Allemagne : la victoire annoncée d'Angela Merkel ?

18/09/2017

Après la série de scrutins à fort suspense de ces derniers mois, du Brexit à l’élection de Trump en passant par les élections en France, la campagne électorale en Allemagne peut paraître bien terne.


Une campagne sans suspense

Après un départ en flèche, la campagne du challenger Martin Schulz (SPD) s’est brutalement essoufflée et deux semaines avant le scrutin du 24 septembre on voit mal ce qui pourrait empêcher Angela Merkel de remporter un quatrième mandat. Pour la troisième fois consécutive son art consommé de neutraliser ses adversaires et leurs thèmes de campagne produit ses effets. Que la population allemande ne soit guère d’humeur aventureuse après la décennie passée (crise économique et financière de 2008, crise de la dette européenne) mais surtout après l’arrivée de près d’un million de réfugiés entre l’été 2015 et le printemps 2016 ne doit pas étonner. Quoi de plus légitime que cette aspiration à une stabilité qui permette, entre autres, de s’atteler au défi sociétal que représente leur intégration ? La chancelière ne s’y trompe pas, qui fonde sa campagne sur son "vous me connaissez" (Sie kennen mich) laissant autant que faire se peut dans le vague son programme électoral qui est tout entier contenu dans sa personne et dans la capacité dont elle a fait preuve jusqu’ici à gérer le pays en temps de crise. Face à elle, les arguments du SPD et de son leader Martin Schulz font bien pâle figure. Les deux grands partis sont trop proches pour que le SPD puisse offrir l’image d’une véritable politique alternative à une CDU qu’Angela Merkel n’a cessé de verdir et de rosir. Schulz, pour des raisons structurelles, ne peut attaquer la chancelière sur la question des réfugiés et de l’immigration. En effet, il a défendu la politique de la chancelière et d’autre part, une telle attaque ne peut se faire que sur sa droite. Enfin, il est difficile de proposer sur le sujet des solutions efficaces, simples et rapides. 

Quatre petits partis au coude à coude 

Les enjeux de la campagne se situent au delà du résultat des sociaux-démocrates. L’essentiel se joue au niveau de la troisième place que briguent quatre petits partis, de l’extrême droite à l’extrême gauche du spectre politique, qui tous se situent dans un mouchoir de poche (entre 8% et 10% d’intentions de vote). Le Parti de gauche, dont les bastions se situent toujours en Allemagne de l’Est, a de fortes chances de rester cantonné dans son rôle d’opposition radicale pour de simples raisons arithmétiques : les résultats du SPD seront trop faibles pour qu’une coalition y compris rouge, rouge, verte (SPD, Parti de gauche, Verts) n’obtienne la majorité absolue des voix au Bundestag. A l’extrémité opposée, l’Alternative pour l’Allemagne, parti de droite radicale, capitalise sur le mécontentement populaire face à l’arrivée des réfugiés. Il pourrait faire son entrée au Bundestag bien que très divisé et en manque de leadership crédible depuis que Frauke Petry a été mise à l’écart.

Les Verts et le Parti libéral quant à eux, se livrent une bataille à fronts renversés. Les premiers semblent aujourd’hui bien assagis et font office d’establishment. En d’autres temps, un scandale du type "Dieselgate", à quelques mois des élections, aurait été pain béni pour ce parti. Les Verts se montrent étonnamment peu désireux d’intensifier le débat sur le sujet et ce essentiellement par égard pour leur champion, Winfried Kretschmann, Ministre Président du Bade-Wurtemberg. Dans ce Land, berceau de l’industrie automobile, la coalition verte-noire est le produit d’une volonté de pouvoir des Verts, très attentifs à ne pas heurter les intérêts des grands entreprises locales comme Daimler, Porsche, Bosch ou ZK. Jusqu’à présent aucune solution innovante en matière de mobilité n’a émané de ce bastion des Verts, pas davantage que la coalition verte noire n’a mis en œuvre des solutions alternatives au tout automobile. Ironie du sort, c’est au Parti libéral que revient le rôle de trublion.Conquérant, à l’image d’un Emmanuel Macron en France, son jeune chef, Christian Lindner promet de s’attaquer aux réformes avec dynamisme en faisant fi des pesanteurs structurelles allemandes. 

