La silicose dans la culture populaire

  • Des miniers faisant du forage de roches en Laponie. Photographe anonyme. AlmquisDes miniers faisant du forage de roches en Laponie. Photographe anonyme. Almquis

“Ballades de la poussière de charbon” : la poussière dans les chansons de mineurs britanniques

Par Marion Henry

La poussière est devenue un thème majeur des chansons de mineurs britanniques dans la seconde moitié du XXe siècle – étonnamment tard étant donné que les maladies provoquées par les poussières touchaient les mineurs depuis beaucoup plus longtemps. La préoccupation croissante à propos de ces maladies est liée aux changements rapides dans l’environnement minier après la Seconde Guerre mondiale, avec le développement de nouvelles méthodes et techniques intensifiant les expositions aux poussières et leurs effets sanitaires.

De même que la médecine a mis un certain temps à se saisir du problème des maladies d’empoussièrement, du temps s’est également écoulé entre les changements techniques générateurs de poussière dans l’industrie après la Seconde Guerre mondiale et l’émergence de la poussière comme thème central des chansons de mineurs britanniques dans les années 1950 et 1960.

La place que tient la poussière dans les ballades chantées par les mineurs ne peut cependant être réduite à une perception en termes d’effets et de causes. Dans de nombreuses chansons, le lien établi entre la poussière, la maladie et la mort est loin d’être clair et univoque. La « poussière » apparaît souvent comme symbolisant les dangers et la tristesse inhérents au travail minier, dangers et tristesse se rapportant aussi bien aux accidents qu’au déclin de l’activité minière vers la fin du XXe siècle.

Absence dans les chansons de mineurs anciennes

Le titre du recueil de chansons Ballades de la poussière de charbon (Coaldust Ballads), dirigé par A.L. Lloyd et publié par l’Association de la musique ouvrière (Workers’ Music Assocation) en 1952, est très trompeur pour ce qui est de la référence à la « poussière » dans les chansons de mineurs britanniques (Lloyd, 1952). Ce recueil est composé de textes qui avaient déjà été rassemblés dans Come All Ye Bold Miners – la célèbre collection de chansons de mineurs dirigée par Loyd et publiée par Lawrence & Wishart la même année – et dans des partitions de musique destinées à conserver et revivifier la musique populaire en Grande-Bretagne (Lloyd, 1952). La poussière n’est en réalité presque jamais mentionnée dans ces vieilles chansons – la plus récente d’entre elles, "Le désastre de Gresford" ("The Gresford Disaster"), ayant été composée en 1934. L’examen de l’édition révisée de 1978 de Come All Ye Bold Miners et d’autres recueils de chansons nous conduit à dresser le même constat.

De façon générale, la poussière n’apparaît presque pas dans les chansons composées avant le XXe siècle et même pas avant les années 1950 et 1960. Plutôt que sur la présence de la poussière, ces textes insistent sur le manque d’air et de ventilation et établissent souvent un parallèle entre l’atmosphère confinée et l’obscurité. Le mineur est privé à la fois d’air frais et de la lumière naturelle, comme il apparaît dans "Melancholy Explosion at the Moss Pit", une chanson écrite à la fin du XIXe siècle après une explosion survenue au puits de mine Moss à Ince, près de Wigan, le 4 septembre 1871 (voir Lloyd, 1978).

"Dans la profonde obscurité de la mine de charbon,
Travaillent les hommes robustes,
Ils ne peuvent pas voir le riant soleil,
Ni respirer l’air qui embaume".

(“In the deep gloom of the coal mine,
Hardy men are working there,
They cannot see the smiling sunshine,
Cannot breathe the fragrant air.”)

La poussière : acteur de second rang dans les chansons de mineurs, derrière les accidents ?

Dans ces anciennes chansons de mineurs, la poussière ne paraît pas reliée à la maladie ou à la mort. Les dangers et les risques, omniprésents dans le répertoire, découlent des accidents soudains tels que les explosions ou les effondrements de galeries. Ainsi, lorsque des mineurs grévistes de Durham expliquaient  les mauvaises conditions de ventilation existant dans les mines dans des chansons telles que "Les doléances des mineurs" (“The Miners’ Grievances”)  ou "Dialogue entre Pierre Sans-Peur et Dick l’Homme-libre" (“A Dialogue between Peter Fearless and Dick Freeman”), c’était surtout pour souligner le risque d’explosion (Lloyd, 1978).

Cela s’explique en partie par le fait que, tandis que le mineur du XIXe siècle utilisait des outils à proprement parler (c’est-à-dire maniés à la main), des pics et des pelles pour extraire et entasser le minerai de charbon, son homologue du XXe siècle a dû endurer les effets des foreuses ou des pelles mécaniques puissantes, du TNT et d’autres technologies introduites après la Seconde Guerre mondiale, qui ont accru la quantité de poussière respirée dans l’air par les mineurs.

Cette évolution dans les techniques a tendu à estomper la crainte des accidents, des explosions et de la dureté des conditions de travail par une perception plus aiguë des dangers causés par la poussière pour les poumons des mineurs (silicose, pneumoconiose du mineur de charbon) et leur santé à long terme.

