Succès et déboires du camp de la paix en Israël

02/01/2017
Couverture livre

Entretien avec Samy Cohen à l’occasion de la sortie de son livre Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix, Editions Gallimard.

Que représente le camp de la paix en Israël ?

C’est une véritable nébuleuse que j’essaie de structurer en quatre courants. Le premier est celui des organisations qui font du peace building par le haut, qui réfléchissent à la solution politique du conflit israélo-palestinien, comme l’Initiative de Genève, qui a mené un important travail de réflexion avec les Palestiniens qui, en 2003, a débouché sur un projet de paix très complet et très détaillé, ou encore ces organisations qui réunissent d’anciens commandants de l’armée, du Shin Beth ou de la police et qui ont créé le Conseil pour la paix et pour la sécurité ou les Commandants pour la sécurité d’Israël, qui réunit d’anciens généraux prestigieux qui défendent la nécessité l’idée de sortir du statu quo actuel. L'organisation La Paix maintenant a un pied en dedans et un pied en dehors de ce courant. Cette organisation qui s’est donnée pour vocation de mobiliser les masses, réfléchit en termes de solutions politiques au conflit mais travaille également de façon concrète, à travers son Observatoire des colonies, au suivi du développement de la colonisation. Les rapports qu’elle propose sur le sujet sont parmi les plus précis. Par ailleurs, l’organisation organise de visites sur le terrain en Cisjordanie afin que les Israéliens se rendent compte des réalités concrètes.

Le deuxième courant regroupe ceux qui font de la réconciliation par le bas, qui créent un dialogue direct avec des Palestiniens qui, comme eux, pensent qu’il est temps d’arrêter le cycle de la violence. Il est représenté par deux associations phares. La première est le Forum des familles endeuillées (israéliennes et palestiniennes), créé au départ par un père de famille, religieux, plutôt de droite, dont le fils est mort et qui milite pour que plus aucun soldat ne subisse ce même sort dans cette guerre qu’il juge absurde. Aujourd’hui, plusieurs centaines de familles israéliennes et palestiniennes militent conjointement pour l’établissement de deux Etats comme solution au conflit et pour la fin de la peur et de la haine qui se sont établies des deux côtés. Cette étroite coopération est en soi une success story. Certes, elle ne suffit pas à apporter la paix mais elle permet de progresser en construisant des ponts entre les deux côtés de la ligne verte. La deuxième association, Les Combattants pour la paix, rassemble de jeunes réservistes, d’anciens objecteurs de conscience qui se sont rendus compte que leur posture était purement négative et qu’il était nécessaire de construire quelque chose de concret. Ils ont pris contact avec des Palestiniens, d’anciens membres du Tanzim (l’une des factions armées du Fatah), et les ont convaincus de monter avec eux une association commune de combattants qui prônent la fin du conflit et le dépôt des armes.

Les uns comme les autres ont une démarche très transgressive, dans la mesure où ils ne s’interdisent pas de parler de ce qui fait mal à l’autre, condition préalable à toute réconciliation. Ainsi, les Israéliens écoutent les Palestiniens parler de la guerre de 1948 et des réfugiés et les Palestiniens se rendent sur les lieux de mémoire de la Shoah. Les Combattants pour la paix célèbrent chaque année une Journée du souvenir alternative à la journée officielle qui rend hommage aux Israéliens décédés durant les guerres ou dans des attentats. Combattants pour la paix Israéliens et palestiniens y commémorent ensemble la mémoire de leurs proches disparus. Lors des premières journées, seules quelques centaines de personnes étaient présentes à ces journées. Aujourd’hui, plus de 4 000 personnes y participent, dont beaucoup de jeunes.

Le troisième courant est celui des ONG de défense des droits de l’homme dont le militantisme comporte un message implicite de paix. Il rassemble des professionnels (juristes, médecins, rabbins) qui viennent en aide à des Palestiniens victimes de violations des droits de l’homme dans les territoires, notamment en les représentant auprès des tribunaux israéliens ou même de la Haute Cour de justice. Ce courant est le plus mal vu en Israël, y compris par les pacifistes. Il touche en effet à des questions très sensibles et on lui reproche de donner une image déplaisante d’Israël, ce que les Israéliens, même les plus modérés, ne supportent pas. Ce courant est bien enraciné. Par ses attaques incessantes contre lui, la droite lui fait une publicité remarquable. Ainsi, lorsque Benyamin Netanyahou critique au Conseil de sécurité des Nations unies la prestation du directeur de la petite B’Tselem, organisation qui regroupe une vingtaine de personnes, il lui offre une caisse de résonance et fournit la preuve de son efficacité.

