Elections : la Belgique entre européennes, fédérales et régionales

16/05/2014

Catherine Xhardez et Astrid von Busekist

En Belgique, le vote est obligatoire. Et dimanche 25 mai, les Belges doivent voter. Le souvenir d’une crise politique inédite et d’une vie sans nouveau gouvernement pendant 540 jours est encore présent dans tous les esprits. L’échéance est en effet cruciale tant ce scrutin est porteur d’enjeux sensibles : il inaugure une configuration inédite qui est aussi la conséquence directe de la sixième et dernière grande réforme institutionnelle. Alors, qu’est-ce qui se joue exactement le 25 mai ?

Trois élections en une

Les scrutins sont multiples puisque trois types d’élections se dérouleront le même jour : européennes, fédérales et régionales.
C’est donc d’abord en tant qu’Européens que les Belges devront voter. En 2014, 21 députés représenteront la Belgique au Parlement européen sur la base de trois collèges électoraux. 12 sont élus par le collège électoral néerlandophone, 8 par le collège francophone et 1 par le collège germanophone. A Bruxelles, région bilingue, les citoyens auront la possibilité de choisir le collège auquel ils souhaitent rattacher leur vote.

Mais 2014 n’est pas une année habituelle. Les européennes se déroulent habituellement le même jour que les régionales, tandis que les fédérales, elles, ne devaient au départ être organisées que le 20 juillet. Pour éviter deux déplacements aux électeurs, le législateur a donc décidé de fusionner les dates. Or trois élections en une, à un moment où toute l’attention citoyenne et médiatique est focalisée sur les affaires domestiques, relègue encore un peu plus les européennes à l’arrière plan.
Ensuite, les électeurs devront élire leurs représentants pour le niveau fédéral. En l’occurrence, il s’agira de désigner les nouveaux membres de la Chambre des représentants et non les sénateurs car le Sénat est maintenant constitué de manière indirecte (voir point 2). En Belgique, la Chambre est composée de 150 députés, élus directement en un seul tour à la proportionnelle, dans onze circonscriptions électorales, pour une période de cinq ans  (contre quatre auparavant) ; à moins, bien entendu, que la Chambre ne soit dissoute avant la fin de la législature – comme ce fut le cas en avril 2010. Les dernières élections avaient consacré deux formations politiques aux antipodes l’une de l’autre : le parti nationaliste de Bart De Wever, la Nouvelle alliance flamande (N-VA), avait remporté 27 sièges du côté flamand et le Parti socialiste (PS) d’Elio Di Rupo obtenu 26 sièges du côté francophone. La suite est connue : 540 jours de crise (voir point 3).
Les citoyens devront enfin renouveler les cinq assemblées régionales et/ou communautaires du pays. Il s’agit donc d’élire, selon leur lieu de résidence, et pour cinq ans :

•    En Flandre : 124 députés au Parlement flamand  ;
•    En Wallonie : 75 députés au Parlement wallon (qui siègeront également au sein du Parlement de la Communauté française) ;
•    À Bruxelles : 89 députés au Parlement bruxellois. Ceux-ci seront élus par deux collèges différents (les Bruxellois choisiront ainsi leur collège linguistique) : 72 pour le collège francophone (parmi lesquels 19 siègeront également au Parlement de la Communauté française pour représenter Bruxelles) et 17 pour le collège néerlandophone ;
•    Dans les cantons germanophones : 25 députés au Parlement de la Communauté germanophone de Belgique.

Dans une Belgique fédérale marquée par un transfert de compétences toujours plus important, les entités fédérées possèdent un pouvoir croissant. Ces élections sont donc capitales et certains responsables politiques ont évoqué la possibilité de constituer des majorités « miroirs » entre les niveaux fédéral et régional. Il est en effet séduisant de pouvoir s’appuyer sur les mêmes majorités, améliorer la collaboration et nourrir le dialogue, mais cela risque, a contrario, de fortement compliquer la formation des gouvernements régionaux. Car il est probable que les majorités régionales seront formées plus rapidement que les majorités fédérales ; les partis des deux communautés linguistiques doivent en effet s’entendre pour ce faire et la N-VA pourrait utiliser son poids politique pour bloquer la formation d’un gouvernement si les avancées vers l’autonomie flamande ne lui paraissent pas satisfaisantes.

