Pris au(x) piège(s) du nucléaire ? La recherche indépendante au service du choix démocratique sur les arsenaux nucléaires

16/05/2022

Benoît Pelopidas est l’auteur de l’ouvrage Repenser les choix nucléaires. La séduction de l’impossible, paru le 6 janvier aux Presses de Sciences Po. Par un travail de recherche systématique, à la croisée de l’histoire du nucléaire et des relations internationales, mené sur plus d’une décennie, l’auteur aborde dans son ouvrage des notions essentielles comme la prolifération, le dilemme sécuritaire, la vulnérabilité et la chance, pour ne citer que celles-ci. Il répond à nos questions sur son travail, sa démarche et la possibilité et les effets de la recherche indépendante.

Vous écrivez, dans votre introduction, « La recherche indépendante, distincte de la communication para-institutionnelle, joue (...) un rôle crucial en reconnectant deux champs d’études qui semblent s’ignorer mutuellement : les études nucléaires et celles des régimes politiques en général et de la démocratie en particulier ». Pouvez-vous nous dire quelles possibilités en termes de recherche ouvrirait un dialogue entre ces deux champs d’étude ?

Benoît Pelopidas : Avant de parler de recherche en sciences sociales, rappelons à nos lecteurs que neuf Etats, dont plusieurs démocraties, ont entrepris des programmes qui prévoient de fonder la sécurité nationale et internationale sur des armes nucléaires pour les 70 prochaines années, une durée plus longue que celle qui nous sépare du premier essai nucléaire français en 1960. Or il suffirait que 1% des 13 000 armes nucléaires en question explosent pour mettre en péril l’approvisionnement en nourriture de la planète. C’est pourquoi la question de la validité de nos connaissances sur ce sujet est si cruciale. Les menaces nucléaires proférées publiquement depuis le début de la guerre en Ukraine nous le rappellent brutalement. Or, nous en reparlerons, les connaissances supposées en la matière ne s’appuient pas sur des preuves adéquates.

Ceci étant dit, on s’étonne qu’aucun article sur la possibilité de la guerre nucléaire et sa relation à l’agir politique n’ait été publié dans la Revue française de science politique dans le dernier quart de siècle et que l’on constate le même phénomène dans les revues Politix, Raisons politiques, Critique internationale, la Revue suisse de science politique et son homologue canadienne. Le traitement le plus substantiel de la question se lit en philosophie, pas en science politique, sous la plume de Jean-Pierre Dupuy et celle des lecteurs de Günther Anders tels que Marc Crépon. Je considère donc les études nucléaires comme un domaine d’études transnational qui s’écrit essentiellement en anglais et s’intitule nuclear studies ou nuclear security studies. Dans ce champ, la question des effets de la nucléarisation du monde sur la possibilité et les formes du gouvernement démocratique n’est quasiment pas posée. Les exceptions que constituent les travaux d’Elaine Scarry, Gary Wills et Avner Cohen sont des monographies sur les cas américain et israélien. Un questionnement comparatif robuste reste à poser et l’ouvrage entend en poser quelques jalons, en attendant la soutenance de thèse de Thomas Fraise qui porte directement sur ce sujet. C’est d’autant plus important que les études sur la démocratie opèrent comme si les armes nucléaires ne jouaient aucun rôle et étaient compatibles avec les pratiques démocratiques sans mettre ce postulat à l’épreuve. Je vais donc prendre trois exemples qui montrent que cet état de la connaissance n’est pas satisfaisant. 

D’abord, en s’appuyant notamment sur les travaux de Paul Edwards et de Daniel Deudney1 on peut montrer que l’infrastructure de surveillance globale fondée sur des satellites est issue d’une injonction première à détecter toutes les armes nucléaires de l’ennemi pour pouvoir les cibler, parce que même une seule frappe nucléaire est jugée intolérable. De même, la surveillance globale s’appuie sur des dispositifs de mesure de l’activité sismique visant à détecter les essais nucléaires souterrains. C’est ainsi que les armes nucléaires trouvent une place qu’elles n’ont pas encore dans la discussion sur démocratie et surveillance. 
Ensuite, alors que certains auteurs tels que Colin Crouch ont articulé la notion de post-démocratie, il est frappant d’observer que les facteurs qu’il met en avant n’incluent pas la nucléarisation du monde. 

