L'OFCE analyse la Présidentielle

quels enjeux et sur quelles bases ?
  • Xavier Ragot, Président de l'OFCEXavier Ragot, Président de l'OFCE
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La globalisation donne de nouvelles ressources aux nationalismes

Par Alain Dieckhoff
  •   Photo: Alain Dieckhoff  Crédits Sciences Po Photo: Alain Dieckhoff Crédits Sciences Po

La Nation est à la fois un concept libérateur et porteur d’exclusions : c'est le thème du dernier ouvrage d'Alain Dieckhoff, directeur de recherche CNRS et directeur du Centre de recherches internationales de Sciences Po (Ceri). En s’appuyant sur l’histoire de la nation, on comprend mieux les récentes mutations de ce concept et les tensions générées par le nationalisme. Interview


Vous situez le concept de nationalisme au cœur de la modernité, pouvez-vous préciser ?

Le nationalisme est à la fois une idéologie et un mouvement politique qui entend faire de la Nation - collectivité humaine partageant des caractéristiques communes, culturelles (langue, religion, histoire partagée…) et/ou politiques (appartenance à la même communauté politique territorialisée) – le lieu privilégié de l’expression collective. Le terme est apparu dans les principales langues européennes, d’abord timidement à la fin du 18ème siècle avant de s’affirmer au cours du siècle suivant. C’est dire qu’il s’agit d’un phénomène moderne lié à une transformation majeure : le fait d’investir le peuple de la souveraineté politique ultime, en lieu et place des monarques.


Comment expliquez-vous qu’il soit passé d’une acception « positive », synonyme d’émancipation et de liberté, à une acception « négative », synonyme d’exclusion et de renfermement sur soi?

Parce que l’idée nationale est en rupture avec la société inégalitaire d’Ancien Régime, elle est indissociable de l’avènement de la démocratie comme gouvernement du peuple. Le nationalisme a donc, à son origine, une dimension proprement révolutionnaire et émancipatrice. Du printemps des peuples en 1848 à la « décommunisation » des peuples soumis au joug soviétique dans les années 1990 en passant par la grande vague de décolonisation des années 1950-60, c’est cette portée émancipatrice du nationalisme qui s’est clairement manifestée. Or, à compter de la fin du 19ème siècle, d’abord en France et en Allemagne, puis dans nombre d’autres pays européens, le nationalisme a progressivement pris un autre sens lorsque certains courants politiques conservateurs se sont décidés à en faire une véritable doctrine fondée sur la primauté absolue des valeurs et des intérêts de leur seule Nation. Ce nationalisme de repli, de réaction, de l’enracinement, va de pair avec une double exclusion.

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Le futur et ses paradoxes

par Ariel Colonomos
  • Selling the Future. The Perils of Predicting Global PoliticsSelling the Future. The Perils of Predicting Global Politics

Ariel Colonomos est directeur de recherche CNRS au CERI. Dans son ouvrage "Selling the Future. The Perils of Predicting Global Politics" (Hurst / Oxford University Press), l’auteur aborde les paradoxes de la prévision et de la prédiction et interroge les entreprises du savoir d’aujourd’hui afin de montrer comment nos futurs sont façonnés par les agences de notation, les think-tanks, mais aussi les chercheurs en sciences sociales.  Entretien

Après "La morale dans les relations internationales" et votre ouvrage "Le pari de la guerre", vous avez choisi de vous intéresser au futur et aux activités de prévision et de prédiction, et à la manière dont ces dernières jouent un rôle dans notre présent et notre futur. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours de recherche? Qu’est ce qui vous a mené à travailler sur les notions d’anticipation et de prédiction ?

Ariel Colonomos : Dans mon ouvrage "La morale dans les relations internationales", je me concentrais sur l’explication d’une dynamique qui me semblait très caractéristique de la période post-Guerre Froide et des années 1990. Les Etats et les autres institutions  devaient “rendre des compte” sur leurs erreurs passées ou présentes. Il leur fallait creuser leur passé pour avancer vers le futur. Il y avait, pour moi, un besoin de comprendre les raisons d’un tel phénomène et de mesurer ses conséquences, en particulier en termes normatifs et éthiques. Dans l’ouvrage "Le pari de la guerre", je me suis attaché aux années qui ont suivi les attaques du 11 septembre 2001, qui ont initié un mouvement caractéristique de la décennie 2000, et qui, d’une certaine manière, reste l’un des marqueurs de la période que nous vivons actuellement. Face à des attaques au cours desquelles des populations civiles sont tuées dans leur propre pays, les Etats occidentaux se sont lancés dans des actions préventives. Ce faisant, ils ont parié sur l’avenir. L’action préventive est fondée sur l’anticipation, et de fait, elle est une forme de pari. On part de l’hypothèse que l’inaction serait plus couteuse et que l’utilisation de la force empêcherait des attaques futures des ennemis dont les intentions sont hostiles et dont les capacités létales se sont développées, pour justifier le fait d’attaquer en premier. Cela a des implications et des conséquences militaires, politiques et morales importantes, qu’il faut expliciter et que l’on doit discuter sur le plan normatif. Ce travail sur le pari de la guerre m’a permis de me rendre compte de l’importance des anticipations, qui sont au coeur de la prévention. Afin de pouvoir opérer des paris préventifs et ainsi réellement parier sur la guerre, les Etats ont besoin de produire des récits sur le futur. Cela m’a poussé à écrire l’ouvrage "La politique des oracles"/"Selling the Future"...

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La Lettre de la recherche

numéro Un !
  • Cogito, la lettre de la recherche à Sciences PoCogito, la lettre de la recherche à Sciences Po

Au cœur de la recherche

Cogito est une lettre semestrielle qui vous conduit au cœur de la recherche menée à Sciences Po : elle comprend un dossier pluridisciplinaire sur un sujet majeur, la présentation de publications et de contrats emblématiques, des vidéos de jeunes chercheurs, et dans chaque numéro, une statistique inattendue.

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Valoriser vos enquêtes

l'appel à propositions de beQauli
  • beQualibeQuali

L'appel à propositions d’enquêtes qualitatives pour la plateforme beQuali est ouvert jusqu'au 18 septembre 2016

L’ouverture des données de la recherche est plus que jamais d’actualité. Or aujourd'hui, les archives d'enquêtes qualitatives en sciences sociales sont rarement sauvegardées dans des conditions garantissant leur disponibilité pour la recherche et l'enseignement. Pour répondre à ce besoin, la banque d’enquêtes beQuali* offre un service national de mise à disposition, en ligne, de ces données.

beQuali accroît son catalogue et vous offre l'opportunité de sauvegarder et de valoriser vos enquêtes.

Cet appel est ouvert aux chercheurs, aux professionnels de l'information scientifique et technique et aux institutions ayant produit ou conservant des enquêtes qualitatives en sciences sociales. Il vise à recueillir des propositions d'enquêtes en vue de leur dépôt sur beQuali.fr.


Pour en savoir plus

Renseignement : contact@bequali.fr


*La plateforme beQuali est développée au Centre de données socio-politiques (CDSP, UMS 828 Sciences Po – CNRS) par une équipe de professionnels des archives, de la documentation, des humanités numériques et des sciences sociales. Elle fait partie de l'équipement DIME-SHS (Données Infrastructures et Méthodes d'Enquête en Sciences Humaines et Sociales) porté par Sciences Po en partenariat avec l'INED, l'EHESS, l'Université Paris Descartes, le GENES, le Réseau Quételet, Telecom-ParisTech et EDF-R&D. Cet équipement est financé par l'ANR (ANR-10-EQPX-19-01) dans le cadre des investissements d'avenir.

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Nicolas Coeurdacier

nominé pour le Prix du meilleur jeune économiste français
  • Nicolas Coeurdacier. Crédits : Sciences PoNicolas Coeurdacier. Crédits : Sciences Po

Créé en 2000 par Le Monde et le Cercle des économistes, le Prix du meilleur jeune économiste vise à valoriser le travail des meilleurs jeunes économistes français et à  mieux faire connaître les multiples facettes des sciences économiques.

Cette année, Nicolas Coeurdacier, professeur à SciencesPo et membre du Centre for Economic Policy Research (CEPR), a été nominé pour ses recherches sur les flux financiers internationaux.

