Huit questions sur les élections italiennes

20/02/2013

Les Italiens sont appelés à choisir leurs députés et leurs sénateurs les 24 et 25 février prochains. A quelques jours de ce vote, sans doute essentiel, plusieurs questions se posent. On en retiendra huit principales.

– 1. – Quel sera le niveau de participation ? Difficile à prédire bien sûr mais l’interrogation est fondamentale et la réponse que donneront les électeurs en se rendant ou pas aux urnes sera essentielle. En effet, les Italiens manifestent depuis des années un désintérêt pour la politique, voire un rejet de celle-ci. Leur niveau de confiance envers leurs institutions politiques – mais pas seulement celles-ci –, leurs partis ou leurs élites dirigeantes est très faible, à l’exception de certaines d’entre elles, dont la présidence de la République. La défiance n’a fait qu’empirer à cause de la thérapie de choc engagée par le gouvernement de Mario Monti (rigueur, austérité, coupes dans les dépenses publiques, réforme des retraites qui s’est traduite par une augmentation de la durée d’activité et souvent une diminution des pensions, hausse des impôts, etc.) acceptée par les Italiens dans un premier temps mais envers laquelle ils manifestent une lassitude certaine. Mais également à cause de la détérioration de la situation sociale du fait de la récession dans laquelle est plongée la péninsule qui a pour conséquences la hausse du chômage, l’accroissement des inégalités de tout genre (sociales, générationnelles, de genre, territoriales). A cause encore de la multiplication des affaires de corruption qui touchent presque tous les partis et les secteurs de l’activité économique et financière. Ce climat, qui se traduit par un mélange de dépression collective et d’exaspération générale, est qualifié en Italie d’antipolitique et laissait présager, il y a quelques semaines, un fort taux d’abstention. Or les enquêtes d’opinion montrent que celui-ci tend à se réduire. La campagne électorale, bien qu’un peu mise entre parenthèses par l’annonce de la démission du Pape et le festival de musique de San Remo, rituel télévisé annuel qui, dans la péninsule, bat des records d’audience, polarise l’attention et cristallise les antagonismes. Enfin, l’Italie est, quoi qu’on en dise à l’étranger, un pays très politique avec un pourcentage de participation certes en recul par rapport au passé mais qui reste élevé pour les scrutins importants, notamment plus qu’en France.

– 2. – Silvio Berlusconi, le retour ? L’interrogation est sur toutes les lèvres dans la péninsule et hors de celle-ci. Berlusconi s’est décidé à revenir pour au moins deux raisons. D’une part, il a besoin de protections dans les enquêtes judiciaires dans lesquelles il est mis en cause. D’autre part, l’absence d’un dirigeant capable de rassembler ses fidèles risquait de provoquer la désagrégation complète de son camp et la mort du parti qu’il avait créée officiellement en 2009, le Peuple de la Liberté (PDL). Silvio Berlusconi est affaibli et usé, et son charme s’est en partie dissipé y compris pour ses tifosi. Mais l’homme apparaît encore comme incontournable et dispose de nombreuses ressources. Il a réussi à reconstituer une coalition avec la Ligue du Nord et diverses autres formations de droite et est donc positionné plus à droite que les fois précédentes. Il ne cesse de fustiger la politique du gouvernement de Mario Monti, que son parti a pourtant soutenu durant plus d’un an, et dénonce l’austérité, la rigueur, l’augmentation de la pression fiscale (un argument très sensible dans une partie de son électorat), l’Union européenne (alors que l’opinion italienne est depuis une vingtaine d’années bien moins européiste que par le passé) et la chancelière allemande Angela Merkel, flattant de la sorte la susceptibilité nationale de ces compatriotes. Il n’hésite pas à faire des promesses – économiques, sociales et fiscales – démagogiques Pour chasser sur les terres de Beppe Grillo, il stigmatise l’establishment italien et international qui lui a toujours été hostile pour mieux se présenter comme le candidat des petits contre « les pouvoirs forts ». Il joue sur la peur, profondément ancrée dans une partie de l’Italie que suscite chez certains Italiens la gauche, fut-elle extrêmement modérée comme elle l’est de l’autre côté des Alpes. Silvio Berlusconi utilise les médias, à commencer par ceux qu’il possède, où il excelle, en particulier la télévision qui joue un rôle essentiel dans cette campagne, plus encore peut-être que dans les scrutins précédents, parce que les partis politiques sont encore plus affaiblis et que ce scrutin se déroule en hiver, chose inhabituelle en Italie et qui explique la plus forte présence des médias alors que le moins grand nombre de meetings. Virtuose du marketing, il déploie une habile (et habituelle) stratégie de communication fondée sur des provocations qui suscitent immédiatement des polémiques, rythment l’agenda de la compétition et le placent au centre de l’attention. Cela étant, cette stratégie tous azimuts ne vise pas tant à remporter les élections(même s’il s’est réduit, son retard sur son principal concurrent, le Parti démocrate (PD), reste important) qu’à limiter la victoire de ce dernier au Sénat et à peser sur la formation du futur gouvernement et la désignation du successeur du Président de la République, Giorgio Napolitano qui devra être élu par les nouveaux parlementaires au cours des deux prochains mois.