Un troisième élément qui me semble essentiel tient à ce que l’État nucléaire attend de ses citoyens une série de consentements qui méritent une étude approfondie : un consentement à être une cible dans un monde régi par la dissuasion nucléaire en présence d’adversaires dotés d’arsenaux de grande taille, qui vont donc cibler non seulement les centres de pouvoir mais aussi fort probablement les arsenaux nucléaires français afin de limiter les dommages que nous pourrions leur infliger en retour ; un consentement à ce que le chef d’Etat puisse utiliser l’arsenal au nom de la communauté politique dans son ensemble, puisque la vitesse de déplacement des missiles balistiques ne donne pas le temps de la moindre consultation, et enfin le consentement à ce que l’impôt serve à financer cet arsenal et sa modernisation. Le lecteur français pourra trouver cela étonnant parce qu’il entend fréquemment qu’il existe un consensus en France en la matière. Le chapitre sur « créer un espace de choix démocratique en requalifiant le rôle de l’expert » montre comment cette illusion s’est construite, les fautes méthodologiques qui la perpétuent et la met à l’épreuve de deux sondages inédits dont les résultats, robustes, invalident la thèse du consensus. Des archives mettent également à mal l’idée d’un consensus passé qui se serait érodé. 

C’est donc un champ d’études essentiel qui s’ouvre et reconnecte démocratie et politiques liées aux systèmes d’armes nucléaires en s’interrogeant sur les effets de la nucléarisation du monde sur la possibilité de la démocratie et les pratiques démocratiques plutôt que de postuler une compatibilité et une absence d’effets. 

Considérez-vous que la recherche sur le nucléaire (civil ou militaire) peut se faire en toute indépendance ? 

Benoît Pelopidas : Le travail du programme que j’ai le plaisir et le privilège de conduire depuis 2017, Nuclear Knowledges, prouve que cette recherche est possible et féconde. Afin d’éviter les controverses inutiles, établissons d’emblée que la recherche indépendante n’est pas un label subjectif, mais se reconnaît à des pratiques vérifiables : la non-réappropriation des catégories du langage officiel comme catégories analytiques, une pleine conscience des effets d’autocensure liés à l’utilisation des catégories de la pensée nucléaire, le refus strict du conflit d’intérêts qui se traduit par un financement exclusif sur la base du mérite académique et un travail interdisciplinaire, conceptuel et empirique, qui permet de poser en toute rigueur les questions que la supposée performativité du discours officiel empêche de poser. Même si le programme s’est surtout consacré aux armements nucléaires, sur la question de l’énergie, nous avons eu le plaisir de soutenir la recherche de Valerie Arnhold sur la normalisation des accidents nucléaires par différentes organisations qui les construisent comme pensables et surmontables dans le cadre du projet ANR VULPAN.

Ce double choix de l’indépendance financière et de l’interdisciplinarité permet de poser les questions fondamentales au sujet desquelles la connaissance acceptée ne s’appuyait pas sur des preuves suffisantes ou adéquates, d’identifier ce problème d’inadéquation, et de tenter d’y remédier. Je vous donne quatre exemples, qui sont des résultats clés de l’ouvrage. 

Nous avons déjà évoqué l’affirmation fréquemment répétée d’un consensus français sur la politique de dissuasion nucléaire – qui existe effectivement au niveau des partis politiques – alors que les sondages officiels sur lesquels il s’appuie, issus de la cellule de communication du ministère des Armées, acceptent d’emblée une série de postulats du discours officiel – identification des armes nucléaires à la dissuasion, posture strictement défensive et sans risque –  et reproduisent les contours de sa stratégie de communication : absence de mentions des coûts ou des éventuels effets indésirables. En évitant ces biais, on peut reposer la question des attitudes des Français face aux politiques d’armement nucléaires. Les seules attitudes qui rassemblent plus de 50% des sondés expriment un sentiment d’illégitimité à prendre la parole sur ce sujet et une appréhension des conséquences d’une éventuelle participation à la discussion.

Le deuxième lieu où l’on observe un décalage entre la preuve disponible et la connaissance supposée porte sur la mesure de la crédibilité de la dissuasion nucléaire française, que les analystes français mesurent à l’aune de sources françaises, ce qui est évidemment inadapté. Nous avons donc fait appel à un ingénieur et physicien nucléaire pour conduire une analyse technique indépendante des performances de la première génération de la force de frappe française et nous avons conduit une recherche archivistique aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans une série de documents russes, qui permettent d’établir que, du point de vue des alliés et des adversaires potentiels, la force de frappe française n’était pas perçue comme crédible au moins jusqu’en 1974 et qu’elle n’était de toute façon pas techniquement capable d’accomplir les objectifs qui lui étaient assignés. La recherche reste à conduire sur la période à partir de laquelle cette crédibilité est atteinte, à partir de sources adaptées plutôt que de la répétition incantatoire du désir de crédibilité des dirigeants et ingénieurs français. Ce résultat est d’autant plus important que les membres de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, qui ont eu l’amabilité de répondre à mes questions, croient en majorité que la force de frappe française est devenue crédible bien plus tôt.

