Hommage à Jean-Louis Quermonne

Hommage à Jean-Louis Quermonne

1927-2021
  • Jean-Louis Quermonne dans les années 1960 (Photo de l'Université Grenoble Alpes)Jean-Louis Quermonne dans les années 1960 (Photo de l'Université Grenoble Alpes)

Suite à la disparition de Jean-Louis Quermonne, le Département de Science politique rend hommage à l'une des figures de la discipline ayant exercé un rôle de pionnier dans l'étude de l'intégration européenne. Christian Lequesne revient sur son itinéraire entièrement consacré aux savoirs et aux institutions universitaires ainsi que sur sa personnalité hors du commun. Le département adresse à sa famille et à ses proches ses plus sincères condoléances

C’est un grand nom de la science politique française qui nous a quitté le 17 janvier 2021 à l’âge de 93 ans. Derrière sa parfaite courtoisie, Jean-Louis Quermonne a été un homme profondément engagé dans toutes les missions qui ont jalonné sa vie. Comme nous le rappelons avec François d’Arcy, Jean Leca et Yves Schemeil dans l’hommage rédigé pour Le Monde, il y eût trois engagements majeurs dans la vie de Jean-Louis Quermonne : la décolonisation, la réforme de l’université, et la construction européenne.

Jean-Louis Quermonne naît le 3 novembre 1927 à Caen. Son père y est médecin ORL. En 1944, le jeune homme de 17 ans participe aux équipes de volontaires chargés de déblayer une ville particulièrement touchée par les bombardements du Débarquement de Normandie. Jean-Louis Quermonne faisait parfois remonter son engagement européen à cette expérience difficile. Les débris et les morts lui ont donné pour toujours la conviction qu’il ne fallait plus jamais cela et que la construction de l’Europe était la solution. Jean-Louis Quermonne passe une licence en lettres et en droit dans sa ville natale, puis obtient à Paris le diplôme de Sciences Po et le titre de docteur en droit. Reçu à l’agrégation de droit public en 1952 (il a à peine 25 ans), il est nommé à la Faculté de Droit d’Alger où il enseigne principalement à l’Institut d’études politiques. Il y est le professeur de Jean Leca. Les deux hommes, si différents, garderont tout au long de leur vie une estime et une amitié profonde l’un pour l’autre.

Les années algéroises sont marquées par la guerre d’indépendance. Jean-Louis Quermonne comprend rapidement que la décolonisation est un processus inévitable et se lie d’amitié avec Pierre Mendès-France. Nommé à Grenoble en 1957, il continue à s’engager en faveur d’une solution pacifique pour l’Algérie. Au début des années soixante, il anime avec Pierre Mendès-France et Georges Lavau des colloques sur le sujet. Il écrit sur la décolonisation et sur les sociétés multicommunautaires. Grenoble devient pour l’universitaire normand et sa famille un port d’attache pour le reste de sa vie. A Grenoble, Jean-Louis Quermonne devient directeur du nouvel institut d’études politiques (IEP), développant les liens institutionnels avec la FNSP et le CNRS. Il crée le Centre de recherche sur l’aménagement du territoire (CERAT) devenu aujourd’hui le PACTE.

Croyant en une université réformée et prenant au sérieux le mouvement de mai 1968, Jean-Louis Quermonne entame son deuxième combat qui est la réforme de l’université française. Après la loi Edgar Faure, il préside l’université de Grenoble 2 et poursuit toute sa vie la quête d’une université autonome et pluridisciplinaire. Etant lui-même passé du droit public à la science politique, Jean-Louis Quermonne n’aime pas les frontières trop strictes entre les disciplines. Il croit aussi dans un rapport moderne avec les étudiants faisant du professeur un être disponible et non un mandarin prêchant du haut de sa chaire. Ce sont ces changements qu’il a sentis dans 1968. Un souvenir amusant : participant au début des années 2000 avec Jean-Louis à une soutenance de thèse en droit dans une université française qui pratiquait encore le port de la toge, le collègue invitant s’approcha de Jean-Louis Quermonne pour lui glisser : « Monsieur le Président, je suis certain que vous avez votre propre toge et qu’il n’y a pas besoin de vous en prêter une ? ». Jean-Louis Quermone répondit avec sa voix douce: « Non, on me la brûlée à Grenoble en 1968 et je n’ai jamais estimé utile d’en racheter une ! ». Il y eut un léger flottement !

Les années soixante-dix marquent l’engagement de Jean-Louis Quermonne au service de l’université. Il est en 1974 vice-président de la nouvelle CPU avant que Jean-Pierre Soisson ne l’appelle à être directeur des enseignements supérieurs et de la recherche. N’approuvant guère la politique d’Alice Saunié Seïté qui a remplacé Jean-Pierre Soisson, Jean-Louis Quermonne préfère démissionner.

