L’observation électorale en Amérique latine. Acteurs, méthodes, points de vue Entretien avec Erica Guevara
Comment définiriez-vous l’observation électorale ? Depuis quand existe-t-elle ?
L'objectif de l'Etude est justement de montrer à quel point il est difficile de définir l'observation électorale car de nombreux acteurs différents réalisent des « missions » pendant les élections, en utilisant des méthodes différentes. Les observateurs assument ainsi des rôles divers : on leur demande à la fois d'être des soignants, des policiers, des juges et des experts des élections. Ces rôles se sont superposés au fil du temps. L'observation électorale repose sur le postulat d'un regard externe (d'un étranger, s'il s'agit d'observation internationale, d'un citoyen du pays concerné, s'il est question d'observation nationale) sur le déroulement d'un scrutin. L'externalité du regard est vue comme un gage de neutralité et de dépolitisation.
Il est habituel de faire remonter les origines de l'observation électorale à la moitié du XIXe siècle, lorsqu'une commission européenne s'est déplacée pour observer des élections dans les territoires disputés de Moldavie et de Valachie après la guerre de Crimée (1853-1856). Cette mission se voulait essentiellement diplomatique. C'est surtout après la Deuxième Guerre mondiale que la pratique a vraiment commencé à se développer, lorsque l'ONU, puis l'Organisation des Etats américains et le Commonwealth, se sont mis à superviser le déroulement des élections dans différents pays. Les missions d'observation électorale ont ensuite connu une croissance exponentielle à partir des années 1990, lorsque d’autres organisations comme l’OSCE, l’Union européenne ou le Centre Carter ont fait de l'observation électorale dans des pays en transition démocratique, en Europe de l’Est et en Amérique latine.
Quels sont les acteurs du processus d’observation électorale ? Comment sont-ils désignés ou recrutés, au niveau national et international ? Quelles règles, quelles normes, établies par quelles organisations, doivent-ils respecter ?
Les acteurs qui participent à l'organisation d'un processus d'observation électorale sont très nombreux, on y trouve des autorités électorales nationales, des organisations internationales et régionales, des ONG internationales et nationales, des bailleurs de fonds, des entreprises... au point que l’on peut parler de l'observation électorale comme d'un véritable milieu professionnel.
Concernant les procédures de recrutement des observateurs électoraux, il est très difficile de généraliser car tout dépend du type d'organisation et du type de mission. Parfois, les observateurs sont des fonctionnaires étrangers (notamment des magistrats ou des diplomates) ou d'anciennes personnalités politiques (anciens ministres ou présidents). On trouve aussi des consultants internationaux, des journalistes, des universitaires, des militants d'ONG, des étudiants...
Les observateurs doivent tout d'abord respecter les règlements prévus par le pays qui organise les élections, ce qui implique qu'ils respectent le principe d'impartialité et celui de non-intervention. Les observateurs ont ainsi interdiction de toucher au matériel électoral. Les autres règles dépendent de l'organisation qui coordonne la mission, elles varient en fonction des objectifs fixés par celle-ci.
Vous écrivez que l’observation faite le jour de l’élection ne représente qu’une petite partie, même si celle-ci est la plus médiatisée, de ce qu’est réellement l’observation électorale. Pouvez-vous développer ?
La plupart des missions d'observation électorale internationale ne durent que peu de temps, les observateurs arrivent quelques jours avant le scrutin et repartent rapidement. Mais d'autres missions d'observation électorale, qui prennent plutôt la forme de missions d'assistance technique de la part des organisations internationales ou régionales, peuvent durer plusieurs mois. Dans ces cas, les équipes d'observateurs arrivent dans le pays concerné plusieurs semaines (ou même plusieurs mois) avant l'élection et en repartent plusieurs semaines plus tard. Elles mènent un travail d'expertise sur des sujets précis (par exemple, le financement des partis, l'organisation de la campagne, la participation politique des femmes ou des groupes sociaux les moins représentés comme les groupes LGBTI ou les populations indigènes. Certaines équipes restent aussi sur place lorsque les résultats électoraux ne sont pas reconnus par tous les protagonistes du scrutin pour contrôler ce qu’il se passe et éventuellement apaiser les tensions.
