CERI
/lab.

Quarante ans avant

Guy Hermet

Lire

 

Plutôt que d’écrire un nouveau texte pour ce soixante-dixième anniversaire de notre CERI, je reprendrai ci-dessous celui que j’avais préparé pour son cinquantième anniversaire, en 2002, trois ans seulement après ma retraite de Sciences Po, alors que j’en connaissais encore à peu près tout. Ce choix m’évite d’être hors sujet. Et il me permet aussi, d’une part, de rappeler la figure ou la mémoire des dizaines de chercheurs et collègues que j’y ai alors croisés depuis les débuts et, d’autre part, de rappeler cet épisode de l’existence du CERI où il avait changé de nom sinon de sigle. J’ajoute que cette courte introduction me fournit en plus l’occasion de manifester l’une de mes préoccupations actuelles. Comment réagir à l’envahissement du vocable « géopolitique », cher à la défunte Allemagne de « l’espace vital » puis leit motiv de l’astucieuse contre-attaque présente des géographes et de tous ceux qui se font un trésor médiatique d’une pseudo-discipline dépourvue de physionomie scientifique.

 

Texte rédigé à l'occasion du 50ème anniversaire du CERI, en 2002

Avant d’atteindre la cinquantaine, le CERI a eu bien sûr trente et même vingt-cinq printemps sans d’ailleurs que ces anniversaires soient célébrés avec solennité. Mais ce qui vaut pour son sigle toujours juvénile ne vaut pas pour son nom, qui a changé. En le créant en 1952, Jean-Baptiste Duroselle et Jean Meyriat l’avaient baptisé Centre d’étude des relations internationales, et seulement après un quart de siècle, en 1976, qu’il a pris - des nostalgiques disaient par ma faute - sa seconde appellation promise à être provisoire de Centre d’études et de recherches internationales. Pourquoi ? Ma candeur de premier chercheur « sorti de la base » à parvenir à sa direction après ses fondateurs me faisait penser que la dénomination du CERI devait énoncer ses orientations réelles du moment ; orientations partagées dans ces années-là entre ce que l’on appelait l’analyse des phénomènes politiques internationaux ou transnationaux, et celle des systèmes politiques étrangers. Au vrai, l’étude des « aires culturelles » d’avant le choc des civilisations de Samuel Huntington l’y emportait même de loin sur celle des relations internationales.

Guy Hermet, par Elisabetta Lamanuzzi, magazine Emile, juin 2019.

Avec cela, la distinction en apparence oiseuse opérée dans le titre entre études et recherches ne répondait pas qu’à la volonté de conserver le sigle CERI au prix d’un modeste bricolage. L’obligation d’affecter un sens au E et au R servait à point nommé un calcul encore peu avouable : elle permettait  de suggérer que, bien qu’assujettis au devoir prioritaire de s’adonner à une recherche réputée fondamentale guidée par l’unique souci du « progrès de la discipline », les chercheurs pouvaient répondre aussi sans déroger à la « demande sociale » avec des études plus roturières, sollicitées et - comment donc ? - financées notamment par l’administration, des entreprises, des organisations internationales ou des associations.

Mal acceptée à l’époque, cette idée a fait plus que son chemin. Et s’agissant de l’appellation du CERI, seul le sigle reste présent à l’esprit ; l’impropriété croissante de l’adjectif international ne gêne personne, quand bien même « glocal » semblerait maintenant plus approprié avec son double accrochage au global et au local (les hybridations locales d’un agir global dans un monde libéral ou protectionniste selon les besoins). Quant au CERI lui-même, comme milieu, jusqu’où s’est-il transformé ? Guère dans ses effectifs, à peine moins étoffés vers 1980. Davantage dans ses lieux, depuis que le flambant Hôtel d’York a effacé la séduction Ivy League de la rue de Chevreuse et le charme plus discret des cloisons mobiles de la Maison des Sciences de l’Homme. Surtout, il a forcément beaucoup changé comme communauté de personnes.

En dépit des soins d’Hélène Arnaud, Sylvie Haas, Hélène Cohen, Annie Dubaquié, Jean-Pierre Joyeux et Marie-Anne Rauber entre autres, le CERI d’alors nous aurait paru sous-administré. De leur côté, nombre de ses chercheurs restaient travaillés par le rêve « soixante-huitard » de la délibération permanente en même temps qu’ils imaginaient que leur situation se trouvait terriblement menacée et qu’ils souffraient d’un manque de reconnaissance sociale cette fois indéniable (si différent du culte rendu de nos jours au Chercheur). Et puis ce n’était qu’assez rarement ceux d’aujourd'hui, évidemment : Hélène Carrère d’Encausse, Philippe Devillers, Cérès Wissa-Wassef, Louis-Jean Duclos, Geneviève Bibes, Nicole Grimaud, Joan Garcès, Jacques Leclerc, Alain Rouquié, Olivier Carré, Elizabeth Picard, Marie-France Toinet, Pierre Gilhodès, Françoise Blanchard, Pierre Fistié, le « couple Cadart », Jean-Luc Domenach, Chi-Hsi Hu, Violette Graff, sans parler de visages demeurés plus familiers comme ceux de Pierre Hassner, de Christiane Hurtig, de Françoise de La Serre, de Christine Alix, ou encore d’une périphérie proche où Alfred Grosser tenait la première place avec Jean Leca, un nouvel arrivant cette fois ... C’était un signe. Non pas de la relève mais, déjà, le « renfort des générations » était en cours, grâce à tous ceux que je n’ai pas la place de nommer ici. Alors, comme aujourd’hui, c’est ce renfort qui a refaçonné et fait rebondir périodiquement le CERI sans pourtant lui faire perdre jamais son identité.

Mots clés
©Image : ©Sciences Po