Poutine en guerre permanente, contre tous

12/03/2024

Marie Mendras vient de faire paraître La Guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin (Calmann Lévy). Elle répond ici à nos questions sur le pouvoir de Poutine, le conflit entre Moscou et Kiev et l’avenir du système russe. 

Quelle est la thèse de votre ouvrage ? 

Marie Mendras : La thèse de l'ouvrage se résume en deux phrases : Vladimir Poutine préfère la guerre à la paix, la confrontation à la négociation. Comme dans toute tyrannie, la tentation est grande d'user de la violence contre sa propre population et contre les « ennemis » de l'extérieur, car le tyran ne connait plus de limites.

Le livre s'organise en douze chapitres autour des guerres menées par le Kremlin, en Tchétchénie, Géorgie, Syrie et en Ukraine, depuis les années 1990. Les chapitres 1 et 2 proposent un cadre méthodologique et un rappel historique. Le chapitre 10 analyse la résistance des Russes aux guerres poutiniennes et à la répression dans leur pays, autour de deux grandes figures de l'opposition démocratique : Boris Nemtsov et Alexei Navalny, tous deux tués par la dictature, respectivement le 27 février 2015 et le 16 février 2024. 

Vous rappelez qu’en 2022, l’environnement international était favorable à Vladimir Poutine alors considéré comme un interlocuteur incontournable par de nombreux gouvernements occidentaux. Comment expliquer alors la décision du président russe d’envoyer ses forces armées à Kiev et de choisir l’escalade de la violence qui l’isole d’une partie du monde ?

Marie Mendras : En effet, Poutine avait réussi depuis 2014 à maintenir la Crimée et l'est du Donbass sous occupation russe, tout en niant la présence de militaires russes et en imposant le récit mensonger de « séparatistes ukrainiens » et de « référendums populaires ». Il avait ainsi affaibli la souveraineté de l'Ukraine et enterré l'espoir de Kiev de rejoindre l'Union européenne et l'OTAN. En attaquant toute l'Ukraine en février 2022, Il a isolé la Russie et renforcé les liens entre l'Ukraine et les démocraties et il a obtenu le résultat inverse de celui qu'il poursuivait : l'Ukraine a commencé son processus d'adhésion à l'Union européenne et elle est désormais soutenu militairement et financièrement par tous les États membres de l'OTAN. Le chapitre 11 de mon livre intitulé L'escalade donne les différents facteurs et éléments de contexte qui ont poussé Poutine à la décision insensée d’envahir l'Ukraine. Il n'avait anticipé ni la forte résistance ukrainienne ni le soutien indéfectible des alliés de Kiev contre Moscou.


« La guerre est l’horizon de principe et le mode de fonctionnement du pouvoir poutinien » écrivez-vous. Cependant, vous refusez de qualifier la guerre menée en Ukraine d’impérialiste. Pouvez-vous nous éclairer sur ces points ?

Marie Mendras : Définir la guerre russe en Ukraine est important. C'est une guerre d'agression, conduite avec des méthodes criminelles (que j'analyse dans mon ouvrage), sans but et sans limite. C'est un conflit pour détruire, pas pour conquérir. C'est le projet d'un homme. Vladimir Poutine ne poursuit pas le projet de rétablir l'empire et il n'en a pas les moyens. Il veut empêcher les autres d'exister en paix car les « autres », de Lviv à Tbilissi, de Tallinn à Varsovie, sont ses « ennemis » personnels. L'homme du Kremlin a peur des États démocratiques et des sociétés libres. La dictature pousse son pays vers l'abîme. La situation en Russie est difficile, sur le plan militaire, économique et social. Et ce n'est pas en imposant à sa population un nouveau plébiscite fabriqué les 15-16 mars 2024 que Poutine rassurera sa population. Les Russes savent que la guerre tue. Environ 300 000 militaires et combattants russes ont été tués, blessés ou mis hors de combat depuis deux ans. 

Quel est l’état du régime Poutine, sept mois après la mutinerie des milices Wagner qui a montré la fragilité du système ?

Marie Mendras : La répression en Russie et la guerre en Ukraine sont les deux faces du système Poutine. L'élimination d'Alexei Navalny dans un camp pénitentiaire où il était enfermé depuis trois ans dans des conditions inhumaines expose le désir irrépressible qui habite le dictateur : détruire et anéantir tous ceux qu'il ne peut pas soumettre. Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir grâce à une guerre de terreur en Tchétchénie. Il a ensuite consolidé sa position dominante en menant une stratégie de confrontation permanente contre tous ceux qui lui tenaient tête, des Ukrainiens aux Géorgiens, des dirigeants de l’opposition russe aux journalistes et acteurs économiques indépendants. Aujourd'hui, enfermé dans sa forteresse, le chef du Kremlin est dans une lutte pour sa propre survie mais il est bien celui qui a fabriqué ses ennemis et la fantasmagorie d'une Ukraine nazie qui voudrait anéantir la Russie.

« Poutine ne gagnera pas la guerre » écrivez-vous. Il semble néanmoins que l’Ukraine aura également du mal à remporter ce conflit. Cette situation ne sied-t-elle pas in fine au président russe auquel un conflit long convient parfaitement puisqu’il est ce qui lui permet d’asseoir son pouvoir et de gouverner ?

Marie Mendras : L'Etat poutinien, son armée et ses mercenaires sont incapables d'occuper toute l'Ukraine, de faire tomber le gouvernement et d'installer un pouvoir fantoche à leur solde. Dès la deuxième semaine de guerre, au début du mois de mars 2022, le but de guerre proclamé, « dénazifier et démilitariser l'Ukraine », était mis en échec par la résistance de l'armée ukrainienne et l'impréparation de l'armée russe.


Il est possible qu'arrive un jour où, sous la pression des commandants militaires qui avaient essayé de le dissuader de lancer l'agression et devant les difficultés à mobiliser toujours plus d'hommes, Vladimir Poutine tente une manœuvre : proposer un « « cessez-le-feu » selon des termes flous, qui permettrait à la Russie de maintenir l'occupation dans le Donbass et en Crimée. Mais la manœuvre échouera. Car nous ne sommes plus en 2014. Ni les Ukrainiens ni les Européens ni les Nord-Américains n'accepteront un statu quo intenable, où l'agresseur resterait présent dans des villes qu'il a lui-même détruites et où les populations civiles ont subi de terribles exactions. Les pays européens ont bien compris que seule la reddition de l'agresseur peut assurer la paix en Ukraine et sur le continent européen. 

Propos recueillis par Corinne Deloy


Photo de couverture : couverture du livre La Guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin
Photo 1 : Moscou, 1er mars 2024 : Ceux qui sont venus dire au revoir à l'homme politique Alexeï Navalny. Crédit Aleksey Dushutin pour Shutterstock.
Photo 2 : Odessa, 3 mars 2024. À la suite de l'attaque à la roquette à Odessa, un immeuble résidentiel a été endommagé par des tirs de roquettes, où, selon les services, 11 personnes, des enfants, ont été tués. Crédit 
A_Lesik pour Shutterstock.
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