Les élections du Congrès de novembre 2012 : bilan et perspectives

François de Chantal

12/04/2013

Les élections de novembre 2012 n’ont, en apparence, apporté aucun changement à la composition du Congrès américain. La Chambre des représentants est demeurée sous majorité républicaine, conservant son speaker (président), John Boehner, élu de l’Ohio. Le Sénat est resté sous contrôle des démocrates et le leadership des deux partis n’a pas été modifié car chacun d’entre eux a conservé ses responsables au Congrès. Comme lors des deux dernières années, Barack Obama se retrouve donc à nouveau avec un « Congrès divisé » (divided congress). Cette apparente stabilité masque cependant plusieurs évolutions politiques significatives.

Jusqu’à présent, le président a dû travailler avec deux types de Congrès très différents. Le 111e Congrès (2008-2010) lui a permis d’enregistrer des succès historiques. Bénéficiant d’une solide majorité démocrate, l’équipe présidentielle avait fait adopter des réformes majeures : du plan de relance (stimulus plan) de février 2009 à la réforme de l’assurance-maladie (healthcare) en mars 2010 en passant par celle de Wall Street (juillet 2010). La session intermédiaire (lameduck) de l’automne 2010 avait également permis le vote d’un très important traité sur les armes nucléaires concernant les Etats-Unis et la Russie – autant d’exemples qui, en deux ans, ont placé Obama dans la lignée des grands réformateurs1.
Le 112e Congrès, en revanche, a été celui de l’obstruction et du blocage systématique des initiatives de la présidence par la chambre basse  à majorité républicaine. Le Do-Nothing Congress historique, celui de 1946-1948, avait permis l’adoption de la loi Taft-Hartley et du plan Marshall ; le 112e Congrès en revanche s’est limité à l’adoption d’arrangements ponctuels sur les questions budgétaires et sur l’endettement. Le président de la Chambre des représentants a exercé une pression constante sur Barack Obama tout en prenant garde à ne pas franchir la ligne jaune de la fermeture de l’Etat fédéral (government shutdown) comme avait pu le faire Newt Gingrich à l’hiver 1995-1996. Alors que les républicains ont conservé la majorité à la Chambre des représentants, le blocage va-t-il se poursuivre ? De quoi sera fait le 113e Congrès qui s’est ouvert en janvier dernier ?


Une victoire républicaine en trompe-l’œil

La victoire des républicains aux élections de novembre 2012 est relative : à la chambre basse, le Grand Old Party (GOP), nom donné au Parti républicain, a perdu huit sièges (de 242 à 234). Le recul de sa majorité aurait pu être plus important mais le redécoupage des circonscriptions commencé après le recensement de 2010 a nettement avantagé le GOP.2 Le rapport de force électoral a pourtant été légèrement favorable aux démocrates : 49,2% des électeurs (59,6 millions) ont voté en faveur du Parti de l’âne, nom donné au Parti démocrate, alors que les républicains ont recueilli 48% des suffrages (58,2 millions)3

Le scrutin de 2012 a débouché sur une situation similaire à celle à laquelle avaient conduit les élections de 1996, où les démocrates, majoritaires en voix, avaient été minoritaires en sièges à la chambre basse. Par conséquent, les républicains disposent bien d’une majorité mais, contrairement à ce qu’affirme le speaker, l’assise de leur « mandat pour gouverner » (mandate) est faible. Comme avant le scrutin, la majorité républicaine est divisée, ce qui empêche le speaker d’exercer un réel leadership. Lors du 112e Congrès, Boehner s’était contenté d’un rôle minimaliste, cherchant à assurer la cohésion de son groupe par un refus systématique des propositions présidentielles plutôt qu’en avançant les siennes. Très contesté au sein de son propre camp, sa réélection en janvier 2013 a été difficile4 : il s’est heurté à la fois à l’opposition des modérés (qui par exemple regrettaient la faiblesse de son projet d’aide aux Etats touchés par l’ouragan Sandy) et à celle de l’aile la plus dure, notamment aux parlementaires les plus conservateurs en matière de fiscalité (fiscal conservatives) du Tea Party (qui dénoncent les accords budgétaires ponctuels conclus avec la présidence, tel celui sur la « falaise budgétaire »5).