Quelle est en définitive l’efficacité de l’observation électorale ? A-t-elle été « calculée » ?
Il n'est pas possible de répondre à cette question sans définir ce que l'on entend par « efficacité ». Si l'organisation observatrice se donne un rôle de « policier » (en cherchant à éviter la fraude électorale et en la dénonçant) , elle aura une certaine définition de l'efficacité. Celle-ci sera différente de celle que pourrait avoir d'autres irganisations qui voient l'observation électorale comme une manière d'identifier les failles ou les problèmes d’organisation auxquels il faudrait remédier sur le long terme.
Certaines recherches ont tenté de mesurer l'efficacité de l'observation électorale en partant des rapports rédigés par différentes missions, mais le matériau en question est très hétérogène, les objectifs et les méthodes des organisations diffèrent, ce qui rend les comparaisons et les calculs difficiles.
Comment expliquer que les pays où l’on a dans le passé constaté des fraudes électorales acceptent néanmoins la présence d’observateurs internationaux ?
La chercheuse Susan Hyde appelle cela le « dilemme des pseudo-démocrates » qui conduit des gouvernements ayant l'intention de commettre une forme de fraude ou souhaitant contrôler les élections à néanmoins inviter des observateurs internationaux car le coût de l'absence de ces derniers serait plus important que le risque d'être pris la main dans le sac. Selon elle, les pseudo-démocrates invitent des observateurs essentiellement pour ne pas donner de mauvais signal à la communauté internationale.
Quelle est, selon vous, la principale fonction de ces missions : assurer le bon déroulement et la transparence du vote ou bien, au-delà, promouvoir la démocratie ? Il semble, à vous lire, que les différents acteurs engagés dans ce processus n’ont pas les mêmes objectifs et que la mission principale de l’observation électorale se situe bien au-delà de l’observation des bureaux de vote le jour de l’élection.
C'est ce que l'Etude tente de montrer : les différents acteurs engagés dans l'observation électorale n'ont souvent pas les mêmes objectifs ni les mêmes méthodes. Il n'est donc pas possible de parler de « fonction principale » de ces missions car celles-ci se donnent différentes tâches, même si elles sont bien sûr toutes d'accord sur l'importance du vote et des élections.
Enfin, que penser de la place prise par les technologies informatiques dans le recueil et le traitement des données électorales quand ces technologies sont fournies aux Etats par des entreprises privées, ce qui interroge la sécurité des opérations effectuées ?
C'est un très vaste débat. Aujourd'hui, des technologies informatiques sont utilisées au cours de toutes les étapes du cycle électoral, dans un très grand nombre de pays (de l'enregistrement des citoyens jusqu'aux applications mobiles de transmission des résultats des élections, en passant par les machines à voter, les dispositifs de vote électronique, les logiciels de gestion des données du contentieux...).
Parmi les éléments à considérer, il y a tout d'abord la question du contrôle des dispositifs numériques : qui a le contrôle du code ? L'autorité chargée de l'organisation des élections a-t-elle la main sur l'outil ? Sous-traite-t-elle à des entreprises privées ? Si oui, dispose-t-elle des moyens matériels et des compétences techniques pour contrôler le travail de ces compagnies ? Comment suivre le travail des autorités électorales sur ces dispositifs numériques ? Est-il possible de vérifier les résultats des élections sur des supports papier ? Se pose aussi la question de la technologie utilisée, notamment lorsqu'il s'agit de dispositifs de recensement de données biométriques.
Enfin, il est important de considérer que la technologie ne constitue pas forcément un « progrès » ni qu'elle entraîne un surcroît de confiance dans le processus électoral, comme le montre aujourd'hui le débat autour des urnes électroniques au Brésil, pourtant utilisées depuis le début du siècle...
Propos recueillis par Corinne Deloy
Lire l'Etude d'Erica Guevara
Photo 1 : Urnes à Mexico (Juillet 2018). © Shutterstock
Photo 2 : Péruviens protestant contre Keiko Fujimori (Juin 2020). © Shutterstock
Photo 3 : Opération de vérification du comptage des voix lors du référendum sur la modification de la Constitution au Chili (Octobre 2020). © Shutterstock
Photo 4 : Electeur vénézuelien dans un bureau de vote lors des élections législatives de décembre 2020. © Shutterstock