Palestine : un olivier de Noël contre l’occupation

Auteur(s): 

Xavier Guignard, doctorant au CESSP —Paris 1
Camille Lévy, étudiante à PSIA—Sciences Po Paris

Date de publication: 
Décembre 2017
Illustration

La cérémonie de l’illumination du sapin de Noël à Bethléem, ville de la Nativité, est un véritable événement politique palestinien. Les élus locaux et nationaux viennent marquer leur attachement à la minorité chrétienne de plus en plus restreinte, et sujette à une émigration continue depuis les années 1940. Cette année, cette cérémonie fut également l’occasion de dénoncer la décision étatsunienne de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Au côté du traditionnel sapin de Noël, une association chrétienne a érigé un “olivier de Noël” pour dénoncer les violences israéliennes, rappelant que les représentants des quelque 50000 chrétiens palestiniens des Territoires, répartis en une myriade de communautés, sont des acteurs politiques centraux de la lutte contre l’occupation. Camille Levy et Xavier Guignard, deux jeunes chercheurs travaillant sur les dynamiques politiques et identitaires en Palestine, décryptent cet « arbre de Noël » pas comme les autres.

Chaque année en décembre, l’illumination du sapin de Noël de Bethléem est l’occasion pour les Palestiniens de réunir un cortège de diplomates étrangers devant lesquels viennent s’exprimer leurs autorités politiques, dont le Premier ministre Rami Hamdallah. Cette année, la reconnaissance de Jérusalem par les Etats-Unis comme capitale d’Israël, qui n’était encore qu’une rumeur au moment de la célébration, était au cœur de leurs discours. Lorsque les Etats-Unis ont rendu publique leur position le 6 décembre 2017, la municipalité de Bethléem a décidé d’éteindre les illuminations de Noël durant trois jours en signe de protestation. Dans un contexte de divisions internes fortes, en particulier entre communautés catholique et grecque orthodoxe, les représentants religieux chrétiens de Palestine se sont unis pour dénoncer la décision américaine et transmettre un message de paix à la communauté internationale. Ils entendent, aussi, déconstruire la vision occidentale d’un continuum identitaire entre chrétiens arabes (« orientaux ») et occidentaux.

Si le spectre des persécutions régionales a légèrement redéfini leurs lignes d’identification, l’élément national arabe et palestinien continue de primer pour les chrétiens de Palestine, dont les représentants jouent un rôle central dans la construction du discours national à travers une mobilisation politique et culturelle majeure. Ainsi, les célébrations de 2017 ont vu apparaître un arbre de Noël éminemment politique : l’olivier de Noël érigé par la Holy Land Christian Ecumenical Foundation (HCEF), symbole d’une contestation pacifique de la colonisation israélienne. Fondée en 1998 par Rateb Rabie, Palestinien de Jordanie vivant aux États-Unis, la HCEF s’inscrit dans le paysage associatif chrétien en Palestine et souligne l’existence de liens de solidarité entre Palestiniens de la diaspora et des Territoires. Leur combat cible également le sionisme chrétien évangélique, dont l’annonce du Président Donald Trump a marqué une victoire. L’association est à l’origine de la construction du musée de Bethléem, dédié à l’histoire des chrétiens en Terre sainte et à leur rôle dans la construction de la culture et de la nation palestiniennes. C’est devant ce musée que se trouve l’olivier de Noël dont les décorations sont exclusivement constituées de munitions et de grenades de gaz lacrymogène israéliennes.

Le choix d’un olivier comme arbre de Noël est éminemment symbolique. Brandi par les chrétiens en souvenir de l’entrée du Christ à Jérusalem, le rameau d’olivier est devenu un emblème universel de paix. Cet arbre incarne aussi le coût de l’occupation israélienne : plus de 800 000 oliviers ont été déracinés depuis l’occupation des Territoires en 1967, afin d’ouvrir les routes réservées aux colons, s'approprier des terres ou éloigner les paysans palestiniens de leurs champs. En choisissant un olivier comme arbre de Noël, les Palestiniens de Bethléem font également le choix d’un arbre indigène qui porte l’idée d’authenticité chère aux chrétiens palestiniens. À travers ce symbole, ils rappellent les racines moyen-orientales du christianisme.

Située à 10 kilomètres de Jérusalem, Bethléem en est séparée par le Mur et des colonies israéliennes qui réduisent drastiquement la mobilité de ses habitants vers Jérusalem-Est ou le reste de la Cisjordanie. La ville, qui compte près de 32 000 habitants et plus de 16 000 réfugiés, est régulièrement le lieu d’affrontements entre population civile et armée israélienne. L’olivier de Noël entend célébrer, à sa façon, la résistance civile non violente et dénoncer la répression israélienne. L’usage symbolique de l’arbre de Noël est révélateur de l’engagement politique des Palestiniens chrétiens, qui ont largement participé à la construction du mouvement national palestinien, dans la lignée de figures emblématiques telles qu’Edward Saïd, Emile Habibi, Georges Habache, Mahmoud Darwich ou Azmi Bishara. Par-delà le discours de peur véhiculé autour de la montée du sectarisme sunnite dans la région, l’attitude des Palestiniens chrétiens porte toujours en elle les plaies de la Nakba1 (« catastrophe ») et de l’occupation, faisant fi des considérations sectaires dans la construction d’un projet national commun.

  • 1. Ce terme désigne l’exil forcé de près de 800 000 Palestiniens au moment de la création d’Israël (1948).
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