Intervenir au Mali ?

25/10/2012

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Après des mois de tergiversations, le président Hollande a donc décidé de soutenir une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine, encadrée par une résolution (2071) du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il faut saluer cette décision prise à un moment difficile où la vie d’otages français est en jeu comme celle de Maliens otages eux d’un conflit qui les dépasse aujourd’hui. Affirmer cela n’implique en aucune manière de taire de nombreuses interrogations sur les non-dits et les risques de ce qui pourrait se réduire à une aventure militaire de plus sur le continent africain, même si nous dit-on les Africains en seront les seuls acteurs…

D’abord, il faudra que l’Etat français (ainsi que son allié américain) fasse le bilan de son aveuglement durable sur les années qui ont précédé la crise : la célébration de la trop fameuse démocratie malienne et la coopération militaire avec ce pays ont trop duré pour qu’on puisse accepter l’apparente surprise du printemps 2012 où deux tiers du pays ont été conquis sans résistance de l’armée malienne et la démocratie réduite aux acquêts par un mouvement de colère de jeunes officiers. Si rénovation de notre diplomatie et de notre appareil militaire il doit y avoir, elle passe par un sursaut d’esprit critique et le refus des avantages acquis des uns et des autres.

Ensuite, il faudra que le gouvernement français, l’Union européenne et les acteurs internationaux ne cèdent pas à la facilité dans la mise en œuvre des conditions politiques d’une telle intervention. La crise malienne se joue paradoxalement d’abord à Bamako dans la mise à l’écart de putschistes avides de tirer des avantages matériels de la confusion actuelle plutôt que de restaurer l’unité nationale, ensuite dans une classe politique trop habituée à des compromis sur le dos d’une population impuissante et dénuée de canaux d’expression, enfin dans une corruption généralisée des institutions et de leurs cadres qui risque de remettre aux calendes grecques la mise en ordre de bataille d’un contingent militaire malien. Le discours de la France et de ses alliés occidentaux est resté atone sur ces questions, une attitude qui ne peut qu’inquiéter pour la suite.

La crise malienne se joue aussi dans la région tant hier et aujourd’hui il est clair que nombre de ses voisins ont des intérêts discutables dans les trafics qui s’y déploient ou dans la crise qui s’est développée depuis le printemps au Mali même. Les Etats de la CEDEAO, l’Algérie et la Mauritanie peuvent être les acteurs d’une résolution ou au contraire d’un approfondissement de la crise. Leur bonne volonté ne doit pas se limiter à fournir des troupes (à n’en pas douter généreusement financées par l’Union européenne et les Etats-Unis) mais aussi à entamer les réformes de gouvernance et de police pour fragiliser l’économie criminelle régionale et répondre politiquement aux discours de contestation religieux. Il est commode de souligner les bénéfices que retirent les organisations armées, djihadistes ou non, des trafics illégaux dans la région. Il serait plus courageux de s’attaquer aux complicités au sein des Etats de la grande région qui permettent à ces activités délictueuses de se poursuivre. La répression seule ne résoudra rien ; au contraire elle permettra des alliances opportunistes entre populations locales et trafiquants. La seule réponse est, au-delà d’une action d’urgence, de s’atteler aux problèmes économiques et sociaux de cette zone sans retomber dans les égarements de l’exotisme si vite apparent en France ou dans une planification bureaucratique irréaliste comme seule l’Union européenne en est capable. Les erreurs récentes au Mali et la tentative actuelle au Niger de proposer un agenda contre la marginalisation économique doivent fournir les matériaux d’une réflexion critique et créative dans un franc dialogue avec les sociétés civiles et les Etats de la région.

Enfin, il s’agit de définir des conditions et les buts de l’action militaire. Disons-le : la situation sur le terrain n’invite pas à l’optimisme, au-delà des questions de délais souvent citées (faudra-t-il cinq, ou dix mois pour être prêts ?). Une bonne partie des responsables maliens, notamment militaires, veut reprendre le Nord et restaurer un statu quo ante qui est inacceptable. Les troupes de la CEDEAO n’ont pas d'expérience de combat dans ce type d’environnement et ont quelquefois des réputations sulfureuses. Les dommages collatéraux provoqués par les forces armées nigérianes sont pour beaucoup dans la popularité de Boko Haram jusqu’à aujourd’hui. Ces troupes devront tisser des liens avec la population, construire la confiance et avoir, au moins dans un premier temps, une action civile : aucune armée de la région aujourd’hui ne semble particulièrement bien entrainée pour ces tâches complexes. La résolution 2071 est pour le moins confuse sur les cibles de cette intervention militaire. Seule al-Qâ’idah au Maghreb islamique est explicitement mentionnée. Il faut espérer que la communauté internationale et l’Etat malien ont une analyse plus profonde des ancrages locaux des groupes armés et des solidarités qu’il faudra émousser pour donner une chance, sinon à une victoire militaire pratiquement impossible, du moins à un retour du dialogue entre un Etat malien en quête de légitimité et des populations ulcérées par l’indifférence de Bamako à leurs revendications.

En tout état de cause, il est clair que le pacte colonial a vécu au Mali et que les relations entre communautés religieuses ou ethniques et l’Etat vont connaître de profondes altérations dans les années qui viennent. Faute d’avoir su régler ces problèmes récurrents, c’est aujourd’hui le tissu social de tout le Mali qui va devoir se transformer au prix de nouvelles crispations.

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