Gouvernance régionale

Intégrations régionales

Écrit par Olivier Dabène   

Depuis le sommet des Amériques de Miami en 1994, une série de négociations a été engagée à l'échelle du continent pour tenter de mettre en place des dispositifs de régulation, dont les caractéristiques ne sont pas sans rappeler la gouvernance multiniveau européenne. Dans le même temps, les sommets possèdent une dimension cérémonielle et incantatoire.

  • Historique et typologie des sommets
  • La gouvernance multiniveau 
  • Le régionalisme cérémoniel et incantatoire
  • L'agenda des sommets
  • Le processus de Miami, vers la gouvernance régionale?

Historique et typologie des sommets

Les années 90 ont vu naître la diplomatie des sommets. Au XXème siècle, on ne peut effectivement citer que deux antécédents au plan continental. Le sommet de juillet 1956, qui a réuni à Panama 19 pays sous les auspices de l'OEA, et celui d'avril 1967 à Punta del Este qui a réuni le même nombre de présidents.

Ces deux sommets n'ont pas engendré de dynamique et n'ont donc pas eu de suite.

Il en va différemment à partir des années 90 où les sommets s'institutionnalisent au plan juridique et se routinisent au plan politique.

L'Amérique latine accentue une tendance au reste repérable à l'échelle mondiale : les sommets thématiques onusiens se multiplient (environnement dès 1992, Sommet mondial sur le développement social (Copenhague, 1995) ; Sommet du Millénaire des Nations Unies (New York, 2000) ; Conférence internationale sur le financement du développement (Monterrey, 2002) ; Sommet mondial sur le développement durable (Johannesburg, 2002), droits de l'homme, genre, éducation, urbanisme, etc.) ainsi que les enceintes régionales, plus ou moins liées à des processus d'intégration.

En Amérique latine, le phénomène, on l'a vu, est né au milieu des années 80 lorsque trois défis ont incité les présidents d'Amérique latine à renouer des contacts distendus pendant les périodes autoritaires : la volonté de trouver des mécanismes collectifs de défense de la démocratie en contexte d'incertitude ; la volonté de rechercher ensemble des solutions aux problèmes communs à l'ensemble de l'Amérique latine, notamment la crise de la dette ; la volonté d'apporter une médiation dans le conflit centraméricain.

C'est l'époque de la diplomatie « pompier » où, dans l'urgence, il s'agit de résoudre des problèmes. C'est un régionalisme pragmatique et orienté vers la recherche de solutions.

Une fois ces problèmes résolus (Amérique centrale) ou partiellement résolus (dette), l'Amérique latine conserve ses habitudes de travail collectif dans les années 90, à la fois pour enclencher une dynamique d'intégration économique et mettre en place des dispositifs de concertation politique. Les négociations commerciales prospèrent sur une base sous-régionale, avec la relance d'anciens accords, dans les Andes et en Amérique centrale, et la signature de nouveaux accords (Mercosur). A l'échelle du continent, le régionalisme tend à devenir cérémoniel et incantatoire.

En 1987 apparaît le Groupe de Rio, puis les forums diplomatiques se multiplient. Les sommets ibéro-américains s'ouvrent en 1991, les sommets des Amériques apparaissent en 1994. La diplomatie des sommets se démultiplie et acquière un rythme de croisière effréné. Des objectifs sont fixés, des plans d'action sont arrêtés, des ressources sont mobilisées et, suivant typiquement en cela le modèle d'apparition des organisations internationales, des secrétariats sont créés pour assurer un suivi entre deux sommets.

 

La gouvernance multi-niveau

De nombreux dispositifs de régulation ou régimes se mettent en place. Peut-on en conclure à l'émergence d'une gouvernance régionale multi-niveau ?

Il convient, pour répondre à cette question, de préciser tout d'abord la notion de gouvernance multi-niveau, qui a été créée pour rendre compte de la complexité du processus de prise de décision dans l'Union européenne.

Je ne m'attarderai pas sur les critiques convenues adressées à la notion de gouvernance, qui a été popularisée par la Banque mondiale, et qui n'est pas dénuée de charge normative dans de nombreux travaux.

