En quarante ans le CERI s'est affirmé comme un pôle majeur des publications consacrées aux sociétés politiques de par le monde et aux questions internationales, en s'associant à quelques-uns des meilleurs éditeurs français et étrangers, notamment de langue anglaise. Il a valorisé de la sorte sa propre production scientifique, mais aussi celle d'autres institutions, pour irriguer le débat public, contribuer à la circulation globale des idées et faciliter la parution des meilleures thèses de doctorat. Cette évolution a nécessité la professionnalisation et l'institutionnalisation croissantes de sa fonction éditoriale.

Se souvient-on qu’au CERI, un poste de chercheur fut consacré par le conseil d’unité au recrutement d’une éditrice, faute de ressources dédiées ? Ou qu’un directeur du laboratoire s’engagea personnellement vis-à-vis de l’administrateur de la FNSP pour obtenir, quelques années plus tard, un second poste d’éditrice, en arguant que le développement des publications faisait partie de son programme de direction ?

L’histoire du CERI, comme celle de tous les centres de recherche, est faite de singularités, de convictions et de désirs. La volonté résolue des directeurs successifs, relayée par celle des conseils de laboratoire, a forgé une des spécificités de notre centre : la constitution et le développement d’un service affecté aux publications, animé par des professionnel(le)s de l’édition.

La collection "Espace international" aux editions Complexes. Photo : Caroline Maufroid, Sciences Po.

Ce choix politique, encouragé par l’enthousiasme des chercheurs et soutenu par la direction de Sciences Po, a permis au CERI de lier dès les années 1990 des relations fortes avec des maisons d’édition généralistes, et de rencontrer des lecteurs peu familiers des presses universitaires et du monde académique. Sans pour autant négliger les documents, notes et études traditionnellement attendus d’un centre de recherche, et tout en publiant aux Presses de Sciences Po (au sein desquelles plusieurs chercheurs du CERI ont dirigé des collections), le laboratoire a assuré la diffusion des travaux des chercheurs dans la cité en multipliant les réseaux.

Donner à lire

• en français…

Dès 1981, Guy Hermet (directeur de 1981 à 1985) apporte un soutien logistique à la revue Politique africaine lancée par Jean-François Bayart aux éditions Karthala. Jean-Luc Domenach (directeur de 1985 à 1994) fait de même pour la revue des CEMOTI créée par Semih Vaner, puis donne l’impulsion, en concevant une éphémère collection d’essais au Seuil (trois ouvrages publiés entre 1993 et 1997) et, de manière plus pérenne, une collection aux Editions Complexe, « Espace international » (28 volumes parus de 1992 à 2000). Destinée au grand public et aux étudiants (il s’agit de textes inédits au format poche), elle explore les problématiques régionales et les questions de relations internationales issues de l’après-guerre froide (dont le best seller de Jacques Rupnik, De Sarajevo à Sarajevo, vendu à 30 000 exemplaires !).

Faute de moyens pour recruter une chargée d’édition, un poste qui n’existe pas dans les laboratoires, c’est un poste de chercheur qui est dédié à l’activité éditoriale, à l’issue d’un vote du conseil de laboratoire. Et Rachel Bouyssou, éditrice à la Documentation française, intègre le CERI. Son panier comprend également les Cahiers du CERI, première collection de recherches en cours du laboratoire, qui de 1992 à 1998 publiera 20 recueils brochés, aujourd’hui accessibles en ligne.

Collection Recherches internationales, Karthala. Photo : Caroline Maufroid, Sciences Po.

Jean-François Bayart (directeur de 1994 à 2000), convaincu de la nécessité de publier dans et hors de la sphère académique, abonde le catalogue d’« Espace international » et multiplie les collections. Il crée en 1995 « Les Etudes du CERI », une collection de littérature grise destinée tant aux étudiants qu’aux décideurs en entreprise et dans les grandes administrations, qui propose des expertises de chercheurs missionnés par le laboratoire, des textes longs laissant une grande liberté aux auteurs.  Cette collection, soumise à la double évaluation par les pairs, est toujours active et compte plus de 260 titres, en libre accès sur le site du CERI depuis 2015.

Il lance en 1998 Critique internationale, une revue de Sciences Po portée par le CERI, publiée par les Presses de Sciences Po, dont le laboratoire caressait le projet depuis le mandat de Guy Hermet. L’idée qui préside à cette création est d’offrir un lieu où les chercheurs puissent s’exprimer, et où les praticiens, les acteurs, les journalistes de toutes origines géographiques ou intellectuelles échangent, débattent, et confrontent leurs points de vue. Elle demeure une revue comparative de sciences sociale de référence.