De nouvelles règles

Les règles du jeu ont changé, en particulier en ce qui concerne le Sénat et l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
D’une part, la Chambre haute ne sera plus élue au suffrage direct : la sixième Réforme de l’Etat a profondément modifié l’organisation du Sénat en le transformant en un lieu de rencontre entre Communautés et Régions. Il comptera désormais soixante membres : cinquante seront issus des entités fédérées (régions ou communautés) et dix seront cooptés. La répartition pour les entités fédérées sera la suivante :

•    29 sénateurs seront désignés par le Parlement flamand ;
•    10 par le Parlement de la Communauté française ;
•    8 par le Parlement wallon ;
•    2 par le groupe linguistique français du Parlement bruxellois ;
•    1 sénateur par le Parlement de la Communauté germanophone.

Les dix sénateurs cooptés (quatre francophones et six néerlandophones) seront désignés sur la base du résultat des élections à la Chambre. Il s’agit donc d’une réforme profonde de la composition et des compétences du Sénat qui s’apparente désormais à une chambre de réflexion.
La fin de l’élection directe transforme en profondeur les modalités de la campagne électorale. Le corps des électeurs aux sénatoriales était auparavant divisé en deux collèges électoraux (comme pour les élections au Parlement européen). Les « grands » candidats faisaient ainsi campagne sur un territoire bien plus vaste que les circonscriptions de la Chambre et des Régions et devaient présenter un programme pertinent pour l’ensemble de leur partie du pays. La fin des élections sénatoriales signe donc la disparition d’une aire géographique de campagne. Les politologues comme les citoyens débattent des problèmes inhérents à ce découpage électoral, et scrutent en particulier la fin annoncée du dialogue Nord-Sud : les politiques ne font plus campagne que d’un côté de la frontière linguistique et à l’intérieur de la seule circonscription du candidat. L’espace de dialogue s’est considérablement réduit.

On aurait pu imaginer de créer une circonscription fédérale unique  où une partie des députés fédéraux auraient été élus par l’ensemble des électeurs belges. Cette solution aurait permis d’intéresser tous les Belges à ce qui se décide dans l’ensemble du pays et créé un espace de débat décloisonné entre hommes et femmes politiques du Nord et du Sud du pays. Une commission parlementaire mixte (Chambre et Sénat) a débattu de ce projet, mais celui-ci n’a pour l’heure pas abouti pour cette échéance. Peut-être pour la prochaine législature ?
Enfin, et sans entrer dans les détails d’un dossier très complexe, l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde a été scindé et les arrondissements électoraux entourant Bruxelles redessinés. Ce dossier, qui était à l’origine de la chute du gouvernement d’Yves Leterme en 2010, était l’un des plus controversés de l’histoire récente du pays. Ces arrondissements, pertinents pour les élections à la Chambre comme pour les européennes, sont désormais au nombre de trois : le Brabant wallon, le Brabant flamand et Bruxelles (limitée au territoire des 19 communes). Dans l’arrondissement du Brabant flamand, les électeurs des six communes « à facilités linguistiques » qui entourent Bruxelles , à savoir celles situées en territoire flamand mais majoritairement peuplées de francophones, pourront voter pour une liste de la circonscription de Bruxelles ou pour une liste du Brabant flamand. La chose est devenue impossible pour les autres communes flamandes de la périphérie qui ne peuvent plus voter pour les listes bruxelloises des partis francophones.Il aurait été possible d’envisager que les partis francophones  puissent déposer une ou des listes francophones dans le Brabant flamand, mais étonnamment, cette option n'a pas été retenue. En conséquence, les citoyens francophones du Brabant flamand ne peuvent pas voter pour des candidats francophones le 25 mai. A l'exception des six communes à facilités, les partis francophones auraient-ils définitivement renoncé aux électeurs de la périphérie ?