Troisième écart entre la connaissance supposée et les preuves disponibles, les officiels français, les experts et la presse acceptent tous trois un cadrage du problème nucléaire en termes de prolifération horizontale, comme si elle était inévitable et limitait les possibles. Or une étude détaillée montre que la période post-guerre froide est une période de prolifération historiquement basse et que les Etats dotés, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ont joué un rôle essentiel dans ladite prolifération. Aucun des Etats aujourd’hui dotés ne l’est devenu sans l’aide d’au moins l’un d’entre eux. Nous sommes donc loin de la désirabilité intrinsèque des armes nucléaires, supposée à tort par ce que j’appelle le « paradigme de la prolifération », qui cache le fait que le renoncement aux armes nucléaires est plus fréquent que la prolifération, quelle que soit l’échelle adoptée, et qui rend invisible la responsabilité des Etats dotés dans le phénomène. Conduire cette critique de l’inévitabilité de la prolifération est essentiel parce que j’ai pu montrer dans l’ouvrage qu’elle se diffuse dans l’opinion puisque les experts, les journalistes et les officiels la répètent. Illustrons ce résultat grâce au talent du cartographe Benoît Martin.

Quatrième élément fondamental au sujet duquel la connaissance supposée ne s’appuyait pas sur des preuves adaptées ou suffisantes : le rôle de la chance dans l’absence d’explosions nucléaires non désirées. Ce rôle est affirmé par des officiels américains, russes et britanniques depuis les années 1960 mais la littérature ne les prend pas aux sérieux et suggère soit que le rôle de la chance ne peut être évalué et en déduit, au prix d’une faute méthodologique évidente, que celle-ci ne joue aucun rôle (le refus de la méthode contrefactuelle aboutit à une faute de ce type) soit que l’on peut prouver que la chance ne joue aucun rôle parce que ce qui a compté c’est le contrôle. L’ouvrage propose donc une méthode qui permet d’évaluer le rôle de la chance (définie comme trois modes irréductibles au contrôle), une typologie des modes de son déni et, à partir d’archives américaines et britanniques, il montre que la chance a été nécessaire à l’évitement d’explosions nucléaires non désirées par le passé.

Enfin, il a été possible de problématiser les pratiques d’appropriation des catégories officielles et des postulats du paradigme de la prolifération ainsi que l’irresponsabilité des experts para-officiels, de proposer des catégories permettant de dépasser le cadre du paradigme de la prolifération (vulnérabilités, renoncement, chance) et d’évaluer la validité des postulats à l’œuvre. Une fois mis en place l’indépendance financière et l’appareil méthodologique adapté pour identifier le décalage entre savoir accepté et preuves disponibles, l’évaluation devient possible et remplace l’incantation.

Une fois invalidés les éléments qui fondent l’inévitabilité de la politique en cours – inévitabilité de la prolifération, contrôle parfait sur les armes et absence de rôle de la chance, consensus français et expertise supposément adaptée – le chapitre de conclusion du livre montre quelles seraient les justifications cohérentes avec la politique en cours. Celles-ci se révèlent très différentes des justifications officielles.

J’aimerais aussi mentionner un autre travail important réalisé par l’équipe, emblématique de mon propos sur l’indépendance financière couplée à un travail interdisciplinaire au service de la question posée. Elle a permis au docteur Sébastien Philippe, chercheur associé au programme, de croiser un travail sur des archives déclassifiées depuis 2013 et une modélisation inédite pour réévaluer les conséquences des essais français en Polynésie, jusqu’alors largement sous-estimées. 

Est-ce que cette indépendance distingue le chercheur indépendant de l’expert ? 

De fait, elle permet de montrer pourquoi on ne peut pas attendre des experts para-officiels un panorama complet des vulnérabilités nucléaires en raison notamment des contraintes discursives de la dissuasion. L’expert qui se met au service de l’État se place ainsi dans une double contrainte.