Ses travaux l’ont conduit à réviser la théorie économique classique selon laquelle les investissements se dirigent vers les pays en forte croissance. Or, comme l’a constaté Nicolas Coeurdacier, les phénomènes observés ces vingt dernières années vont à l’encontre de ce principe. C’est en particulier remarquable lorsque l’on observe les investissements chinois qui se sont essentiellement dirigés vers des pays développés à faible croissance.

Cette nomination vient s’ajouter à d’autres consécrations prestigieuses des recherches de Nicolas Coeurdacier et notamment une Chaire d'excellence de l’Agence Nationale de la Recherche pour des travaux sur les choix de portefeuilles internationaux et le partage des risques. Ainsi qu’une bourse très sélective du Conseil européen de la recherche (ERC) pour son projet INFINHET « Hétérogénéïté en finance internationale ».

Enfin, un de ses articles - Credit Constraints and Growth in a Global Economy (Pdf, 1000 Ko) - co-écrit avec Stéphane Guibaud (Sciences Po) et Keyu Jin (LSE) a été publié dans la très prestigieuse American Economic Review.

Il faut enfin ajouter que cette nomination s’inscrit dans une longue lignée de lauréats (4) et de nominés (3) membres du Département d’économie de Sciences Po : Philippe Martin (lauréat ex aequo 2002), Thierry Mayer (lauréat ex aequo 2006), Etienne Wasmer (lauréat ex aequo 2006), Yann Algan (lauréat ex aequo 2009), Alfred Galichon (nominé 2010), Guillaume Plantin (nominé 2011), Elise Huillery (nominée 2014).


Plus d'information à propos de Nicolas Coeurdacier et ses recheches

Lire son interview sur le site de Sciences Po "Pourquoi la Chine épargne autant"

Lire son interview dans Le Monde : "Les actifs sûrs sont dans les pays développés, l’épargne dans les pays émergents"

27 mai 2016

L'Afghanistan

moins de traditions, plus de terres ?
par Fariba Adelkhah
  • Bamyan valley, Wikimedia CommonsBamyan valley, Wikimedia Commons

Anthropologue au CERI, Fariba Adelkhah propose  - par ces deux publications - de changer à la fois d'angles de vue et de lunettes pour lire une réalité afghane bien différente de celle que nous offre le prisme des relations internationales.

Guerre, reconstruction de l'Etat et invention de la tradition en Afghanistan
Les études du CERI, mars 2016

La guerre depuis 1979 et la reconstruction de l’Etat sous la tutelle occidentale depuis 2001 ont conduit
à une simplification identitaire de la société afghane, sous la double forme d’une invention de l’ethnicité
et de la tradition – un processus dont l’enjeu véritable est le contrôle ou l’appropriation des ressources
politiques et économiques du pays. Le Hazarajat est un remarquable site d’observation de cette évolution. Son histoire a été marquée par son intégration coercitive, à la fin du XIXe siècle, à l’Etat afghan en formation. Sa population, de confession chiite, s’est vue reléguée à une condition de subalternité dont elle n’est progressivement sortie qu’à la faveur du djihad contre l’occupation soviétique, dans les années 1980, et de l’intervention américaine en 2001, au prix de l’ethnicisation de sa conscience sociale et politique.Mais l’ethnicité repose sur une économie morale et politique moins communautaire qu’inégalitaire. Succédant à la guerre, l’aide à la reconstruction de l’Etat tend à polariser les rapports sociaux, tout en renforçant leur ethnicisation : les bailleurs de fonds et les ONG demeurent prisonniers d’une approche culturaliste, sinon orientaliste, du pays, qu’ils contribuent de la sorte à « traditionaliser », tandis que l’aide au développement déstabilise la société « traditionnelle » en accélérant sa monétarisation et sa marchandisation.
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Guerre, reconstruction de l’Etat et invention de la tradition en Afghanistan
La Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, juin 2013

La guerre depuis 1979 et la reconstruction de l’Etat sous la tutelle occidentale depuis 2001 ont conduit à une simplification identitaire de la société afghane, sous la double forme d’une invention de l’ethnicité et de la tradition – un processus dont l’enjeu véritable est le contrôle ou l’appropriation des ressources politiques et économiques du pays. Le Hazarajat est un remarquable site d’observation de cette évolution. Son histoire a été marquée par son intégration coercitive, à la fin du xixe siècle, à l’Etat afghan en formation. Sa population, de confession chiite, s’est vue reléguée à une condition de subalternité dont elle n’est progressivement sortie qu’à la faveur du djihad contre l’occupation soviétique, dans les années 1980, et de l’intervention américaine en 2001, au prix de l’ethnicisation de sa conscience sociale et politique. Mais l’ethnicité repose sur une économie morale et politique moins communautaire qu’inégalitaire. Succédant à la guerre, l’aide à la reconstruction de l’Etat tend à polariser les rapports sociaux, tout en renforçant leur ethnicisation : les bailleurs de fonds et les ONG demeurent prisonniers d’une approche culturaliste, sinon orientaliste, du pays, qu’ils contribuent de la sorte à « traditionaliser », tandis que l’aide au développement déstabilise la société « traditionnelle » en accélérant sa monétarisation et sa marchandisation.
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Le retour inattendu de la tolérance

Le rapport 2016 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie
  • Eijiha Jimia/Flickr, CC BY-NCEijiha Jimia/Flickr, CC BY-NC

Le retour inattendu de la tolérance

Nonna Mayer, Sciences Po – USPC

Tous les ans, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) remet au premier ministre un rapport sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie », qui dresse le bilan tant des actes racistes – tels que les recense le ministère de l’Intérieur – que des préjugés, mesurés depuis 1990 par un sondage auprès d’un échantillon national représentatif de la population adulte résidant en France métropolitaine.

Ce rapport souligne qu’en 2015 le total cumulé des actes racistes (violences contre les personnes physiques, dégradations de bien) et des menaces (propos ou geste injurieux, intimidations, graffitis, tracts) est monté à 2034 – un niveau record (voir figure 1). La hausse est de 22 % par rapport à l’an dernier, avec deux pics nets dans la semaine suivant les attentats terroristes de janvier puis de novembre. La hausse est encore plus spectaculaire dans le cas des actes antimusulmans, qui ont plus que triplé en un an.

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On pouvait s’attendre à ce que le sondage annuel de la CNCDH corrobore cette poussée d’intolérance. Or c’est l’inverse qui se produit. Jamais l’opinion publique n’a été si accueillante envers ses minorités, si mobilisée contre toutes les formes de racisme. C’est ce que montre l’indice longitudinal de tolérance (ILT) mis au point par le sociologue Vincent Tiberj.

Il établit la moyenne des réponses tolérantes à partir de 69 séries de questions relatives à l’image des minorités, posées au moins trois fois depuis 1990, et varie de zéro (si personne ne donnait jamais la réponse tolérante) à 100 (si tout le monde la donnait toujours). Or cet indice, en forte baisse après la crise économique de 2008, est remonté de dix points entre fin 2013 et début 2016, retrouvant son niveau de 2004 : 64 sur 100 (figure 2).

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Les évolutions les plus fortes s’observent après les attentats : l’indice gagne deux points entre novembre 2013 et novembre 2014, trois entre novembre 2014 et mars 2015, cinq entre mars 2015 et janvier 2016. C’est vrai pour toutes les minorités, y compris pour les Roms, les moins aimés, et pour les musulmans, alors qu’on pouvait craindre l’amalgame après des attentats commis au nom du djihad. Ainsi de 2013 à 2016 la proportion de répondants à qui l’islam évoque quelque chose de positif est passée de 20 à 32 %, et celle estimant qu’il faut permettre aux musulmans d’exercer leur religion dans de bonnes conditions de 69 à 79 %.

Jamais il n’y a eu un tel consensus pour juger nécessaire une lutte vigoureuse contre le racisme (à plus de 70 %) ou pour juger grave de refuser à quelqu’un l’embauche, l’accès à un logement, à une boîte de nuit, ou le mariage avec un de ses enfants, pour sa couleur de peau ou son origine (à plus de 90 %). Comment expliquer ce paradoxe ?

L’attitude et le comportement

Une longue tradition de recherche montre, d’abord, qu’il n’y pas de relation mécanique entre les attitudes et les comportements. L’expérience menée en 1934 par le sociologue Richard LaPiere le confirme. Sillonnant les États-Unis avec un couple de Chinois, il fut reçu avec eux dans 67 hôtels et 84 restaurants, essuyant un seul refus.

