Après avoir été traductrice freelance pendant plusieurs années et avoir ainsi côtoyé les chercheurs et chercheuses du CERI, Cynthia Schoch été recrutée par Christophe Jaffrelot, alors directeur du CERI, pour développer les collections en langue anglaise du CERI, en septembre 2002. Reprenant son statut d'indépendante quelques années plus tard, son accompagnement de l’internationalisation de la recherche menée au CERI s’est toutefois poursuivi pendant vingt ans. Cynthia Schoch a été une véritable compagne de route des chercheurs et des chercheuses du CERI, mais aussi de la responsable des collections en langue anglaise du laboratoire, qui a souhaité lui donner la parole à l’occasion des soixante-dix ans du laboratoire.
Quelle était l’ambition de Christophe Jaffrelot lorsqu’il t’a proposée d’intégrer le Centre il y a vingt ans ? Peux-tu revenir sur ce moment et sur tes relations avec le centre et ses chercheurs et chercheuses à cette époque?
De fait, je traduisais des ouvrages et des articles de chercheurs du CEVIPOF - d’abord Nonna Mayer et Daniel Boy - et puis du CERI - Samy Cohen, Marie-Claude Smouts, Semih Vaner, et bien d'autres - depuis la fin des années 1980. Un jour, au cours de l’été 2001, Marie-Claude m’a contactée pour reprendre certaines traductions de l’ouvrage collectif qu’elle dirigeait, The New International Relations, dont la parution était prévue dans la toute nouvelle collection du CERI chez Hurst & Co. La traduction de deux chapitres proposée par le traducteur engagé par l’éditeur ne la satisfaisait pas. C'était bien sûr urgent, car le livre partait sous presse ! Alors, le 14 juillet 2001 nous étions autour de la photocopieuse près de son bureau dans les locaux du Square de Luynes, et elle m'a présentée à Christophe Jaffrelot, également à son bureau en train de travailler en ce jour férié !
Devenu directeur du CERI, Christophe a créé un poste pour développer les deux nouvelles collections en langue anglaise, lancées chez Hurst & Co et Palgrave Macmillan, et pour veiller à la qualité des traductions qui sortaient du centre. Il me l’a proposé et je l’ai accepté, en septembre 2002. J’étais alors également traductrice de sous-titres de films pour le cinéma, une activité que j’ai souhaité conserver. Le poste au CERI se limitait alors à un mi-temps pour moi, même si l’ampleur de la tache aurait largement pu occuper un plein temps ! J'étais chargée de trouver de bons traducteurs, de contrôler leur travail, de traduire moi-même des ouvrages ainsi que des articles. Vaste programme ! En plus d’apprendre beaucoup sur les métiers de l'édition, ces cinq années à ce poste m'ont permis de connaître l'ensemble des chercheurs du CERI, de nouer des relations encore plus proches avec certains, de rencontrer d’excellents traducteurs, et de constituer un vivier d’excellents professionnels dans lequel on pouvait puiser. En effet, j’ai passé beaucoup de temps les premières deux années à vérifier et à corriger les traductions soumises par l'éditeur aux chercheurs, lesquels ne se reconnaissaient pas toujours dans la version anglaise. Lorsque j'ai pu faire appel à des traducteurs de qualité tels que Ros Schwartz, Chris Turner, Gregory Elliot ou William Snow, cela m’a permis de dégager du temps pour traduire moi-même un grand nombre d'articles, des Études et quelques ouvrages. Grâce à cette organisation, le volume des ouvrages traduits n'a cessé d'augmenter, dont 12 chez Palgrave Macmillan et 20 chez Hurst pendant cette période.
Tu as quitté le CERI (en 2007) pour retrouver un statut d’indépendante, mais tu as continué à travailler pendant de longues années pour la communauté du CERI... En quoi a consisté ce compagnonnage ?
