L’OTAN et la crise ukrainienne

Ronald Hatto

19/11/2014

L’OTAN a été créée en avril 1949 par le traité de Washington comme une alliance militaire et politique visant à mettre en commun les capacités militaires du Canada et des Etats-Unis du côté américain de l’océan Atlantique et celles de la Belgique, du Danemark, de la France, de l’Islande, de l’Italie, du Luxembourg, de la Norvège, des Pays-Bas, du Portugal et du Royaume-Uni du côté européen. L’identité nord-atlantique de l’Alliance a toutefois été remise en question dès l’adhésion de la Grèce et de la Turquie lors du premier élargissement de 1952. Celui-ci a mis en évidence que la logique sur laquelle reposait l’alliance défensive n’était pas seulement régionale mais également géopolitique, la Grèce et la Turquie étant éloignées de l’Atlantique mais occupant des positions stratégiques par rapport à l’Union soviétique (URSS). La République fédérale d’Allemagne a ensuite rejoint l’OTAN en 1955 et l’Espagne en 1982.

Pendant la guerre froide, l’Alliance avait pour principale fonction d’assurer la défense collective de ses membres face à la menace que faisait peser l’alliance militaire du bloc de l’Est : l’URSS, puis à partir de 1955 le pacte de Varsovie. Entre 1949 et 1991, année de la disparition de l’URSS et de la dissolution du pacte de Varsovie, l’OTAN a parfaitement joué son rôle malgré quelques crises politiques et certaines tensions internes liées au partage des responsabilités. Au cours des décennies 1990-2010, l’OTAN a cherché à adapter ses missions à la nouvelle donne géopolitique mondiale. Elle a ainsi adopté en 1991, 1999 et 2010 trois éléments de doctrine fondamentale et d’orientation des politiques de défense des Etats membres de l’Alliance appelés Concepts stratégiques. Après 1991, l’OTAN a réorienté son rôle vers la promotion de la démocratie, des libertés individuelles et de l’Etat de droit. Cette logique fonctionnelle, déjà partie intégrante du traité de Washington (article 2), conduira aux trois élargissements successifs des années 1999-2009, mais également à un affaiblissement relatif des fonctions militaires de l’OTAN. Les attentats du 11 septembre 2001 et le déploiement des forces de l’Alliance en Afghanistan aux côtés des Etats-Unis ont laissé croire que celle-ci pourrait devenir une organisation de sécurité à compétence universelle. Certains Etats membres comme l’Allemagne et la France se sont toutefois opposés à l’idée d’une OTAN mondiale et ont prôné un retour au rôle initial d’alliance militaire défensive de l’organisation.  

L’affaiblissement de l’Occident et le conflit russo-ukrainien


Les coupures budgétaires et le maintien de contingents en opérations extérieures (Afghanistan, Irak, Afrique) qui visaient à empêcher le triomphe de mouvements insurrectionnels ont eu pour effet d’affaiblir les capacités de défense classique d’une majorité de pays occidentaux. En outre, la focalisation sur les opérations de maintien de la paix dans les Balkans (IFOR, SFOR, KFOR) ou de construction de la paix comme en Afghanistan (FIAS) a favorisé l’adoption, en novembre 2010, d’un Concept stratégique qui réitérait l’importance de la défense collective tout en mettant la gestion de crise et la sécurité coopérative « au-delà des frontières » (out of area) de l’Alliance au premier plan. Ce Concept faisait de la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive, de l’extrémisme et le terrorisme, des cyber-attaques, des risques pesant sur les voies de communication et des problèmes environnementaux les principaux enjeux de la sécurité internationale. L’agression de l’Ukraine par la Russie au printemps 2014 relève toutefois d’une autre nature puisqu’il s’agit d’une grande puissance qui utilise des méthodes ou des tactiques habituellement employées par les insurgés dans les guérillas. Cette évolution récente, où des mouvements non étatiques comme le Hezbollah libanais utilisent des technologies sophistiquées (drones, missiles), a conduit au développement du concept de guerre hybride (Hoffman, 2007, 2009, Johnson, 2011) qui souligne également que des Etats puissants pourraient adopter des tactiques indirectes pour faire face à la supériorité militaire et technologique des Etats-Unis et de leurs alliés. Les tactiques russes en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine s’inscrivent parfaitement dans ce concept de guerre hybride. 

