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L’opinion mondiale face au changement climatique

Source : Pexel

Depuis près de quinze ans, EDF et Ipsos sondent les opinions publiques dans une trentaine de pays pour mieux connaitre leur perception du changement climatique : sont-elles inquiètes ? La lutte contre le réchauffement de la planète leur apparait-elle prioritaire ? Quelles solutions peut-on y apporter ?
Conduite auprès de 24 000 personnes, vivant dans des conditions climatiques, culturelles et politiques différentes, son édition 2023 apporte des résultats traduisant des évolutions notables.
Dans l’ouvrage collectif que vient de publier EDF — Une planète mobilisée ? L’opinion mondiale face au changement climatique — une vingtaine de chercheurs en sciences sociales en analysent les résultats. Introduit par Daniel Boy, chercheur au CEVIPOF, qui souligne l’évolution inattendue et générale de la perception du changement climatique, on peut y lire les contributions de cinq chercheur. e. s du Centre d’études européennes et de politiques comparée (CEE) : Emiliano Grossman et Charlotte Halpern examinent l’opinion sur les politiques publiques du climat, Richard Balme se penche sur les opinions des Chinois, Lucien Thabourey et Florence Faucher sur celles des britanniques. Pour leur part, Christophe Jaffrelot, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI), s’intéresse aux perceptions des Indiens et Marc Lazar, chercheur au Centre d’histoire et au CERI, à celles des Italiens. Aperçu.

Politiques publiques du climat : des attitudes globalement favorables, mais des marges de manœuvre réduites

Face à la résistance que peuvent rencontrer les mesures de politiques publiques en faveur du climat, de quelles marges de manœuvre disposent les gouvernants ? 13 items de l’enquête portant sur l’opinion relative à des mesures politiques (telles que la création d’un péage pour l’accès aux centres urbains, le développement des éoliennes en mer, l’interdiction des vols de courte distance…) ont permis à Emiliano Grossman et Charlotte Halpern d’explorer cette question. En moyenne, les mesures favorables au climat sont plutôt soutenues par les populations, mais ce soutien tend à s’affaiblir entre 2019 et 2022. Une analyse plus fine montre que plus les pays sont riches, moins leurs opinions publiques sont favorables à ces mesures (graphique ci-dessous)., les Français se situant parmi les plus réticents.

Soutien moyen aux mesures en faveur du climat en fonction du niveau de PIB par habitant

Cliquez sur le graphique pour l’agrandir

Comment expliquer cette relation ? Une hypothèse est que le niveau de soutien varie en fonction de la perception que se font les répondants de la réalité ou de la probabilité de mise en œuvre des mesures. Dans les pays à faible revenu, où ces questions restent — encore — relativement abstraites et la probabilité de mesures contraignantes est plus faible, on observe la position la plus favorable aux mesures proposées. Du côté des pays plus riches, la réalité est inverse : les mesures déjà prises sont plus ambitieuses, leur mise en œuvre est source de contraintes plus importantes et leur cout en termes de changement de comportement loin d’être négligeable pour une plus grande partie de la population, d’où l’existence de contestations.

Patriotisme environnemental et techno-optimisme en Chine

D’après les données de l’enquête, analysées par Richard Balme, les Chinois font preuve d’un « patriotisme environnemental » attesté par l’attachement à l’environnement, la préoccupation pour les problèmes environnementaux et une perception très positive de l’engagement des autorités pour y faire face — des données en décalage avec l’image de la Chine comme premier pollueur mondial. L’inquiétude des Chinois, plus élevée que pour la moyenne des 30 pays, s’accompagne d’optimisme et d’adhésion à la transition écologique : 57 % (+ 9 points par rapport à la moyenne des 30 pays) pensent qu’il faut donner priorité à l’environnement même si cela doit ralentir la croissance et détruire des emplois ; 59 % (le record des pays interrogés) pensent que leur pays donnera la priorité à l’environnement plutôt qu’à l’économie dans les mois à venir (graphique ci-dessous). Cet optimisme est largement attribuable à la confiance exprimée envers les solutions technologiques. De fait, 43 % des Chinois placent le progrès technique et les innovations devant les changements de comportement comme solution face au changement climatique (+ 12 points par rapport à la moyenne, + 21 points par rapport à la France).

