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Les nouveaux chemins de la science économique

Macro photo of tooth wheel mechanism with SUSTAINABILITY, ECONOMY, SOCIETY and ENVIRONMENT words imprinted on metal surface by EtiAmmos via shutterstock_737412403

La crise financière, commencée en 2008 aux États-Unis avant de venir secouer l’Europe, “Où va l’économie ?” de la Revue de l’OFCE n° 153, décembre 2017a profondément bouleversé la compréhension et la façon d’appréhender l’économie. Certains consensus ont été questionnés, d’autres ont été abandonnés. S’extirpant des urgences de la crise, le débat économique se projette maintenant vers des horizons plus éloignés et la recherche en économie se renouvelle. C’est à ces évolutions qu’est consacré le numéro  “Où va l’économie ?” de la Revue de l’OFCE . Composé de dix-huit contributions de chercheurs de haut niveau, il offre un focus particulier sur les questions macroéconomiques.
Trois grands thèmes se dégagent de ce  numéro. Le premier se penche sur la relation entre économie et histoire. Le second interroge  la question de la stabilité des économies et, en lien, le besoin de repenser la cohérence des politiques en vigueur. Le troisième volet touche à  l’évolution des outils et méthodes utilisés par les économistes.

L’histoire pour penser tendances et crises

Temps long  et trajectoires économiques jalonnent différentes contributions et se placent au cœur de l’article de Bergeaud, Cette et Lecat  (Croissance de long terme et tendances de la productivité : stagnation séculaire ou simple trou d’air ?). Ils observent un ralentissement progressif de la productivité et du progrès technique, laissant planer le risque d’une croissance faible voire d’une stagnation séculaire. High Resolution Invest Concept by xtock via ShutterstockCette tendance contraste avec l’accélération apparente du progrès technique dû aux technologies numériques.
Trois explications à ce « paradoxe » sont avancées :
* La première, défendue par Bergeaud, Cette et Lecat, trouve son fondement dans la faiblesse des taux d’intérêt réels qui, depuis 40 ans, permet le financement d’entreprises peu productives et conduit à une moins bonne allocation du capital.
* Une  deuxième théorie, défendue par Antonin et Aghion (Progrès technique et croissance depuis la crise) voit dans le débat sur la stagnation séculaire un pessimisme mal fondé. Celui-ci découlant d’erreurs de mesure statistique et du temps de diffusion nécessaire pour que les économies s’adaptent aux changements technologiques majeurs comme ceux du numérique.
* La troisième approche, développée par Le Garrec et Touzé (La macroéconomie à l’heure de la stagnation séculaire), avance que la mauvaise gestion de la demande et de l’inflation, dans le contexte de la crise, a conduit à un problème économique de long terme. Une reprise de l’inflation aiderait l’ajustement économique en redonnant des marges de manœuvre à la politique monétaire, actuellement bloquée à la borne zéro des taux d’intérêt.

Stock Market Information and Graph by Vintage Tone, ShutterstockLa temporalité est aussi présente dans les deux contributions s’intéressant aux cycles. D’un côté, Portier (L’instabilité des économies de marché) questionne l’approche qui, bien que peu fondée empiriquement et théoriquement, est dominante, et selon laquelle les économies de marché sont des processus stables s’adaptant à des chocs externes. Or, du fait des interactions stratégiques entre acteurs – ménages et entreprises, ceux-ci sont incités à se comporter de façon identique en même temps. Une concomitance qui déstabilise l’économie et produit des cycles endogènes, qui sont, de plus,  affectés par des aléas rendant les fluctuations imprédictibles. D’un autre côté, Aglietta (Finance et macroéconomie : la prépondérance du cycle financier) souligne la différence entre le temps logique, au sein des modèles économiques, et le temps historique qui contient toujours une part d’incertitude. Celle-ci laisse une place à la spéculation financière, générant ainsi des cycles financiers de 15 à 20 ans avec des crises récurrentes. Chez Aglietta, les comportements déstabilisants sont le fait de comportements mimétiques présentés comme un invariant anthropologique, et non le produit de mécanismes économiques comme le soutient Portier.

Macro photo of tooth wheel mechanism with SUSTAINABILITY, ECONOMY, SOCIETY and ENVIRONMENT words imprinted on metal surface by EtiAmmos via shutterstockUn troisième ensemble de contributions s’interroge sur la capacité des économistes à penser et à intégrer le temps long en matière environnementale. Ainsi, Schubert (Macroéconomie et environnement) constate à quel point ces questions restent marginales aussi bien dans les revues académiques que dans les manuels universitaires. Qui plus est, leur étude demeure encore l’apanage de la microéconomie et de l’économie publique. Landa, Malliet, Reynès et Saussay (État de la macroéconomie environnementale appliquée) expliquent qu’introduire différentes temporalités dans un modèle macroéconomique, afin de traiter des questions environnementales, se traduit par une grande complexité avec, au final, des résultats peu transparents et convaincants pour les décideurs publics. S’intéresser à différents horizons temporels nécessite donc de simplifier à l’excès pour identifier les causalités essentielles, avec le risque de formuler/se baser sur des hypothèses irréalistes.

Enfin, Antipa et Bignon (Où en est l’histoire économique ? Entre narration et quantification) présentent une historiographie documentée et commentée de ce retour au temps long. Ils décrivent trois façons de produire l’histoire économique, chacune d’entre elles  trouvant un écho dans les autres contributions du numéro : la construction de séries longues (comme dans les travaux de Bergeaud, Cette et Lecat), la cliométrie (présente dans certains éléments de la contribution de Aghion et Antonin), le récit ou la narration analytique (comme dans les travaux de Aglietta).

