Internationaliser la recherche par les publications

18/11/2022
Sciences Po Series in International Relations and Political Economy

Entretien avec le créateur de la collection, Christophe Jaffrelot

Le Centre de recherches internationales de Sciences Po mène depuis plusieurs décennies une politique active d’encouragement des publications scientifiques, en français, et depuis la fin des années 1990, en anglais. En 2002, la collection du CERI a été créée chez Palgrave Macmillan, qui célèbre cette année 20 ans d’un partenariat des plus heureux et 50 ouvrages publiés en anglais, qu’il s’agisse de traductions ou d’ouvrages originaux directement écrits en anglais  ! Nous revenons ici sur la création de cette collection, ce qu’elle a permis et les raisons pour lesquelles il est important de poursuivre cette politique de publication en anglais qui, comme d’autres dispositifs, contribue à l’internationalisation de la recherche menée au CERI. 

 
 
Quel état d’esprit a présidé à la création de cette collection en 2002 ?
 
Christophe Jaffrelot : En 2002, deux ans après ma prise de fonction à la tête du CERI, développer le pôle Publications était pour moi une priorité absolue qui faisait d’ailleurs partie du programme de direction, très détaillé, que Christian Lequesne et moi avions présenté au laboratoire en 2000. Le pôle, porté par Rachel Bouyssou, Judith Burko et Cynthia Schoch, faisait preuve d’un dynamisme remarquable et se développait déjà au travers de collections en français et en anglais. Au-delà, le Conseil de laboratoire partageait la volonté de la direction d’aider les chercheurs à publier davantage, les ouvrages restant un débouché naturel pour notre production scientifique.
 
Cette collection est venue renforcer l’offre de publication en langue anglaise du CERI, qui avait en 2002 déjà créé une collection avec l’éditeur britannique Hurst & Co. Comment les deux collections se sont-elles complétées au fil des années ?

Christophe Jaffrelot : The CERI series in Comparative Politics and International Studies avait vu le jour en 1998, deux ans après que j’ai rencontré Christopher Hurst et Michael Dwyer, respectivement fondateur et directeur éditorial de Hurst and Co chez qui j’avais publié mon premier livre en anglais en 19961. La traduction du livre de Fariba Adelkhah, Being Modern in Iran (copublié avec Columbia University Press), avait inauguré cette collection que je dirigeais alors avec le directeur du CERI de l’époque Jean-François Bayart, qui, à la suite de Jean-Luc Domenach, avait déjà créé et poursuivi plusieurs collections en français au CERI.

La collection du CERI chez Hurst avait surtout vocation à offrir un débouché aux travaux relevant des aires culturelles – le point fort du CERI et la marque de fabrique de Hurst and Co. Il nous fallait une autre collection pour accueillir les recherches portant sur les relations inter/trans-nationales et l’économie politique. D’où le titre que nous avons donné à la collection : Series in International Relations and Political Economy, qui a vu le jour chez Palgrave Macmillan peu après ma rencontre, à New York, avec des responsables de la maison d'édition, dont Toby Wahl dont j’avais fait la connaissance à un congrès de l’Association for Asian Studies.
 
Faire vivre une collection requiert un engagement personnel mais aussi institutionnel. Quel est l’intérêt d’avoir une collection auprès d’un éditeur (ou de plusieurs) en plus de publications ad hoc auprès de divers éditeurs, laissées à la charge des chercheur-e-s?
 
Christophe Jaffrelot :  L’un n’empêche pas l’autre ! Ce n’était pas parce que le CERI avait deux collections en anglais et quatre collections en français que les chercheurs et chercheuses ne pouvaient pas publier ailleurs, et ils et elles le faisaient d’ailleurs. Mais le fait d’avoir des collections chez des éditeurs reconnus présentait bien des avantages pour les auteurs et les autrices mais aussi pour le laboratoire.
Pour le centre, c’était une belle carte de visite. Au début, d’ailleurs, le logo du CERI figurait seul sur les couvertures, puis Sciences Po a voulu avoir le sien, puis le logo du CNRS a été ajouté. Pour finir, la collection chez Palgrave n’a plus porté que le nom de Sciences Po pour devenir la Sciences Po Series in International Relations and Political Economy.

Pour les auteurs et les autrices, l’intérêt était plus grand encore. Nombre de ceux et de celles qui n’avaient jamais publié en anglais – une majorité – étaient ainsi guidé.es dans leur quête d’un éditeur, accompagné-e-s par Cynthia Schoch et Miriam Périer2 qui traduisaient ou éditaient les textes, et enfin « promu.es » par le laboratoire une fois que leur livre sortait aux États-Unis et ailleurs. Le ou la représentante de Sciences Po à Columbia intervenait à ce stade de la partie et finançait des book tours sur la Côte Est des Etats-Unis, voire au-delà. 
 