Une mémoire de crise

Le souvenir douloureux des 540 jours de crise est encore dans tous les esprits. À la suite des élections fédérales du 13 juin 2010, la Belgique avait battu le record de la plus longue crise politique du monde, un scénario made in Belgium tristement célèbre qui avait pris fin le 1er décembre 2011 avec la constitution d’un gouvernement   formé, du côté francophone, par les socialistes, les libéraux (MR), les humanistes (cdH) et, du côté flamand, par les sociaux chrétiens (CD&V), les libéraux (Open-Vld) et les socialistes (sp.a). Le nouvel exécutif est dirigé par le socialiste Elio Di Rupo. Grande gagnante des élections de 2010, la N-VA avait été boutée hors du gouvernement à l’issue de négociations particulièrement houleuses. La formation nationaliste a, tout au long de la législature, été une opposante particulièrement agressive à l’encontre du Parti socialiste et notamment d’Elio Di Rupo. Le début de la campagne 2014 s’est déroulé dans ce même climat, pourtant paradoxal puisque les deux formations ne sont concurrentes ni dans leur électorat ni dans leur recrutement.

Au sein de l’exécutif régional flamand, la N-VA avait une position ambiguë : « aux affaires » car alliée du CD&V mais opposante au fédéral. Du côté francophone, les coalitions dirigeantes  étaient identiques à Bruxelles et en Wallonie (les « oliviers » : PS, Ecolo, cdH), mais différentes du niveau fédéral. Les écologistes étaient eux aussi dans une position asymétrique : au pouvoir au niveau régional mais dans l’opposition au fédéral. L'inquiétude, tant parmi les responsables politiques que chez les citoyens, relayée par les médias et de nombreux débats, d'une nouvelle crise communautaire qui ferait suite à une victoire électorale de la N-VA est par conséquent un élément important de la campagne de 2014.

A l’approche du scrutin les sondages montrent deux tendances fortes et constantes depuis plusieurs mois. Tout d’abord, malgré l’autonomie flamande confirmée et accrue par la sixième réforme de l’État et négociée sans les nationalistes, ceux-ci restent en tête en Flandre (30% des intentions de votes). Le gouvernement fédéral (notamment les partis flamands, qui ne représentent pourtant pas la majorité des élus néerlandophones) voulait montrer qu'il était possible de réformer l'Etat et de mener les réformes socio-économiques qu’espéraient les Flamands malgré la non participation de la N-VA à la coalition. D’après les dernières enquêtes d’opinion, le parti de Bart De Wever ne sort pourtant pas réellement affaibli de cette cure d’opposition malgré les avancées institutionnelles importantes.
Ensuite, les sondages font mention de la percée, surtout du côté francophone, de plus petits partis plus radicaux, à l'extrême gauche (PTB-GO! ) ou proches de l'extrême droite (Parti populaire). Ces formations avaient presque totalement disparu des enceintes parlementaires francophones depuis 2009 (au Parlement wallon, parmi les élus francophones de la Chambre et du Parlement bruxellois), contrairement à ce que l’on peutobserver dans d’autres pays européens. Cette disparition n'aura peut-être duré qu'une seule législature et la montée des partis radicaux constitue évidemment une menace sérieuse pour les formations traditionnelles. Malgré le seuil électoral de 5%, il est probable que ces formations (re)fassent leur entrée au sein de plusieurs parlements.


Tous les partis l'ont annoncé : la prochaine législature ne doit pas engager une nouvelle réforme de l'Etat, mais se concentrer sur les problèmes socio-économiques. La preuve en est que les articles de la Constitution permettant la réforme de l'Etat n'ont pas été « ouverts à révision » par le gouvernement sortant (ce qui empêche la modification de ces articles et la mise en place de nouveaux mécanismes institutionnels).
Nul doute qu’en raison des nombreux changements institutionnels, le souvenir funeste des 540 jours et la présence d’acteurs radicaux ou nationalistes, les élections belges seront l’objet de toutes les attentions au soir du 25 mai.

Deux conseils de lecture et de visionnage :
•    Astrid von Busekist (dir.), Singulière Belgique, Paris, Fayard, 2012.
•    Oui mais non, le compromis à la belge de Marie Mandy, 77 minutes - HDCam - stereo - VO sst NL – 2014, qui sera diffusé sur ARTE le 27 mai 2014 et sur RTBF le 28 mai 2014.


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