A la chambre haute, la défaite républicaine est claire : les démocrates ont remporté deux sièges supplémentaires – Richard Mourdock a été devancé dans l’Indiana par Joe Donnelly et Scott Brown, l’ex-star du Tea Party élu en janvier 2010 pour achever le mandat de Ted Kennedy dans le Massachusetts, a été nettement battu par Elizabeth Warren. Par ailleurs, le siège de l’indépendant (et ancien démocrate) Joe Lieberman est désormais occupé par un démocrate, Chris Murphy. La républicaine Olympia Snowe, l’une des sénatrices les plus modérées, a quant à elle été remplacée par l’indépendant Angus King. Les républicains n’ont enregistré qu’une seule victoire, dans le Nebraska, où Ben Nelson, l’un des démocrates les plus centristes, a été battu par la républicaine Deb Fisher. Les démocrates renforcent donc leur majorité avec cinquante-trois sièges et peuvent compter sur le soutien, au moins ponctuel, des deux sénateurs indépendants, Bernie Sanders (Vermont) et Augus King (Maine). Ils échouent cependant à obtenir la majorité absolue des soixante élus, qui permet de mettre un terme à la « flibuste » (filibuster), une procédure qui permet à un sénateur de bloquer les débats en monopolisant la parole en séance publique6. La piètre performance des républicains est d’autant plus frappante que sur les trente-trois sièges en jeu (c’est-à-dire ceux qui avaient été renouvelés en 2006 appelés class 1), vingt et un étaient démocrates, deux étaient indépendants et dix étaient républicains. Les démocrates devaient défendre un plus grand nombre de sièges et étaient donc plus exposés. Mais le choix des candidats républicains, sur lequel le Tea Party a beaucoup influé, a été aussi désastreux qu’en 2010. Ainsi, dans l’Indiana, Richard Lugar, pilier de la chambre haute, réélu pour la cinquième fois en 2006, a été battu lors d’une élection primaire par Richard Mourdock, un républicain plus conservateur qui lui reprochait ses alliances avec les démocrates. L’outrance de ses propos – notamment ceux par lesquels il avait doctement expliqué que les grossesses issues de viols résultaient de la volonté divine – lui a coûté l’élection. Il en a été de même pour Todd Akin, candidat républicain du Missouri, qui avait développé le concept de « viol légitime » (legitimate rape) et parlé de la capacité du corps féminin à empêcher une grossesse non-désirée (!). Todd Akin a été battu par la démocrate Claire McCaskill qui a pu ainsi reconquérir son siège. Le Tea Party a également pesé dans les primaires républicaines de l’Arizona et du Texas. Dans le premier Etat, Jeff  Flake a repris le siège de Jon Kyle, qui se retirait de la vie politique ; dans le second, Ted Cruz a conquis le siège abandonné par Kay Bailey Hutchinson. De leur côté, les démocrates ont mené d’excellentes campagnes, notamment en mobilisant leurs électeurs grâce à des candidats rassembleurs et de haute tenue. Dans plusieurs Etats, ceux-ci ont d’ailleurs obtenu des résultats supérieurs à celui de Barack Obama à la présidentielle dans leurs Etats respectifs, par exemple dans le Dakota du Nord, où Heidi Heitkamp a recueilli 50,2% des voix pour 38,9% pour le Président-candidat ou en Virginie où Tim Kaine a obtenu 53% des suffrages (50,8% pour Barack Obama).


Quelles perspectives pour le 113e Congrès ?

