Les fils de princes

20/09/2016
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Chercheur à Sciences Po, Jean-Luc Domenach a été successivement directeur du CERI (1985-1994), puis directeur scientifique de Sciences Po (1996-2000) avant de rejoindre l’université de Qinghua de Pékin. Aujourd’hui directeur de recherche émérite au CERI, il est l’un des principaux spécialistes français de la Chine contemporaine. Il a publié de nombreux ouvrages dont Les fils de princes. Une génération au pouvoir en Chine, paru récemment chez Fayard, dans la collection « Les grandes études internationales ».

Qui sont les fils de princes auxquels vous consacrez cet ouvrage ?

Les fils de princes sont les enfants des compagnons de Mao Tsé-Toung, les capitaines et les commandants militaires qui l’ont aidé à conquérir le pouvoir en 1949. Après la mort de Mao en 1976, ils progressent vers le pouvoir et se constituent en véritable caste dirigeante. On distingue trois générations de fils de princes aux destins tout à fait extraordinaires. La première génération, née dans les années 1920 et 1930, qui a grandi en partie en URSS, lutte pour sa survie. La seconde, et surtout la troisième génération, à partir des années 1940, et à mesure que le communisme et les familles se stabilisent, ont joué un rôle dominant en constituant de véritables dynasties, conformément aux traditions aristocratiques chinoises. Les fils de princes ont alors  en commun le sentiment profond de faire partie d’une élite.

A cet égard, la Révolution culturelle (1966-1976) marque un véritable tournant…

Pour tous, c’est une épreuve initiatique, un épisode central dans l’histoire du communisme chinois. Certains vont devenir des opposants, des démocrates et d’autres, comme Xi Jinping, l’actuel président chinois, comprendront que le communisme chinois est  un système complètement pourri mais dans lequel on peut se faire une place. Avant cette période tragique, les fils de princes de la troisième génération se comportent un peu comme des héritiers stupides et prétentieux qui se battent dans la cour de l’école avec les enfants de prolos boursiers. La Révolution culturelle va les contraindre à comprendre les ressorts du régime. Mao les maltraite, car il veut humilier cette génération. Mais elle va résister aux purges. La Révolution culturelle va les obliger à devenir des hommes. Ce qui les a fait tenir, c’est l’espoir de s’en sortir et de profiter de la succession de leurs parents. Ce sont des résistants arrivistes. A 15 ans, Xi Jinping a été expédié dans la province du Shanxi d’où il s'est enfui avant d’être emprisonné pendant une année dans un camp de travail, puis réexpédié à la campagne. Pour s’en sortir, il se rend indispensable au comité local du Parti et devient à 18 ans son principal secrétaire. Pardonné, il obtient le droit d’aller étudier à l’université.

Mais, moi, je suis amoureux de la soeur de Xi Jinping, Xi Qiaoqiao. Dans ce moment critique qu’a constitué la Révolution culturelle, les familles vont survivre grâce au rôle protecteur que nombre de filles et de mères vont jouer face à la brutalité du régime. Les filles aînées vont remplacer leurs mères et sauver leur caste. Leur capacité d’analyse et leur débrouillardise vont les aider à résister à ce grand mouvement de déstabilisation de la société. C’est la soeur aînée de Xi Jinping qui devrait être au pouvoir aujourd’hui ! D’ailleurs, elle est toujours la patronne de la famille. C’est elle qui assure les finances familiales estimées à environ 400 millions de dollars.

Cet ouvrage est aussi l’occasion de découvrir le rôle majeur des mères des princes rouges…

Oui, et en particulier de celles qui sont arrivées entre 1935 et 1945 dans les bases rouges, dont beaucoup étaient alors l’élite de la jeunesse chinoise. L’épouse de Deng Xiao Ping, qui a été le chef du régime chinois de 1978 à 1992, a été la première femme admise à l’Université de Pékin par exemple. C’est une communiste et une nationaliste convaincue qui se rend compte assez vite que les femmes sont considérées comme du bétail dans cette société. Ce qu’une femme peut faire de mieux dans la vie est d’engendrer et ensuite d’éduquer ses enfants. Ces femmes vont alors devenir de véritables « terreurs » en la matière : puisqu’elles ne pourront pas être de grandes révolutionnaires, elles deviendront de grandes dames dans des familles puissantes. C’est de cette ambition contrariée qu’est née la volonté de fonder de véritables dynasties : elles vivront par le pouvoir de leur maris et leurs enfants. Ce sont de véritables intellectuelles qui lisent beaucoup, découvrent la pédagogie, accèdent par des moyens détournés à des ouvrages en langue anglaise, surveillent les études et orientent leurs enfants. Elles dirigent leurs maris et en font souvent de braves types. La mère de Xi Jinping, par exemple, a longtemps maîtrisé la destinée de toute sa famille.

Comment ces générations participent-elles à l’introduction du capitalisme en Chine dans les années 1980 ?

C’est probablement ce qui sera considéré plus tard comme l’héritage des fils de princes. Ils ont été les opérateurs d’un capitalisme qui peut s’inscrire dans des institutions communistes. Ils ont contribué d’abord à la connaissance puis à l’assimilation du modèle capitaliste en Chine.

En 1976, Mao meurt et cette période est plutôt caractérisée par un retour au « communisme de papa », une remise en ordre du système. Les fils de prince se marient. Ce sont des moments cruciaux dans l’ascension des familles vers le pouvoir, comme dans toute société aristocratique : on négocie, on mise sur des familles et en particulier sur des gendres puissants. C’est à partir de 1980 que va s’organiser progressivement la montée des fils de princes dans l’organigramme et le retrait des pères. Grâce à leurs parents, les fils de princes ont eu beaucoup plus de facilités que les autres. Ils ont voyagé en Occident et ont été témoins des grandes évolutions de la mondialisation. Xi Jinping a passé quatre mois dans une ferme au sud de Chicago. Les fils de princes sont devenus les meilleurs connaisseurs de la supériorité américaine et s’en sont inspirés pour créer un nouveau modèle : conserver le pouvoir, le rendre même encore plus puissant tout en transformant l’économie, donc utiliser le capitalisme sans le mettre au pouvoir. Les fils de princes ont découvert l’argent et ils ont aimé! Une drôle de leçon…

Propos recueillis par Nathalie Tenenbaum, Sciences Po-CERI

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