Une démarche pluridisciplinaire pour l’étude des sciences et des politiques de l'environnement. Entretien avec Juliette Kon Kam King

17/09/2025
Juliette Kon Kam King CERI Sciences Po CNRS

Le Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po se réjouit d’accueillir, au sein de son équipe, Juliette Kon Kam King. Juliette mène des recherches sur l'étude des sciences et des politiques de l'environnement, au croisement des science and technology studies, des humanités environnementales et de la sociologie politique. Elle répond à nos questions sur son parcours et sa démarche, dans cet entretien-portrait.

Quel a été votre parcours avant de rejoindre le CERI?

J’ai d’abord suivi une formation pluridisciplinaire en sciences naturelles et sciences humaines et sociales à Sciences Po Paris et à l’Université Pierre et Marie Curie. Après une spécialisation en sciences et politiques de l’environnement, j’ai complété ce double cursus avec un master de recherche en histoire et sociologie des sciences et des techniques à l’EHESS. Ces études m’ont permis d’entamer des recherches en sociologie des sciences et de l’environnement, et plus spécifiquement sur les sciences des sols et les politiques environnementales des sols.
J’ai ensuite réalisé ma thèse, intitulée “Trac(k)ing Fishe(r)s in the South Pacific: Surveillances in and of a More-than-Human Ocean” à l’Université de Brême et à l’Université Paul Valéry de Montpellier en géographie environnementale. J’y étudie des dispositifs de suivi et de surveillance de la pêche industrielle au thon, dans la région du Pacifique Sud. L’idée était d’interroger les spécificités des espaces de haute mer en matière de surveillance et de contrôle ; de rendre compte des contraintes infrastructurelles qui conditionnent les capacités d’accès, de connaissance et d’action sur ces espaces et du pouvoir de certains acteurs, notamment l’industrie, sur ces infrastructures ; et d’analyser l’entremêlement, au sein de mêmes dispositifs, de différentes formes de surveillance visant à la fois des humains (les pêcheurs) et des non-humains (les poissons) pour des fins scientifiques, réglementaires, policières, commerciales… parfois antagonistes. En parallèle de mes recherches, j’ai également eu l’occasion d’enseigner la géographie environnementale et la sociologie des sciences à Sorbonne Université, Sciences Po Paris et l’Université de Strasbourg.

Votre recherche s’inscrit résolument dans une démarche de transdisciplinarité, entre Science & Technology studies, sociologie politique et histoire des sciences, pour ne citer qu’elles. Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre démarche?

Cette approche est la résultante directe de ma formation. Tout au long de mes études, je me suis intéressée aux questions environnementales, et j’ai eu la chance de pouvoir les aborder dans leur multiplicité et à travers de multiples prismes disciplinaires. Mes expériences à l’étranger m’ont également fait découvrir d’autres approches et questionner des découpages disciplinaires finalement assez spécifiques à la France. Cela m’a permis de voir des points de convergence et de complémentarité entre divers pans des sciences sociales environnementales et de privilégier une approche comparable aux studies anglo-saxonnes. Je tente ainsi de tirer parti des théories sociologiques, des réflexions historiographiques de l’histoire des sciences, des méthodes d’enquête anthropologique, des styles d’écriture de l’anthropologie et de l’histoire environnementale, etc. 
Au-delà des humanités et des sciences sociales, ma formation en sciences de l’environnement me permet de continuer à dialoguer avec les sciences naturelles, par le biais des études sociales des sciences et des techniques.

Pouvez-vous nous parler de vos travaux en cours et de la manière dont ils s’inscrivent en effet dans les recherches menées au CERI?

J’ai soutenu ma thèse de doctorat récemment et je dois d’abord travailler à sa valorisation. Mes travaux sur la surveillance de l’industrie thonière et des environnements hauturiers (ou “offshore”) résonnent avec de nombreux chantiers de réflexion menés au CERI, tout en les déportant à des espaces - marins donc - encore peu investigués au sein du laboratoire. Je travaille par exemple sur les processus de construction territoriale en mer et sur la façon dont les environnements hauturiers, du fait de leurs spécificités (notamment matérielles), reconfigurent les questions de souveraineté ou encore de sécurité. Je m’intéresse aussi aux modalités de surveillance et d’action policière en mer et vis-à-vis de domaines relativement nouveaux comme la conservation de la biodiversité. Mon enquête, par son ancrage dans le Pacifique Sud et au sein d’un secteur hautement mondialisé porté par des espèces animales migratrices, me permet d’alimenter les travaux du CERI sur la région, tout en contribuant aux réflexions sur les échelles et les niveaux de régulation et les circulations transnationales d’acteurs (humains ou non), mais aussi de savoirs, de régulations, etc. 
J’explore par ailleurs un nouveau terrain d’enquête en vue d’entamer un projet de recherche sur les grands fonds marins, qui me permettra de prolonger mes réflexions sur la surveillance environnementale, les océans et des espaces “frontière”, particulièrement difficiles d’accès. Je souhaiterais notamment approfondir mes recherches sur la gouvernance des infrastructures de connaissance, pour interroger notamment le rôle croissant et émergent de la philanthropie dans ce domaine ; autour de la problématisation du caractère “multipotent” des données d’observation et de la façon dont cela reconfigure les politiques de connaissance des grands fonds marins. Cela m’amène aussi à interroger la façon dont le débat autour de l’exploitation et de la conservation des grands fonds marins, notamment au regard des perspectives d’exploitation minière qui se trouvent aujourd’hui sur le devant de la scène, reconfigure les sciences marines d’un point de vue non seulement cognitif, mais aussi écologique, éthique et politique.

Dans quels projets collectifs êtes-vous engagée, au CERI et ailleurs ?

Pour le moment, je suis impliquée dans le projet ODIPE (pour “Ocean Diplomacy Ethnography”), qui étudie les caractéristiques de la diplomatie océanique et interroge ses éventuelles spécificités. Le projet cherche à tracer la formation et les transformations d’une (ou de) diplomatie(s) océanique(s), dans un contexte marqué par l’affaiblissement du multilatéralisme, l’accélération et la diversification des projets d’exploitation des milieux marins, ainsi que l’accentuation de la compréhension du rôle majeur de l’Océan pour la planète et les sociétés humaines. Le cœur du projet est d’étudier, notamment par le biais d’une ethnographie collective, la manière dont les connaissances et les représentations des océans se traduisent entre les sphères académiques, politiques et de la société civile lors d’événements diplomatiques clés tels que la Conférence des Nations unies sur les océans et l’ensemble des événements et des mobilisations qui lui sont associés.

Photo, et propos recueillis par Miriam Périer, CERI.

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