La question à laquelle les républicains vont désormais devoir répondre est la suivante : faut-il collaborer avec le président ? Depuis 2010, ils y ont clairement répondu par la négative, s’opposant de façon systématique aux grandes réformes du 111e Congrès. Face à une opposition soudée, Barack Obama n’a jamais pu établir une relation de travail positive avec le leadership républicain et n’a pu faire passer ses réformes que grâce à l’appui de l’essentiel de ses troupes, seuls les Blue Dogs7 lui ont fait défaut. Le 112e Congrès est quant à lui d’ores et déjà passé dans l’histoire comme l’un des moins actifs.
Le positionnement des républicains peut cependant évoluer. Leur volonté de blocage s’est en effet amoindrie. Cette tactique a, d’une part, été sanctionnée dans les urnes et a, d’autre part, nui au prestige de l’institution. Selon l’institut Gallup, seuls 9% des Américains déclarent approuver la façon dont le Congrès fait son travail pour 16% deux ans plus tôt8. Une telle image n’est pas sans conséquence sur le vote des élus. Le rapport de l’opposition à la présidence est également différent. Barack Obama réélu, les républicains n’ont plus intérêt à jouer la seule carte de l’obstruction. Le président ne se représentera pas en 2016 tandis que les républicains de la chambre basse devront eux revenir devant les électeurs. Dès 2014, et à nouveau en 2016, les républicains de la Chambre des représentants seront tenus électoralement responsables de la situation.
La pression pour que la majorité républicaine de la chambre basse sorte de l’impasse actuelle sera d’autant plus forte que de son côté, le président peut continuer à utiliser la division du Congrès (entre une chambre haute démocrate et une chambre basse républicaine) à son profit. Concrètement, tous les projets issus de la Chambre des représentants sont systématiquement enterrés au Sénat. Barack Obama n’a donc jamais eu à utiliser son droit de veto9, une opération toujours risquée et politiquement coûteuse. Une confrontation directe du président avec le Congrès dans son ensemble reste donc très peu probable, à la différence de ce qui a pu se passer pour Bill Clinton par exemple. Par ailleurs, le Sénat peut facilement servir de « rampe de lancement » pour de nouvelles propositions afin d’isoler la Chambre des représentants et de stigmatiser son obstructionnisme. Entre 1980 et 1986, face à un Congrès divisé, Ronald Reagan avait su utiliser la majorité républicaine du Sénat pour forcer le speaker démocrate de la chambre basse, Tip O’Neil, à accepter plusieurs compromis, notamment en matière de budget. Barack Obama semble prêt à s’engager dans cette voie. Ainsi, il a soutenu la proposition de réforme de l’immigration présentée en janvier 2013 par un groupe de sénateurs issus des deux partis – John McCain (Arizona), Marco Rubio (Floride), Lindsey Graham (Caroline du Sud), Chuck Schumer (New York), Dick Durbin (Illinois). De leur côté, les républicains de la chambre basse devraient en effet être réceptifs à cette proposition de réforme,  la conquête du vote hispanique constituant désormais un enjeu électoral de toute première importance pour le GOP.
L’attitude républicaine n’est cependant pas la seule variable à prendre en compte pour tenter de présager ce que sera le 113e Congrès. La relation que le président entretient avec les élus démocrates des deux chambres est également très importante. Or celle-ci est difficile. En 2008 déjà, Barack Obama n’était pas le candidat de l’establishment de sa formation qui lui préférait Hillary Clinton. Lors de la victoire des démocrates au Congrès en 2008, quelques cinquante élus de la chambre basse avaient néanmoins profité de ses coattails, (littéralement les basques d’un costume), c’est-à-dire bénéficié de l’effet d’entraînement généré par le scrutin présidentiel : les électeurs ayant voté pour Barack Obama avaient tendance à voter pour le candidat démocrate au Congrès. Le nouveau président a alors tenté d’être un party builder10, comme avait pu l’être George W. Bush pour les républicains, et a commencé à organiser sa formation autour de son clan. Mais ces nouveaux élus (freshmen) ont été balayés en 2010 et le président a alors dû travailler avec des membres de la chambre basse qui ne lui devaient pas leur élection et qui avaient pu mesurer à quel point le rejet du président avait coûté cher au parti. Les élus les plus à gauche étaient sans doute les plus critiques dans la mesure où ils avaient aussi été les premiers à être déçus par Obama, par l’absence de fermeture de Guantanamo aux accords avec les républicains sur les impôts en passant par le rejet d’un programme public d’assurance-maladie. Le président a donc rapidement compris que la chambre basse était définitivement perdue et qu’il n’était pas nécessaire de s’investir pour soutenir les candidats démocrates. En revanche, il a entretenu une relation un peu plus positive avec les démocrates de la chambre haute. Il a d’ailleurs tout intérêt à la conserver car pour les sénateurs élus en 2008 retourneront devant les électeurs en 2014.
Si le président veut par exemple faire voter une grande loi sur l’immigration et pérenniser les réformes de son premier mandat, il doit impérativement reconstruire une relation de confiance avec les démocrates du Congrès. C’est là un des principaux enjeux de sa présidence dans la perspective des prochaines midterms de 2014.