Repenser les politiques en vigueur dans un contexte d’instabilité

L’une des conséquences majeures de la crise financière de 2008 a été de révéler que les économies de marché pouvaient être profondément instables.
L’incapacité de la majorité des économistes à prévoir, voire à comprendre cette crise a jeté un profond discrédit sur la profession. De  fait, la question de la stabilité renvoie à une interrogation plus profonde : comment l’agrégation de comportements hétérogènes (des ménages, entreprises et acteurs financiers) peut-elle aboutir à un ordre économique satisfaisant ? Banque centrale européenne. CC0 Creative CommonsCette interrogation nécessite de remettre en cause l’hypothèse d’agents représentatifs présente dans un grand nombre de modèles macroéconomiques d’avant-crise. Trois contributions (Aglietta, Dos Santos Ferreira et Gaffard) s’intéressent avec force à cette question.
L’importance de l’hétérogénéité pour penser la stabilité est également présente dans les contributions s’intéressant aux effets des politiques économiques. Par exemple, Hubert et Ricco (Macroéconomie et information imparfaite) montrent que ces effets changent radicalement lorsque l’on tient compte de l’hétérogénéité de l’information. En particulier, les banques centrales devraient penser leur communication comme étant un élément de politique économique car changeant la nature des informations disponibles au public.
Dans sa contribution, Challe (L’étude des fluctuations macroéconomiques est-elle « scientifique » ?) avance que si les études empiriques, notamment celles basées sur des événements précis, permettent de décrire l’hétérogénéité du réel, les enseignements microéconomiques qu’elles fournissent s’avèrent peu utiles pour investiguer les effets macroéconomiques, notamment ceux  des politiques économiques.
Enfin, de manière encore plus radicale, Napoletano (Les modèles multi-agents et leurs conséquences pour l’analyse macroéconomique) soutient que seules les interactions entre agents hétérogènes importent. On doit donc accepter de simplifier les comportements en introduisant une rationalité très limitée pour ensuite considérer l’économie comme un grand système. Sa dimension serait telle que solutions analytiques et petits modèles deviendraient impossibles.Sans domicile - CC BY 2.0 via Pxhere

D’autres contributions s’interrogent sur les outils à la disposition des pouvoirs publics  pour stabiliser les économies : la politique macro-prudentielle plutôt que la politique monétaire pour limiter l’emballement du prix des actifs (comme chez Épaulard, Que doit faire la politique monétaire face aux emballements du prix des actifs et au développement du crédit ?) ; le rôle de l’éducation pour lutter contre les inégalités de revenus (comme chez Garcia- Peñalosa, Les inégalités dans les modèles macroéconomiques); l’importance de la coordination des politiques économiques pour lutter contre les divergences au sein de la zone euro (comme chez Artus, Quelles sont les difficultés essentielles de la zone euro ? ).

Méthodes et outils

Quelles qu’elles soient, ces évolutions dans la pensée obligent les économistes à revoir leurs méthodes. La contribution de Blanchard (Sur les modèles macroéconomiques) s’intéresse précisément à cette question pour conclure qu’il ne s’agit pas tant de rejeter certains modèles que de choisir celui qui est adapté à la question traitée. Pour autant, la reconnaissance de la diversité des modèles ne mettra pas fin aux controverses méthodologiques, dont ce numéro rend compte au travers des pistes divergentes (Aglietta, Portier, Napoletano ou Challe).
Server room by Reynermedia CC BY 2.0 via FlickrEnfin, les technologies numériques transforment considérablement  le métier d’économiste. Antipa et Bignon soulignent l’importance des champs ouverts à l’histoire économique grâce à la numérisation des archives. Garcia-Peñalosa (Les inégalités dans les modèles macroéconomiques) et Challe (L’étude des fluctuations macroéconomiques est-elle « scientifique » ?) évoquent l’informatique  qui a permis d’augmenter considérablement la complexité des modèles économiques pour simuler une hétérogénéité plus grande.
De même, les travaux économétriques de Hubert et Ricco (Macroéconomie et information imparfaite) ne seraient pas possibles sans la puissance de calcul des ordinateurs. Enfin, Napoletano (Les modèles multi-agents et leurs conséquences pour l’analyse macroéconomique) va plus loin et propose que la simulation informatique systématique, de grande ampleur, puisse être considérée comme une validation des modèles économiques, plutôt que comme leur étude analytique.

Sans prétendre à l’exhaustivité, ce numéro de La Revue de l’OFCE « Où va l’économie ?» couvre donc une grande partie des débats académiques actuels. Il présente les résultats les plus récents tout en laissant une place importante aux questions nouvelles. Par la diversité des contributeurs, ce document cherche à dégager points d’intersection et divergents. En d’autres termes, il se propose d’ouvrir le débat.

La Revue de l’OFCE « Où va l’économie ?» a été dirigée par Xavier Ragot, Président de l’OFCE, et Sandrine Levasseur, Rédactrice en chef des publications. Y ont contribué : Philippe Aghion, Michel Aglietta, Pamfili Antipa, Céline Antonin, Patrick Artus, Antonin Bergeaud, Vincent Bignon, Olivier Blanchard, Gilbert Cette, Édouard Challe, Rodolphe Dos Santos Ferreira, Anne Epaulard, Jean-Luc Gaffard, Cecilia Garcia- Peñalosa, Paul Hubert, Gissela Landa Rivera, Remy Lecat, Gilles Le Garrec, Paul Malliet, Mauro Napoletano, Franck Portier, Xavier Ragot, Frédéric Reynès, Giovanni Ricco, Francesco Saraceno, Aurélien Saussay, Katheline Schubert et Vincent Touzé.