De retour, il écrivit aux hôteliers et restaurateurs pour savoir s’ils accepteraient de recevoir des personnes d’origine chinoise dans leur établissement : plus de 90 % des réponses furent négatives.

Avoir des préjugés est une chose, les mettre en pratique, dans une relation de face à face, avec des individus en chair et en os, en est une autre, heureusement moins fréquente. D’autant que les actes recensés par le ministère de l’Intérieur sont particulièrement graves, puisqu’ils ont fait l’objet d’un dépôt de plainte ou au moins d’une main courante, et tombent sous le coup de la loi.

Le rôle des élites

Plus intrigante que le décalage entre les mots et les actes est la progression des opinions tolérantes dans le contexte anxiogène de l’année 2015, marqué par les attentats et l’afflux de réfugiés en provenance des zones de guerre, a priori favorable à un repli xénophobe. Les spécialistes des émotions comme le psychologue américain George Marcus, soulignent toutefois que l’anxiété a aussi pour effet de remettre en cause les comportements routiniers, les réflexes acquis. Elle a pu inciter au réexamen critique des stéréotypes racistes les plus courants.

Le 11 janvier 2015, environ 4 millions de personnes ont défilé dans toute la France. Émilien Étienne/Flickr, CC BY

 

D’autant que la réaction aux évènements dépend de la manière dont ils sont cadrés, interprétés par les élites, les médias, les grandes institutions. Après les attaques contre Charlie Hebdo et contre l’Hyper Cacher, François Hollande et les principaux partis ont appelé à des marches républicaines, placées sous le signe de la solidarité avec les victimes et de la mobilisation contre toutes les formes d’intolérance. Réagissant à cet appel près de quatre millions de personnes ont manifesté à travers toute la France, les 10-11 janvier, avec des pancartes « je suis Charlie », « je suis juif », je suis musulman », « je suis policier ». Ce moment solennel de fraternisation et d’union nationale a fait rempart contre l’intolérance.

Après les attentats du 13 novembre, suite à la proclamation de l’état d’urgence, rassemblements et marches étaient interdits. Mais le fait que les terroristes aient frappé de manière indiscriminée, aux terrasses des cafés, au Stade de France, dans une salle de concert, a sans doute facilité l’identification aux victimes, un réflexe immédiat de solidarité et d’union contre le terrorisme.

Le recentrage du « peuple de droite »

Un troisième élément explicatif est d’ordre politique. C’est chez les répondants de droite que le recul de la tolérance a été le plus précoce (dès 2008) et le plus marqué avec un indice en recul de 14 points, soit deux fois plus que pour les répondants de gauche). C’est à droite, aussi, que le retour de balancier a été le plus fort, avec une hausse de l’indice de 13 points entre 2014 et 2016 (contre 8 à gauche).

On observe dans le même temps chez les sympathisants de droite, dès 2014, un net recul de la popularité de Nicolas Sarkozy, au profit de celle d’Alain Juppé. Ce dernier incarne justement une ligne plus centriste, et clairement anti-FN, aux antipodes de la « ligne Buisson » chère au président des Républicains.

On note aussi, malgré ses succès spectaculaires aux élections départementales puis régionales de 2015, une détérioration de l’image et de l’attractivité du FN, en particulier chez les sympathisants des républicains.

Le pape François, un message de tolérance qui porte. Catholic Church England and Wales/Flckr, CC BY-NC

Il y a enfin une évolution dans les milieux catholiques. Alors qu’en 2005, après l’affaire des caricatures de Mahomet et les positions dures du pape Benoit XVI, on notait une crispation des catholiques contre l’islam, et plus largement contre toutes les minorités, corrélée avec leur niveau de pratique religieuse, on observe le contraire cette année. Comme si le message de tolérance, d’ouverture et de dialogue inter-religieux du pape François était entendu par ses fidèles. Autant d’indices convergents d’un relatif « recentrage » du peuple de droite, qui a contribué à la remontée de la tolérance observée depuis deux ans.

Les opinions sont volatiles. Il faudra voir si cette ouverture à l’Autre se confirme dans le prochain Baromètre, fin 2016, à proximité de l’échéance présidentielle de 2017. Tout dépendra, en fin de compte, des hommes et des femmes qui font le débat politique, selon qu’ils se focaliseront sur ce qui rassemble, ou sur ce qui divise.

Pour aller plus loin : « Le regard des chercheurs sur les différentes formes de préjugés » (Nonna Mayer, Guy Michelat, Tommaso Vitale, Vincent Tiberj), dans CNCDH, « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie », 2015, Paris, La Documentation française, 2016.

Nonna Mayer, Directrice de recherche au CNRS/Centre d'études européennes, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Sons et voix de la scène internationale

Un colloque du CERI
  • Musicienne avec une viole de gambe. Crédits : Sciences PoMusicienne avec une viole de gambe. Crédits : Sciences Po

Les 20 et 21 avril 2016, le Centre des recherches internationales de Sciences Po (CERI) organisait un colloque sur les liens qu’entretiennent la musique et les relations diplomatiques.
En effet, en marge des rencontres officielles, la diplomatie a aussi ses échanges officieux, - dont musicaux -, qui intéressent de près les chercheurs en histoire, en musicologie, en relations internationales... Frédéric Ramel, professeur des Universités à Sciences Po, chercheur au CERI et membre du comité scientifique du colloque, nous explique pourquoi.

Quelles sont les liens entre la musique et la diplomatie ?

Frédéric Ramel - L'activité diplomatique est étroitement liée à l'art musical que ce soit lors des rencontres officielles ou bien en marge de celles-ci. Les cérémonies diplomatiques sont en effet l’occasion de rendre sonore la rencontre en scellant la réconciliation voire en la suggérant. Ainsi, Morales compose un motet pour le pape Paul III publié en 1547 dans lequel il expose le rapprochement entre Charles Quint et François 1er voulu par le commanditaire. Elles peuvent être vécues comme une expérience nouvelle ayant pour fonction de subjuguer l’auditeur. Le roi du Danemark Christian IV reçoit les ambassadeurs dans son château de Rosenborg où l’on entend de la musique "cachée". Les musiciens ne sont pas présents dans la pièce mais un dispositif acoustique permet la diffusion des instruments. Le roi se veut symboliquement un contrôleur du son et, par conséquent, du jeu diplomatique. La musique est également très présente en marge des négociations en tant que vecteur de sociabilité entre diplomates. On sait à quel point le Congrès de Vienne en 1815 ne se restreint pas aux rencontres officielles, mais que les bals et concerts organisés parallèlement sont autant d’opportunités de pourparlers fondamentaux.

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Les sociologues de la santé de Sciences Po publiés dans The Lancet

Vers la couverture de santé universelle
  • Hôpital européen Georges-Pompidou - cc.Public DomainHôpital européen Georges-Pompidou - cc.Public Domain

Trois chercheurs du Centre de sociologie des organisations (CSO), Daniel Benamouzig, Henri Bergeron et Patrick Castel, avec trois co-auteurs* contribuent à un numéro spécial de la prestigieuse revue The Lancet.

Portant sur le système français de santé, ce numéro associe des contributions de chercheurs et d'acteurs politiques de premier plan tel que François Hollande et Marisol Touraine.

L'article de nos chercheurs - Achieving universal health coverage in France: policy reforms and the challenge of inequalities - interroge la contribution du système de santé français à l'avènement de la couverture santé universelle.

Abstract

Achieving universal health coverage in France: policy reforms and the challenge of inequalities

Since 1945, the provision of health care in France has been grounded in a social conception promoting universalism and equality. The French health-care system is based on compulsory social insurance funded by social contributions, co-administered by workers' and employers' organisations under State control and driven by highly redistributive financial transfers. This system is described frequently as the French model. In this paper, the first in The Lancet's Series on France, we challenge conventional wisdom about health care in France. First, we focus on policy and institutional transformations that have affected deeply the governance of health care over past decades. We argue that the health system rests on a diversity of institutions, policy mechanisms, and health actors, while its governance has been marked by the reinforcement of national regulation under the aegis of the State. Second, we suggest the redistributive mechanisms of the health insurance system are impeded by social inequalities in health, which remain major hindrances to achieving objectives of justice and solidarity associated with the conception of health care in France.