Le quatrième courant, enfin, rassemble des électrons libres : écrivains, artistes, musiciens, universitaires, journalistes, simples citoyens. Des individus isolés conduisent par exemple des Palestiniens qui obtiennent l’autorisation de se faire soigner dans les hôpitaux israéliens mais ne savent pas aller du checkpoint à l’hôpital. Ils s’occupent des besoins qu’ils peuvent avoir et qui ne sont pas pris en charge par l’hôpital ou encore de leur famille, etc. J’ai connu une femme israélienne qui apportait des jouets aux enfants palestiniens hospitalisés en Israël et qui ne pouvaient recevoir la visite de leur famille. Des familles israéliennes lui ont demandé pourquoi elle n’apportait pas de jouets à leurs enfants et l’hôpital, soumis à la pression, a fini par lui interdire d’apporter des jouets et de se cantonner à des objets de première nécessité. Autre exemple : Boma Inbar, très connu en Israël, fait venir des jeunes Palestiniens pour qu’ils puissent se baigner dans la mer ou jouer au football avec des Israéliens, afin que les uns et les autres apprennent à se connaître et voient qu’il existe de chaque côté des gens qui ne souhaitent pas forcément leur mort.

Ces quatre mouvances sont très divisées, chacune cherchant à se distinguer des autres. Ces divisions s’expliquent également par des facteurs idéologiques. Si toutes tendent vers le même objectif, la paix, chacune choisit son chemin pour y parvenir. Ainsi, certaines pensent qu’il n’est pas souhaitable d’aborder des questions trop sensibles telles que la guerre de 1948 au contraire d’autres pour lesquelles c’est indispensable. Certaines se veulent apolitiques, veillent à ne pas pouvoir être marquées à gauche en raison des critiques qu’elles auraient émises à l’encontre du gouvernement. D’autres, inversement, n’hésitent pas à cibler directement le Premier ministre et la coalition gouvernementale, responsables à leurs yeux du maintien du statu quo.

Peut-on dater la naissance du mouvement de paix à juin 1967 ?

L’année 1967 est une date importante même si des mouvements pour la paix ont existé auparavant. A partir de l’occupation des territoires conquis lors de la guerre des six jours, on assiste à un schisme qui donnera naissance à deux courants : l’un qui pense que cette victoire est un signe « divin » et qu’Israël doit saisir cette occasion pour revenir sur la terre des ancêtres, courant qui va donner naissance au mouvement du Grand Israël, puis au Bloc de la foi, un petit groupe de religieux messianiques.

Face à ces gens, on trouve un autre courant qui réclame la préservation de l’intégrité de ces territoires qu’ils envisagent d’échanger, le moment venu, en vue d’un accord de paix. Un petit groupe d’hommes qui ne sont ni de dangereux gauchistes ni de doux rêveurs émerge dès juin 1967 pour défendre cette idée : Arié Lova Eliav, vice-ministre de l’Industrie, le général Matti Peld, le colonel Meir Païl. Lova Eliav s’est mis en congé du gouvernement pour aller enquêter dans les camps de réfugiés. Il est revenu avec un rapport dans lequel il affirmait qu’il existait une nation palestinienne en devenir et qu’Israël devait aider à faire émerger un Etat palestinien. Il sera rejeté par tous les caciques du Parti travailliste, dont Golda Meir qui lui dira qu’il n’existe pas de peuple palestinien. En juin 1967, David Kimche, directeur-adjoint du Mossad, soumet secrètement au Premier ministre une note qui va dans le même sens que Lova Eliav. Cette petite avant-garde a compris un quart de siècle avant Oslo la nécessité d’un Etat palestinien. Nous ne sommes pas ici devant des actions isolées mais devant un courant d’idées qui s’étend au sein des travaillistes, de l’université, des milieux culturels. Les deux courants, dont les positions sont irréconciliables, ne vont pas cesser d’une part de se renforcer l’un l’autre et d’autre part de s’éloigner l’un de l’autre.

Revenons à l’organisation, Quand et comment est née La Paix maintenant, quand et comment est-elle née ?

