Arts et études internationales : regards croisés

L’été étant là, et les vacances déjà entamées pour les plus chanceux, cet édito se veut plus léger que d’habitude. Moins directement centré sur les tensions du monde, il est l’occasion de revenir sur une année particulièrement riche en projets et en réflexions autour des liens entre les arts, les humanités et la compréhension de l’international.
En effet, parallèlement aux méthodes de distanciation et d’objectivation qui fondent la rigueur académique, le CERI mène une réflexion et des projets qui visent à intégrer dans le travail de recherche la part d’émotion et de passion qui l’anime. Cela suppose de s’ouvrir à d’autres formes d’écriture, à d’autres sensibilités et aussi à d’autres publics, notamment à travers un dialogue fécond avec les arts et les humanités. En ce début d’été, synonyme de vacances pour les plus chanceux, nous souhaitons revenir sur quelques moments marquants d’une année particulièrement riche sur ce front. Un grand merci à Miriam Périer, responsable de la valorisation scientifique, pour son rôle décisif dans tous ces projets.
Après un premier rendez-vous très réussi en novembre 2024 avec notre festival de cinéma à L’Entrepôt (Paris 14e), consacré aux “jeunesses du monde”, nous avons choisi de lancer un ciné-club mensuel, en partenariat avec ce cinéma indépendant remarquable, dirigé par une programmatrice inventive, elle aussi passionnée par les sciences sociales. Chaque premier mardi du mois, depuis janvier, le CERI propose un film, fiction ou documentaire, suivi d’un échange avec le public, nourri par un éclairage savant mais jamais professoral. Chaque séance est l’occasion d’un dialogue fort entre images et raison, exploration sensible et savoir critique.
Petit retour sur quelques temps forts du CERI/Entrepôt ciné-club. Nous avons inauguré le cycle avec All We Imagine As Light, plongée dans la vie de trois infirmières à Mumbai, et, à travers elles, dans la société intergénérationnelle des femmes indiennes, présentée par Christophe Jaffrelot. En février, Interceptés nous a saisis au cœur de la guerre russo-ukrainienne, en présence de Kathy Rousselet et Ioulia Shukan. En mars, changement de continent mais non de registre : Je suis toujours là, récit de mémoire familiale sous la dictature militaire brésilienne dans les années 1970, a suscité un débat riche, animé par Olivier Dabène et plusieurs chercheurs brésiliens invités au CERI. En avril, Les lueurs d’Aden nous a fait pénétrer l’intimité d’un couple yéménite, éclairée par les analyses précieuses de Laurent Bonnefoy, alors que l’on marquait le triste dixième anniversaire de la guerre au Yémen. En mai, Le Trésor de Corneliu Porumboiu a guidé une exploration tout en finesse des mémoires enfouies à Bucarest, grâce au regard d’Antonela Capelle-Pogăcean. Enfin, nous avons projeté Dahomey de Mati Diop, saisissant documentaire-fiction sur la restitution des œuvres d’art béninoises. La discussion, animée par Androula Michael, historienne de l’art en résidence au laboratoire, et Jean-Michel Frodon, critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po, fut très éclairante sur un sujet trop peu connu.
Le ciné-club du CERI poursuivra son chemin à partir du mois d’octobre. La nouvelle programmation s’inscrit dans la continuité : faire dialoguer recherche fondamentale, créativité artistique et publics pluriels, avec aussi l’espoir de guider une jeune génération étudiante et citoyenne vers les salles de cinéma. En novembre, nous retrouverons notre festival annuel, qui portera cette année le titre Les yeux rivés sur la terre !, entièrement consacré aux bouleversements climatiques et à leurs représentations filmiques.
Mais le cinéma n’est pas notre seul terrain d’expérimentation artistique. Inspirés par cette phrase d’Henri Cartier-Bresson : « Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur », nous avons également lancé un concours de photographies sur nos terrains d’enquête, en écho à une tradition profondément ancrée au CERI. Il convient également de mettre en lumière la journée d’études organisée de concert avec l’Heritage International Institute sur le thème : “Protection of Cultural Heritage in a Turbulent World”. Une conférence orchestrée par Frédéric Ramel, animée par la volonté de faire dialoguer les regards croisés d’universitaires et de praticiens autour des dynamiques récentes en matière de protection du patrimoine culturel, qu’il soit matériel ou immatériel. S’appuyant sur une richesse d’études de cas et de témoignages d’expériences variés, cette conférence a offert un éclairage précieux sur les conditions, souvent complexes, dans lesquelles cette protection est aujourd’hui assurée dans le contexte international conflictuel actuel.
Organisée en novembre dernier par la Maison des Arts & de la Création de Sciences Po et la Fondation Croix-Rouge française, en collaboration avec Frédéric Ramel et le Festival Haizebegi, la table ronde “Musique et droit international humanitaire” a offert un moment d'une grande intensité. À l’occasion des 160 ans de la Croix-Rouge française et des 75 ans des conventions de Genève, chercheurs, musiciens et humanitaires ont esquissé les contours d’un dialogue inattendu : celui de l’art et du droit face aux souffrances des conflits. En écho, l’exposition « Tuning In, Acoustique de l’émotion » a rappelé combien les archives sonores peuvent incarner la mémoire d’un engagement humanitaire.
Enfin, à la rentrée, un nouveau séminaire de recherche intitulé Arts, humanités et sciences sociales de l’international verra le jour. Il sera un espace d’exploration et de mise en partage. Vous y êtes toutes et tous les bienvenus pour explorer la compréhension du monde tel qu’il dysfonctionne et à défaut de pouvoir le changer, le regarder autrement : avec lucidité et humanisme.
Bel été à chacune et chacun d’entre vous,
Stéphanie Balme
Directrice
Photo : Collages réalisés à partir de chutes de bois et de cuir par Fariba Adelkhah.