Accès à l'article complet via les postes de Sciences Po

 * O. Nay, S. Béjean et B. Ventelou

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Daniel Benamouzig est sociologue et directeur-adjoint de l’Institut de Santé Publique de l’INSERM et de l’Alliance AVIESAN. Il s’intéresse aux politiques de santé et aux transformations institutionnelles et aux savoirs économiques. Il a participé à l’élaboration d’un plan d’actions pour la programmation de la recherche en santé.

Henri Bergeron est sociologue et depuis 2015, directeur du Master "Organisations et Management des Ressources Humaines" de Sciences Po. Ses recherches portent sur les politiques de santé et les transformations des pratiques et de la profession médicale.

Patrick Castel est sociologue et travaille sur l’organisation de l’activité médicale et les processus de rationalisation à l’œuvre et également sur les processus de formation de l’action publique en santé.

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L’Algérie, de l’opacité à la complexité

  • Algeria Modern From Opacity to ComplexityAlgeria Modern From Opacity to Complexity

Entretien autour de l’ouvrage « Algeria Modern. From Opacity to Complexity » (Hurst, avril 2016), avec Luis Martinez et Rasmus Alenius Boserup    

L’ouvrage titre « de l’opacité à la complexité » en parlant de l’Etat algérien. Quelles sont les principales caractéristiques de cette opacité?

L’une des principales caractéristiques de cette opacité est le rôle déterminant des services de sécurité. Depuis l’indépendance, l’État en Algérie est resté sous le contrôle et l’influence de l’institution militaire et de ses services qui ont investi une grande partie de l’appareil d’État et des institutions politiques dès la fin de la présidence de Boumédiene (1965-1979). Ils se considèrent à cette époque comme le mur porteur de l’édifice algérien. En outre, en parallèle de la scène politique formelle et institutionnelle, accessible et observable, s’est développée et consolidée une autre scène, constituée, elle, d’acteurs issus d’horizons divers et agissant en réseaux. Pour les algériens, ces acteurs représentent le pouvoir, « le système ». L’opacité était par ailleurs une caractéristique du gouvernement : sous la présidence de Chadli Bendjedid (1980-1991) puis de Liamine Zéroual (1994-1998), il était difficile de savoir « qui gouverne et qui décide » en Algérie. De nombreux témoignages d’anciens ministres soulignent cette inintelligibilité. Fait intéressant sous la présidence de Bouteflika, la dénonciation de cette opacité entame un conflit majeur entre les acteurs politiques (Président, FLN) et les services de sécurité (DRS)…

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U-Multirank : Sciences Po se distingue pour l'ouverture internationale et la recherche

  • U-Multirank 2016U-Multirank 2016

U Multirank vient de publier l’édition 2016 de son évaluation des universités. Sciences Po obtient d’excellents résultats pour son ouverture internationale et sa recherche. Créé en 2014 par la Commission Européenne pour comparer les universités selon plusieurs critères, U Multirank 2016 a évalué 1300 universités dans plus de 90 pays. Il constitue en ce sens une alternative aux grands classements traditionnels.

Pour ce qui est de la recherche, l’édition 2016 d’U Multirank met en avant la dimension internationale de notre recherche et  rappelle que près de 45 % de nos publications se font en collaboration avec des chercheurs d’universités partenaires. Les cotutelles de thèse, également fréquentes, contribuent au caractère international des programmes doctoraux de Sciences Po.

Les résultats U Multirank soulignent également l’influence et la qualité des recherches menées à Sciences Po. Les travaux de nos chercheurs sont abondamment cités dans la littérature scientifique (le taux de citation de leurs publications obtient le plus haut score). Indice supplémentaire de la qualité de ces travaux, U Multirank rappelle que Sciences Po fait partie de la meilleure catégorie d’établissements en ce qui concerne la capacité de ses académiques à remporter des financements prestigieux (European Research Council, Agence Nationale de la Recherche, etc.)

Voir l'ensemble des résultats

Sciences Po au 4è rang mondial en “Science politique & relations internationales”

Edition 2016 du classement QS
  • Sciences PoSciences Po

Sciences Po devient la 4ème meilleure université du monde en “science politique & relations internationales”, révèle l’édition 2016 du classement QS des meilleures universités par discipline, dévoilée ce mardi 22 mars.

Désormais classée juste derrière Harvard University, Oxford University et la London School of Economics, Sciences Po a gagné neuf places dans cette discipline depuis le classement 2014, et demeure la meilleure université française en ce domaine.

Le classement QS 2016 distingue également l’excellence académique de Sciences Po en sociologie, où elle passe de la catégorie des 51-100 meilleurs au 50ème rang mondial, et occupe toujours la 2ème place sur le plan national. Autre belle performance en “économie & économétrie”, où Sciences Po intègre le Top 100 des meilleures universités mondiales.

À signaler également, Sciences Po se place au 1er rang en France, et au 40ème rang mondial, dans une catégorie évaluée pour la 1ère fois par QS, “Politique sociale & administration publique”. Autre point fort : l'histoire, où l'institution figure au 3è rang national.

Globalement, sur toutes les disciplines du classement étudiées à Sciences Po, l’établissement se place dans le trio de tête en France, et dans les 150 premiers mondiaux. Une performance remarquable pour une communauté académique relativement restreinte de 220 chercheurs-enseignants. 

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22 mars 2016

Pesticides et santé : ne pas ignorer ce que l’on sait

  • Remplissage d’un épandeur. Cc :  USDA/WikipediaRemplissage d’un épandeur. Cc : USDA/Wikipedia

Pesticides et santé : ne pas ignorer ce que l’on sait

Par Jean-Noël Jouzel, CSO - Sciences Po et Giovanni Prete,Université Paris 13 – USPC

Diffusé au début du mois de février sur France 2, le magazine Cash Investigation, consacré aux effets des pesticides sur la santé humaine, n’en finit pas de faire parler de lui. Il met en scène des éléments inquiétants : présence de substances toxiques interdites depuis longtemps dans les cours d’eau, pollution de l’air par des molécules fortement suspectées d’avoir un impact sur le développement infantile (même à faible dose), difficulté d’accès aux informations sur les ventes et l’utilisation des produits.

L’intérêt du documentaire provient moins de la révélation d’informations nouvelles que de l’effet de sidération que crée la mise en série de tous ces éléments. Ce faisant, l’émission contribue à la prise de conscience publique des enjeux sanitaires liés aux pesticides au-delà des cercles les plus spécialisés.

Entretenir le doute

Le reportage attire notamment l’attention sur certaines pratiques développées par les firmes qui commercialisent les pesticides pour dissimuler le plus longtemps possibles les dangers de ces produits. Il met en avant les piliers principaux de cette stratégie de « production du doute ». Il s’agit de contester la validité des études scientifiques qui mettent en cause les risques associés à un produit en attaquant la robustesse de leurs protocoles ou l’indépendance de leurs auteurs, en finançant des études qui produisent des résultats contradictoires ou qui mettent en avant des facteurs de confusion et en faisant la promotion des contraintes réglementaires dans le champ de l’évaluation de risque, de façon à en exclure les données produites par les communautés académiques.

Depuis quelques années, plusieurs travaux de sciences sociales ont exploré le recours à ces stratégies du doute par des industriels dans de multiples dossiers : effets nocifs du tabac, réchauffement climatique, amiante… Ces travaux ont bénéficié d’une large audience et sont aujourd’hui bien connus des associations environnementales et, dans une certaine mesure, du grand public, qui a pu y être sensibilisé via des investigations journalistiques dans le prolongement desquelles s’inscrit le documentaire de Cash Investigation.

La mise au jour des stratégies du doute soulève des enjeux importants pour les gestionnaires du risque, ministères ou agences d’expertise en charge d’évaluer et de réglementer les produits chimiques qui nous environnent. Elle les pousse ainsi à réfléchir à des critères de sélection des connaissances scientifiques devant être prises en compte dans les processus d’expertise qui ne soient ni trop restrictifs, ni trop extensifs, et qui permettent de « décider en incertitude ». Elle pose avec acuité la question des éventuels conflits d’intérêt qui traversent ces processus.