Dans les travaux des spécialistes des politiques publiques ou des relations internationales, la gouvernance est un mode de gouvernement sans gouvernement  (James Rosenau, Governance without government. Order and change in world politics, Cambridge university press, 1992)). La notion est utilisée pour décrire une multiplicité d'acteurs publics et privés intervenant tant en amont (mise sur agenda) qu'en aval (implémentation) de la prise de décision, qui sont plus ou moins bien intégrés en réseaux et qui entretiennent de ce fait des relations non hiérarchiques. La décision est plus un effet de composition que le produit d'une injonction top down. Dans cette logique, l'action publique à l'échelle nationale ou la régulation à l'échelle internationale fonctionne selon la même logique.

Le système politique de l'intégration européenne ajoute à la complexité, car le nombre d'acteurs intervenant est important (système polycentrique), mêlant les niveaux locaux, nationaux et régionaux, et les relations les unissant ne sont pas « constitutionnalisées » mais en constante renégociation (Gary Marks, Governance in the European Union, Sage, 1996).

Au-delà de l'Union européenne, Gary Marks distingue deux types de GML qui surgissent comme conséquence de l'atomisation de l'autorité de l'Etat.

La GML de type 1 correspond à des institutions qui possèdent une compétence générale sur un territoire donné (à l'image d'un État fédéré), alors que le type 2 correspond à des agences dont les compétences sont limitées et précises (Gary Marks, Liesbet Hooghe, "Contrasting visions of multi-level governance" in Ian Bache, Matthew Flinders (ed.), Multi-level governance, Oxford university press, 2004)

La notion a été critiquée parce qu'elle omettait de prendre en compte les phénomènes hiérarchiques, et tendait à placer tous les acteurs sur un pied d'égalité (Costa).

Il n'en demeure pas moins que la notion est utile.

A première vue, la tendance en Amérique latine n'est pas si éloignée du processus européen. La diplomatie des sommets a effectivement débouché sur la création d'un grand nombre de structures et agences et la mobilisation de nombreux acteurs publics et privés qui sont mis en réseaux et poursuivent des objectifs communs.

L'ensemble donne toutefois l'image d'une grande entropie et d'une apparente stérilité. Pour cette raison, l'hypothèse d'un régionalisme cérémoniel a été évoquée. On peut ajouter une dimension incantatoire.

 

Le régionalisme cérémoniel et incantatoire

Dès ses origines, analyse Verónica Montecinos ("Ceremonial regionalism, institutions and integration in the Americas", Studies in comparative international development, Summer 1996, vol.31, n°2) , l'intégration régionale a été un mythe porté par la CEPAL, sous l'influence de Raul Prebisch, son emblématique Secrétaire général qui, selon certains, a « créé l'Amérique latine ».  Les économistes, les técnicos (dont l'importance était soulignée par Schmitter et Haas), qu'il a formés à la CEPAL ont contribué à la divulgation de cette croyance en l'outil « intégration régionale » pour battre en brèche la structure de l'échange inégal à l'échelle internationale et forger une identité régionale. 

Les propositions de la CEPAL ont été très influentes, mais au plan régional, hormis la Déclaration des présidents d'Amérique de 1967, et l'enthousiasme de Frei au Chili, elles ne se sont guère traduites par des progrès de l'intégration.

Ce qui s'explique par le fait que les économistes, selon Montecinos, étaient dans les années 60 plus préoccupés par la légitimation de leur profession que par l'efficacité des agences d'intégration. Mais cantonnés dans les organisations internationales, ces experts n'ont guère pu influencer les politiques et le Traité de Montevideo de 1980 est un compromis décevant.

Les experts de la CEPAL sont aussi responsables du déficit de politisation dont souffre l'intégration régionale. Le mythe de l'intégration comme projet technocratique dépolitisé a sans doute constitué un handicap, finalement un peu comme en Europe avec la vision planificatrice de Monnet.