Enfin, la même année, il crée une collection de recherche fondamentale chez Karthala, « Recherches internationales », dont il est toujours le directeur, pour assurer aux chercheurs du CERI ou d'ailleurs une véritable autonomie de publication de leurs travaux, dans un système éditorial de plus en plus frileux en matière de sciences sociales. La collection, qui met l'accent sur l'interface entre les relations internationales ou transnationales et les processus politiques internes des sociétés, fait autorité dans le domaine de la recherche. Elle a publié 65 ouvrages, dont l’un des plus récents (Le gouvernement transnational de l'Afghanistan. Une si prévisible défaite de Gilles Dorronsoro) a reçu en 2022 le premier Prix du livre de science politique en langue française décerné par l’Association française de sciences politiques.

C’est l’heure de la taille critique, une seule éditrice n’y suffit plus. Afin de poursuivre l’expansion du service des publications, qui figurait dans son programme de direction, Jean-François Bayart propose en 1999 à Judith Burko, la responsable du bureau français des Editions Complexe, de rejoindre le CERI. Elle en connaît les chercheurs puisqu’elle suit la collection, et son expérience des métiers de l’édition lui permettra d’agir en direction des libraires, des salons du livre et des médias. Il faut convaincre l’administration de la Fondation qu’un second poste d’éditrice est nécessaire, mais la détermination de Jean-François Bayart et l’intérêt de Richard Descoings pour le livre permettent de franchir cette nouvelle étape.

Christophe Jaffrelot (directeur de 2000 à 2009) prend le relais de cette politique dynamique, d’abord en lançant une nouvelle collection de travaux en cours (Questions de recherche, 48 numéros de 2001 à 2016), puis en créant la collection « Mondes et nations » aux Editions Autrement, qui de 2002 à 2009 accueillera 25 volumes consacrés aux grands enjeux internationaux et aux mutations du monde post 11-Septembre.

La collection "Les grandes études internationales" chez Fayard. Photo : Caroline Maufroid, Sciences Po.

Il fonde immédiatement après, en 2005, la collection « Les grandes Etudes internationales » chez Fayard, une collection de vulgarisation destinée à un public éclairé et curieux qui propose dans un premier temps une douzaine de livres-pays – de véritables sommes de plus d’un million de signes dont plusieurs seront déclinés en poche – et qui publie à présent des essais engagés de chercheurs, concernant une problématique liée à l’international. Trois ouvrages de cette collection, dirigée par le directeur du CERI et Judith Burko, ont reçu un prix de l’Académie française (Le Yemen, de l’Arabie heureuse à la guerre de Laurent Bonnefoy, La revanche des passions de Pierre Hassner et L’Inde de Modi de Christophe Jaffrelot), deux ont été couronnés du prix Brienne du livre géopolitique (Le syndrome pakistanais de Christophe Jaffrelot et La revanche des passions de Pierre Hassner), tandis que L’Etat d’Israël, dirigé par Alain Dieckhoff, a reçu le Grand prix du livre des professeurs de Sciences Po. Toujours très active, la collection a publié plus de 20 volumes.

Enfin en 2008, il conçoit « L'enjeu mondial » aux Presses de Sciences Po, une série d’annuels thématiques richement illustrés de cartes originales (réalisées par l’Atelier de cartographie de Sciences Po), destinés aux étudiants et au grand public.

Le pli est pris, et dans cette seconde partie des années 2000, les sollicitations des maisons d’édition qui proposent des co-éditions au CERI se multiplient. Il faut faire des choix, le laboratoire n’ayant pas vocation à devenir une officine d’édition, comme on le lui reproche parfois. Soulignons que quelle que soit la collection, les auteurs d’ouvrages signent des contrats en leur nom, aucune transaction financière n’intervient entre les éditeurs et le CERI.

Christian Lequesne (directeur de 2009 à 2014) transforme « L’enjeu mondial » en une collection électronique, le « Ceriscope », qu’il dirige avec Marie-Françoise Durand, la directrice de l’Atelier de cartographie de Sciences Po. Quatre volumes sont mis en ligne sur le site du CERI, qui connaissent un grand succès auprès des enseignants.

Car vingt ans après la création de la première collection du CERI, l’édition et la recherche se sont digitalisées et Christian Lequesne est soucieux de ne pas manquer ce coche. S’appuyant sur les compétences internes et sur de nouvelles recrues, il accueille à partir de 2008 L’Encyclopédie en ligne des violences de masse, systématise les Dossiers et les Analyses du CERI animés par une équipe dédiée aux publications numériques coordonnée par Dorian Ryser. Le site du CERI, administré par Gregory Cales et Jean-Pierre Masse (recruté en 2010, ce dernier milite déjà pour l’open access) devient un lieu innovant, qui donne à lire des textes toujours édités, en particulier par Martine Jounaud et Corinne Deloy, laquelle prendra par la suite la responsabilité éditoriale du site du CERI.

Simultanément, Christian Lequesne crée avec André Versaille – l'éditeur de Complexe – "Au fil des mots", une collection de dialogues entre un chercheur du CERI et une personnalité publique débattant d’enjeux internationaux sous forme de webcasts, publiés sur les sites du CERI et de la maison d’édition de 2010 à 2013.