D’une part, alors que la dissuasion repose sur l’acceptation d’une vulnérabilité matérielle première, le discours officiel, indûment naturalisé par les experts para-officiels, adopte la rhétorique de la protection et occulte la vulnérabilité sous-jacente. D’autre part, une seconde contrainte vient amplifier la première : le discours de la dissuasion joue un rôle à la fois descriptif et performatif. Il vise à décrire des rapports de force internationaux mais il est aussi réaffirmé et répété pour produire un effet sur le monde et rendre la dissuasion plus crédible. De ce fait, officiels et experts para-officiels ne peuvent dire l’éventualité de son échec et de la guerre nucléaire qui s’ensuivrait. Le remplacement de la réalité de la vulnérabilité par une rhétorique de la protection achève de rendre cette éventualité inconcevable. Ainsi, croire au discours officiel ou expert sur les vulnérabilités, c’est se tromper sur sa nature, que l’on suppose seulement descriptive. Tout aussi grave est de se persuader à trop bon compte de l’impossibilité d’une guerre nucléaire ou d’explosions non désirées. L’ouvrage montre les autres moyens par lesquels ces experts se convainquent à tort de l’impossibilité de toute catastrophe nucléaire. Le chercheur indépendant se souvient également que l’état de notre connaissance sur le passé nucléaire dépend de la disponibilité des archives et que la grande majorité des États dotés d’armes nucléaires ne sont pas transparents sur leur passé nucléaire, les États-Unis et le Royaume-Uni faisant exception en la matière. Une partie importante du travail du chercheur indépendant consiste à comprendre les conséquences épistémiques et politiques de cet univers de données limité dont les contours sont décidés par des États, à diversifier les sources pour l’étendre et à montrer les conséquences d’un discours qui accepterait la connaissance existante comme exhaustive. Ainsi, ce que je vous disais plus haut sur le rôle de la chance est très probablement une sous-estimation, sauf à accepter que les Russes, les Chinois, les Israéliens, les Indiens, les Pakistanais ont été capables d’un contrôle parfait qui excède très largement ce qu’ont réussi les Américains et les Britanniques.

A quel prix se fait une recherche indépendante comme la vôtre ?

Les résultats issus du travail d’une équipe d’une douzaine de chercheurs au total en cinq ans vous montrent le prix exorbitant d’une recherche qui n’est pas indépendante. Les citoyens, élus ou pas, civils ou militaires, et la communauté scientifique paient ce prix. Les résultats obtenus auraient pu et dû l’être il y a bien longtemps. En finançant une recherche sous influence, on produit un discours incantatoire, l’illusion que l’avancée de la connaissance est impossible et superflue, l’irresponsabilité des experts qui commettent et perpétuent des fautes méthodologiques graves et l’impossibilité de la responsabilité politique puisqu’aucune politique alternative n’est proposée aux élus et aux citoyens (ou alors une alternative unique évidemment inacceptable) et que la poursuite des politiques en cours n’est justifiée que par ladite absence de politique alternative. En démocratie, ce serait un état des choses inacceptable. Dans un pays qui entend être à la pointe de l’avancée de la connaissance, cela le serait aussi puisque de nombreux travaux ont d’ores et déjà montré combien le conflit d’intérêts dans le financement de la recherche a produit des distorsions considérables dans les résultats, dans des domaines aussi variés que la politique énergétique ou les effets du tabac sur la santé, et nous supposons, étrangement, que ce ne serait pas le cas dans le domaine nucléaire. Face à une tendance à la précarisation de l’université et à la montée en puissance de financements, notamment militaires, il faut refuser à la fois la précarisation et la subordination de la recherche à des conflits d’intérêts. Ne tombons pas dans le travers qui consisterait à accepter le conflit d’intérêt comme seule solution alternative à la précarité.

Une preuve supplémentaire de la fécondité de cette intransigeance sur l’indépendance et l’interdisciplinarité se lit dans l’attrait du programme pour les jeunes chercheurs. Nous avons ainsi accueilli de nombreux doctorants d’universités aussi prestigieuses que Brown ou Cornell. Nous avons même été récompensés par deux financements Marie Curie que leurs titulaires ont choisi de venir passer au sein du programme.

Dans le même ordre d’idées, on vous lit : « il est grand temps qu’un modérateur prudent et indépendant rende possible un débat public fondé sur des paris et des alternatives clairs qu’il confrontera à leurs éventuelles contradictions, à de nouveaux résultats de recherche et à l’ampleur de ce qui reste à découvrir ». Estimez-vous qu’un chercheur, un intellectuel, doit jouer un rôle de « diplomate », d’autorité de médiation dans le domaine du nucléaire ?