Toutefois, ce qui caractérise l'intégration en Amérique latine, c'est sa continuité en dépit de crises. Les institutions survivent et gagnent en complexité, ce qui incite Montecinos à soutenir qu'elles ne doivent pas être appréhendées comme des organes technocratiques dédiés à la résolution de problèmes de développement économique, mais comme des outils cérémoniels (ceremonial display) : « Les agences régionales ont été créées pour faciliter l'obtention de ressources, acceptation et légitimité de la part d'outsiders significatifs ». En tant que tels, elles ont rempli leur fonction, ce qui explique leur longévité. La CEPAL par exemple est porteuse d'un mythe, et se singularise beaucoup plus par la qualité de son personnel et de ses analyses que par ses réalisations.

Dans les années 90, le mythe est mort (et toute une génération d'économistes aussi, Prebisch est né en 1901 et mort en 1971), mais le régionalisme est une mise en scène, qui peut répondre à plusieurs types de rationalité.

L'opportunité de poser ensemble pour les photographes (photo op) est importante pour afficher une communauté d'intérêts et de valeurs. Pour les Etats-Unis, il s'agit d'afficher une complicité de vues avec les voisins, là où l'histoire est chargée de mépris et d'agression. C'est l'esprit des années trente du bon voisinage (la politique de Herbert Hoover, entre 1928 et 1932), voir l'esprit « monroïste » de la famille américaine.

L'invitation lancée par Clinton en 1993 n'est pas étrangère aux progrès de l'intégration en Europe et à la volonté de montrer que l'hémisphère américain est aussi uni par des liens très forts.

Pour les pays d'Amérique latine, et notamment les grands (Brésil, Mexique), il s'agit de montrer aux opinions publiques que l'on parle sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis.

L'hypothèse du régionalisme cérémoniel consiste à estimer que les sommets n'ont pas d'autres fonctions que cette fonction symbolique de la photo op (América Latin Hoy, vol.40, Août 2005).

Concernant le contenu, que l'on va détailler dans la suite, on peut ajouter, toujours au plan symbolique, que les présidents cherchent à engendrer des effets de réalité. C'est la dimension incantatoire. La recherche d'une « performativité » au plan régional, qui consiste à se saisir de domaines toujours plus étendus pour donner l'impression que le niveau régional est celui qui sied à la résolution de problèmes impossibles à résoudre dans un cadre national. Cette dimension incantatoire est à l'origine de la fuite en avant vers le scope, au détriment du level d'intégration.

 

L'agenda des sommets

De quoi parlent les présidents ?

A partir d'une compilation de données effectuée par la FLACSO Chili, on peut apporter des éléments de réponse à cette question. Les données, portant sur les décisions prises lors de trois types de sommet entre 1990 et 1999, permettent d'apporter des précisions (cf. Tableaux ci-dessous)

Premier constat, quantitatif, ces sommets sont extrêmement prolixes : avec 1113 décisions prises. Les sommets ibéro-américains arrivent en tête, avec près de la moitié du total.

A titre de comparaison, pendant la même période, les sommets de l'APEC ne produisaient que 84 décisions.

Deuxième constat, qualitatif, le thème de l'intégration économique est dominant, avec un total de 18,7% du total, devant le thème du développement social. Un regroupement amène toutefois à observer que les thèmes politiques sont privilégiés, avec plus de 29% du total. Cette politisation apparaît plus nettement encore si l'on compare ces trois cas avec celui de l'APEC, résolument contré sur le thème économique (plus de 70% des décisions).

Autre observation, certains sommets se concentrent sur des thèmes bien particulièrement délimités, se spécialisant en quelque sorte : le groupe de Rio apparaît le plus préoccupé par les thèmes internationaux, ce qui est conforme à la logique ayant présidé à sa création comme mécanisme de concertation politique permanent. Les sommets ibéro-américains, de leur côté, sont dominés par les thèmes politiques, ce qui pourrait refléter l'ambition de cette instance à contraindre Cuba à se démocratiser. Enfin, les sommets des Amériques ont été clairement dominés par les thèmes sociaux et, en second lieu, par les thèmes politiques ce qui peut à priori surprendre étant donné l'importance que l'on imagine accordée au projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA).

