CERI
/lab.

En ce temps-là…

Lire

 

Répondant à l’invitation qui m’est faite, je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas (entièrement) connaître – et pour cause : il s’agit des années 2000-2008 et des deux mandats de directeur du CERI que j’ai exercés, le premier en tandem avec Christian Lequesne, le second avec Ewa Kulesza comme Directrice exécutive.

En ce temps-là – pour continuer dans la paraphrase – le CERI, qui venait de s’installer au 56 rue Jacob grâce à Jean-François Bayart, directeur de 1996 à 2000, jouissait d’un statut et de marges de manœuvre aujourd’hui disparus. Le Conseil d’Unité, auquel participait le Directeur scientifique de Sciences Po, recrutait lui-même les chercheurs et chercheuses FNSP. C’est ainsi qu’en huit ans une nouvelle génération de « social scientists » (principalement des politistes) a rejoint le laboratoire pour mettre en œuvre sa politique scientifique (d’où des « fléchages » et des « coloriages » définis par le Conseil d’unité du laboratoire et la direction de Sciences Po). Parmi ces nouvelles recrues des années 2000-2008 (auxquelles il faudrait ajouter les collègues du CNRS recrutés par la Section 40 ainsi que plusieurs enseignants chercheurs – ce qui doublerait la mise) figurent, dans l’ordre alphabétique, Stéphanie Balme, Romain Bertrand, Antonela Capelle-Pagocean, Laurence Louër, Catherine Perron, Sandrine Perrot, David Recondo, Daniel Sabbagh, Sandrine Revet, Jérôme Sgard et Cornelia Woll. Un « search committee » international n’aurait pas fait de meilleurs choix !

L’autonomie financière du laboratoire permettait aussi au Conseil de labo, lors d’une studieuse « session budgétaire » annuelle, de répartir non seulement les fonds nécessaires aux missions et traductions de l’année, mais aussi aux « Projets spéciaux » (individuels et d’une durée de trois ans) ainsi qu’aux « Projets transversaux » – que nous avions introduits pour favoriser la recherche collective. Ces derniers, à côté des « Groupes de recherche » ont aidé à structurer l’agenda scientifique du CERI autour d’une demi-douzaine de thèmes :

- Réformes économiques et régulations ;
- Les métamorphoses de la violence contemporaine ;
- Les trajectoires historiques de l’État ;
- Migrations et relations internationales ;
- Relations et comparaisons transatlantiques ;
- Représentations et pratiques de la démocratie.

Pour mener à bien ces projets individuels et collectifs, le CERI a soumis des projets à de nombreux bailleurs de fonds nationaux et européens, comme en témoignent les « PCRD » (Programmes cadres de recherche et développement) emblématiques que furent ELISE (European Liberty and Security), CHALLENGE et GARNET dès le début des années 2000.

Au milieu de mon second mandat, le budget du CERI s’élevait à plus de 6,6 millions d’euros – dont un million de contrats.
La gouvernance du laboratoire a d’emblée répondu à une logique collégiale, comme en a témoigné non seulement le rôle du Conseil d’unité dans le pilotage scientifique (recrutements compris) et la répartition des ressources, mais aussi l’organisation de deux assemblées générales par an.

En termes de politique générale (et non plus seulement scientifique), le CERI a investi dans deux domaines qui figuraient en bonne place dans les projets de direction détaillés - d’une dizaine de pages chacun – que j’avais soumis au laboratoire avant le vote du Conseil d’Unité désignant le directeur en 2000 et en 2004 : les publications et l’internationalisation de la recherche.

Le CERI disposait déjà de trois collections d’ouvrages créées au cours du mandat de Jean-François Bayart : les Études du CERI (des textes d’aide à la décision édités et publiés par le laboratoire), The CERI Series in Comparative Politics and International Affairs (une collection d’ouvrages publiée par Hurst et Columbia University Press) et la collection « Recherches internationales » chez Karthala. Nous avons ajouté cinq collections à ce dispositif qui a continué sa montée en puissance : la première chez Fayard (« Les grandes études internationales ») où ont paru une dizaine de « livres-pays » – de véritables sommes pour nombre d’entre eux –, la deuxième chez Autrement (« Mondes et Nations »), pour décrypter l’actualité, la troisième chez Palgrave Macmillan (« Sciences Po Series in International Relations and Political Economy ») pour mieux couvrir les relations internationales et l’économie politique en anglais, la quatrième, « L’enjeu mondial », aux Presses de Sciences Po (avec l’aide de l’Atelier de cartographie de Sciences Po) et la cinquième, sous la forme d’une autre collection maison, « Questions de recherche », consacrée aux travaux en cours sur le mode des « working papers ». À cet ensemble, il faut ajouter les revues. Critique internationale, créée en 1998, a poursuivi sa belle carrière au sein du laboratoire. Le CERI a accueilli, pour sa création et ses premières années, un trimestriel de l’ISA (International Studies Association), International Political Sociology (Oxford University Press). À ces revues, il faut aussi ajouter les numéros annuels, au format magazine, issus de la collaboration du CERI avec Alternatives internationales.