Le but de la recherche indépendante, par opposition aux militants pro ou anti-nucléaires, consiste à offrir la possibilité d’un choix politique clair et justifié de manière cohérente. Vous pouvez appeler cela un rôle de médiateur même si je n’utilise pas ce terme. Il s’agit de poser précisément quelles sont les mémoires du passé, les choix de valeurs et les imaginaires de l’avenir au nom desquels nous pensons que notre communauté politique devrait adopter telle ou telle action politique. Ne masquons pas ces choix derrière des inévitabilités qui ne sont pas établies. C’est pourquoi le livre se termine sur la proposition de désacraliser sans conventionnaliser les armes nucléaires. Nous devons être en mesure de poser clairement des questions fondamentales : quels systèmes d’armes pour quelles politiques de défense pour la nation et pour l’Europe ? Par rapport à quels imaginaires de l’avenir ? Souvenons-nous que ces politiques nous engagent jusqu’en 2090 aux dires de la ministre des Armées Florence Parly. 

Une des propositions méthodologiques centrales de l’ouvrage et du travail conduit en parallèle consiste à montrer le rôle constitutif des imaginaires de l’avenir dans la détermination du champ des possibles nucléaires. Or, comme le montre le chapitre de conclusion, il existe des avenirs imaginables dans lesquels les armes nucléaires nous sont nécessaires, d’autres dans lesquelles elles sont remplaçables pour accomplir nos objectifs, d’autres dans lesquels elles n’ont que peu de pertinence et d’autres dans lesquels elles sont nuisibles à ceux qui les possèdent. Ceux qui ont déjà fait leur choix doivent pouvoir en débattre. Le chercheur indépendant est au service du débat mais il en a une idée exigeante. Celui-ci n’est pas la simple confrontation des préjugés existants mais bien la discussion de positions cohérentes fondées sur les dernières avancées de la connaissance. Il entend s’assurer que l’on évite les illusions rhétoriques de l’inévitabilité, de l’insignifiance des imaginaires de l’avenir qui n’auraient donc pas besoin d’être posés dans la discussion, ou les contradictions. Le chercheur indépendant rend ainsi possible un débat démocratique entre différentes alternatives clairement justifiées. 
Si vous permettez, j’aimerais terminer en rendant hommage à deux auteurs français de profils très différents mais qui partagent une intégrité et une générosité intellectuelle, mobilisent la science politique et qui ont été des mentors et des inspirations pour moi : Bastien Irondelle et Georges Le Guelte. C’est cette tradition d’une recherche intègre, indépendante et ambitieuse au service de la possibilité d’un débat démocratique que j’invite nos lecteurs à nourrir. 

Propos recueillis par Miriam Périer.

Photo : Bureau de planification d'une frappe nucléaire sur les États-Unis dans un bunker souterrain de l'URSS. 18 décembre 2021. @ Diy13 pour Shutterstock

Pour aller plus loin
- Le site du programme d'études des savoirs nucléaires 
- Le site du projet ERC NUCLEAR 
- Podcast sur l'ouvrage Repenser les choix nucléaires avec The Flares 
- Entretien avec Fabien Escalona[P1]  sur Repenser les choix nucléaires pour Médiapart (avril 2022) 
Extrait gratuit 
Entretien complet
- Conférence Repenser les choix nucléaires par Benoît Pelopidas
- Séminaire sur la chance et l’éthique de la dissuasion nucléaire avec Jean-Pierre Dupuy à l'ENS le 8 octobre 2020 
- Discussion avec Yannick Rumpala sur le rôle de la fiction dans la saisie de la possibilité de la catastrophe nucléaire
- Manifeste de 2016 pour une recherche indépendante sur les armes nucléaires en France
- Entretien de 2018 pour le premier anniversaire de Nuclear Knowledges 

En anglais 
- The Nuclear Knowledges website 
- The ERC-funded project NUCLEAR led by Benoit Pelopidas 
- Luck and nuclear vulnerabilities, by Benoît Pelopidas
- Discussion between Carol Cohn, Jayita Sarkar and Benoît Pelopidas on Nuclear Knowledge Production: Authority, Truths, and Making Sense of the Bomb at the Belfer Center (Harvard University) 

  • 1. Voir Paul Edwards, « Gouverner le système terre », in Christophe Bonneuil et Dominique Pestre (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, tome 3. Le siècle des technosciences, Paris, Seuil, 2015 et Paul Deudney, « De sombres cieux : espace et conflictualité » in Benoît Pélopidas et Frédéric Ramel (dirs), L'Enjeu mondial. Guerres et conflits armés au XXIe siècle, première édition, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
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