Il est tout à fait clair que cette logorrhée emporte plusieurs conséquences :

Elle dénote en premier lieu une volonté des présidents de montrer qu'ils ont l'initiative sur un grand nombre de thèmes. Mais, revers de la médaille, elle dilue le message et brouille leurs projets. Les présidents donnent l'impression de gérer par capillarité et d'être dépourvus d'un projet, d'un élan.

Et surtout, elle entraîne de redoutables problèmes d'implémentation. S'en suit un risque de lassitude, de fatigue et de perte de crédibilité, du type de celle qui avait donné lieu à la caricature du GATT en General agreement to talk and talk.

Accords et propositions émanant de trois types de sommet entre 1990 et 1999:

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Le processus de Miami : vers la gouvernance régionale ?

Ce que l'on qualifie ici de « processus de Miami » est composé d'un ensemble complexe de réunions et organismes, dont la matrice est la réunion périodique des présidents.

Liste des Sommets des Amériques

Le sommet de Miami est annoncé en décembre 1993, la date évoquée étant mai 1994. Finalement, il sera repoussé jusqu'en décembre 1994, ce long délai étant mis à profit pour organiser de nombreuses consultations entre les États-Unis et l'Amérique latine, en faisant usage d'une méthode que Richard Feinberg qualifie de cascading modular multilateralism (multilatéralisme modulaire en cascade, ou négociations multilatérales en gigognes), qui comprend des contacts bilatéraux (bilateralism), des entretiens multilatéraux (geography-based plurilateralism) et l'apparition d'ententes sur des sujets spécifiques (issue-specific coalition building) (Richard FEINBERG, ancien président du Dialogue inter-américain, a été un des acteurs du processus de Miami. Il a relaté les négociations dans Summitry in the Americas. A progress report, Washington, Institute for international economics, 1997).

Les consultations étaient d'autant plus nécessaires que les Latino-américains, au premier rang desquels les Brésiliens, craignaient que l'agenda du sommet ne soit imposé par la puissance invitante.

Ces consultations ont mis à jour plus de convergences que de divergences.

Al Gore se rend par exemple en Argentine, en Bolivie et au Brésil en mars 1994 et se rend compte que deux des thèmes sur lesquels il aime insister, le développement durable (sustainable development ) et la bonne gouvernance (good governance), bénéficient d'un large soutien en Amérique latine. D'autres sont ajoutés sur l'agenda par les Latino-américains, comme la pauvreté, sur laquelle insiste le président argentin Carlos Menem, ou l'éducation et la drogue.

Les 14 thèmes de négociations qui sont listés par les États-Unis à l'issue de la première série de consultations (janvier-août 1994) font alors l'objet d'un consensus dans la région. Il s'agit de faire en sorte que la démocratie fonctionne (Making democracy work : reinventing government), qu'elle soit prospère (Making democracy prosperous : hemispheric economic integration) et qu'elle soit durable (Making democracy endure : sustainable development).

Une deuxième série de consultations, entre août et mi-octobre, permet d'affiner les thèmes de discussion et, naturellement, des divergences apparaissent alors. Afin de ne froisser aucune susceptibilité, la liste des initiatives s'allongent, passant de 14 à 19 puis à 23. Le Plan d'action adopté à Miami contient finalement 23 séries d'initiatives, regroupées autour de quatre grands thèmes : la démocratie, l'intégration économique, les problèmes sociaux et l'environnement.

L'amplitude des thèmes à traiter au plan continental est impressionnante, et on aurait tord de croire qu'il s'agit là d'une litanie propre aux sommets internationaux ne pouvant dépasser le stade des bonnes intentions.