L’annexion de la Crimée en mars 2014 par Moscou et l’utilisation de tactique de guerre asymétrique ou hybride par l’armée russe dans la partie orientale de l’Ukraine constituent un nouveau type de défi pour l’Alliance atlantique. La guerre hybride combine différents modes de combats incluant les armes conventionnelles (chars, missiles), les tactiques et les formations irrégulières (type guérilla) et les actions terroristes ou criminelles visant à créer le désordre. La propagande est également utilisée pour favoriser le développement de la ferveur patriotique et le fanatisme (Hoffman, 2009A : 5). Pendant la guerre froide, les pays de l’OTAN ont investi les ressources financières nécessaires pour que leurs forces armées puissent faire face à la menace conventionnelle et nucléaire du pacte de Varsovie. Après 1991, la majorité de ces mêmes pays, dont les finances publiques étaient déficitaires, ont effectué des coupes importantes dans leurs budgets militaires tout en participant parfois à des missions « hors zone » dans les Balkans, en Afghanistan ou en Irak. A partir du milieu des années 2000, la Russie de Vladimir Poutine a pour sa part lancé un programme de modernisation de ses forces armées. Cette situation de déséquilibre militaire croissant entre Moscou et les Etats européens, couplée à une absence de cohésion parmi ces derniers et à l’attitude ambiguë de Barack Obama à l’égard de l’implication américaine dans la sécurité européenne, a incité le Président russe à lancer une offensive contre l’Ukraine à partir de mars 20141. Sans ce déséquilibre, malgré la soi-disant provocation de Maïdan et le renversement du Président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch, la Russie n’aurait jamais pris la décision d’envahir son voisin.

Un autre élément a incité le Président Poutine à lancer ses troupes en l’Ukraine. Depuis le milieu des années 1990, les pays occidentaux sont intervenus dans différentes régions du monde au nom de l’interventionnisme humanitaire. Ces opérations conduites au nom des droits de l’homme, de la sécurité humaine ou de la responsabilité de protéger n’ont pas toujours été perçues positivement par les opinions publiques et les gouvernements non-occidentaux. L’intervention en Lybie en mars 2011 est celle qui a eu les retombées les plus négatives. Les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, après avoir obtenu indirectement le consentement de la Chine et de la Russie au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) – ces deux pays se sont abstenus lors du vote sur le déclenchement de frappes aériennes pour protéger les populations civiles en danger –, ont outrepassé la résolution 1973 en contribuant au renversement du régime de Kadhafi. Cet épisode a marqué un tournant dans les relations internationales. Lors de l’intervention en Lybie, Moscou et Pékin ont eu le sentiment d’être floués par les Occidentaux qu’ils accusent de n’avoir respecté ni le droit international ni les résolutions du Conseil de sécurité (Beckford, 2011, Thakur, 2012). Au cours de l’année 2014, Vladimir Poutine n’a cessé de souligner les violations répétées du droit international par les Etats-Unis et leurs alliés, y compris dans leur lutte contre les mouvements islamistes en Irak et en Syrie (Goodenough, 2014).

La cohésion de l’Alliance en question


Le conflit russo-ukrainien de 2014 a eu pour effet de mettre à rude épreuve la cohésion et la solidarité au sein de l’Alliance atlantique. Si cette crise interne n’est pas la première, elle pourrait cependant s’avérer décisive et remettre en cause l’existence même de l’Alliance. Parmi les précédentes crises, on retiendra l’intervention franco-britannique contre l’Egypte (crise de Suez) en novembre 1956, le retrait de la France du commandement intégré en 1966-1967, le déploiement des euromissiles (Pershing et missiles de croisière) en 1983 et l’intervention en Afghanistan (à partir de 2001) qui a entrainé une schizophrénie institutionnelle en raison de l’opposition au sein de l’organisation entre deux visions du rôle et de l’avenir de l’OTAN : OTAN global contre Alliance défensive nord-Atlantique2. L’intervention de l’Alliance en Afghanistan a marqué la fin de l’interventionnisme « hors-zone » de l’Alliance qui avait débuté au moment où l’organisation avait accepté d’être le bras armé de l’ONU en Bosnie-Herzégovine.