Cette politique éditoriale n’a été possible que grâce au développement et à l’investissement du pôle « Publications » du CERI – qu’avait initié Jean-Luc Domenach, à l’origine, dès les années 1990 de collections d’ouvrages au Seuil et chez Complexe – et de membres du CERI, qu’ils et elles aient tenu la plume ou dirigé certaines de ces collections. Pourquoi avoir fait des publications une priorité ? Parce que l’écrit est un débouché naturel et nécessaire de la recherche en sciences sociales et parce que pour faire connaître les idées nées au CERI, tous les « genres » méritaient d’être explorés, du livre de recherche aux supports de valorisation les plus accessibles. Ce qui nous a d’ailleurs aussi conduit à miser aussi sur le site internet dans une veine que Christian, pendant son mandat, a davantage approfondi.

L’internationalisation du CERI était inhérente à la vocation du laboratoire. Là encore, nous avons bâti sur de solides fondations. Nous l’avons fait en nouant des liens institutionnels avec des partenaires aux profils proches de celui du CERI comme la Amsterdam School of Social Science Research, le département des relations internationales de la London School of Economics, la School of International and Public Affairs de Columbia University (grâce au programme Alliance), le CERIUM (Centre d’Études et de Recherches Internationales de l’Université de Montréal) avec lequel le CERI a organisé plusieurs écoles d’été ou le German Institute of Global and Area Studies, avec lequel le CERI anime aujourd’hui l’Observatory of the Indo-Pacific. Le laboratoire a aussi adhéré au réseau Asia Alliance piloté par l’International Institute for Asian Studies (IIAS) de l’Université de Leiden.

Au chapitre de l’internationalisation, un accent particulier a été mis sur la participation aux grands congrès internationaux qu’il s’agisse de « grands-messes » disciplinaires (comme les congrès de l’IPSA et de l’ISA) ou de lieux privilégiés des études aérales (comme les conférences de l’Association for Asian Studies ou de la Middle East Studies Association). Ce qui ne s’est pas traduit par un moindre intérêt pour les manifestations françaises : non seulement le CERI a systématiquement financé la participation de ses membres aux Congrès de l’Association Française de Science Politique, mais il a aussi couvert les frais d’adhésion à cette association professionnelle que j’ai aujourd’hui l’honneur de présider.

Last but not least, l’articulation de la recherche et de l’enseignement est montée en puissance. Outre la présence de nombreux membres du CERI dans les amphis (y compris sur les campus en région), cette articulation s’est traduite par la création d’un cours de premier cycle (on dirait du « Collège » aujourd’hui) de Sciences Po par le CERI et l’animation par ses membres d’un programme de master. Celui-ci, hébergé par l’École doctorale, était destiné aux « mid-careers executives » – sans qu’il s’agisse de formation continue (certain.e.s ont même fini en thèse !).

Ces quelques lignes témoignent d’une époque révolue où les centres de recherche étaient au centre de leur écosystème. Cela n’empêche pas les membres du CERI de continuer à produire une excellente recherche et « le staff » (formule que l’on doit à Jean-Luc) de faire tourner le labo contre vents et marées... Le CERI brille toujours de mille feux et continue d’aider Sciences Po à figurer en bonne place dans les classements internationaux, avec le soutien du CNRS dont l’apport en ressources humaines est trop souvent méconnu et dont les méthodes d’évaluation mériteraient d’être imitées.

Bibliographie/Référence

Publications de Christophe Jaffrelot référencées sur SPIRE (portail de Sciences Po sur l’archive ouverte HAL)

Mots clés
©Image : ©Alexis Lecomte / Sciences Po