Le prévisible échec de Mohamed Morsi

04/07/2013

Ce devait être pour les Frères musulmans le moment de vérité, la mise en oeuvre de leur projet de renaissance après des décennies passées dans l'opposition. Ce fut en réalité une année terrible. Dès l'arrivée de Mohamed Morsi à la présidence en juin 2012, celui-ci semblait en effet condamné.

Elu à une très courte majorité, il ne dut sa victoire qu'au soutien que lui apportèrent in extremis, et sans enthousiasme, ceux qui refusaient le retour à l'ancien régime incarné par son adversaire du second tour, Ahmed Chafik, dernier premier ministre d'Hosni Moubarak.

Surtout, M. Morsi découvrit rapidement qu'il se trouvait à la tête d'un Etat dont il ne contrôlait pas les rouages. Dans les mois qui suivirent son entrée en fonctions, l'armée, la police, la justice, les médias, mais aussi l'appareil administratif au sens large, s'affirmèrent comme autant de bastions de résistance au pouvoir des Frères musulmans. Dès le mois d'août 2012, les Frères engagèrent une véritable guerre de mouvement pour reprendre le contrôle des institutions.

Des oppositions croissantes

Si leur premier geste, celui de rendre à la présidence les prérogatives politiques dévolues à l'armée, fut plutôt bien accueilli, les suivants, qui consistèrent notamment à placer leurs hommes à des positions institutionnelles stratégiques, suscitèrent des oppositions croissantes.

Dès lors, deux visions s'opposèrent dans un malentendu qui devait perdurer jusqu'à la chute de M. Morsi : celle des Frères, qui justifiaient ces nominations par un impératif de nécessité, estimant qu'il était normal, en démocratie, que le parti ayant gagné l'élection ait les moyens d'appliquer sa politique ; et la vision de leurs opposants, qui criaient à une "frérisation de l'Etat".

En novembre 2012, M. Morsi franchit le Rubicon en plaçant, par décret présidentiel, les décisions de l'exécutif hors de portée d'un appareil judiciaire qui les contestait chaque fois qu'il le pouvait. Ce fut le début d'un cercle mortifère.

Les derniers soutiens libéraux des Frères les lâchèrent, dénonçant une dérive autoritaire. L'opposition, pour la première fois unie dans un Front de salut national, appela à des manifestations monstres.

Les Frères donnèrent le change en s'appuyant sur le camp islamiste, appelé à défendre le projet islamique menacé. Dans la foulée, les Frères profitèrent du boycott de la constituante par les forces libérales pour faire adopter une Constitution ouvrant la voie à une islamisation graduelle du droit égyptien. Cette manoeuvre était, entre autres, destinée à sceller l'unité du camp islamiste.

Emprise sur les mosquées

Mais cette unité fit long feu. Dès le mois de janvier, les salafistes du parti Al-Nour, seconde force politique du pays et rivaux historiques des Frères, entrèrent dans l'opposition, dénonçant à leur tour les velléités hégémoniques de Mohamed Morsi. Entre autres griefs, les salafistes reprochaient aux Frères de profiter de leur position à la tête de l'exécutif pour étendre leur emprise sur les mosquées.

Seuls contre tous, les Frères se replièrent sur la confrérie, désormais en première ligne. Ce repli prit une tournure tragique lorsque les Frères, doutant de la loyauté de la police, envoyèrent leurs militants protéger le palais présidentiel, ce qui provoqua les premiers affrontements sanglants entre Frères et opposants.

Pour les Frères, tous ces blocages relevaient d'une cause unique : les manoeuvres des "félouls", suppôts de l'ancien régime, bien décidés à reprendre la main. Face à la crise, l'action de Mohamed Morsi consista ainsi essentiellement à négocier, souvent en vain, le retour en grâce d'une poignée d'hommes d'affaires liés à l'ancien régime, à l'instar d'Hussein Salem, ancien financier du clan Moubarak.

Cette lecture très partielle d'une réalité bien plus complexe empêcha les Frères de prendre la mesure du mécontentement réel suscité à la fois par l'action du président Morsi et par une situation économique et sécuritaire plus dégradée que jamais, marquée par des coupures d'électricité répétées, des pénuries d'essence et une délinquance galopante.

Murés dans le déni, ils ne prirent au sérieux ni le Front de salut national ni la campagne Tamarrod ("rébellion"). Née en mai 2013, celle-ci avait l'ambition de rassembler des millions de signatures pour exiger la démission du président, ainsi que d'organiser une grande manifestation le 30 juin, date du premier anniversaire de la prise de fonctions de Mohamed Morsi. Quelques jours avant la mobilisation qui devait entraîner leur chute, de hauts responsables Frères assuraient, confiants, que le "30 juin serait une journée comme les autres".

Des millions de mécontents

Le 30 juin, pourtant, toute la mécanique anti-Frères s'est mise en mouvement : les rues se sont emplies de millions de mécontents, la police est restée en retrait, les salafistes ont refusé d'apporter leur soutien au président Morsi, négociant en sous-main avec ses opposants, et l'armée a fini par intervenir pour siffler la fin de la partie.

Jusqu'au bout, M. Morsi, persuadé d'être victime d'un complot et sûr de sa légitimité, a refusé tout compromis, interdisant à la confrérie une sortie de crise honorable. Tout cela semble mettre aujourd'hui les Frères dans une position d'extrême faiblesse.

Leur président a été renversé, plusieurs de leurs chefs arrêtés, et certains de leurs opposants, grisés par la victoire, n'hésitent pas à exiger leurs têtes. Il serait dramatique qu'une logique de revanche préside à la nouvelle période transitionnelle qui s'ouvre en Egypte. Même mis en minorité, les Frères comptent toujours plus d'un million de militants, souvent socialisés dès leur plus jeune âge dans une confrérie qu'ils n'imagineraient jamais quitter.

En dépit de leurs erreurs, ils continuent en outre de jouir du soutien passif de millions d'autres Egyptiens. En ce sens, aujourd'hui comme hier, une Egypte démocratique et stable ne saurait se construire sans les Frères. C'est là toute la difficulté, tant les antagonismes semblent à présent exacerbés.

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