Pourquoi faut-il regarder l'Allemagne

21/01/2013

Alors que nous fêtons le cinquantième anniversaire du traité de l'Elysée, les débats vont bon train en France sur le modèle allemand. L'économie de notre voisin d'Outre-Rhin est presque toujours mise en avant. Dans la droite française, on vante le succès de l'orthodoxie budgétaire et de la compétitivité des PME. A gauche, on souligne à l'inverse les effets de paupérisation des lois Harz sur le salariat travaillant à temps partiel. En se concentrant sur l'économie de notre voisin, peut être passe-t-on à côté de l'essentiel, à savoir que l'Allemagne est en 2013 une démocratie dotée d'un système politique plus libéral que celui de la France.

Le fédéralisme instauré par la Loi Fondamentale de 1949 a créé en effet en Allemagne un système politique fait de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui aboutit à moins de concentration et à plus de responsabilité des gouvernants devant le peuple. Avoir eu Hitler a abouti, après la seconde guerre mondiale, à reconstituer des élites politiques et administratives qui ont une culture du pouvoir moins autoritaire qu'en France. Ceci est d'abord le résultat de la formation : toutes les élites allemandes passent par l'université, comme d'ailleurs dans la plupart des démocraties européennes. Alors que la bourgeoisie libérale a émergé historiquement plus tardivement en Allemagne qu'en France, la société allemande de 2013 tolère beaucoup moins l'impunité de la part de ceux qui exercent le pouvoir. Me relatant le départ obligé du porte-parole du parti chrétien social de Bavière (CSU), parce qu'il avait voulu faire pression sur la rédaction de la deuxième chaîne ZDF, un ami allemand me disait récemment : "On a l'impression qu'en France, les hommes politiques qui ont commis des erreurs ne démissionnent jamais". L'ironie était juste: les élites politiques et administratives françaises ont faiblement intégré les règles politiques de l'accountability et il n'est d'ailleurs pas fortuit que ce mot n'ait pas de véritable équivalent en français. Se dire libéral en France signifie trop souvent croire aux vertus du marché, mais en oubliant totalement que le libéralisme est d'abord un comportement politique. En ce sens, la France possède pas mal de "prétendus libéraux".

L'Allemagne est aussi une démocratie plus libérale que la France parce qu'elle a renoncé plus tôt à la lutte des classes, en pratiquant ce qu'Adam Smith appelait dans son Enquête sur la nature et les causes de la richesses des nation, "l'harmonie des intérêts". L'abandon du marxisme par le parti socialiste allemand date de 1959. La France reste, au contraire, un pays où la relation capital-travail est encore trop largement guidée par le rapport de force. Si on allie cet héritage de la lutte des classes chez ceux qui représentent le travail au monarchisme ou au bonapartisme de ceux qui exercent le pouvoir, on comprend vite les blocages. En Allemagne, la recherche du consensus est perçue non pas comme un renoncement mais comme une force qui permet de conférer de la légitimité aux décisions. La cogestion entre les patrons et les syndicats a permis en Allemagne des avancées considérables depuis 1949, y compris ces dix dernières années dans les négociations sur la modération salariale. Se mettre autour d'une table pour négocier en Allemagne, c'est oublier la dichotomie manichéenne de l'ami et de l'ennemi. Combien de fois avons nous, au contraire, été confrontés en France à des crises dont la cause fut une négociation conçue comme un jeu à somme nulle ? De ce point de vue, il faut saluer des évolutions récentes en France. La négociation entre la patronat et les syndicats sur la flexibilité du temps de travail est en effet une raison d'espérer en la modernité de la démocratie française.

Si l'Allemagne doit nous inspirer en 2013, c'est donc avant tout parce qu'elle est porteuse de modernité politique. Ce pays n'est plus celui du " libéralisme désabusé " dont parlait Wolfgang Mommsen à propos de Max Weber. Il constitue, au contraire, une démocratie libérale moderne au cœur de l'Europe qui s'est construite sur les cendres de l'hitlérisme et du stalinisme (qui a sévi quarante ans en RDA). Comme il est temps de repenser et de réhabiliter en France le libéralisme politique, à droite comme à gauche, il faut regarder l'Allemagne.

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