Dans les années 1990, l’OTAN a décidé de jouer un rôle plus important que celui qui avait été le sien pendant la guerre froide. A partir de janvier 1994, l’Alliance a mis en place le Partenariat pour la paix (PpP), programme visant à établir des échanges avec ses anciens adversaires du pacte de Varsovie. Ce partenariat incluait la Russie et visait, à terme, à permettre aux Etats anciennement communistes de rejoindre l’Alliance. A partir de 1993, l’OTAN avait également choisi, en intervenant en Bosnie-Herzégovine, de s’impliquer dans des opérations de maintien de la paix en coopération avec l’ONU (coopération prévue par le chapitre VIII de la Charte des Nations unies) à l’extérieur de sa zone d’opération. L’opération lancée en mars 1999 contre la Serbie (et initialement sans l’autorisation de l’ONU) a représenté une escalade dans l’interventionnisme de l’Alliance. Les frappes américaines « accidentelles » sur l’ambassade de Chine à Belgrade ont ajouté au malaise déjà créé par le caractère illégal de l’intervention de l’OTAN contre un pays qui n’était pas en guerre contre elle. De nombreux Etats fortement attachés au principe de souveraineté, comme la Chine, l’Inde ou la Russie, ont vu d’un très mauvais œil l’intervention au nom de l’ingérence humanitaire de l’alliance militaire la plus puissante du monde contre un Etat relativement faible.

En mars 1999 au moment des frappes contre la Serbie, l’Alliance accueillait la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, tous trois anciens membres du pacte de Varsovie. Il faut rappeler que ce processus d’élargissement s’est déroulé sur une base purement volontaire et se distingue donc clairement de la mise sur pied du pacte de Varsovie en 1955, imposée par l’URSS à ses Etats satellites. En mars 2004, sept autres pays sont devenus membres de l’Alliance : la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Enfin, en avril 2009, l’Albanie et la Croatie ont été les derniers à rejoindre l’Alliance. A la suite de cet élargissement quasiment parallèle à celui de l’Union européenne, il est clairement apparu que plus une organisation compte de membres, plus il lui est difficile d’adopter une position commune cohérente, chaque Etat ayant tendance à faire passer ses propres intérêts avant ceux de l’organisation. Lors de la crise ukrainienne, les décideurs russes ont su exploiter ce fait, menaçant de cesser leur approvisionnement de l’Europe en gaz ou de fermer leurs frontières aux exportations des pays membres de l’OTAN et de l’Union européenne si ceux-ci votaient des sanctions contre Moscou.

L’OTAN face au conflit russo-ukrainien : l’urgence d’agir


Face à l’agressivité, aux manipulations et aux provocations de Moscou, comment doit et peut réagir l’OTAN ? Les sanctions économiques contre la Russie votées par les Etats membres de l’OTAN et de l’Union européenne mettront du temps à être efficaces. En outre, si elles peuvent avoir des effets sur l’économie russe, elles ne devraient pas impressionner Vladimir Poutine. Pour compenser la lenteur des sanctions, l’Alliance atlantique devrait s’attacher à mettre en place une riposte graduée dans le temps en prenant des mesures militaires immédiates et sur le long terme, en s’assurant de remettre à plat ses fondements doctrinaux, économiques et politiques en revenant à une doctrine basée sur la défense collective plutôt que sur la sécurité collective tous azimuts, en incitant les Etats membres à respecter des exigences minimales en termes d’investissements en matière de défense et en réitérant son attachement à assurer la défense de tous ses membres.