– 3. – Mario Monti et le centre réussiront-ils leur opération ? L’entrée en politique de Mario Monti a surpris presque tout le monde. Sans être candidat lui-même, ce qui est pour le moins étonnant, il est le chef de la coalition centriste, et donc le candidat de celle-ci au poste de président du Conseil. Ce regroupement du centre est disparate puisqu’il rassemble des « montiens », les démocrates-chrétiens de l’Union du centre de Pierferdinando Casini mais aussi les amis de Gianfranco Fini, le président de la Chambre des députés sortant, auparavant allié à Berlusconi, et divers autres modérés. L’objectif est de faire fructifier le capital de popularité personnelle dont jouit Mario Monti à l’étranger mais aussi en Italie pour tenter de rebâtir un pôle centriste qui, à terme (lorsque Silvio Berlusconi se retirera définitivement de la politique), pourrait constituer la force décisive d’une recomposition politique du centre droit. Mais la popularité de Mario Monti provenait, entre autre, de ce que Monti, comme chef de gouvernement, était justement quelqu’un d’extérieur à la politique. En décidant d’entrer dans le combat politique et en choisissant un camp, le président du Conseil sortant a dilapidé une partie de son capital sympathie. D’autant que son programme, qui est dans la continuité de celui qu’il applique depuis plus d’un an, ne s’avère guère enthousiasmant, même si Mario Monti s’est autorisé à faire quelques promesses, sur de possibles baisses d’impôt par exemple, qui contredisent son habituel discours churchillien. En outre, le président du Conseil doit apprendre le métier de politique. Il se démarque de Berlusconi, ce qui l’empêche d’attirer une partie de son électorat, mais aussi du centre gauche et de la gauche, tout en étant obligé de préserver la possibilité de s’allier avec le PD. Enfin, le soutien qu’il reçoit de l’étranger et de l’Eglise ne lui rapporte pas autant qu’il l’aurait pensé, le premier parce qu’il est associé chez nombre d’Italiens à une forme d’ingérence dans leur vie politique qu’ils refusent, le second parce que la Conférence épiscopale italienne n’exerce plus le même magistère qu’auparavant sur une société gagnée par un lent mais réel processus de sécularisation. Bref, le message et la stratégie de Monti et du centre sont peu clairs, et, selon les sondages, peu payants.

– 4. – Le centre gauche peut-il gagner ? Telle était l’hypothèse la plus probable, il y a encore quelques semaines. Pierluigi Bersani avait emporté des primaires auxquelles avaient massivement participé les Italiens du centre gauche en novembre. Une dynamique s’était enclenchée qui semblait irrésistible. Mais le retour de Berlusconi, que l’échec à la primaire de la gauche de Matteo Renzi, jeune maire de Florence et grand professionnel de la communication qui avait la capacité d’attirer des électeurs modérés a rendu plus aisé, et la décision de Monti de se présenter, ont perturbé le candidat du PD qui s’est retrouvé dans une position défensive. Le message de Bersani est difficilement audible : d’un côté, il justifier le soutien qu’il a apporté au gouvernement Monti et son engagement de poursuivre la politique d’assainissement des comptes publics, de l’autre, il critique l’ancien Président du Conseil et annonce la mise en place de politiques sociales. Il retient les coups qu’il porte à Mario Monti ; il se doit en effet de maintenir le contact avec le centre dont il pourrait avoir besoin pour composer un gouvernement. Par ailleurs, Pierluigi Bersani veut éviter de tomber dans le piège berlusconien et refuse donc de faire des élections parlementaires un référendum sur Il Cavaliere. Bersani, modéré et peu charismatique, est également obligé de ne pas oublier la gauche sous la pression de son allié Gauche Ecologie et Liberté (SEL), emmené par Nichi Vendola, le Président de la région des Pouilles, et des critiques que lui porte le magistrat Antonio Ingroia qui est à la tête d’un regroupement des petits partis communistes, des Verts, de l’Italie des Valeurs de l’ex-juge Antonio Di Pietro et de divers mouvements civiques, qui occupe l’espace à gauche de la gauche. Résultat : la campagne de Bersani donne l’impression d’osciller et reste faible en contenu.
– 5. – Quel sera le poids du vote protestataire ? Celui-ci sera certainement très important. Parce que la surenchère de l’antipolitique est impressionnante, Berlusconi, Grillo et Ingroia rivalisant d’ingéniosité en la matière, chacun avec des arguments différents. Le cas de Grillo et de son Mouvement cinq étoiles est particulièrement intéressant. Ce comique prospère sur des thèmes faciles en vilipendant l’ensemble de la classe politique et l’Europe (il prône la sortie de l’euro et un référendum sur ce sujet) et tend la main à la gauche de la gauche comme à la droite dure. Son style de tribun truculent fait merveille, d’autant qu’il ne fréquente quasiment pas les studios de télévision, préférant organiser de grands meetings à travers tout le pays au cours desquels il harangue les foules rassemblées avec ferveur et verdeur, ce qui d’ailleurs lui assure une couverture médiatique et télévisuelle. Dans un pays excédé par les responsables politiques, méfiants envers les puissants, les diatribes de Grillo font mouche et pourraient se traduire par un résultat électoral élevé qui serait l’expression d’un vrai malaise politique. L’antipolitique de Grillo est transformée en ressource politique.