On le sait, la traduction est coûteuse. Comment justifier cet effort financier ?
 
Christophe Jaffrelot :  Parce que les sciences sociales n’utilisent plus autant le français qu’avant et que les auteur.rices français-es ont quelque chose à apporter aux non francophones. Simplement, les tirages ne sont pas tels que les éditeurs puissent assumer le coût des traductions (même s’ils le font parfois, bien sûr). Il s’agit cependant d’un investissement dont il ne faut pas négliger la « rentabilité ». Gardons un instant à l’esprit l’exemple de Sciences Po et de nos collections : les secondes ne sont pas pour rien dans l’image – et donc dans l’attractivité – de la première. La science politique de Sciences Po ne figurerait pas aussi haut dans les classements internationaux si les politistes de la maison ne publiaient pas en anglais. Nos collections ont fini par exister par le nombre des titres publiés : 55 titres entre 1999 et 2020 pour la collection chez Hurst, 50 depuis 2002 pour celle de Palgrave, soit environ six livres par an en anglais, ce n’est pas rien !

Ceci-dit, comme toute politique de discrimination positive, l’aide à la traduction doit bénéficier de garde fous. En particulier, il ne faut pas publier n’importe quoi sous prétexte que c’est subventionné : nos collections couraient ce risque, un.e chercheu.re pouvant « exiger » du labo qu’il finance la traduction de son livre sous prétexte que les collections d’ouvrages étaient « maison » – issues de et portées par sa maison. C’était l’objection que faisaient volontiers certains collègues – y compris le regretté Bruno Latour avec lequel j’ai eu tellement de plaisir à travailler à la fin de mon second mandat de directeur du CERI. Je faisais toujours la même réponse : les éditeurs américains et britanniques font évaluer les manuscrits en aveugle par au moins deux experts du sujet et le risque de ne pas publier un manuscrit d’une grande qualité, du coup, est quasi nul.
 
Alors que les chercheurs sont encouragés à publier toujours plus d’articles dans des revues à comité de lecture, la publication d’ouvrages pourrait à l’inverse être exclue car trop coûteuse en temps. Pourquoi considérer qu’il faut maintenir un espace pour la publication d’ouvrages ?
 
Christophe Jaffrelot : Rien ne remplacera jamais le livre en son nom propre en sciences sociales. Les articles permettent de partager des résultats de recherche plus ponctuels. Ce sont des coups de projecteur. Ils reposent certes sur une méthodologie exigeante – et parfois envahissante – et ils bénéficient de procédures d’évaluation rigoureuse. Mais le livre, qui passe sous les mêmes fourches caudines dans nos collections en anglais, remplit une fonction différente et répond à une autre ambition. C’est dans un livre qu’un auteur dispose de l’espace nécessaire à la présentation d’une recherche au long cours. Le livre est un écosystème et même, parfois, un monument capable de créer sa propre atmosphère et où on accomplit un véritable voyage de la pensée. Cela n’est possible que parce que l’auteur.ice vit lui-même ou elle-même avec son livre pendant des années avant de le publier.

Oui, c’est coûteux en temps – et en tranquillité d’esprit -, mais tellement satisfaisant ! Et puis, un livre est un objet, un objet précieux, dont on peaufine l’esthétique (à commencer par la couverture), que l’on emmène comme un compagnon de voyage (ne serait-ce que dans le métro ou dans le train), que l’on retrouve plusieurs jours ou semaines d’affilée, que l’on annote, que l’on s’approprie… La relation est rarement aussi intense avec un article !  

Propos recueillis par Miriam Périer

Photo : Sélection de livres de la Sciences Po Series in International Relations and Political Economy. Photo de Caroline Maufroid, Sciences Po.

A lire sur notre site CERI/Lab.
Le compagnonnage en traduction. Entretien avec Cynthia Schoch

Les publications du CERI, toute une histoire…
Judith Burko

  • 1. Christophe Jaffrelot, The Hindu Nationalist Movement and Indian Politics: 1925 to the 1990s Strategies of Identity-Building, Implantation and Mobilisation (with special reference to Central India), Londres, Hurst, 1996.
  • 2. Miriam Périer a rejoint le pôle Publications du CERI en 2006 pour reprendre la gestion des collections en langue anglaise du centre.
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