Comme mesures immédiates destinées à envoyer un message de fermeté à Vladimir Poutine, l’OTAN pourrait envisager de déployer des troupes terrestres appuyées par des moyens aériens et navals (mer Baltique et mer Noire) et organiser des manœuvres conjointes avec ses Etats membres situés à proximité de la Russie. Une aide militaire, par l’envoi de matériel, aux Etats non membres qui en feraient la demande devrait également être envisagée. Ces mesures seraient les seules capables de démontrer le sérieux de la réponse de l’OTAN aux tentatives de déstabilisation de la Russie et de rassurer les plus exposés de ses Etats membres. L’Alliance ne disposant pas de ressources matérielles propres, seuls les Etats peuvent décider de fournir une aide à l’Ukraine ou à la Moldavie. En cas de présence sur leur sol d’éléments déstabilisateurs du type « petits hommes verts » comme ceux qui ont été déployés en Crimée et qui ne portaient aucun signe permettant de les identifier3, certains membres de l’OTAN comme l’Estonie et la Lettonie ont annoncé qu’ils prendraient des mesures radicales – qu’ils tireraient sur ces soldats non-identifiés – afin de les mettre hors d’état de nuire avant qu’ils aient le temps de s’emparer de villes et de territoires comme ils l’ont fait dans l’Est de l’Ukraine (Belsat, 2014 ; Diehl, 2014 ; Rettman, 2014). Ces soldats sont selon toute vraisemblance des membres des forces spéciales russes (Lake & Nemtsova, 2014).

Enfin, la présence de troupes de l’Alliance, notamment dans les Pays baltes, pourrait influencer le comportement des minorités russes de ces Etats en cas de tentative de déstabilisation de la part de la Russie. La propagande de Moscou est très active depuis des mois en Moldavie et dans les Etats baltes. La Lettonie serait certainement une cible de choix pour Vladimir Poutine. Les médias russes ont déjà commencé à marteler que la minorité russophone (importante dans ce petit pays de deux millions d’habitants) était discriminée (Giles, 2014). La présence de l’OTAN permettrait non seulement d’envoyer un signal clair en direction de Moscou mais aussi d’éventuels agitateurs locaux et d’indiquer que la déstabilisation de la Lettonie ou de tout autre pays membres de l’Alliance ne serait pas aussi facilement que cela a été le cas en Crimée ou dans l’Est de l’Ukraine.

Si l’OTAN se décidait à déployer des troupes terrestres, celles-ci devraient être numériquement importantes car depuis des mois la Russie organise des manœuvres militaires de grande envergure autour des Pays baltes et de la Finlande dans lesquelles sont impliqués des dizaines de milliers de soldats et est allée jusqu’à simuler un blocus de la zone de la mer Baltique afin de tester les capacités russes à empêcher un renforcement du dispositif défensif de l’OTAN dans cette région (Giles, 2014 ; Smith, Jamieson & Kovalyova, 2014). Depuis la fin des années 2000, Moscou a simulé des attaques aériennes contre le Danemark et la Suède (en mars et octobre derniers contre cette dernière, Weiss, 2014) et, en septembre 2013, une invasion de la Pologne et des Etats baltes lors de laquelle 22 000 soldats ont été déployés sur la frontières que Moscou partage avec ces pays (Pry, 2014). La présence à Kaliningrad de matériel et de troupes russes facilite ce type de manœuvre autour de la mer Baltique.

Face aux forces russes massées le long de leur frontière occidentale, un déploiement par l’OTAN d’une force légère ne reposant que sur une infanterie mécanisée, équipée de véhicule blindés légers et de parachutistes devant servir d’alerte avancée en cas d’attaque serait nettement insuffisant, voire dangereux pour la sécurité des Etats membres de l’Alliance ayant une frontière commune avec la Russie. En cas de déploiement trop léger, Vladimir Poutine pourrait être tenté de jouer le fait accompli en déployant des troupes dans les pays où se trouvent d’importantes minorités russes, multipliant ainsi le nombre de situation de « conflits gelés » et la création d’Etats de facto comme l’Abkhazie, l’Ossétie du sud, la Transnistrie, et maintenant l’Est de l’Ukraine (Lynch, 2004). Si la réponse à l’agression russe en Ukraine et  à la menace que fait peser Moscou sur l’Est de l’Europe ne peut être uniquement militaire, un renforcement des forces armées alliées dans cette partie du vieux continent apparaît indispensable pour garantir la sécurité européenne.