Des faits bien connus mais marginalisés

Cet intérêt des sciences sociales, des journalistes et des associations environnementales pour les stratégies de production volontaire de doute dans le champ de l’environnement et de la santé ne doit toutefois pas faire perdre de vue ce qu’on sait des risques induits par les produits toxiques. Sur les pesticides, en particulier, il existe de nombreuses données préoccupantes du point de vue de la santé publique, qui ne font l’objet d’aucune controverse, et qui demeurent pourtant marginalement prises en compte par les pouvoirs publics.

Voici un exemple : depuis bientôt dix ans, les autorités en charge de l’évaluation et de la gestion des risques liés aux pesticides (l’Agence nationale de sécurité sanitaire et le ministère de l’Agriculture) se posent des questions sur l’efficacité des équipements de protection que doivent porter les agriculteurs lors de l’épandage des pesticides les plus dangereux. Cette inquiétude trouve son origine dans des données produites au milieu des années 2000 par une équipe d’épidémiologistes menant des campagnes de mesures d’exposition des travailleurs viticoles dans le Bordelais.

Ces données indiquaient notamment que les opérateurs portant une combinaison étaient davantage contaminés que ceux qui n’en portaient pas. Elles ont donné lieu à une succession d’expertises destinées à mesurer l’efficacité des « équipements de protection individuels » (EPI) dont le port est recommandé sur l’étiquette des produits phytopharmaceutiques commercialisés, et de réflexions collectives (groupes de travail nationaux, engagement d’un processus de normalisation, etc.) visant à proposer des EPI réellement protecteurs.

 

Dominique Marchal, premier exploitant dont le cancer a été reconnu maladie professionnelle en 2006.

 

Sans remettre en cause l’utilité de toutes ces initiatives, notons qu’elles ont contribué à occulter une donnée préoccupante et bien connue : efficaces ou non, les EPI ne sont que rarement portés par les agriculteurs suivant les prescriptions portées sur l’étiquette des produits. Les explications de ce phénomène sont nombreuses : faible lisibilité des étiquettes, inconfort des équipements, inadaptation des EPI au travail agricole, coût, manque de formation… Elles ouvrent des pistes pour imaginer que les EPI soient mieux portés. Toutefois, alors que l’horizon d’une protection efficace des travailleurs agricoles grâce aux EPI reste lointain, ces équipements demeurent un pivot de l’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

Cet exemple donne à voir une forme assez classique d’hypocrisie organisationnelle par laquelle des autorités et – in fine – des industriels affichent des valeurs et des objectifs tout en faisant reposer leur effectivité sur des règles qui sont peu applicables et rarement contrôlées. La sociologie et la science politique ont bien montré qu’une telle situation peut se maintenir durablement sur la seule base du respect de routines, de procédures en place, et de phénomènes de diffusion de responsabilité.

Les incertitudes relatives aux effets des pesticides sur la santé des populations exposées sont nombreuses et elles sont parfois volontairement entretenues par des stratégies de fabrique du doute. Mais il existe aussi beaucoup de certitudes – parfois assez triviales – dont la prise en compte permettrait de mieux protéger la santé humaine des effets délétères de ces produits.

The Conversation

Jean-Noël Jouzel, Chercheur CNRS, sociologie, science politique, CSO - Sciences Po – USPC et Giovanni Prete, Maître de conférence en sociologie, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, Université Paris 13 – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Giacomo Parrinello

rejoint le Centre et le Département d'histoire
  •  Giacomo Parrinello Giacomo Parrinello

Giacomo Parrinello, recruté en qualité d'Assistant Professor en histoire de l'environnement dans le cadre d'une Chaire d'excellence junior USPC, a pris ses fonctions le 1er mars.

Ses recherches portent sur les grandes transformations de l'âge contemporain à l'échelle globale, abordées selon une perspective environnementale, et ce, à travers une épistémologie qui se distancie du traditionnel clivage entre société et nature, tout en tenant compte de la dimension bio-géophysique de l'historicité.

Il s’intéresse particulièrement à l’urbanisation et l’industrialisation, qu'il considère non seulement comme des processus économiques et sociaux, mais aussi politiques et écologiques.

Il est l’auteur d’une monographie sur les tremblements de terre et les processus d'urbanisation parue chez Berghahn Books en 2015 et il travaille sur les eaux dans le bassin du fleuve Po pendant la longue transition à l’époque industrielle. Ses projets futurs portent sur l’étude des milieux côtiers en tant qu’écosystèmes complexes et lieux centraux du développement urbain et industriel contemporain et de ses conflits. Il s'intéresse également connexions entre l’environnement d’un côté et les politiques et les cultures de la consommation au 20e siècle de l’autre.

Titulaire d'un doctorat d'études historiques, juridiques et géographiques de l'Université de Sienne, Giacomo Parrinello a obtenu plusieurs bourses de recherche internationales, dont une Carson Fellowship du Rachel Carson Center de Munich et une bourse Marie Curie, dans le cadre de laquelle il a effectué  un stage postdoctoral de deux ans à l’Université d’ État de Lousiane (Lousiana State University) aux États-Unis, puis un second à l’Institut d’ Écologie Sociale de Vienne (Institut für Soziale Ökologie) durant cette année universitaire.

Clemenceau

Dernières nouvelles du Tigre
par Jean-Noël Jeanneney
  • Clemenceau dans son bureau. Crédits : Bundesarchiv, Bild Clemenceau dans son bureau. Crédits : Bundesarchiv, Bild

Jean-Noël Jeanneney, professeur émérite à Sciences Po, historien de la politique, de la culture et des médias vient de publier, aux Editions du CNRS, une biographie de Clemenceau : Dernières nouvelles du Tigre  - qui nous révèle des facettes inconnues d'une des plus grandes figures de la vie politique française.

Revendiqué désormais par nombre de nos dirigeants politiques, sujet de films et d’expositions à succès, le souvenir de Clemenceau n’a jamais semblé aussi vivant, aussi stimulant. Mais cette large adhésion à sa mémoire ne saurait faire oublier qu’il n’a jamais manqué, en son temps, de susciter, à droite et ailleurs, les critiques les plus vives, les controverses les plus ardentes.

C’est l’effet d’un tempérament hors de pair : tout au long de son chemin, le Tigre ne cessa pas de rompre fougueusement avec tous les conformismes et, sans relâche, de faire de sa vie entière un combat. S’attachant à saisir l’homme au plus près de sa vérité, romanesque et multiforme, Jean-Noël Jeanneney éclaire diverses facettes d’un Clemenceau inattendu, ami de la Grèce, du Japon et de la Chine, protecteur des arts, jacobin autant que décentralisateur, pionnier de l’écologie politique et précurseur de l’État-providence, négociateur plus avisé et réaliste qu’on ne l’a dit, inclassable, insubmersible, impétueux et farouchement indépendant.

A lire aussi  "Notre ami le Tigre", critique par Laurent Joffrin, Libération, 24 février 2016

Laurent Fourchard

Nouveau chercheur au CERI
  • Laurent FourchardLaurent Fourchard

Laurent Fourchard, directeur de recherche à Sciences Po, a rejoint le CERI en janvier 2016.

Docteur en histoire, titulaire d’une HDR en science politique , il a passé plusieurs années au Nigéria comme directeur de l’Institut français de recherche en Afrique et en Afrique du Sud en tant que chercheur invité à l’Université du Cap.

Il a ensuite été chargé de recherche au laboratoire "Les Afriques dans le Monde" à l’IEP de Bordeaux dont il a assuré la direction adjointe de 2013 à 2015.

Ses recherches, à la croisée de la sociohistoire, de la sociologie politique et des études urbaines, portent sur les pratiques de sécurité, les politiques d’exclusion et les violences dans les métropoles du Nigéria et d’Afrique du Sud. Il travaille également sur les politiques comparées du gouvernement des zones urbaines et métropolitaines et sur les relations entre usagers et fonctionnaires.

Il a publié une vingtaine d’articles dans des revues internationales et a dirigé cinq ouvrages sur ces questions.

Il est actuellement directeur de publication de la revue "Politique africaine" et membre des comités de rédaction de Africa, The Journal of African History et de International Journal of Urban and Regional Research.

Un trophée “Étoiles de l’Europe”

pour le projet EMAPS
Cartographie des controverses du climat
  • Tommaso Venturini. Sciences PoTommaso Venturini. Sciences Po

Professeur associé au médialab de Sciences Po, Tommaso Venturini a piloté le projet EMAPS, seul projet en sciences sociales à figurer parmi les 12 lauréats 2015 du prix “Étoiles de l’Europe”, qui valorise des équipes de recherches pour leur engagement européen. Il revient sur ce projet et sa suite, le Climate Negotiations Browser. Ou comment représenter et donner du sens à partir des enjeux que soulève le changement climatique.