Quelle coalition ? 

Malgré un bilan globalement positif (une croissance bien supérieure à la moyenne européenne, des recettes d’impôts records, un recul de la dette, une baisse du taux de chômage à 5,7%, une croissance des revenus par la mise en œuvre du salaire minimum, des dépenses pour l’enseignement et le supérieur en augmentation, etc.) une troisième mouture de la grande coalition paraît hautement improbable. Celle-ci est par essence étrangère au système politique allemand et il n’est pas absurde de lui imputer en grande partie la responsabilité des succès de l’Alternative pour l’Allemagne. Le besoin d’une opposition digne de ce nom se fait sentir. Il faudrait véritablement un échec patent de toutes les autres options pour convaincre le SPD de s’engager une nouvelle fois aux côtés d’Angela Merkel. 


Restent donc les jeux de couleurs suivants : 

- Noir-vert (soit CDU/CSU et Verts). Pratiquée en Hesse où elle fonctionne étonnamment bien, cette formule aurait l’avantage de permettre à la chancelière de poursuivre sa politique très centriste et teintée d’écologie. En outre les Verts disposent d’un personnel politique formé et très motivé pour accéder au pouvoir au niveau fédéral. 

- La deuxième formule, noir-jaune (CDU/CSU et FDP) est un grand classique de la politique allemande. Sa dernière mouture (2009-2013) a laissé le mauvais souvenir d’une politique clientéliste et d’une incapacité à mettre en œuvre des réformes sérieuses. Elle a débouché sur l’élimination du FDP du Bundestag – une première dans l’histoire de l’Allemagne. Cette option signifierait en réalité un changement assez radical. Sur le plan intérieur elle promet la liquidation de tout le verdissement insufflé par Merkel et probablement aussi une attitude plus intransigeante envers les réfugiés. Sur le plan international, elle devrait déboucher sur une politique plus conciliante à l’égard de la Russie, souhait du FDP. L’entrée très probable de l’Alternative pour l’Allemagne au Bundestag risque toutefois de rendre les spéculations sur une coalition à deux partenaires obsolètes. Reste la coalition dite Jamaïque (CDU/CSU-FDP-Verts) en référence aux couleurs du drapeau jamaïcain noir/jaune/vert. Celle-ci reste difficile à imaginer tant les libéraux et les Verts sont diamétralement opposés sur les dossiers tels que l’immigration ou la politique énergétique. 

La société allemande est plus polarisée que jamais mais les mécontentements s’expriment sur le web, dans la rue, et parfois de manière violente. En témoignent les manifestations de haine d’une virulence et d’une ampleur jusque-là inconnues auxquelles la chancelière est confrontée lors de ses apparitions publiques. On peut attribuer ce rejet à un effet grande coalition qui laisse beaucoup de place à droite de la CDU. A l’image du débat Schulz-Merkel (duo plus que duel), les grands partis donnent assez largement l’impression de passer à côté des préoccupations des Allemands (transports, infrastructures, logement, retraites, éducation et sécurité, mais surtout immigration). On peut aussi imputer ce rejet à l’attitude ambivalente de la population allemande partagée entre d’une part le sentiment que leur pays est un îlot de sécurité et de bien-être dans un monde difficile que seule le calme, la mesure et l’expérience d’Angela Merkel sauront protéger et d’autre part, le sentiment que tout part à vau-l’eau en Allemagne qui connaît des problèmes d’identité, de sécurité (physique et culturelle), de paupérisation dont précisément la politique de la chancelière serait la cause. A l’issue des élections du 24 septembre, il est donc peu probable que les tensions s’apaisent.

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