Pologne, Grèce, Turquie, Allemagne).

Cette question de la migration forcée introduit presque toujours une dissonance dans les récits nationaux le plus souvent écrits par les vainqueurs. Elle oblige à dévoiler des pages sombres de l’histoire, produisant des contre-récits qui appellent souvent à revisiter de manière critique les mythes nationaux. Une telle relecture, qui nécessite souvent une impulsion extérieure, comme par exemple la fin de la guerre froide, ou un contexte très favorable, est difficile.
On peut ainsi s’interroger : l’expulsion des Allemands est-elle le premier acte de l’après-guerre ou bien celui qui marque la fin du conflit mondial ? Selon la réponse que l’on apporte à cette question, les implications politiques sont bien différentes.

L'Europe s'est construite en grande partie sur le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Cependant, ces deux mémoires divisent les Européens de l’est et de l’ouest. Intégrer la mémoire des migrations forcées à la mémoire fondatrice de l'Union aurait peut-être l’avantage de prendre en compte une expérience historique majeure pour l’ensemble du continent et de permettre un regard nouveau sur les migrations contemporaines. 

Propos recueillis par Corinne Deloy

Photo de couverture : Monument érigé en 1982 par la fédération des expulsés « A la Heimat inoubliée et à ses morts » (Der unvergessenen Heimat und ihren Toten), situé à l’entrée du cimetière Burghalden à Sindelfingen, Allemagne, 2017. © Catherine Perron

Pour citer cet article : "Musée ou mémorial ? L'ouverture du Centre de documentation Fuite, expulsion réconciliation à Berlin au terme de vingt ans de controverses. Entretien avec Catherine Perron", Les Analyses du CERI, 9 novembre 2021.

  • 1. Cette fédération rassemble l’ensemble des associations d’expulsés, organisés par territoires d’origine, comme la Sudetendeutsche Landsmannschaft, la Landsmannschaft Schlesien – Nieder – und Oberschlesien, la Landsmannschaft Ostpreußen, etc. Elle a été fondée en 1957 en RFA. Il n’existait pas d’organisation similaire en RDA où le thème des expulsions était tabou.
  • 2. En effet, il existe déjà un mémorial à l’expulsion à Berlin. Celui-ci a été érigé en 1955 à la demande des associations d’expulsés Theodor Heuss Platz dans le secteur Ouest de la ville. Il s’agit d’un cube en pierre de taille surmonté d’une coupe sacrificielle en fer dans laquelle brûle une flamme éternelle. Sur l’un des côtés du cube une plaque en bronze porte l’inscription : Diese Flamme mahnt – Nie wieder Vertreibung (Cette flamme est un rappel : plus jamais d’expulsions).
  • 3. Sur ces questions, je renvoie également à mon précédent papier : Histoires de réfugiés. La Fondation Fuite expulsion réconciliation à la croisée des chemins
  • 4. Gundula Bavendamm, une historienne qui jusque-là dirigeait le musée des Alliés à Berlin, a pris ses fonctions début 2016 après que l’institution a traversé une crise majeure. En effet, d’une part le directeur de la Fondation Fuite expulsion réconciliation a été suspendu de ses fonctions en décembre 2014, d’autre part, un tiers des membres du Conseil scientifique, dont les derniers Polonais – caution non seulement scientifique mais aussi morale du projet- démissionnèrent au début de l’année 2015, lors de la nomination de son successeur, qui ne prit pas son poste. Gundula Bavendamm a été désignée directrice au terme d’une année de vacance. Elle est parvenue à apaiser les tensions et à remettre le projet sur les rails.
  • 5. Voir Elisabeth Fendl, “Populäre Darstellungen von Flucht und Vertreibung“, in, E. Fendl, Zur Ästhetik des Verlusts. Bilder von Heimat Flucht und Vertreibung, Münster Waxmann, 2011, pp. 45-69.
  • 6. On peut lire à ce sujet l’entrée « L’exode et l’expulsion » de Ewa Hahn et Hans Henning Hahn, dans Mémoires allemandes (sous la direction de Hagen Schulze et Etienne François), Paris, Gallimard, 2007, pp. 607-630.
  • 7. Il sera d’ailleurs intéressant d’observer à l’avenir si des coopérations se nouent entre ces différentes institutions et la façon dont tous ces musées vont articuler leurs contenus.
  • 8. Sur ce point, voir mes articles : Catherine Perron, « Les efforts de patrimonialisation du passé oriental de la nation au prisme des musées « est-allemands » », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, Vol. 47, n°2, décembre 2015, pp. 401‑422. Catherine Perron, « Un paysage mémoriel éclaté. La mémoire de la fuite et de l’expulsion au miroir des musées. », in Carola Hähnel-Mesnard, Dominique Herbet, (éds.). Fuite et expulsions des Allemands. Transnationalité et représentations 19e-21e siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016, pp. 129‑144.
  • 9. Durant l’action dite Heim ins Reich (retour dans le Reich) – entre 1939 et 1942 –, l’Allemagne nazie a procédé au transfert de nombreuses minorités allemandes (notamment celles vivant dans les territoires, qui en vertu du Pacte germano-soviétique devaient revenir à l’URSS) vers l’intérieur des frontières du Reich.
  • 10. Rappelons qu’entre 1949 et 1990, la capitale provisoire de la RFA était Bonn. Si elle a été transférée à Berlin par le traité d’unification de 1990, le déménagement du Parlement et du gouvernement ont été votés en 1991 par le parlement et se sont concrétisés en 1999.
  • 11. Ainsi, le 20 juin, date choisie par le gouvernement comme jour de commémoration fédérale des victimes de la fuite et de l’expulsion, tombe en même temps que la journée mondiale des réfugiés. A ce propos, on peut lire Catherine Perron, « Reimagining German identity through the politics of history: changing interpretations of German past migrations during the ‘Refugee crisis’, 2015/2016 », Journal of Ethnic and Migration Studies, Vol. 47, n°18, Routledge, octobre 2020, pp. 1‑17.
  • 12. Norbert Frei, dans son essai 1945 und wir paru en 2005 chez C. H. Beck à Munich, p. 19.
  • 13. Le 2 juin 2019, après des semaines de harcèlement sur les réseaux sociaux, Walter Lübke, Président du district de Hesse du Nord, qui défendait la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel, a été assassiné par un néonazi de deux balles dans la tête. Cet attentat mortel est le premier organisé par l’extrême droite contre une personnalité politique de l’Allemagne démocratique.
  • 14. Anne Bazin, Catherine Perron (eds.) How to Address the Loss? Forced Migrations, Lost Territories and the Politics of history, Bruxelles, Peter Lang, 2018. Voir également notre texte de présentation de l'ouvrage sur le site du CERI.
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