En effet, la diversité des acteurs mobilisés pour parvenir à ce plan d'action et pour négocier des accords est une garantie du sérieux du processus. Le plan d'action est à ce titre accompagné d'une annexe très intéressante qui précise le partage des rôles. Il y est précisé que «la principale responsabilité d'exécution du présent Plan d'action incombe aux gouvernements, à titre individuel et collectif, avec la participation de tous les éléments de nos sociétés civiles. Nous faisons appel aux organisations ou aux institutions existantes pour mettre en oeuvre l'ensemble des initiatives se dégageant du présent Sommet des Amériques. Dans de nombreuses instances, nous proposons l'examen de questions précises lors de réunions ministérielles, de hauts fonctionnaires ou d'experts. Nous proposons également l'exécution de certaines de ces initiatives en partenariat entre le secteur public et privé».

Dans tous ces domaines, considérer que les États-Unis ont imposé leur façon de voir est excessif. L'exemple du thème de la corruption est intéressant. Certes, il y a clairement une volonté nord-américaine de multilatéraliser le Foreign corrupt practices act qui criminalise les actes de corruption en matière de commerce international (bribery in international commerce). Mais cela rejoint tout aussi clairement une préoccupation latino-américaine et un consensus est atteint avec les pays les plus intéressés -Chili, Équateur, Honduras et Venezuela. Le Venezuela, par exemple, a manifesté lors des négociations le souhait de lier l'extradition aux crimes de corruption (afin de lutter contre l'évasion fiscale). Les États-Unis ont soutenu le projet vénézuélien en échange de quoi les Vénézuéliens ont accepté la multilatéralisation de l'act. 

Feinberg conclue que «l'ensemble des consultations a permis de faire progresser la convergence sur de nombreux thèmes entre de nombreux acteurs» (Richard FEINBERG, Summitry..., op., cit., p.128), et ce d'autant plus que la méthode employée a permis d'impliquer des acteurs gouvernementaux, des agences internationales et des agents privés.

Entre 1994 et 1998, le dispositif de négociations qui est en place dépasse donc de beaucoup le simple exercice diplomatique. Il est certain que jamais dans son histoire le continent américain n'avait entrepris un tel effort. Richard Feinberg le décrit comme un nouveau système interaméricain, reposant sur trois «piliers» : le système traditionnel gravitant autour de l'OEA, de la BID et de la CEPAL (qui forment d'ailleurs un Comité de coopération pour assister les négociations); les réunions ministérielles et d'experts, engageant de nombreuses agences officielles; et le partenariat public-privé.

Toutefois, le deuxième sommet des Amériques d'avril 1998 se garde bien de toute grandiloquence ou de tout triomphalisme. L'état d'esprit reste pragmatique, et la situation de la démocratie dans le continent n'incite guère à l'optimisme. En quatre ans, les écarts sociaux se sont creusés et la violence délinquante a augmenté de façon vertigineuse. La Déclaration de Santiago prend donc acte des progrès réalisés et annonce vouloir «continuer le dialogue et intensifier l'effort de coopération amorcés à Miami», mais se montre sensible aux problèmes sociaux du continent. Le Plan d'action qui accompagne la Déclaration reflète cette préoccupation sociale. 

Ce Plan d'action a toutefois suscité des critiques. S'il est certain que la multiplication des forums de négociation et rencontres contribue à la lente émergence d'un consensus autour d'un certain nombre de règles non coercitives, et donc fait progresser la gouvernance régionale, l'absence d'objectifs chiffrés et d'affectation de moyens financiers, notamment concernant les problèmes sociaux, peut à l'inverse ôter de la crédibilité au processus. Les réformes sociales, dites de la deuxième génération, n'ont, à Santiago, fait l'objet que de déclarations générales sur des objectifs vagues à atteindre. L'éducation constitue toutefois une exception, dans la mesure où est notamment réitéré l'engagement pris à Miami d'assurer, avant l'an 2010, l'accès universel à un enseignement primaire de qualité ainsi qu'un taux d'achèvement du primaire de 100%, et où 1 milliard de dollars est mobilisé par la Banque mondiale et la BID. 