C’est alors que commence en 1977 sa carrière de professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris qui dure jusqu’en 1989. Jean-Louis Quermonne consacre son travail de recherche à l’Etat en France. Il publie sur les institutions et les administrations sous la Vème République, mais aussi sur la haute fonction publique et l’ENA (avec Jean-Luc Bodiguel). Avec Alfred Grosser, Georges Lavau et Jean Leca, son bureau mansardé se trouve au 5 ème étage du 56 rue des Saints Pères. C’est le siège du Cycle supérieur d’études politiques dont la coordination administrative est assurée par Françoise Kempf et de la bibliothèque de science politique. Nous sommes beaucoup à nous souvenir d’être allé voir Jean-Louis Quermonne dans son bureau pour discuter d’un papier de recherche ou d’une question de cours et d’être toujours reçu avec la même sérénité et amabilité. A Sciences Po Paris, Jean – Louis Quermonne devient Vice-Président de la FNSP. Il est aussi élu président de l’Association française de Science Politique.

Mais Jean-Louis Quermonne est grenoblois et il reprend un poste de professeur à l’IEP de Grenoble en 1989 pour y terminer sa carrière en 1996. A soixante ans passés, il décide de réorienter ses recherches vers la construction européenne, dans le contexte des grandes réformes institutionnelles que sont l’Acte unique européen et le traité de Maastricht. Jean-Louis Quermonne développe une relation d’estime et d’amitié avec Jacques Delors et participe à la création de l’Institut Notre Europe, devenu depuis Institut Jacques Delors. Aucune réforme institutionnelle de l’Union européenne jusqu’au traité de Lisbonne de 2009 n’échappe à l’analyse et aux notes de Jean-Louis Quermonne. Attaché à l’idée d’une gestion harmonieuse entre le centre et les périphéries dans les systèmes politiques, Jean-Louis Quermonne est fédéraliste. Mais réaliste sur l’action des Etats-membres, il défend l’idée d’une Fédération d’Etats-nations plutôt que celle de l’Etat fédéral européen. Ses relations avec les fédéralistes européens plus « classiques », comme Dusan Sidjanski à Genève, n’en sont pas moins très fortes. A soixante ans passés, Jean-Louis Quermonne publie chez MontchrestienLe Système politique de l’Union européenne, régulièrement réédité , ou encore L’Europe et le fédéralisme, avec Maurice Croisat. Outre ses enseignements à l’Institut d’études politiques de Grenoble, Jean-Louis Quermonne devient un professeur régulièrement invité au Collège d’Europe, à Bruges, où il se lie d’amitié avec Wolfgang Wessels qui dirige la « dominante politique et administration ».

En 1996, Richard Descoings lui demande de reprendre pour une période transitoire le Centre européen de Sciences Po créé l’année précédente par Alain Lancelot. Avec Pierre Muller, nous sommes chargés de l’assister dans la mise en œuvre du Cycle supérieur d’études européennes et des bourses Europe qui permettent de soutenir de jeunes thésards travaillant sur la construction européenne, comme Sabine Saurugger et Emiliano Grossman qui feront rapidement leur chemin. La mission est délicate car il ne faut pas froisser les laboratoires de recherche existants. Je retiens de cette époque quelques phrases cultes de Jean-Louis Quermonne qui ne m’ont jamais quittées, bien que je ne sois pas du tout certain d’avoir été capable de complètement les appliquer. Par exemple, « Evitons toujours les rancoeurs inutiles ! », ou encore « dans le monde universitaire, les réunions collectives ne suffisent pas pour convaincre les collègues ; il faut déjeuner avec eux en bilatéral ! ». C’était aussi Jean-Louis Quermonne, un homme qui avait un profond sens de la politique sans jamais avoir cédé d’ailleurs à l’attraction des mandats politiques. Des offres lui ont été faites plusieurs fois, disait-il, mais son goût de l’indépendance l’a toujours amené à refuser. L’Association française d’études européennes décerne depuis cinq ans le Prix Jean-Louis Quermonne de la meilleure thèse de science politique sur l’intégration européenne. En décembre 2020, il fut heureux d’apprendre que le dernier prix avait été décerné à une doctorante de Sciences Po Paris. C’était la dernière fois que je lui parlais.

Au-delà de son travail scientifique et de ses engagements, Jean-Louis Quermonne laisse le souvenir d’une personnalité attachante. Beaucoup d’entre nous relirons ses lettres toujours pleines d’humanité, formulées de sa belle écriture ronde à l’encre bleue. Jean-Louis Quermonne était un homme fidèle à ses amis, notamment lorsqu’ils étaient dans la détresse. Pendant des années, il rendit visite dans un établissement spécialisé à un ancien collègue souffrant d’une grave dépression. Ce sens profond de l’amitié restera ancré dans nos mémoires.

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