Priorité à l’environnement ou à la croissance : arbitrage et prédictions des Chinois

Cliquez sur le schéma pour l’agrandir

Passivité et pessimisme au Royaume-Uni

Bien que le Royaume-Uni soit le berceau de mouvements de protection de l’environnement et que des mouvements écologistes récents puissent donner l’impression d’une population mobilisée face aux enjeux climatiques, les données de l’enquête analysées par Lucien Thabourey et Florence Faucher offrent des résultats contrastés. Les Britanniques placent certes l’environnement assez haut dans leurs priorités (43 % contre 40 % pour la moyenne des 30 pays), mais sont en moyenne moins inquiets qu’ailleurs (62 % contre 69 %). Ils font preuve d’une relative passivité politique (voir le graphique ci-dessous) et individuelle, préférant s’en remettre à leur gouvernement (74 % des Britanniques le citent comme acteur devant agir en priorité, contre 68 % en moyenne et 66 % en France). Ils font néanmoins preuve de pessimisme sur la capacité de leur gouvernement à arbitrer en faveur de la préservation de l’environnement face à la croissance économique : seuls 18 % pensent que leur pays donnera dans les prochains mois la priorité à l’environnement, contre 32 % en moyenne mondiale.

Part des citoyens ayant participé ou comptant participer à une manifestation pour le climat

L’Italie, entre transition écologique et urgence sociale

En Italie, comme ailleurs, mais plus qu’ailleurs, la conjoncture économique prend le dessus. Si 77 % des personnes interrogées considèrent que la situation de l’environnement dans leur pays est mauvaise, ce pourcentage monte à 85 % pour la situation économique. Des résultats bien au-dessus de la moyenne des 30 pays interrogés. Plus marquant encore, seuls 45 % des Italiens sont d’accord pour donner la priorité à l’environnement (7 points de moins qu’en 2021) même si cela aboutirait à un ralentissement de la croissance et détruirait des emplois, tandis que 39 % préfèrent la croissance et des emplois, quitte à ce que cela provoque des conséquences nuisibles sur l’environnement.
Défiants envers la classe politique, les Italiens font confiance aux acteurs de la société civile, notamment aux scientifiques.
Mais ils font surtout confiance à eux-mêmes pour ce qui est des gestes du quotidien. De fait, les Italiens mangent « écolo » (circuit local et saisons) et trient les déchets plus qu’ailleurs. Pour ce qui est des économies d’énergie, en revanche, ils sont surtout motivés par la question financière.
Et pourtant, comme le souligne Marc Lazar, entre inquiétude permanente face aux catastrophes naturelles et attachement aux paysages, la question environnementale pourrait y être un enjeu plus sensible.

Inde : entre conscience des enjeux et inertie

Comme le constate Christophe Jaffrelot, l’Inde est le pays où l’opinion publique se montre la plus préoccupée par la question environnementale parmi les pays étudiés, avec une note de 8,7 sur 10 quand la moyenne est à 7,6.
L’enquête montre que seuls 45 % des Indiens interrogés mettent l’environnement en tête de leurs préoccupations, derrière le chômage et la corruption. Autre résultat contradictoire : seuls 31 % des Indiens trouveraient la situation de leur pays « plutôt » ou « très » mauvaise en matière d’environnement… Par ailleurs, seuls 60 % d’entre eux établissent un lien entre activité humaine et changement climatique, la part des climatosceptiques ayant progressé de 11 points en un an — sans doute en raison de la vague de désinformation qui envahit les réseaux sociaux et les médias.
Dans le même temps, de tous les sujets de préoccupation liés à l’environnement, c’est la qualité de l’air qui, logiquement, vient en tête (citée par 45 % des personnes interrogées).
Ce que souligne également cette étude, c’est l’importance de la dimension géographique et culturelle dans la perception des réformes à conduire. Ainsi, si la question portant sur la consommation de viande n’a pas lieu d’être, celle des transports en commun revêt une importance particulière. Ainsi, l’Inde est le pays au monde où l’idée de remplacer l’aérien par le ferroviaire, même sur les courtes distances, est la plus populaire au monde (41 % contre 28 % de moyenne globale), opinion qui reflète un faible niveau de vie de la population, mais aussi une très ancienne culture du train.

 

Télécharger le rapport : Witkowski, Didier & Boy, Daniel (dir.), Une planète mobilisée ? L’opinion mondiale face au changement climatique, Paris, EDF, 2023

Présentation rédigée par Véronique Etienne, Centre d’études européennes et de politique comparée et Hélène Naudet, direction de la communication.