Christophe de Margerie et Laurence Parisot. Troisième journée de l'Université du Medef 2009. Crédit image : Pierre Metivier, CC BY-NC 2.0
Le nouvel esprit du néolibéralisme : égalité et prospérité économique
26 avril 2020
Cogito 10 – Dossier « Égalité des sexes »
26 avril 2020

L’égalité des sexes est-elle possible au XXIe siècle ?

8 mars 2017, manifestation parisienne. Crédit image : Jeanne Menjoulet, CC BY-ND 2.0

8 mars 2017, manifestation parisienne. Crédit image : Jeanne Menjoulet, CC BY-ND 2.0

par Hélène Périvier, OFCE, directrice de PRESAGE*

António Guterres sur Twitter 27/04/2020

La crise sanitaire que nous traversons est inédite. À court terme, elle ouvre une phase d’urgence sanitaire. Nous acceptons des mesures qui réduisent nos libertés. Ces dispositions appliquées de façon uniforme pour parer à cette situation exceptionnelle ne tiennent pas compte des inégalités économiques et sociales existantes. Ces inégalités deviennent ainsi plus criantes que jamais, car la crise exacerbe certaines de leurs dimensions (violences intrafamiliales, scolaires, territoriales, professionnelles, mal-logement …). Il conviendra de mener des recherches approfondies pour évaluer les effets à long terme de cette crise sans précédent.

Depuis 10 ans, le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) dynamise les recherches menées à Sciences Po sur les inégalités entre les sexes, le genre et les discriminations. L’agenda de recherche du programme sera inévitablement repensé pour évaluer les effets genrés et sexués de cette crise. Il s’agira de préparer au mieux nos sociétés à ces défis sanitaires et sociaux en intégrant les multiples formes d’inégalités qui les caractérisent et contre lesquelles nous devons continuer de lutter. Il faudra repenser l’ordre des priorités et l’organisation économique et sociale en faisant la part belle aux biens communs (en particulier la santé et l’environnement) avec au cœur de ce processus l’égalité dans toutes ses dimensions.

Dans ce contexte exceptionnel, la question posée par ce numéro de Cogito n’en est que plus aiguë : l’égalité des sexes est-elle à portée de mains dans ce siècle d’incertitudes ?

L’égalité au défi du néolibéralisme et des néo-conservatismes

Crédit image : Rawpixel.com, Shutterstock

L’égalité est aujourd’hui promue au nom d’une performance économique, tant au niveau macroéconomique (plus de femmes en emploi signifierait une croissance économique accrue) qu’au niveau microéconomique (la diversité serait un gisement sous-utilisé de productivité). Le néolibéralisme fait du bon fonctionnement de l’économie de marché un but en soi. En vertu de cet objectif, l’égalité est mise au service de l’efficacité économique. C’est ce qu’avec Réjane Sénac nous appelons le nouvel esprit du néolibéralisme : il ne nie pas que l’égalité des sexes importe mais en fait un moyen et non une fin. Nous montrons en quoi cette idéologie met en danger l’égalité des sexes.

Boris Kollar, candidat de Sme Rodina (Nous sommes une famille) lors des élections présidentielles en Croatie, janvier 2020. Source : Instagram-Sme-rodina

Boris Kollar, candidat de « Nous sommes une famille », élections présidentielles Croatie, 2020. Source : Instagram-Sme-rodina

D’autres forces viennent saper l’idéal d’égalité y compris au sein d’un certain nombre de démocraties européennes dans lesquelles resurgissent de nouvelles formes de conservatisme. Les valeurs passées porteuses de sexisme, de racisme, d’homophobie et de repli sur soi sont remises au goût du jour. Dans son article « Genre et démocraties « illibérales » : Vers un nouveau clivage en Europe ? » Maxime Forest montre comment ce vent nationaliste venu de l’Est créé un nouveau clivage en Europe et conduit à qualifier certains États membres de démocraties illibérales, un oxymore qui décrit un contexte politique et institutionnel dans lequel s’inscrit aussi un discours hostile à l’égalité des sexes et aux communautés LGBTQI.

Le travail reproductif : entre invisibilité et injonction

Cueillette au Sri Lanka. Crédits photo : Anton Mishin

Les conséquences du réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement n’affecte pas les hommes et les femmes de la même façon. Dans son article « Des perspectives concurrentes sur le changement climatique et le genre« , Helena Alviar García montre que quelles que soient les analyses de cette question, toutes reconnaissent le rôle central du travail de reproduction réalisé par les femmes et son invisibilité. Ce travail reproductif réalisé par les femmes, en partie construit par des normes et des injonctions, culpabilise les femmes qui ne s’y conforment pas.