Parfois je me demande si je suis réellement partie ! Car la transition s'est faite tout en douceur grâce à toi, à qui Christophe avait demandé, d'abord de me seconder après un incident de santé, puis de me remplacer, après mon départ. Tu as repris les rênes d’une main ferme et experte, en organisant le travail requis par la fonction avec une grande rigueur (heureusement, d’ailleurs, que le poste a été transformé en un plein temps en 2008!). Par conséquent, je n'ai jamais cessé de traduire des chercheurs du CERI : 21 ouvrages pendant cette vingtaine d’années de collaboration. Je me suis toujours sentie attachée à cette institution, et je pense qu’une confiance s’était instaurée malgré mon départ. Beaucoup de chercheurs que je connaissais et de nouveaux venus aussi, ont continué à me solliciter, à travers toi notamment, pour traduire leurs ouvrages à paraître dans les collections et ailleurs. C’est le cas de Christophe Jaffrelot bien sûr, de Jacques Semelin, de Luis Martinez, de Laurent Bonnefoy, de Samy Cohen, de Laurent Gayer et de Gilles Favarel-Garrigues, pour ne citer qu’eux. Tu m'as aussi offert l'opportunité de travailler en tandem avec Katherine Throssell dans le cadre de l'ouvrage de Sandrine Revet, une collaboration que j'ai beaucoup appréciée. Pour moi ces années de compagnonnage ont été d'une grande richesse à la fois personnelle et professionnelle.
Après avoir traduit une vingtaine d’ouvrages et plusieurs dizaines d’articles, tu es sans doute l’une des plus grandes spécialistes de la diversité des travaux menés par les chercheurs et les chercheuses de notre laboratoire ! Qu’apporte la traduction à la recherche, selon toi ?
La traduction offre à la recherche la possibilité de s’exporter, de s’internationaliser au-delà de la francophonie. Elle permet à la recherche, dans ce cas précis la recherche française, de rencontrer de nouveaux lecteurs, et sans doute aux chercheurs et aux chercheuses d'échanger avec des collègues à l'international avec une meilleure compréhension, un meilleur dialogue et des débats sans doute plus riches. J’en suis persuadée : sans cette étape de la traduction, la recherche française en sciences sociales resterait méconnue. Loin de moi l’idée de me prononcer sur la qualité de la recherche proprement dite, mais à l'aulne des textes que j'ai pu traduire pour des chercheurs d'autres laboratoires, la qualité des écrits et la rigueur dans le développement des idées me semblent d'un très haut niveau au CERI.
As-tu en tête une traduction qui aurait été la plus complexe, par les recherches induites pour ton travail, ou la plus riche en apprentissages ?
La traduction de chaque ouvrage, chaque Étude, a été l'occasion de découvrir des aires culturelles ou des pays que je n'aurais peut-être pas explorés autrement, que ce soit le Yémen (une grande découverte), le Pakistan et l'Inde, Israël, et j'en passe ; mais aussi des thèmes, tels que les bois tropicaux (celui qui m'aura peut-être le plus passionnée) ou les génocides. J'ai tant appris à travers tous ces ouvrages, sur le fonctionnement du pouvoir et ses travers, sur les mécanismes de la violence, sur les ressorts des nationalismes, etc. Très difficile à résumer ! Mais cela a très certainement informé mon regard sur le monde à travers les années. Cet apprentissage passait aussi par les recherches que nécessitait chaque traduction. Car j’ai rapidement pris l'habitude de consulter une grande partie des références anglo-saxonnes citées par les auteurs pour m'imbiber du discours dans ma langue, pour m'approprier la terminologie, et pour vérifier des citations en langue originale. Les ressources numériques se sont bien entendu développées au cours des années. La dernière fois où j'ai dû me rendre à la British Library pour faire des recherches (sur Purifier et détruire) doit remonter à 2005 !
As-tu un souvenir en particulier que tu souhaites partager avec nous ?
Je n’ai pas de moment précis à partager ici, à part un très chouette pot de départ que le labo m'a offert à l’époque, mais simplement le grand plaisir d'avoir travaillé avec une équipe administrative au CERI toujours accueillante (avec une pensée particulière pour Karolina Michel) et la chance d'avoir côtoyé Pierre Hassner, cet homme si modeste, si brillant, pendant les années passées au CERI.
Propos recueillis par Miriam Périer
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