Mais, pour le reste, la généralité du propos et le flou des objectifs masque en fait souvent des différends. Le meilleur exemple est celui de la lutte contre le narcotrafic. L'idée générale selon laquelle le narcotrafic constitue une menace à la démocratie fait certes l'objet d'un consensus, mais les gouvernements latino-américains ne se font guère d'illusion au sujet de l'annonce que «les gouvernements vont, dans l'intention de renforcer la confiance mutuelle, le dialogue et la coopération à l'échelle de l'hémisphère [...] établir, dans le cadre de la Commission interaméricaine pour le contrôle de l'abus de drogues (CICAD-OEA), un processus unique et objectif d'évaluation gouvernementale multilatérale, qui permette de suivre l'évolution des efforts individuels et collectifs déployés à l'échelle de l'hémisphère ainsi que les progrès accomplis dans tous les pays qui participent au Sommet pour ce qui est de régler ce problème dans ses diverses manifestations». Établir un tel mécanisme multilatéral alors que les États-Unis ne sont pas disposés à renoncer à leur propre mécanisme d'évaluation (de «certification»), ne fait en rien progresser «la confiance mutuelle» (Voir Olivier DABENE, «Les narcodémocraties andines», Les Études du CERI, n°20, septembre 1996).

 

Au plan institutionnel, dès 1995 est créé un Groupe de suivi de l'implémentation des sommets (Summit implementation review group, SIRG). Ce Groupe se réunit environ 4 fois par an, informe les ministres des affaires étrangères de l'état d'avancement de la mise en œuvre de plan d'action et prépare le sommet suivant, avec l'appui de la BID, de l'OPS, de la CEPAL et de la Banque mondiale.

Autre initiative, la création d'une Commission sur la gestion des sommets interaméricains, au sein de l'OEA, chargée d'informer l'Assemblée générale de l'OEA à propos de la mise en œuvre des plans d'action. Cette Commission sert aussi de forum pour la participation de la société civile.

Chaque pays doit au surcroît informer sur l'état de l'application du plan d'action, de même les organismes multilatéraux (OEA, BID, OPS, CEPAL, BM). Ces 5 organismes se sont entendus, après le sommet du Québec, pour coordonner leurs actions au sein d'un Groupe de travail, dont le secrétariat est assuré par le Bureau de suivi des sommets de l'OEA. En 2002, le Bureau s'est transformé en Secrétariat du processus des sommets.

Depuis 2002, le dispositif est donc en place, et la paralysie de la négociation pour la ZLEA n'a pas complètement affectée la mise en œuvre des plans d'action adoptés lors des sommets.

En 2001, au sommet du Québec, les présidents développent leurs objectifs autour de 18 mandats.

Voir le Plan d'action.

Le sommet de Québec est sans doute le plus abouti en termes de consensus.

En 2004, dix ans après le sommet de Miami, les présidents organisent un Sommet extraordinaire pour faire le point sur l'état d'avancement des projets. La Déclaration de Nuevo Leon tente encore de croire que la négociation pour la ZLEA pourra être conclue, mais une incise du Venezuela traduit les profonds désaccords existant dans la région.

 

A ce jour, aucun rapport global n'a été publié sur l'état d'implémentation des mandats.

A l'évidence, les sommets ont progressé et, tant par la nature des acteurs intervenant dans la mise en œuvre que par l'étendue des domaines couverts, il n'est pas excessif de parler de la mise en place d'une gouvernance régionale multi-niveau de type 2. Il reste toutefois à en mesurer la portée concrète.

Il est par ailleurs utile de garder à l'esprit que la notion de gouvernance tend à gommer les dimensions hiérarchiques (poids des Etats-Unis) et concurrentielles. Même si la prolifération d'agences dilue la configuration d'un dispositif global, il y a bien deux modèles d'intégration: l'un type TLC est peu institutionnalisé, centré sur le libre-échange et fait place à une intervention importante d'acteurs de la société civile (modèle PPP); l'autre, type CAN ou ALBA, est plus institutionnalisé, avec un agenda diversifié et piloté par un présidentialisme collectif. Ces modèles prennent place sur un "continuum de politisation".

 

Mise à jour le Mardi, 24 Novembre 2009 

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