Plusieurs analyses souhaitent voir l’OTAN revenir à ses fondamentaux, c’est-à-dire la défense de ses membres sur le plan de la doctrine et au niveau financier comme politique. Face à une Russie agressive et après le retrait d’Afghanistan de la coalition, l’OTAN peut revenir à son rôle de garant de la défense collective et à sa zone d’action habituelle et légitime, l’espace nord-Atlantique (Coffey & Kochis, 2014 ; de Langlois, 2014). Sur le plan doctrinal, l’Alliance devrait revoir son dernier Concept stratégique afin de remettre la sécurité de l’Amérique du Nord et de l’Europe au cœur de son dispositif de défense collective. Au vu de l’insistance de Vladimir Poutine à souligner l’importance des armes nucléaires dans son arsenal, l’OTAN devrait revoir la fonction que pourraient avoir les armes nucléaires tactiques déployées en Europe. Enfin, le prochain Concept stratégique devrait chercher à élaborer une série de mesures pour répondre efficacement aux méthodes de guerre asymétrique et hybride de la Russie (utilisation des médias à des fins de propagande, déploiement de soldats non identifiés et fourniture d’armes sophistiquées à des « supplétifs » présents dans les pays-cibles).

Au plan financier et en termes d’investissements, les Etats membres de l’OTAN devraient bien sûr investir davantage dans leur défense mais surtout le faire de façon cohérente et dans le but d’amélioration les capacités défensives et de dissuasion de l’Alliance. Les coupures budgétaires de ces dernières années n’ont pas permis le renouvellement des matériels vieillissants et considérablement affaibli l’Occident, y compris ses Etats neutres comme la Suède (Weiss, 2014). Les exemples de la dégradation des matériels militaires occidentaux ne manquent pas. La marine canadienne par exemple est sur le point d’envoyer à la ferraille quatre de ses navires dont ses deux seuls pétroliers-ravitailleurs. Pour les remplacer, le gouvernement canadien devra probablement louer aux Etats-Unis des navires eux-mêmes retirés du service pour raison d’économie par la marine américaine ! L’Allemagne pour sa part a peiné à expédier des munitions aux Peshmergas kurdes du Nord de l’Irak car les avions militaires affrétés par Berlin pour leur transport sont tombés en panne ; l’appareil qui devait transporter les instructeurs militaires a dû faire escale en Bulgarie après avoir connu une défaillance (Philippot, 2014). Cette déliquescence des capacités militaires des membres de l’OTAN a certainement renforcé la confiance de Vladimir Poutine au moment de lancer son offensive contre l’Ukraine. D’autant plus que Moscou a accru ses investissements militaires de façon spectaculaire au cours des cinq dernières années. Après les coupes drastiques effectuées dans le budget militaire au cours des années 1990, la Russie a décidé d’investir 19 trillions de roubles (500 milliards d’euros) pour le financement de ses programmes d’armement pour la période 2011-2020 (Forss, Kiianlinna, Inkinen & Hult, 2013 : 33), une action rappelant la politique de modernisation de l’industrie de défense lancée par Staline dans les années 1930 (Bryanski, 2012)4.

Enfin, au plan politique, l’OTAN pourrait connaître une crise sans précédent si ses membres n’arrivent pas s’entendre sur la ligne à adopter face à Moscou (Gregory, 2014). La vente à la Russie par la France de navires de guerre à vocation purement offensive (navire sd’opérations amphibies) comme les contrats de construction d’un pipeline sous la Baltique signés par Berlin et Moscou pour contourner l’Ukraine et la Pologne nuisent à la confiance entre membres de l’OTAN et Etats membres de l’Union européenne. Craignant d’éventuelles retombées négatives sur leur économie, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie se sont opposées aux sanctions à l’égard de Moscou. Ces divisions internes facilitent la tâche de Vladimir Poutine. L’Alliance devrait s’efforcer d’affirmer une position claire et cohérente par l’adoption d’une doctrine défensive convaincante et le développement ou l’entretien de capacités militaires adaptées à la menace.