L’avènement de la poussière dans les chansons de mineurs

C’est ainsi que dans des chansons plus récentes – composées dans la seconde moitié du XXe siècle et plus précisément à partir des années 1950-1960 avec la naissance d’une nouvelle génération de compositeurs, celle du deuxième renouveau "folk"  –, la poussière semble tenir un rôle plus important et devient  une composante à part entière des dangers de l’environnement minier, décrit comme effrayant et hostile, comme dans "Coorie Doon", une berceuse écossaise écrite par Matt McGinn vers 1962 (voir The Mudcat Cafe) :

"Il fait sombre tout au fond de la mine ma chérie,
Obscurité, poussière et humidité,
Mais il nous faut notre chauffage, notre lumière,
Notre feu et notre lampe."

(“There's darkness doon the mine my darling,
Darkness, dust and damp,
But we must have oor heat, oor light,
Oor fire and our lamp.”)

Plus qu’un simple élément descriptif, la poussière est désormais associé à la dureté des conditions de travail des mineurs. Par exemple, "L’astucieux petit mineur" (“The Canny Miner Lad”) enregistré en 1972 par Ian Campbell Folk Group, exprime l’omniprésence de la poussière et les difficultés éprouvées par les mineurs pour respirer (voir Colliertracks) :

"Il y a de la poussière dans tes yeux, dans ton nez et tes cheveux,
Et tu transpires et tu te bats et fais des efforts pour avoir de l’air".

("There's dust in your eyes and your nose and your hair,
And you're sweating and striving and straining for air.")

La poussière comme symbole du “prix du charbon”

La poussière est finalement devenue le symbole du “prix du charbon”, longtemps associé aux accidents. Ce changement est particulièrement frappant dans les chansons qui parlent de la désindustrialisation et qui ont été composées pendant la première vague de fermetures de puits mise en œuvre par le National Coal Board (NCB), entre les années 1950 et les années 1970.

"Un vieux mineur" (“An Old Miner”) est une complainte composée par Mike Harding et inspirée par le cas d’un vieux mineur licencié après la fermeture du puits Moston près de Manchester (Lloyd, 1978). Cette chanson insiste sur l’amertume d’un homme qui avait dédié à l’industrie minière au risque de sa propre santé. Elle établit un parallèle entre la perte d’un œil et les "poumons remplis de poussière", en montrant que la poussière cause la maladie et que celle-ci débouche sur l’invalidité. L’usage du mot "poumons" ici attire également l’attention, lorsque l’on pense que les chansons plus anciennes parlaient simplement de "l’air".
Ces chansons établissent clairement un lien entre la poussière, la santé ou même la mort. Ed Pickford évoque des "poumons noircis et des visages blêmes" dans sa chanson "Farewell Johnny Miner" écrite à propos des fermetures de puits de mines au début des années 1960, en même temps que Jock Purdon – lui-même ancien mineur et compositeur de Chester-le-Street – expose beaucoup plus explicitement la politique conduite par le NCB (voir Lloyd, 1978) :

Ils disent que le mineur n’a pas de poussière,
Simplement qu’il a le souffle court.
Mais mineur, dans tes yeux naufragés,
Je vois la mort vivante".

("They say the miner has no dust,
He's only short of breath.
But, miner, in your sunken eyes
I see the living death.")

Ces chansons qui racontent la disparition de l’industrie du charbon n’évoquent pas seulement la lente agonie des communautés minières britanniques mais parlent au nom de ceux qui paient le "prix du charbon". Entre les souvenirs et les "histoires des endroits désormais morts », il reste la réalité des « vieux poumons sifflants", comme le souligne Johnny Handle dans son poème "Le vieil homme du village" (“Old Man of the Village”) (Handle, 1971).

Bibliographie

  • Lloyd, A. L., Coaldust Ballads, Workers’ Music Association, 1952
  • Come All Ye Bold Miners, Lawrence & Wishart, 1978
  • Harker, Dave & Geoff White, The Big Red Songbook, Pluto Press limited, 1977
  • Pickford, Ed, The Ed Pickford Songbook: A North-East of England Songbook
  • Purdon, Jock, Songs from the Durham Coalfield, Pit Lamp Press, 1977 
  • Other publications of the Workers’ Music Association held at the Working Class Movement Library in Salford Crescent.

Pour en savoir plus

Quelques sites internet qui traitent de musique folk ont été d’une grande aide pour trouver les paroles de certaines chansons dont il est question dans cet article. Citons par exemple : "The Mudcat Cafe (en anglais)" et "Colliertracks (en anglais)" pour les chansons de mineurs écossais. Je remercie aussi Ewan McVicar pour son aide précieuse sur le sujet.

Crédit photo : Machine de forage souterrain dans Kirunavaara (Laponie). Photographe inconnu. Almquist & Coster, 1949-1950. Swedish National Heritage Board via Flickr Creative Commons. Licence.

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