La Turquie après les élections de juin et de novembre 2015

Bayram Balci

04/2016

Cela faisait bien longtemps que dans l’histoire de la République turque le pays n’avait pas connu deux élections aussi rapprochées dans le temps, et dans un contexte local et régional aussi tendu. En effet, alors que dans les années 1980 et 1990 le pays était dirigé par des gouvernements de coalition dont la durée de vie, éphémère, provoquait de fréquentes élections anticipées, la décennie AKP avait habitué la Turquie à des élections régulières, tenues dans des échéances normales. Résultat et conséquences de ces tests électoraux « normaux », le pays vivait dans une certaine stabilité.

Or, le pays est entré dans une nouvelle phase avec le scrutin de juin 2015. Du fait des tensions régionales et de la polarisation de la société turque — une des conséquences, notamment les multiples impacts de la crise syrienne — le parti AKP, habitué à des triomphes électoraux, a subi un revers électoral relatif. Bien que l’AKP reste la première force politique du pays, avec 40 % des voix, il n’a pas été en mesure de former seul un gouvernement au lendemain du scrutin. Plusieurs facteurs permettraient d’expliquer cet échec relatif du parti AKP mais, dans toutes ces explications l’élément kurde occupe une place considérable. En Effet, c’est le score historique du HDP, le parti pro kurde (13 %), qui a mis fin à cette longue série de victoires électorales de l’AKP qui a pour ainsi dire connu un recul considérable dans les provinces à majorité kurde. Puis, parce que l’AKP et les partis de l’opposition — les deux camps se rejetant la responsabilité — se sont refusés à former un gouvernement de coalition, de nouvelles élections ont été organisées le 1er novembre 2015. Les résultats, cette fois, ont été nettement différents, et l’AKP a gagné près de 50 % des voix.

Que s’est-t-il passé pendant ces quatre mois pour que l’AKP et son chef Erdogan, pourtant de plus en plus contestés et impopulaires, renversent la tendance et retrouvent une confortable majorité parlementaire qui leur permette de former seul un gouvernement ? Pour quelles raisons l’électorat turc est-il redevenu pro AKP en l’espace de quelques mois ? Mais surtout, quelle a été la stratégie électorale du parti AKP pour diviser davantage l’opposition et recueillir des voix là où elles étaient aisées à prendre, pour redevenir la première force politique du pays? Quelles seront les conséquences de ces élections de novembre 2015, en matière de politique intérieure et dans le rôle de la Turquie dans les tensions régionales ? Telles sont les principales questions auxquelles le présent dossier tentera d’apporter des réponses. Pour nous limiter à l’essentiel, nous avons choisi de traiter quatre dimensions cruciales de la nouvelle dynamique turque du pouvoir qui se met en place depuis que l’AKP a retrouvé les rênes du pouvoir.

Premièrement, pour mieux comprendre ces deux élections et les mettre dans le contexte du système politique turc depuis la fondation de la République, on lira avec intérêt le travail de Benjamin Gourisse qui insiste sur le caractère normal et prévisible des résultats des élections du mois de novembre 2015. Il démontre comment « la victoire de l’AKP vient d’abord attester de la prégnance du vote conservateur dans le pays. Mais elle confirme surtout cette loi d’airain de la vie politique turque : une fois aux affaires, un parti ayant réussi à former seul un gouvernement majoritaire ne perd plus d’élections, parce qu’il s’approprie de façon massive les institutions et les ressources de l’Etat afin d’assurer la reproduction de ses positions de pouvoir ».

Deuxièmement, la question kurde, si cruciale et qui détermine presque à elle seule l’agenda politique intérieur et régional du gouvernement, sera abordée dans l’article de Yohanan Benhaim. L’auteur nous apportera son éclairage, en insistant sur les corrélations et les interdépendances de l’espace politique kurde en Turquie, Irak et Syrie.

L’analyse de Jana Jabbour porte, elle, sur un sujet décisif pour l’AKP : depuis son arrivée au pouvoir, l’AKP a en effet considérablement placé les bonnes relations entre la Turquie et le monde arabe, et musulman, au centre de ses priorités. Comment la Turquie s’est-elle trouvée des relais dans le monde arabe ? Comment ces relais réagissent-ils face aux difficultés dans lesquelles se trouve la Turquie depuis l’émergence de la crise syrienne ?

Enfin, pour ce qui est de l’impact général de ces élections sur l’ensemble de la politique extérieure de la Turquie, nous bénéficierions de l’expertise de Sinan Ülgen, à la fois acteur et observateur de la diplomatie truque, (l’auteur est en effet non-seulement diplomate de carrière, mais aussi analyste de renom, directeur fondateur d’EDAM, le Center for Economics and Foreign Policy Studies un think-tank basé à Ankara) et de Doruk Ergun, chercheur à l’EDAM.

Retour en haut de page