Etats-Unis : élections 2016

Par Denis Lacorne, 24 octobre 2016 

Les campagnes présidentielles américaines sont des marathons éprouvants pour les candidats au moment des primaires, et plus épuisants encore pour les finalistes dans la phase dite de "l’élection générale", après les conventions nationales des deux principaux partis. Les débats présidentiels ont des allures de modernes combats de gladiateurs, où chacun tente de déstabiliser l’autre en cherchant le trou de la cuirasse ou du bouclier, sans qu’il y ait véritablement de coup de grâce. La seule blessure réelle est celle des sondages. Chaque débat a un perdant et un gagnant, et phénomène rare dans l’histoire des campagnes présidentielles, une seule personne l’a emporté trois fois de suite : Hillary Clinton. Ces victoires symboliques renforçaient une tendance lourde : le lent mais continuel déclin de la popularité du candidat républicain, depuis la Convention du Parti Républicain (Cleveland, 18-21 juillet 2016). Ce déclin est particulièrement net dans les Etats décisifs (les battle ground states), à tel point qu’il est possible d’affirmer aujourd’hui, sans prendre de grand risque, que Hillary Clinton a déjà gagné les élections de novembre 2016. 

Comment en est-on arrivé là, après quelles péripéties, et surtout comment un candidat aussi peu fiable, aussi peu compétent, aussi fantasque et hâbleur que Trump a-t-il réussi à s’imposer ? Deux raisons à cela : 

La première est le slogan nostalgique de Trump : Make America Great Again. Cet  appel et l’extrême xénophobie qui l’accompagne ne constituaient pas en soi une nouveauté. Un fort courant "nativiste" existait dans le Parti Républicain dès les années 1980, celui de "l’Amérique forteresse", ou de "l’Amérique d’abord", incarnée par des leaders comme Pat Buchanan (un célèbre présentateur de programmes télévisés) et Pete Wilson (un gouverneur de la Californie). Ces deux personnalités souhaitaient protéger les Etats-Unis contre les "hordes" de Latinos qui, disaient-ils, menaçaient de détruire le pays de l’intérieur. Leur candidature, lors des élections présidentielles de 1996, ne fut pas couronnée de succès, mais ils avaient lancé un mouvement devenu aujourd’hui majoritaire au sein du Parti Républicain. Ce courant xénophobe est magnifié aujourd’hui par le mécontentement, réel et bien documenté, des "laissés pour compte" de la globalisation des années 1990-2010 : les ouvriers des vieilles industries manufacturières de la Rust Belt et des entreprises du Midwest, affaiblies par les bas salaires pratiqués dans les pays émergents. Or l’on sait depuis les travaux de Werner Sombart ("Pourquoi le socialisme n’existe pas aux Etats-Unis ?", 1906), que les conflits ethniques l’emportent souvent aux Etats-Unis sur les conflits de classes et qu’il est toujours plus facile pour les détenteurs du capital de détourner la critique vers les "ethniques", régulièrement blâmés pour l’appauvrissement relatif de la classe ouvrière du pays et l’accentuation des inégalités sociales. 

La deuxième raison tient au type d’autorité légitime incarné par Trump. Champion de la "téléréalité", Trump a toujours été plus à l’aise avec des affirmations à l’emporte-pièce, des bouffonneries, l’apparence (mensongère) d’une grande sincérité, et un sens aigu de la répartie. Cette formation, acquise sur le terrain, dans son émission-phare, The Apprentice, lui a permis de triompher dans la phase des primaires, lorsqu’il faisait face à quinze autres candidats ternes, pratiquant trop souvent la langue de bois, tantôt trop religieux comme Ted Cruz, ou trop incohérent comme Ben Carson... Trump était devenu le champion des petites phrases assassines et des moqueries enfantines. Mais tout changea dans la phase finale de la campagne électorale : les longs débats de 90 minutes face à une adversaire pugnace et compétente exposèrent la vacuité de ses propos, son manque de préparation, sa grossièreté gratuite, et les traits les moins plaisants de sa personnalité : la fanfaronnade, la rhétorique (et la pratique) du harcèlement sexuel, et une tendance à cultiver un certain apocalyptisme : rien ne va plus, l’économie est un désastre, l’armée radicalement affaiblie, les grandes villes plus violentes que jamais, les nouveaux emplois tous délocalisés vers la Chine et le Mexique... 

L’échec probable de Trump, lors des élections du 8 novembre, devra s’expliquer en fonction de causes multiples : son incapacité à séduire un nombre suffisant d’électeurs modérés, de femmes, de jeunes bien éduqués, de Latinos et d’Afro-Américains pour imposer sa vision pessimiste d’une Amérique en déclin. Mais il reste qu’un large groupe d’électeurs républicains (35% environ) lui restent dévoués, corps et âmes. Comment expliquer ce phénomène ? La sociologie donne ici une réponse convaincante : Trump a su démontrer qu’il disposait de qualités exceptionnelles : un dynamisme étonnant  (stamina, selon son expression), une formidable capacité à rebondir face à des échecs nombreux et patents dans le domaine des affaires, après les révélations sur la fraude de l’université Trump, au lendemain des accusations de harcèlement sexuel... Bref, Trump a réussi à convaincre ses partisans qu’il disposait des qualités attribuées par Max Weber au leader charismatique. A l’image du prophète, du chef de guerre ou du shaman, il apparaît comme un héros qui rejette la tradition, et s’affirme contre vents et marées, contre les "combines" du pouvoir en place et l’hypocrisie des nouveaux pharisiens, l’establishment républicain et les financiers de Wall Street. Son autorité, dans cette optique, n’est pas fondée sur la compétence, mais sur le fait que l’action et les succès du leader charismatique sont "hors normes", malgré les obstacles et les revers subis. Son inspiration est magique, irrationnelle, affranchie de toute règle établie, sur le mode de "Il est écrit... mais moi je vous dis... (Voir Max Weber, "L’Ethique économique des religions mondiales", 1915-1920). C’est pourquoi les approximations, les conspirations, les contre-vérités sans cesse énoncées par Trump sont parfaitement acceptables pour ses supporters : seules comptent la force de ses convictions, l’authenticité de son message et la promesse d’innombrables bienfaits accordés aux nouveaux dominés.

 

Convention du Parti républicain à Cleveland

- Débat sur France 24, le 21 juillet 2016, avec la participation de Denis Lacorne, "Présidentielle aux Etats-Unis : Trump en route vers la Maison Blanche", première et deuxième partie.

- "Il y a chez Trump quelque chose de profondément religieux", interview de Denis Lacorne dans l'Obs, 20 juillet 2016. 

Primaires des Républicains et des Démocrates

Débat du 25/04/2016

 

Race for the White House: Republicans Cruz, Kasich 'stop-Trump' deal, interview avec Doug Rivers.

The worst candidates to run against Clinton are Trump and Cruz, interview avec David Brady.

 "L'Amérique d'abord" : le monde selon Donald Trump. Emission sur France 24 avec la participation de Denis Lacorne.

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