Alain Dieckhoff (directeur depuis 2014) choisit en 2015 de revenir à une version papier de l’« Enjeu mondial » et abandonne le « Ceriscope ». Toujours publiée et soutenue par les Presses de Sciences Po, la collection propose chaque année un ouvrage collectif qui explore une question d’actualité. Des spécialistes du monde entier y déclinent leurs analyses, richement illustrées par des cartes, des graphiques et une iconographie importante.

• … et en anglais
  

Collections du CERI chez Hurst et Palgrave Macmillan. Photo: Caroline Maufroid, Sciences Po.

La dynamique éditoriale concerne également le domaine anglophone. Dès 1998, Jean-François Bayart crée la collection « Comparative Politics & International Studies » chez Hurst et Columbia University Press (puis chez Oxford University Press), qui a diffusé 52 ouvrages jusqu’en 2020, des travaux de recherche dédiés aux transformations des systèmes et des sociétés politiques. Christophe Jaffrelot lance ensuite « International Relations & Political Economy » aux Editions Palgrave, dévolue aux mutations de l'État et aux transformations des sociétés politiques, qui a accueilli 48 volumes depuis 2002. Deux collections alimentées par des traductions d’ouvrages de chercheurs dans ou hors des collections du CERI, et par des textes inédits. Le recrutement en 2002 d’une traductrice, Cynthia Schoch, nommée ensuite responsable des ouvrages en anglais, et l’adoption d’un budget annuel attribué aux traductions ont favorisé cette internationalisation des publications du CERI. Le soutien aux revues, et particulièrement l’accueil de la revue International Political Sociology abritée pendant quelques années au laboratoire, est l’occasion de recruter une secrétaire de rédaction anglophone, Miriam Périer, qui prendra la succession de Cynthia Schoch à la tête des publications en anglais.

Le faire savoir

Afin de créer une synergie autour des collections et de contribuer à leur valorisation, Christophe Jaffrelot crée en 2004 un pôle « Publications » (il sera supprimé en 2017), auquel est consacrée chaque année une séance du conseil d’unité rendant compte de ses activités et de ses perspectives. Coordonné par Judith Burko, il rassemble Catherine Burucoa, qui a succédé à Rachel Bouyssou à l’édition de Critique internationale, Colombe Camus en charge de la revue IPS puis du suivi du « Ceriscope », Corinne Deloy, qui officie sur les supports papiers et numériques, et Miriam Périer. La création d’un pôle « Rédaction numérique » coordonné par Dorian Ryser élargit le cercle et la production éditoriale tous supports confondus constitue alors un véritable projet transversal qui est l’occasion de fédérer les talents de l’équipe administrative, puisque Sylvie Haas, responsable du pôle documentation, prête ses talents éditoriaux aux Etudes du CERI et à Politique africaine, et Karolina Michel, responsable de la communication du centre, relaie les services de presse des éditeurs partenaires.

La singularité du service des publications du CERI est reconnue, et Bruno Latour, alors directeur scientifique de Sciences Po, demande en 2008 à Judith Burko de réaliser un panorama des publications des centres de recherche.

Les publications du CERI en 2013.

Les liens entretenus avec les maisons d’édition sont stimulants et fertiles. Au-delà du dialogue qu’ils initient entre le monde de la recherche et celui des lecteurs, ils offrent aux titres publiés une diffusion internationale : les ouvrages des collections ont été traduits dans de nombreuses langues (en anglais bien sûr, mais également en bulgare, hindi, italien, flammand, japonais, turc, …). Ils assurent également une information importante dans les médias. De manière complémentaire, le pôle des publications a créé et entretenu de nombreux partenariats avec la presse écrite et audiovisuelle (les chaînes Histoire et Forum Planète, France culture, Arte – « Le dessous des cartes » pendant 20 ans –, le « groupe de presse du CERI », Carto, L’Express, Alternatives économiques, Le Point …).

Trente ans après la création de la première collection du CERI, 140 ouvrages en français et 100 volumes en anglais ont été publiés et proposés en librairie avec le logo « CERI Sciences Po ». Le site du CERI est une mine de publications électroniques d’une grande rigueur éditoriale. Critique internationale a publié 95 numéros, le laboratoire soutient trois revues à des degrés divers (Politiques africaines chez Karthala, ERIS et PARISS chez Brill). Les liens qui nous unissent aux Presses de Sciences Po, à Karthala, Fayard et Palgrave, sont faits de connivences, de fidélités et d’intérêts mutuels.

L’engagement des « fondateurs » n’a pas été vain.

Judith Burko
Responsable des publications en langue française
Septembre 2022.

Frise présentant les publications et collections du CERI. Réalisation: Judith Burko et Dorian Ryser