Extraire, échanger, empêcher. La mise en ressource des milieux

 
A propos

En 1933, dans son étude des matières premières et de l’industrie, l’économiste Erich Zimmermann écrit “on ne naît pas ressource, on le devient” (Zimmermann 1933 :3). Ainsi est souligné le caractère dynamique de la ressource, s’affirmant comme action sur la matière plutôt que comme objet naturel. Presqu’un siècle plus tard, les travaux portant sur l’exploitation industrielle des matières fossiles et minérales (Mitchell 2013 ; Hecht 2016), du bois et des eaux (Casciarri & Van Aken, 2013 ; Lorrain & Poupeau 2014), ainsi que des ordres végétaux et animaux (Cronon 1983) révèlent la multiplicité des mécanismes par lesquels ce devenir ressource s’opère. Dès lors, cette approche constructiviste expose une tension centrale à la ressource, se faisant à la fois processus de désignation pour l’exploitation, à la fois résultat de ce processus. Nombre de travaux montrent également les violences par lesquelles se déploient ces opérations et celles qui en résultent : reconfigurations socio-économiques locales (Buu-Sao 2023), conflits armés (Dunlap 2019), prédations foncières (Hall, Hirsh & Murray Li 2011). L’objectif de ce séminaire est ainsi d’examiner les réseaux d’acteurs, les opérations et les contradictions par lesquels la ressource est formée et exploitée.

Les ordres juridique (formel ou non), politique, scientifique et technique occupent une place centrale dans l’exploitation des matières. Ils assurent la continuité de la chaîne de production depuis l’extraction jusqu’à l’utilisation, tout en stabilisant les séquences de transformation et d’échange (Richardson et Weszkalnys 2014 ; Oiry-Varacca et Tricoire 2016). A l’origine de cette vaste articulation se trouve toujours un espace physique qui, à l’aune du processus de mise en ressource, se voit lui aussi redéfinit en tant que support d’extraction - les enclaves minières en sont un exemple. Si nombre d’études décryptent cette chaîne opératoire de la ressource, plus rares sont celles liant cette chaîne au site d’extraction. L’ambition du séminaire est alors double : d’une part, il s’agira d’appréhender, à partir de différents terrains, les acteurs et les processus qui mènent la mise en ressource de matières et d’espaces. D’autre part, nous tenterons d’analyser les effets de la mise en ressource sur les relations sociales et politiques que des habitants entretiennent avec leur milieu.

Dans la lignée du mouvement d’étude des rapports entre nature et culture (Descola & Pálsson, 1996 ; Charbonnier 2015), ce séminaire considère l’environnement comme le résultat de relations entre des entités multiples. L’expression “milieu” est en ce sens préférée pour évoquer les espaces et les matérialités traversant les processus de mise en ressource. De cette façon, les mouvements relatifs aux droits de la nature et de l’environnement seront également abordés. Depuis les contextes dans lesquels la nature est un milieu commun où humains et non-humains ne sauraient être dissociés, jusqu’aux contextes dans lesquels elle est considérée dans une perspective globalisée comme un objet à “bien maîtriser” afin de remédier à la crise climatique, il s’agira d’interroger la façon dont ressources et milieux sont travaillés de façon réciproque (Chen & Gilmore 2015 ; Guha & Alier 1997).

Le séminaire vise donc à décrire de quelles manières les milieux et leurs matières sont mis en ressources, et à appréhender les effets (représentations, tensions, relations, etc.) qui émergent de ces processus. Les séances seront dédiées à la présentation de données de terrain ou d’études documentaires, selon une approche pluridisciplinaire et comparée, visant à multiplier les types de données, les outils conceptuels et les analyses. L’enjeu sera de saisir les points communs et les singularités des processus de mise en ressource à l’échelle internationale. 

La réflexion sera menée le long de trois axes. “Extraire”, premier axe, interroge les opérations et les acteurs par lesquels les matières et les milieux sont mis en ressource. Il s’intéresse également aux définitions et aux représentations qui émergent de ce processus.   “Échanger”, second axe, porte sur les espaces et les temps de transformation et d’échange de l’objet devenu ressource. Ces moments sont pensés dans leurs aspects matériels (le minéral devenant une pierre précieuse, par exemple) et idéels (la politisation, les représentations, etc, définissant à différents échanges l’image de l’objet). « Empêcher », dernier axe, s’intéresse aux multiples formes de contradiction au sein des processus de mise en ressource. L’enjeu est de porter le regard sur les mouvements sociaux d’opposition et sur les éléments environnementaux ou techniques altérant eux-mêmes la mise en ressource, ainsi que sur les violences générées par ces processus (prédations foncières, concurrences d’acteurs face à la capitalisation, violences économiques, armées, etc). Ainsi, sous les angles « extraire, échanger, empêcher », nous entendons déceler les mécanismes présidant la mise en ressource, tout en laissant le champ aux frictions (Tsing 2020) qui persistent ou émergent de ce mouvement.