Qu’est-ce que le projet EMAPS ?

Tommaso Venturini : EMAPS, c’est un projet collaboratif financé par l’Union Européenne, qui a mobilisé six laboratoires durant trois ans, et a permis de réaliser un site web (eng.) avec une trentaine de cartes décrivant le débat sur l’adaptation au changement climatique. L’originalité du projet, c’est la méthode. Ces sujets liés au climat sont complexes, polémiques et difficiles à représenter. Pour réaliser des cartes qui soient à la fois compréhensibles et exhaustives, on adopte la méthode des sprints, inspirés des hackatons. Il s’agit de rassembler des personnes de milieux très différents : développeurs, sociologues, experts des médias. Ils travaillent ensemble pendant une semaine sur des données qu’on a soigneusement préparées en amont. Et à la sortie, on produit des visualisations efficaces à destination de tous les acteurs, journalistes, experts, ONG : c’est ce qu’on peut voir sur le site EMAPS.

Vous avez poursuivi ce travail avec un autre projet intitulé The Climate Negotiations Browser : pourquoi et comment cartographier les négociations climatiques ?

T. V. : L’idée nous est venue en discutant avec les négociateurs des COP. Ils nous ont dit qu’il n’existait aucun moyen de se repérer dans l’historique des discussions.

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Big data, be happy

Entretien avec Yann Algan
à propos de son ERC "SOWELL"
  • Yann Algan. Crédits : Sciences PoYann Algan. Crédits : Sciences Po

Yann Algan, doyen de l’École des affaires publiques, professeur, est un chercheur militant. Ses obsessions ? Que le bien-être progresse, que nous coopérions plus et mieux et que les politiques en prennent de la graine ! Novatrices, car s’appuyant notamment sur les big data, les recherches qu’il consacre à ces objectifs viennent de recevoir le soutien du très sélectif Conseil européen de la recherche (Consolidator ERC*) après avoir été publiées dans les meilleurs revues de recherche internationales. Un coup de pouce important grâce auquel Yann Algan compte bien nous faire avancer vers une société plus ouverte. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a amené à penser des recherches qui pourraient nous rendre plus heureux ?

Yann Algan : La croissance ne suffit pas à satisfaire nos aspirations, ce d’autant plus qu’elle n’est plus au rendez-vous. Parallèlement, le bien-être et la coopération sont devenus des valeurs essentielles de nos sociétés. Cela entraîne une série de questions : qu’est-ce que le bien-être ? Comment mieux coopérer ? Quelles sont les politiques publiques les plus pertinentes pour développer ces dynamiques ? Cette direction de recherche m’a paru d’autant plus importante - et possible ! - que l’ère numérique peut offrir de nombreuses promesses. Pour le chercheur, tout d’abord : les big data, correctement exploitées, nous donnent accès à une mine d’informations que nous n’avions jamais eues en sciences sociales. Quant à la société, inutile de vous faire un dessin : réseaux sociaux, plate-formes collaboratives, nouveaux modèles économiques...


Comment les big data peuvent nous faire avancer vers une économie plus humaine ?

Y. A. : Mon principe est très simple : pour connaître les clefs du bien-être, encore faut-il commencer par savoir le mesurer. Or, les mesures du bien-être dont nous disposons aujourd’hui sont très insuffisantes, en particulier lorsqu’il s’agit du bien-être subjectif, ressenti, des citoyens. Les mesures actuelles se basent sur des enquêtes déclaratives qui vous demandent votre niveau de satisfaction sur une échelle de 0 à 10. Mais que cela siginfie-t-il d’avoir un niveau de bien-être de 4 plutôt que 5 ? En quoi cela révèle mes préoccupations les plus essentielles ? Et si je suis déjà à un niveau très élevé ou très bas sur ces échelles, comment puis-je indiquer une évolution dans le temps de mon bien-être ? En outre, ces enquêtes portent sur des petits échantillons de citoyens, avec une couverture temporelle et géographique assez pauvre. Si nous voulons vraiment réévaluer l’impact des politiques publiques à l’aune de leurs effets sur le bien-être subjectif, il est grand temps de proposer des mesures beaucoup plus pertinentes. Une partie de mon projet de recherche est d’améliorer nos mesures du bien-être et des attitudes sociales en exploitant les millions de signaux désormais disponibles sur le web et les réseaux sociaux.


Vous avez des exemples ?

Y. A. : Dans une étude récente que j’ai conduite sur les États-Unis**, je montre par exemple que les requêtes sur Google relatives à des questions de santé (par exemple comment soigner une migraine) ou des questions économiques et sociales (par exemple les requêtes liées à des sites de recherche d’emploi) peuvent servir d’indicateurs....

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Le point de vue indigène

par Romain Bertrand
  • Le Long remords de la ConquêteLe Long remords de la Conquête

Romain Bertrand est directeur de recherche au CERI. Dans "Le Long remords de la Conquête" (Seuil), il poursuit, à travers l'étude d'un procès du XVIe siècle aux Philippines, la démarche employée dans "L'Histoire à parts égales", consistant à écrire une histoire équitable, ou symétrique, donnant la parole au peuple colonisé.

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En savoir plus

Romain Bertrand

Le Long remords de la Conquête. Manille-Mexico-Madrid : l'affaire Diego de Avila (1577-1580)

L'Histoire à parts égales. Récits d'une rencontre, Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle)

Soigner grâce à l'histoire

le projet SILICOSIS
sur CNRS Le Journal
  • Appareil respiratoire pour mineurs. Crédits : Pierre-Henry MullerAppareil respiratoire pour mineurs. Crédits : Pierre-Henry Muller

Et si, pour améliorer le diagnostic et le traitement d’une maladie, on enquêtait sur la façon dont nos savoirs et nos ignorances se sont construits autour de cette pathologie ? C’est en tout cas l’esprit du projet Silicosis qui, en combinant histoire et médecine, améliore déjà le suivi de patients exposés à certains types de poussières.

« Nous avons sauvé notre premier malade ! », s’enthousiasme Paul-André Rosental, historien au Centre d’études européennes de Science Po. Son projet Silicosis, lancé il y a trois ans, est atypique mais prometteur : il consiste à reconstituer l’histoire des maladies pour mieux les diagnostiquer. Et au final, soigner grâce aux sciences sociales. Premier succès : en 2013, un homme de 78 ans est hospitalisé d’urgence à l’hôpital Avicenne de Bobigny pour une détresse respiratoire aiguë, un état cardiaque préoccupant et une accumulation anormale de liquide autour des poumons et du cœur. Les antibiotiques sont inefficaces. Mais le docteur Marianne Kambouchner, anatomo-pathologiste, est alors appelée à analyser les biopsies réalisées sur le malade. Collaborant au volet médical du projet Silicosis, elle est sensibilisée à la mauvaise prise en compte de la toxicité des poussières depuis les années 1930.  Elle reprend donc le dossier sous un autre angle...

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Lévi-Strauss : un portrait sensible

Biographie par Emmanuelle Loyer
Prix Femina essai 2015
  • Claude Lévi-Strauss en 1938 en Amazonie  © Journal de la Société des AmériquesClaude Lévi-Strauss en 1938 en Amazonie © Journal de la Société des Amériques

Emmanuelle Loyer, historienne à Sciences Po, a été couronnée cet automne du prix Femina essai 2015 pour sa biographie de Lévi-Strauss. S’appuyant sur des archives encore inexploitées, elle nous invite avec cet ouvrage à découvrir le parcours d’une figure sans égale dont l’amour du sensible a façonné la pensée. Interview.

L’identité multiple de Claude Lévi-Strauss est un des traits les plus frappants qui apparaît dans votre biographie : il semble vouloir appartenir à plusieurs époques, plusieurs cultures…

Emmanuelle Loyer : En effet, Lévi-Strauss est habité par des époques qu'il n'a pas vécues. Je donne une grande place à ces passés qui le constituent : il dit être un homme du XIXe siècle et affectionne la "fraîcheur" du regard du XVIe siècle. Lorsqu’il se rend au Brésil, il a en poche Jean de Lery (Le Voyage faict en la terre du Brésil). Sur son terrain brésilien, il rêve de cette rencontre inaugurale de la modernité entre le premier Indien et le premier Européen, en espérant retrouver à son tour, intacte, une forme de sidération.