La Paix maintenant est née de manière presque fortuite. Début des années 1970, un petit groupe d’étudiants de gauche de l’université de Jérusalem et de celle de Tel Aviv s’oppose à la création du Bloc de la foi et à la colonisation de la Cisjordanie. Beaucoup d’entre eux, rescapés de la guerre du Kippour, réclameront (et obtiendront) la démission du Premier ministre Golda Meir. A partir de ce moment, le principe de la « sacralité » du gouvernement se trouve mise à mal, la confiance dans les dirigeants disparaît. L’arrivée de Sadate à Jérusalem et sa proposition de paix à Israël constituent un choc pour ces jeunes. Begin et Sadate négocient mais leurs positions paraissent irréconciliables. Les jeunes se disent alors qu’Israël ne peut pas laisser passer l’occasion de faire la paix. En mars 1978, 378 officiers adressent une lettre ouverte - intitulée « La lettre des officiers » - au Premier ministre, Menahem Begin. Le ton est déterminé. Les signataires se disent « profondément inquiets », laissant clairement entendre qu’ils auraient du mal « à accepter un gouvernement qui préférerait exister dans les frontières du Grand Israël plutôt que vivre en paix avec ses voisins, qui préfèrerait le maintien des colonies au-delà de la ligne verte au règlement de ce conflit historique par la normalisation des relations dans [la] région ». La menace d’une possible dissidence morale au sein de l’armée transperce dans leurs propos. Des milliers de gens soutiennent spontanément cette démarche. A la veille du jour où Begin doit rencontrer Sadate à Washington, ils appellent à manifester. A leur grande surprise, la mobilisation rassemble 100 000 personnes.

En 1982, le mouvement rebondit. Cette année-là éclate la guerre du Liban lancée par Ariel Sharon, officiellement pour lutter contre le terrorisme palestinien mais en fait pour détruire les infrastructures palestiniennes au Liban et empêcher les Palestiniens de revendiquer un Etat en Cisjordanie. En Israël, 400 000 personnes descendent dans la rue en septembre 1982, après les massacres perpétrés par les phalanges libanaises dans les camps de Sabra et Chatila au motif que les forces israéliennes n’ont rien fait pour empêcher ces dernières d’entrer dans les camps. Ce moment est celui également où émerge dans la société israélienne un vrai désir de changement et de paix, qui fait descendre beaucoup de gens de gauche, de centre droit et de la droite modérée dans la rue.

Dès lors, on voit apparaître des organisations, des associations, des ONG comme Les mères contre le silence ou Il y a une frontière. La première intifada (1987-1993) donne ensuite naissance aux premières organisations de défense des droits de l’homme. Plus on progresse dans le temps, plus le conflit israélo-palestinien se durcit et plus le nombre de gens qui se mobilisent contre ce climat de haine et de peur et qui souhaitent créer une dynamique de paix augmente. Aujourd’hui, plus d’une centaine d’ONG lutte pour la paix et les droits de l’homme et sont inscrites auprès du forum des ONG israéliennes et israélo-palestiniennes.

De quand dateriez-vous le déclin de La Paix maintenant ?

On a dit que l’influence du mouvement a décliné en raison de la seconde Intifada de 2000, celle-ci empêchant en raison de sa violence la mobilisation des Israéliens. L’analyse de la trajectoire historique du mouvement montre que son déclin commence en 1983. La guerre du Liban s’est terminée par une victoire du mouvement qui a obtenu la constitution d’une commission d’enquête et la démission d’Ariel Sharon de son poste de ministre de la Défense. La Paix maintenant s’intéresse désormais à nouveau à la colonisation et s’éveille à la question palestinienne. Cette dernière remplace la paix comme enjeu principal des débats en Israël.

Or la cause palestinienne est dès ses débuts impopulaire. Les Palestiniens sont vu comme une menace pour la sécurité d’Israël. L’OLP et Arafat, défaits au Liban en 1982, n’ont pas renoncé à la destruction de l’Etat d’Israël et la charte de l’OLP est sans ambiguïté. L’OLP et son chef sont perçus comme une « bande de terroristes » n’ayant d’autre but que la destruction de l’entreprise sioniste. La centrale palestinienne ne parlera de la reconnaissance d’Israël qu’à partir de 1989. Les grands leaders du Parti travailliste - David Ben Gourion, Levy Eshkol, Moshé Dayan, Golda Meir et Yitzhak Rabin lui-même - étaient méfiants envers les Arabes qui, selon eux, ne reconnaîtraient jamais l’Etat d’Israël et convaincus qu’Israël était condamné à vivre toujours par l’épée pour assurer sa survie.