  • 1. Pour un premier bilan, on lira d’Olivier Richomme et de Vincent Michelot (dir.), Le Bilan d’Obama, Paris, Presses de Sciences Po, 2012. En anglais, Andrew Rudalevige a coordonné The Obama Presidency. Appraisals and Prospects, Washington DC, CQ Press, 2011.
  • 2. Les élections de 2012 étaient les premières à prendre en compte les résultats de ce recensement. Désormais, 195 circonscriptions sont plutôt favorables aux républicains, alors que 166 d’entre elles penchent vers les démocrates. Le résultat restait indécis dans les 74 dernières circonscriptions (swing districts), les partis y ayant obtenu, alternativement, des résultats faibles soit entre 46% et 54% (les membres du Congrès, et notamment à la chambre basse, sont généralement réélus avec d’imposantes majorités de plus de 80% des voix). Le recensement de 2010 a favorisé le GOP : le Parti démocrate pâtit de la concentration de son électorat dans les grandes villes et le long des côtes, tandis que le Parti républicain se trouve avantagé en Caroline du Nord, Ohio et Pennsylvanie où son électorat est plus dispersé.
  • 3. Les 1,2% de voix restantes sont allées au Parti libertarien.
  • 4. Avec 220 suffrages – contre 192 pour la candidate démocrate Nancy Pelosi –, John Boehner a été désigné avec le plus faible nombre de voix depuis 1999 qui avait vu l’élection de Dennis Hastert lui aussi par 220 suffrages.
  • 5. Le terme de fiscal cliff, inventé par les médias, désigne l’augmentation automatique des impôts fédéraux et la baisse simultanée de certaines dépenses en l’absence d’accord budgétaire entre le Congrès et la présidence. Evitée de justesse en janvier 2013, la « falaise » est réapparue en mars. La crise budgétaire est perlée depuis 2010.
  • 6. La « flibuste » est une des spécificités les plus exotiques de la chambre haute américaine. En anglais, les travaux de Sarah Binder font autorité sur le sujet. En français, je me permets de renvoyer à François Vergniolle de Chantal, L’impossible présidence impériale. Le contrôle législatif aux Etats-Unis, Paris, Editions du CNRS, à paraître en 2013.
  • 7. Nom donné aux démocrates modérés sur des questions fiscales, le plus souvent élus du Sud. Créés au milieu des années 1990, les Blue Dogs ont connu une défaite retentissante en 2012 : ils ne regroupent plus que qutorze membres dans le 113e Congrès alors qu’ils en comptaient plus de cinquante dans le 111e.
  • 8. Depuis 2007, l’approbation de l’action du Congrès est passée deux fois au-dessous des 20% (2007 et 2009), et seulement pour quelques mois. Avant 2007, ce seuil n’avait été franchi qu’en 1978 et en 1992.
  • 9. Obama n’a utilisé son droit de veto qu’à deux occasions (2009 et 2010). A titre de comparaison, George W. Bush, au pouvoir entre 2000 et 2008, l’a fait à douze reprises (après 2006 lorsque le Congrès était devenu démocrate). Son veto a été renversé quatre fois. Quant à Bill Clinton, il y a eu recours trente-sept fois.
  • 10. Il n’existe pas de traduction littérale pour ce terme qui fait référence aux moyens dont dispose le président pour insuffler une discipline partisane et peser sur l’avenir électoral des élus du Congrès. Sur ce thème, voir Daniel Galvin, Presidential Party-Building, Princeton, Princeton University Press, 2010.
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