Cambodge : Des élections organisées pour la forme

Jérémy Jammes

24/06/2013

En partenariat avec Alternatives Internationales

Face à une opposition aussi faible que divisée, le Premier ministre Hun Sen devrait fêter dans les urnes ses quinze ans de pouvoir autoritaire à la tête d’un pays à l’agonie.

Dans ses discours, le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, 61 ans, ambitionne de rester au pouvoir jusqu’à l’âge de 74 ans, prenant explicitement modèle sur le Vietnam, la Chine et la Malaisie, où la pérennité d’un même parti serait gage de stabilité politique et économique. Les dernières élections sénatoriales puis communales en 2012 ont été sans surprise pour sa formation, le Parti du peuple cambodgien (PPC), qui contrôle actuellement 90 des 123 sièges de l’Assemblée nationale.
Le nombre des partis en lice dans le pays est passé de 23 en 2003 à onze en 2008, puis à huit pour les législatives du 28 juillet 2013. Le système de répartition des sièges décourage les petites formations et suscite des alliances, comme cette année celle du Parti de Sam Rainsy avec le Parti des droits de l’homme, en un Parti du sauvetage national cambodgien (PSN).
Le règne de Hun Sen, réélu depuis quinze ans, s’est imposé par une pratique clientéliste décomplexée. Selon la liste des candidats du PPC, au moins huit fils de hauts responsables du parti se présentent aux prochaines élections, dont un fils et un beau-fils de Hun Sen. Simultanément, le PPC s’est engagé dans une phase de durcissement judiciaire aux dépens des leaders de l’opposition, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, ainsi que des rivaux de Hun Sen au sein du parti.
Les cas de Chea Sim (président du Sénat et du PPC) et de Sam Rainsy (président du parti éponyme et chef de file de l’opposition, en exil depuis 2009) notamment ont fait la une des journaux. Dans ce contexte autoritaire, la pratique d’élections joue à la manière d’un rituel de légitimation politique et d’affirmation de soi par les élites au pouvoir. Sans oublier, par ailleurs, les carences de l’opposition plurielle, aux tendances revanchardes, révisionnistes et xénophobes anti-vietnamiennes.
Avec un PIB per capita parmi les plus faibles de la planète (686 euros) et un fort taux de population vivant sous le seuil de pauvreté (30,1 %), la question du « développement » économique du pays et de son coût (déforestation, expropriation, traite humaine, émigration, etc.) auraient naturellement dû susciter des débats politiques houleux. Il n’en est rien, le gouvernement et les partis d’opposition préférant attiser la crainte d’un retour à la guerre civile et prôner une course mercantiliste au profit. À proportion de ce qu’il croît et rajeunit – 5,1 millions d’électeurs en 2002 et 9,2 millions en 2012 (sur une population de 14 millions d’habitants) – le corps électoral se désintéresse d’un scrutin qui le prend de haut (participation de 87 % en 2002, 66 % en 2007 et 51 % en 2012 pour les communales), à moins d’être « incité » au vote : mi-mai, quelque 4 500 enseignants ont reçu chacun 9,50 euros pour avoir assisté à un discours du secrétaire général du PPC. Reste qu’en deçà de cette façade démocratique, un rôle dominant et interventionniste est octroyé aux militaires dans l’échiquier politique. Fils aîné du Premier ministre et diplômé de West Point, l'académie militaire des États-Unis, Hun Manet, 35 ans, a été promu général de division, commandant en chef adjoint de l’infanterie des Forces armées royales khmères, vice-commandant de l’unité des gardes du corps de son père et directeur du département antiterroriste du ministère de la défense. Un autre fils, Hun Mani, 30 ans, vient d’être nommé à la tête d’un mouvement des jeunes du PPC, assurant ce parti d’une relève. Conforté par les élections législatives de 2008 et sans doute celles prochaines de juillet, Hun Sen l’est surtout par le soutien de la Chine, laquelle valide la politique cambodgienne d’accès libérale aux ressources naturelles et humaines du pays, causant la déréliction du corps social – et marquant là une rupture avec la précédente diplomatie chinoise du défunt roi Sihanouk. Si l’après-Hun Sen devait apparaître sans issue, le peuple cambodgien pourra compter sur Pékin pour régler son avenir.

Jérémy Jammes, directeur adjoint de l’Irasec à Bangkok et auteur de « L’Asie du Sud-Est 2013. Bilan, enjeux et perspectives », à paraître aux éditions des Indes savantes.

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