Vous parlez aussi du sentiment de peur, du manque de confiance croissant des Israéliens envers les Palestiniens…

On a souvent attribué au déclin du camp de la paix des raisons d’ordre sociologiques : arrivée massive de Juifs russes, élévation du niveau du sentiment religieux… Les principales raisons sont pourtant d’ordre psychologique. Elles tiennent en effet à cette peur, à cette méfiance à l’égard des Palestiniens. Pour les comprendre, il faut partir du processus d’Oslo qui a suscité un immense espoir chez beaucoup de gens qui ont vu se profiler la fin du conflit. La majorité des Israéliens se sentaient alors partagés entre leur désir de paix et leur méfiance envers les Palestiniens. Sadate avait réussi à désarmer ces préventions en venant parler de paix devant la Knesset en novembre 1977 mais Arafat et l’OLP sont restés perçus comme des ennemis irréductibles, n’inspirant ni respect ni confiance. A cette méfiance s’ajoutent les attentats perpétrés par le Hamas et le Jihad islamique. Plus de la moitié des Israéliens ont soutenu Rabin et ce, malgré les attentats, mais une majorité plus importante encore ne croit pas que les Palestiniens renonceront à leur volonté de destruction de l’Etat d’Israël s’ils en ont les moyens. Cette opinion est une donnée majeure de l’attitude des Israéliens face au conflit.

Lorsque Ehud Barak est nommé Premier ministre en 1999, beaucoup d’Israéliens voient en lui l’homme qui va tenir ses promesses et faire la paix avec la Syrie et les Palestiniens. Les négociations de camp David entre Barak et Arafat s’achèvent sur un échec mais les deux hommes continuent à négocier à Taba et parviennent à un accord presque complet, à l’exception de la question des réfugiés. En 2001, Barak est battu par Sharon. On est alors dans la deuxième Intifada, les attentats suicides perpétrés par le Hamas sont nombreux, la période est très violente : on compte un millier de morts côté israélien - toutes les familles israéliennes ou presque sont touchées directement ou indirectement - et beaucoup de morts également du côté palestinien. La régression est considérable par rapport à la période d’Oslo.

A partir de ce moment, on constate que l’idée de marchander la paix en échange de territoires est un échec…

L’idée-phare du camp de la paix et de la gauche israélienne était que la sécurité ne peut venir que de la paix et que pour faire la paix, il faut rendre les territoires. Or la droite a beau jeu de faire remarquer que chacun des retraits d’Israël a accru l’insécurité sans apporter davantage de paix. Ainsi, elle rappelle que Rabin a procédé à un premier retrait de Cisjordanie sans qu’aucune paix ne s’en suive. Au contraire, le Hamas et le Jihad islamique ont ensuite perpétré des attentats en plein cœur des villes israéliennes. Barak a retiré les forces israéliennes du Sud-Liban en échange de quoi le Hezbollah a poursuivi sa politique agressive à l’égard d’Israël. En 2005, Sharon a désengagé Tsahal de la bande de Gaza sans que la situation ne s’améliore. La droite propose un récit selon lequel la gauche est « irresponsable » et « ment » en affirmant que les retraits peuvent apporter la paix. Ce récit est pour le moins discutable car les retraits effectués étaient soit unilatéraux soit non assortis d’un traité de paix. La paix n’a en fait jamais été testée.

Par ailleurs, l’argument selon lequel le désengagement aurait entraîné davantage d’insécurité reste à démontrer. Haaretz a réalisé en 2014 une enquête sur la bande de Gaza. Le journal a compté le nombre de morts avant et après le désengagement. On constate qu’il y a eu plus de morts dans les années qui ont précédé le désengagement des forces israéliennes de la bande de Gaza que dans les deux années qui l’ont suivi pour une raison très simple : lorsque l’armée israélienne occupait la bande de Gaza, les forces israéliennes et les colons présents sur ces territoires étaient l’objet d’attaques systématiques de la part du Hamas, attaques qui faisaient beaucoup de victimes. Après le désengagement, le nombre des morts a chuté de façon spectaculaire mais le camp de la paix n’a pas su défendre l’idée que celui-ci avait été utile. Il a d’ailleurs commis l’erreur de ne pas créer les structures de réflexion politico-stratégiques indispensables pour réfléchir aux problèmes d’insécurité. Ses militants se sont trop focalisés sur la question de la paix et pas suffisamment sur celle de la sécurité alors que cette dernière constitue une priorité pour les Israéliens, la question de la paix les intéresse mais seulement si elle apporte la sécurité.