L’annexion de la Crimée et l’agression contre l’Est de l’Ukraine ont pris tout le monde par surprise. Vladimir Poutine a attendu la fin des Jeux Olympiques de Sotchi pour lancer son offensive avec des résultats plus que satisfaisants. L’opinion publique russe a été galvanisée par les succès remportés en Crimée et la faiblesse de la réaction  de l’OTAN et de l’Union européenne. La cote de popularité du Président russe a atteint les 80% au printemps 2014. En l’absence de progrès économique et social, le nationalisme constitue donc une ressource sûre pour le pouvoir russe que Vladimir Poutine pourrait être tenté de mobiliser dans d’autres anciens Etats de l’URSS, notamment dans les Pays baltes qui abritent d’importantes minorités russes.

Quelle peut être la réponse des membres de l’OTAN et de l’Union européenne ? Occidentaux et Russes devraient tout d’abord s’inspirer de l’expérience de la guerre froide et éviter toute diabolisation de l’adversaire. Les risques de guerre sont élevés, il est donc indispensable de se montrer pragmatique pour contenir la montée des positions extrêmes même s’il faut se souvenir que, deux crises (Berlin en 1961 et Cuba en 1962) avaient été nécessaires avant que le pragmatisme s’impose durant la guerre froide.
Pour faire face efficacement à la nouvelle posture russe, l’OTAN et l’Union européenne pourraient envisager de prendre des mesures diplomatiques, militaires et politiques . Au plan diplomatique et politique, les pays occidentaux ont profité du sommet du G-20 de Brisbane en Australie en novembre 2014 pour rappeler au Président Poutine que sa politique en Ukraine et son attitude représentaient un danger au niveau international. Angela Merkel a souligné que le comportement de la Russie était non seulement dangereux pour la sécurité européenne mais pour la stabilité internationale (Smale, 2014). De plus en plus opposé à la politique du Président Obama, le Congrès des Etats-Unis pourrait adopter des lois bipartisanes qui permettraient d’armer l’Ukraine (Gregory, 2014A).

Sans réelles capacités militaires, les Occidentaux ne pourront pas dissuader Poutine de pousser ses pions plus loin en cherchant par exemple à déstabiliser la Finlande ou les Pays baltes et sans volonté politique commune, ils ne constitueront pas une force de dissuasion crédible. A cet égard, les thèses défendues par certains chercheurs ou spécialistes occidentaux faisant des Occidentaux ou de l’OTAN les responsables de la crise ukrainienne de l’hiver passé les premiers en raison de leur soutien aux mouvements pro-européens (Mearsheimer, 2014), le second parce qu’il aurait manqué  sa promesse de ne pas intégrer de nouveaux membres en Europe centrale et orientale (Sarotte, 2014), ont un effet négatif sur l’adoption d’une posture commune face à Vladimir Poutine.

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  • 1. Sur les ambiguïtés américaines à l’égard de la sécurité européenne depuis le milieu des années 2000, voir Noetzel & Scheer, 2009 : 221.
  • 2. Parmi les adeptes de l’élargissement du rôle de l’Alliance au monde entier, voir Daalder & Goldgeier, 2006 105-113. A l’opposé, l’Allemagne et la France ont été les deux principaux opposants à la notion d’OTAN global. Voir Moore, 2010 : 219-242.
  • 3. Ces soldats russes dépourvus insignes avaient oublié d’enlever les plaques d’immatriculation de leurs véhicules, ce qui a permis de les identifier (Osborn & Kushch, 2014).
  • 4. Certains analystes occidentaux doutent néanmoins de la faisabilité d’un tel programme d’investissement. De plus, l’industrie militaire russe souffre de problèmes structurels – corruption, management déficient, méthodes de production inefficaces, machinerie obsolète, personnel vieillissant – que l’injection de fonds ne suffira pas à combler.
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