Crédits image : Valeria Rodrigues, Pixabay License

C’est ce que pointe Marta Dominguez Folgueras dans son article « Des politiques d’allaitement déconnectées de la réalité ». Elle analyse la norme de l’allaitement tant dans ses fondements scientifiques que dans ses effets sur la liberté des mères. Promue comme une garantie de bien-être pour l’enfant sans considération pour celui de la mère, Marta Dominguez montre comment cette norme est construite et diffusée en mobilisant un langage scientifique.

Mariages, divorces et inégalités

Le torchon brûle, journal du MLF, décembre 1970.

Historiquement, le mariage est une institution assujétissante pour les femmes et la possibilité   de divorcer constitue une voie d’émancipation. Cependant les articles d’Émilie Biland-Curinier et d’Hélène Le Bail indiquent que, selon les contextes, cette affirmation doit être nuancée. Par son analyse « Séparations conjugales et (non) émancipation des femmes », Émilie Biland-Curinier montre que les inégalités femmes-hommes dans l’organisation familiale ne sont pas résolues par la séparation, bien au contraire, d’autant que la situation socio-économique des mères isolées est particulièrement précaire. Si des politiques publiques soutiennent les familles monoparentales, elles placent aussi les mères isolées en position de demandeuses, plutôt qu’en sujets autonomes.

Capture écran du web de l'agence matrimoniale Cupidmedia

Web de l’agence matrimoniale Cupidmedia

Dans un contexte différent, Hélène Le Bail montre dans sa contribution « Les migrations par le mariage : des routes féminines » que des femmes mobilisent des stratégies matrimoniales migratoires en vue de trouver des ressources. Le mariage, se traduisant par un échange de services de “care” contre une sécurité économique, comporte alors une dimension émancipatrice.

Comprendre le plafond de verre pour mieux le combattre

Crédit image : antoniodiaz, Shutterstock

Aujourd’hui, les filles sont en moyenne plus éduquées que les garçons dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Pourtant les inégalités professionnelles persistent : les femmes restent sous-représentées dans les postes à responsabilité. Dans son article « Les inégalités de sexes dans l’éducation supérieure » Ghazala Azmat se penche sur le rôle joué par les différences d’orientation scolaire qui expliquent en partie cet apparent paradoxe. Ses recherches, notamment en économie comportementale, mettent au jour les biais de genre dans les choix éducatifs. Mieux comprendre les racines des inégalités est une première étape pour les réduire à long terme.

Politiques des quotas d'égalité entre sexes . Crédits : Delpixel, Shutterstock

Politiques des quotas d’égalité entre sexes . Crédits : Delpixel, Shutterstock

Mais le déficit de représentation des femmes dans les lieux de pouvoir peut être en partie comblé en mobilisant d’autres outils tels que les quotas. C’est bien ce qu’Anne Revillard souligne dans sa contribution « Les quotas sont-ils une solution pour l’égalité ? ». Pour autant, elle montre aussi qu’il ne faut pas attendre de ces politiques purement quantitatives un quelconque effet vertueux autre que celui de l’accroissement de la proportion de femmes dans les espaces de pouvoir.

Ce numéro de Cogito reflète une partie des travaux réalisés à Sciences Po pour comprendre la recomposition des inégalités et relever le défi de l’égalité. Celle-ci se construit sur deux dimensions : celle de la liberté individuelle et celle du fonctionnement des sociétés, car la structure sociale produit des assignations et des normes qui freinent les possibilités d’émancipation des femmes. Pour faire du XXIe siècle, le siècle de l’égalité des sexes un long chemin reste donc à parcourir tant les racines sont profondes.

Hélène Périvier est économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Elle dirige le Programme de Recherche et d’Enseignement des SAvoirs sur le Genre (PRESAGE). Ses recherches portent sur les politiques sociales, familiales, le marché du travail et les inégalités entre les sexes. Elle est codirectrice du domaine genre aux Presses de Sciences Po. Elle codirige un projet de recherche sur les orchestres, les discriminations et le genre (PRODIGE, ANR). Elle membre du conseil de direction de la Cité du genre.