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Tout l’art de la politique est de combiner passion et modération

Entretien avec Pierre Hassner
  • Cérémonie de destruction d’armes, novembre 2013, Goma - Crédits : MonuscoCérémonie de destruction d’armes, novembre 2013, Goma - Crédits : Monusco

Entretien avec Pierre Hassner* à propos de son livre "La revanche des passions. Métamorphoses de la violence et crises du politique"; Fayard, 2015

Après la guerre froide, on parlait de « fin de l’histoire » et on s’attendait à une sorte de « paix molle ». Trente-cinq ans plus tard, on assiste à ce que vous appelez la revanche des passions. Diriez-vous que les passions sont à l’origine de l’accroissement de la violence que l’on observe ou qu’elles en sont la conséquence ?

Pierre Hassner - La fin de l’histoire selon laquelle il n’y avait pas d’idées nouvelles et que par conséquent, tout le monde devait se convertir au capitalisme n’était pas très vraisemblable. Cette illusion pouvait se comprendre puisque les Etats-Unis étaient à cette époque l’unique puissance et dominaient le monde et que la situation économique était encore satisfaisante. Il y avait alors deux grandes théories, celle de Fukuyama de la « fin de l’histoire » et celle de Huntington qui parlait de « choc des civilisations ». Après chaque guerre, y compris la Guerre froide, on pense qu’un nouvel ordre international va s’installer (à cette époque, Bush et Mitterrand affirmaient que l’ONU allait ressusciter) de même qu’après chaque catastrophe, on observe un élan, un « plus jamais ça » avant qu’ensuite, tout recommence.

Il faut cependant s’entendre sur ce qu’on appelle guerre et ce qu’on appelle paix. « La vraie guerre et la vraie paix sont peut-être mortes ensemble » indiquait le général André Beaufre**. Aujourd’hui, on vit dans une sorte de magma qui est devenu illisible. Sommes-nous en guerre ou en paix ? Les Russes parlent de « guerre hybride », des militaires chinois de « guerre hors limites ». Nous sommes face à de nouvelles formes de violence. Les terroristes et les espions ont toujours existé mais avec le hacking, les écoutes téléphoniques, les virus informatiques, nous sommes dans une guerre cybernétique. Nous sommes dans un mélange de guerre et de paix, ce que le disciple de Foucault, Frédéric Gros, chercheur au CEVIPOF, appelle « les états de violence ». Ce n’est pas la troisième guerre mondiale, ce n’est pas la guerre atomique mais ce n’est pas non plus la paix ou le règne de l’ONU.

Comment un Etat peut-il lutter contre ces formes de violence qui ne ressemblent pas à une guerre classique ?

P.H. - Le grand danger est que la réaction à ces phénomènes devienne elle-même violente. Il y a deux évolutions possibles : le barbare peut certes s’embourgeoiser mais le bourgeois peut également se barbariser, ce qui relève du fascisme. Les Etats non démocratiques mais aussi les démocraties ne savent peut-être pas lutter contre ces nouvelles formes de violence mais ils savent exercer la répression.
La démocratie libérale, qui a gagné la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide, est attaquée de toutes parts. Certains l’expliquent par le fait que les libéraux ne croient pas vraiment à leurs propres idées et qu’ils ne sont pas prêts à se sacrifier pour elles. Le libéralisme ne propose rien qui permette à l’homme de s’élever au-dessus de lui-même. En période de crise, nous avons besoin de leaders, de gens qui savent parler aux populations comme Churchill ou de Gaulle à leur époque. Aujourd’hui, les partisans de la démocratie libérale ne sont pas vraiment à la hauteur ; Obama est intelligent et a de bonnes intentions mais il est trop modéré et donc passif. Par ailleurs, on observe un renfermement, une tentation de méfiance universelle et même d’hostilité – par exemple envers les réfugiés – en réaction à la mondialisation.

La théorie des relations internationales est fondée sur les rapports entre Etats, Bismarck disait dans un système de cinq il faut être parmi les trois plutôt que parmi les deux. Cette simplicité n’existe plus : il y a aujourd’hui un brouillage important entre l’étatique et le non étatique, l’intérieur et l’extérieur, les révoltes provoquées et les révoltes spontanées. Toutes sortes de conflits s’enchevêtrent et des proverbes qui semblaient universels comme « les amis de mes ennemis sont mes ennemis » ne fonctionnent plus. On le constate avec les Russes. Poutine propose aux Occidentaux une coalition contre Daesch comme durant la Deuxième Guerre mondiale mais en même temps, dans les médias russes, on entend des discours de Poutine expliquant que l’Europe est morte et des métaphores martiales affirmant que les Russes sont un peuple de vainqueurs, que c’est « dans leurs gènes ». Poutine est un véritable leader qui veut restaurer un gouvernement fort et qui sait mobiliser sa population sur laquelle il exerce une sorte de fascination, toujours fragile mais réelle.

Daesch et la Russie ont un point commun : un sentiment d’humiliation et une volonté de retrouver une grandeur passée, en partie réelle et en partie imaginée

P.H. - Absolument. Un sondage a montré que Staline, c’est-à-dire celui qui a gagné la grande guerre patriotique et vaincu les Allemands, était le Russe du XXe siècle le plus admiré par les Russes tandis que Gorbatchev, soit l’homme qui a laissé filer l’empire, était le plus méprisé. Nous avons ici une illustration de l’idée de revanche, il s’agit de retrouver sa place, d’avoir un Etat fort. Le nationalisme russe possède une tradition messianique que l’ont retrouve chez les Américains. Les Russes pensent avoir pour mission de sauver le monde ; au XIXe siècle, les slavophiles pensaient déjà devoir sauver l’Europe. Les Russes ont besoin de cette vocation pour justifier l’Empire. Celle-ci explique également les relations qu’ils entretiennent avec les BRICS qui eux aussi ont une revanche à prendre sur l’Occident. Richard Ned Lebow affirme dans son livre Why Nations Fight: Past and Future Motives for War*** que le prestige et la volonté de revanche sont au moins autant à l’origine des guerres que les problèmes de territoires ou d’économie.

Le fondamentalisme islamique est il un totalitarisme ?

Je distinguerai les idéologies totalitaires des régimes totalitaires et des passions totalitaires. Le mot totalitaire est très contesté, je l’ai personnellement beaucoup employé mais il est ambigu. Les idéologies totalitaires – communisme et nazisme – avaient un caractère commun : c’étaient tous deux des phénomènes modernes. Leszek Kolakowski disait : « Le communisme est l’enfant bâtard des Lumières et le fascisme est l’enfant bâtard du romantisme ». Dans les deux cas, on observe un attachement quasiment religieux à une idéologie combiné à une prétention à la science : une pseudo-science raciale chez les Allemands et le matérialisme historique chez les Soviétiques.
Les gens de Daesch, quant à eux, s’opposent à tout ce qui n’est pas eux : les autres musulmans, les minorités d’Irak ou de Syrie. Même Ben Laden était différent qui disait qu’il fallait tuer les juifs et les Américains. Daesch veut tuer quiconque n’est pas Daesch et détruire toute l’histoire de l’islam. Les sources peuvent être les mêmes que pour le totalitarisme mais en tant que doctrine ou que système, les choses sont très différentes.
Olivier Roy a écrit que le djihadisme était un nihilisme et que les gens devenaient des fanatiques de l’islam une fois radicalisés. Mais ceux qui rejoignent les rangs de Daesh parce qu’ils ont un tempérament violent, qu’ils sont humiliés ou qu’ils n’ont pas de travail trouvent une version de l’islam qui leur dit : si vous tuez des mécréants, vous irez au ciel, tuer un mécréant est la manière la plus efficace pour aller au ciel.
Les passions sont les mêmes que celles à l’oeuvre dans les totalitarismes, on retrouve notamment le concept d’ennemi total de Carl Schmitt, mais on dit que les gens de Daesch veulent moins la mort de ceux qu’ils tuent que leur propre mort.  La surprise, c’est que la violence, le besoin d’absolu ressurgissent aujourd’hui sous la forme d’une guerre de religion.

Y a t-il de bonnes et de mauvaises passions ?