Vous évoquez la marginalisation du camp de la paix…

La deuxième intifada mais aussi la deuxième guerre du Liban, l’enlèvement du caporal Shalit en juin 2006, la poursuite de tirs de roquettes de la bande de Gaza, tout ceci va alimenter le sentiment qu’Israël a fait preuve de bonne volonté mais n’a pas été payé en retour et qu’in fine la paix n’est pas la solution. Sharon arrivé au pouvoir en 2001 va lutter de manière très déterminée contre le terrorisme (opération Rempart de mars 2002) qu’il va parvenir à réduire. Les gens e disent alors que la droite a réussi quelque chose que la gauche n’est pas parvenue à faire, que le camp de la paix n’a fait que tromper l’opinion en faisant miroiter que la paix était possible grâce au retrait des territoires. La politique de la droite s’avère plus efficace en matière de sécurité.
On assiste depuis l’assassinat de Rabin à un effondrement électoral important des partis de gauche. La gauche colombe est relativement isolée dépourvue de relais politiques conséquents contrairement au temps de Rabin et Peres où le Parti travailliste (et Meretz) étaient ses porte-paroles politiques. A partir des élections de 2009, le Parti travailliste est en retrait. Barak a créé sa propre formation, qui ne parviendra d’ailleurs pas à avoir des représentants à la Knesset. De son côté, Kadima, fondé par Sharon, devient le porte-parole des gens modérés, qui pensent qu’une solution au conflit est nécessaire et possible. Les dirigeants travaillistes, Shelly Yachimovitch et plus récemment Isaac Herzog, n’ont jamais fait de la question palestinienne et de la question de la paix l’alpha et l’oméga de leur politique, notamment parce que pour revenir au pouvoir, ils savent qu’il leur faut récupérer des voix à droite et au centre droit, les suffrages d’électeurs pour lesquels la paix n’est pas prioritaire. Par conséquent, plus personne en Israël ne porte le drapeau du camp de la paix, à l’exception du « petit » parti Meretz, qui ne possède que six élus à la Knesset.

Beaucoup d’Israéliens ne croient plus aux promesses de la gauche mais ils se sont néanmoins ralliés à l’idée d’un Etat palestinien à côté d’Israël. Cette perspective des deux Etats, impensable il y a deux décennies, vient de Rabin, Peres et du camp de la paix. En outre, aujourd’hui, certains anciens faucons issus du Likoud, comme Ehud Olmert et Tzipi Livni, proches d’Ariel Sharon ont adopté le langage de la gauche. Sharon lui-même affirmait, en mai 2003, devant les députés de son parti médusés, qu’Israël ne pouvait pas continuer à occuper la terre d’un autre peuple, une expression qui appartient au vocabulaire du camp de la paix et non de la droite.

Peut-on parler d’une « droitisation » de la société israélienne ?

La notion de droitisation doit être relativisée. Tout dépend à quoi l’on se réfère : la dimension électorale ? l’auto-identification partisane ? les affinités idéologiques ? Concernant le vote, on assiste plutôt à une « dé-gauchisation » des partis de gauche : entre 1995 et 2009, le Parti travailliste et le Meretz ont perdu 20 points dans les urnes. Ce recul a cependant bénéficié aux formations centristes et non à la droite (Likoud) qui n’a gagné que 3 points pendant la même période. Par ailleurs, seul un tiers des Israéliens se positionne à droite, 8 à 12% à gauche et 55% au centre, un grand marais qui peut basculer d’un côté comme de l’autre. En revanche, la droitisation est manifeste sur le plan idéologique puisque les valeurs de droite – sécurité et colonisation – sont devenues prédominantes.

En quoi le camp de la paix est-il dérangeant ?

Le camp de la paix est dérangeant en Israël - et en dehors d’Israël - pour ceux qui n’aiment pas le visage humain et positif qu’il donne d’Israël et parce qu’il montre qu’il existe des Palestiniens qui veulent la paix alors que ces derniers sont toujours présentés comme des ennemis. Le camp de la paix casse l’homogénéité des représentations, brise cet antagonisme entre « eux » et « nous », ce principe d’identification politique dont parlait Carl Schmitt. 



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