Photo : Sud du Groenland, septembre 2019. Crédit : Pia Bailleul

Programme

Le séminaire a lieu de 10h30 à 12h30, en présentiel au CERI (Sciences Po), 28 rue des Saints-Pères, Paris 7e, salle S1 le troisième jeudi de chaque mois (dernier du mois de mars).

1er février 2024
Hugo d’Assenza-David. Doctorant au CERI sous la direction d'Eric Verdeil
Quantifier le métabolisme territorial : entre « statactivisme » environnemental et renforcement de la fonction d’intelligence gouvernementale. Le cas des analyses de flux de matières dans trois métropoles européennes

A partir de données qualitatives et d’une démarche en process tracing, cette contribution convoque la théorie des Policy Instrument Constituency (PIC) pour mettre en regard ces dynamiques d’innovation instrumentales à Glasgow, Amsterdam et Paris. Dans ces villes  pionnières pour leurs stratégies d’économie circulaire, les AFM (analyses de flux de matières) se sont taillées une place de choix dans le paysage institutionnel. L’émergence de ces instruments a été conditionnée, puis renforcée, par la structuration de réseaux d’acteurs scientifiques et techniques, producteurs et promoteurs de tels cadrages métrologiques. Ces « statactivistes » ont ainsi eu un rôle politique pour acculturer les acteurs et structurer un langage commun sur les enjeux relatifs au métabolisme territorial. Bien que ces dynamiques observent des caractéristiques propres à chaque ville, toutes semblent souligner le caractère crucial de fonctions d’intelligence spécifiques pour initier des stratégies d’économie circulaire, des signaux faibles pour la mise en œuvre de politiques biogéochimiques.

A partir de cette étude de cas, ce papier met en évidence le processus de changement politique induit par l’élaboration et à la mise en œuvre d’instruments de cadrage statistiques. Une approche par l’innovation dans la gouvernance permet de suivre la vie sociale du diagnostic, mettant en évidence l’action collective d’experts structurée par et pour celui-ci. Ce faisant, la comparaison des trajectoires d’innovation permet de rendre compte de ses effets propres, mettant le pouvoir de la statistique au service de la mise à l’agenda et du cadrage de politiques publiques nouvelles.


Photo : Les Grzimek au Serengeti (Tanganyika), 1957, crédit Guillaume Blanc

22 février 2024
Guillaume Blanc. MCF Université de Rennes 2
Arusha 1961. Quand le monde partait "sauver" la nature africaine

Le 5 septembre 1961, une centaine d’hommes se réunissent à Arusha, en Tanzanie, pour lancer le « Projet Spécial Africain ». Tous partagent la même ambition : « aider l’Afrique à sauver sa nature ». Mais parlent-ils tous de la même nature ? Pour raconter cette histoire qui débute dans les années 1950 et s’achève à la fin des années 1970, plutôt qu’un seul fil narratif, il semble plus utile d'observer quatre histoires parallèles et croisées : l’histoire de quatre groupes d’acteurs persuadés, chacun, de savoir à quoi l’Afrique devrait ressembler. De cette manière, on comprend comment la violence s’est perpétuée, par-delà les indépendances africaines, au nom de la défense de la nature.

28 mars 2024
Doris Buu-Sao. MCF Université de Lille
Construire la ressource minière à l’heure de la transition énergétique : les opérations de l’extraction verdie du cuivre andalou

3 mai 2024
10h-12h
CERI, 28 rue des Saints-Pères, Paris 7e, salle S1

En collaboration avec AIRE (atelier interdisciplinaire sur l'environnement) 

Thomas Perreault
Living with a dying lake: Rural precarity and the politics of climate change discourse in Bolivia

30 mai 2024
Richard Banégas. Professeur, Sciences Po (CERI)
"Avec eux, notre esprit a été éveillé". Luttes locales pour la redevabilité minière en Guinée

20 juin 2024
Kyra Grieco. Post-doctorante, EHESS (Mondes américains)
Titre à définir

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