P.H. - Oui, toutes les passions ne sont pas équivalentes. Contre les mauvaises passions, il faut avoir recours aux bonnes passions comme la solidarité.
Une passion sans modération dans l’application ou le jugement mène au suicide ou au crime et une modération sans passion, comme celle d’Obama, mène à la faiblesse et à l’inaction. La solution réside dans le mariage de la passion et de la modération qui sont le contraire l’une de l’autre. Cette combinaison est donc ce qu’il y a de plus difficile à réaliser dans la politique mais tout l’art de la politique est d’essayer de combiner la passion et la modération. On peut être guidé par une passion si on parvient à lui fixer des limites.

Ainsi, il y a eu, après la Deuxième Guerre mondiale, une passion européenne, il existait par exemple des mouvements fédéralistes en faveur des Etats Unis d’Europe mais après Mitterrand et Kohl, qui tous deux croyaient à l’avenir de l’Europe (Mitterrand disait « La France est ma patrie, l’Europe est mon avenir »), cette passion a disparu. Tous les dirigeants qui leur ont succédé ont géré l’Europe sans passion. La passion, on la trouve aujourd’hui chez les anti Européens alors que les pro Européens sont une élite raisonnable. Alors que l’Europe était au départ une idée qui devait permettre de concilier identités nationales et mondialisation, elle est aujourd’hui perçue comme une bureaucratie. Il n’y a plus de vraie passion européenne ni de solidarité.

Il faut savoir juger ses adversaires, reconnaître ceux avec lesquels on a des priorités différentes mais des intérêts communs et ceux avec qui il est impossible de trouver des points communs. Je ne crois pas qu’on puisse négocier avec Daesch qui regroupe des gens pour qui le dialogue n’existe pas. Même pendant la guerre froide, le dialogue existait. Par exemple, pendant que les Américains bombardaient les Vietnamiens soutenus par les Russes, Moscou négociait avec Washington les accords Salt. Le dialogue portait souvent sur les moyens de destruction d’un camp par l’autre mais il y avait un dialogue même si existait également le sentiment qu’il était fragile et qu’il pouvait aisément déraper.
Nous vivons désormais des temps plus dangereux que ceux de la Guerre froide où des règles du jeu existaient. Ce qui est inquiétant aujourd’hui, c’est que nous sommes face à des gens qui souhaitent vraiment que cela dérape, qui semblent vouloir la fin du monde. Poutine a récemment affirmé qu’au moment de l’annexion de la Crimée, il avait préparé ses armes nucléaires et envisagé leur utilisation. Il a également indiqué qu’il espérait qu’il n’aurait pas à employer l’arme nucléaire contre Daesch.

Propos recueillis par Corinne Deloy, responsable éditoriale, CERI
17 décembre 2015

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* Philosophe de formation, Pierre Hassner, spécialiste des relations internationales, est chercheur au CERI.

** André Beaufre†, diplômé de Sciences Po, général d'armée, est l'auteur d'un important ouvrage théorique sur la stratégie militaire : Introduction à la stratégie.

***  Why Nations Fight: Past and Future Motives for War, Richard Ned Lebow, September 2010, Cambridge University Press

La force de gouverner

par Nicolas Roussellier
  • ©Albert Eloy-Vincent/Centre National et Musée Jean Jaurès – Ville de Castres ©Albert Eloy-Vincent/Centre National et Musée Jean Jaurès – Ville de Castres

En 150 ans d’existence, notre République a muté en passant d’un régime centré sur le Parlement à un pouvoir dominé par l’exécutif. Attribuer cette mutation aux seuls effets des textes constitutionnels, c’est passer à côté de faits essentiels. C’est ce que démontre Nicolas Roussellier, historien à Sciences Po, dans une somme déjà saluée par la presse comme l’un des plus importants essais politiques de l’année : "La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles" (Gallimard). Aperçu d’une histoire ancrée dans des réalités trop longtemps négligées.

Lors de la mise en place de la IIIe République, la majorité des parlementaires ont voulu limiter les pouvoirs de l'exécutif pour en faire un simple exécutant. Quelles étaient leurs motivations ? 

Nicolas Roussellier : Les républicains conçoivent la limitation du pouvoir exécutif comme étant la condition même de la démocratie. Cette phobie du « pouvoir personnel » s’explique en partie par les circonstances politiques du XIXe siècle, les républicains ayant longtemps subi un pouvoir fort, monarchiste ou bonapartiste. Mais elle s’explique surtout par une philosophie politique. La priorité des républicains n’est pas de chercher l’équilibre des pouvoirs par le biais du constitutionnalisme (comme le font les libéraux) mais de faire advenir une démocratie républicaine par la pratique. Un peuple adulte doit pouvoir s’autogouverner...Lire la suite

Cinq projets de recherche

sélectionnés par l'Agence Nationale de la Recherche
  • Agence nationale de la rechercheAgence nationale de la recherche

Cette année, l'Agence Nationale de la Recherche a sélectionné 5 projets dans lesquels les chercheurs de Sciences Po sont impliqués en tant que porteurs de projet ou en tant que partenaires : 

CONDRESP : Conditional Responsiveness in France and Germany. ANR franco-allemand
Responsable scientifique à Sciences Po : Emiliano Grossman (CEE)

Ce projet vise à examiner si et quand les gouvernements répondent aux demandes des citoyens. En effet, l'un des principes fondamentaux du gouvernement démocratique est que l'exécutif représente les souhaits des citoyens. Dans sa forme la plus simple, les gouvernements apprécient les souhaits des citoyens à partir des résultats électoraux et des problèmes exprimés publiquement et de répondre à ces exigences en adoptant des lois. Les citoyens à leur tour réajustent leurs priorités politiques au fur et à mesure que les politiques changent. Le principal argument du projet est que la réactivité du gouvernement n'est pas constante ; elle dépend, notamment, de la pression électorale placée sur le gouvernement.

PIAF : La vie sociale et politique des papiers d'identité en Afrique
Cordonné par Richard Banégas (CERI) et Sévérine Awenengo-Dalberto (CNRS-IMAf).

Ce projet propose d’étudier la "gouvernementalité des papiers" en Afrique subsaharienne de l’après-guerre à l’époque actuelle. S’inscrivant dans le renouvellement des travaux sur les documents identificatoires en Europe, il entend penser ensemble les papiers d’identification comme technologies de pouvoir et instruments de centralisation politique d’une part, et comme vecteurs matériels de l’émergence de nouvelles subjectivités morales et politiques de l’autre.- En savoir plus

MARG-IN : Les effets des politiques de régulation de la pauvreté étrangère sur les populations cibles : le cas des migrants dits « roms » dans les villes d’Europe occidentale (France, Italie,  Espagne).
Correspondant à Sciences Po : Tommaso Vitale, CEE

A partir du cas des migrants roumains désignés comme « roms » et en situation précaire dans une vingtaine de villes de France, d’Italie et d’Espagne, nous analysons les effets sociaux dans la durée des politiques de régulation de la pauvreté étrangère en concentrant notre attention sur les mobilités résidentielles,  sur les modes d’insertion économique et les pratiques de survie, ainsi que sur les modes de socialisation et d’inscription territoriale. En privilégiant l’observation des modes de vie, notre objectif est d’apporter de nouveaux éclairages et de participer aux débats sur les politiques de lutte contre la pauvreté.  En savoir plus

GLOBAL-RACE : Etude historique et comparative sur l'évolution de la conceptualisation de la race et de l’ethnicité en Europe, Amérique du Nord, Amérique latine.
Correspondant à Sciences Po : Daniel Sabbagh, CERI

Participant d'une recherche multidisciplinaire sur les questions de race et d'origine ethnique ce projet, coordonné par Patrick Simon à l'INED combine l'évaluation des politiques antidiscriminatoires et une analyse de la circulation internationale des cadres et des concepts pour éclairer trois objets de recherche interdépendants...En savoir plus

UTTO : Analyse des processus/régimes de transfert technologique dans les universités françaises.
Correspondant à Sciences Po : Emeric Henry, Département d'économie

The UTTO Project will « provide an enriched description of university technology transfer and all its related contractual and incentive issues (opportunistic behaviors of academic inventors, strategies of the TTOs, initiatives of the companies to more efficiently ‘source’ academic technologies and knowledge) ». En savoir plus

Voir l'ensemble des projets ANR dans lesquels Sciences Po est impliqué

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