– 6. – Quelle majorité, quel gouvernement et quelles politiques ? Les scénarios sont relativement simples, conditionnés par l’offre politique mais aussi par le mode de scrutin. En effet, celui-ci ressemble à une roulette russe, combinant la proportionnel et des primes de majorité : pour simplifier des dispositions complexes, si, pour la Chambre des députés, la coalition arrivée en tête bénéficie d’une prime majoritaire qui lui donne 55% des sièges (qui devrait, normalement, cette fois-ci aller au PD et à ses alliés), au Sénat, cette prime est calculée sur une base régionale, ce qui fait que l’issue du scrutin dépendra des résultats dans quelques régions clefs comme la Lombardie, la Vénétie, les Pouilles, la Campanie et la Sicile. En d’autres termes, il n’est pas certain qu’une coalition, en l’occurrence celle du centre gauche de Bersani, puisse l’emporter dans les deux Chambres et gouverner seule. L’on pourrait alors se diriger soit vers un gouvernement de coalition (PD et centristes de Mario Monti), soit vers une situation inextricable et chaotique (une majorité claire à la Chambre des députés et pas de majorité au Sénat). Ce dernier scénario représenterait un imbroglio qui laisserait présager, à courte échéance, des élections anticipées ou alors le recours à un autre gouvernement technique. Un gouvernement du PD avec les centristes ne serait pas aisé à former (pour le moment, Nichi Vendola refuse l’idée de s’asseoir à la même table que Monti et l’ancien leader fasciste Gianfranco Fini) mais pourrait toutefois voir le jour. Il se fonderait sur quelques accords importants(en matière de politique économique et d’Europe) et quelques compromis coûteux pour chacun des participants (sur les politiques sociales, les réformes de société ou encore sur la répartition des postes, par exemple la présidence du Sénat). Mais cet exécutif risquerait de faire plus de la navigation à vue au jour le jour que de définir une véritable road map pour le futur, ce qui est pourtant nécessaire pour l’Italie

– 7. – Quels leaders émergent de la campagne ? Le scrutin est dominé par des personnalités très diverses mais dont la plupart sont des figures atypiques en politique. Silvio Berlusconi, 77 ans en septembre prochain, homme d’affaires devenu homme politique à l’origine d’un conflit d’intérêt jamais résolu et source de tensions permanentes et inquiétantes pour la démocratie italienne. Mario Monti, universitaire de 70 ans, expert international, technicien de haut vol. Beppe Grillo, 65 ans, un bouffon populiste et démagogue, Antonio Ingroia, 54 ans, un magistrat controversé, incarnation de la radicalité en politique. Enfin, deux hommes de parti, Pierluigi Bersani pour le PD et Roberto Maroni, pour la Ligue du Nord, respectivement âgés de 62 ans et de 58 ans. Au total, une moyenne d’âge de 64 ans pour les principaux candidats qui reflète bien la gérontocratie italienne. Cette rapide galerie de portraits montre combien la sélection de la classe politique n’est plus assurée comme dans la Première République par les organes traditionnels, en l’occurrence les partis politiques. En l’absence d’autres structures – des Schools of Government ont vu le jour mais sont encore trop récentes pour produire leurs effets –, les vocations politiques proviennent de différents secteurs de la société, avec un niveau de compétence très variable, allant de l’excellence au néant.

– 8. – Quelles perspectives pour l’Italie ? C’est là sans doute que le bât blesse de la façon la plus forte. La campagne, une nouvelle fois, a été dominée par les coups médiatiques, les controverses autour des petites phrases, les calculs tactiques, les débats sans fin sur l’IMU (la taxe d’habitation). Mais guère de grands projets par rapport aux défis colossaux que doit relever l’Italie: la croissance, la politique industrielle, les mesures à prendre en faveur des femmes et des jeunes, la recherche, l’éducation, le Mezzogiorno, la formation de la classe dirigeante, la démographie, l’immigration et la liste n’est pas exhaustive. De nouveau, la difficulté des principaux responsables à anticiper est criante. Enfin, et c’est un élément inédit et préoccupant, ces élections ont fait apparaître, de manière inédite, un vrai clivage sur l’Europe, les partisans de cette dernière, Mario Monti et Pierluigi Bersani, essuyant le feu des critiques d’Ingroia, de Grillo, de Berlusconi et de Maroni. Des critiques qui risquent d’accroître la défiance que manifestent désormais les Italiens, qui ont longtemps été des européistes enthousiastes et ardents, envers l’Europe. La démocratie parlementaire italienne dispose de ressources importantes et sans doute aura-t-elle les capacités, quel que soit leur résultat, de fonctionner correctement à l’issue des élections. Mais il lui reste à écrire un vrai récit pour l’avenir, ce qui ne sera pas une mince affaire.

Marc Lazar vient de publier Testing Italian democracy in Comparative European Politics, 18 février 2013.

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