Débat à l'occasion de la parution aux Presses de Sciences Po de "Guerres et conflits armés au XXIème siècle", le nouvel ouvrage dans collection Enjeu mondial co-réalisée par le CERI et l'Atelier de cartographie.
Introduction par Benoit Pélopidas et Frédéric Ramel
Table ronde en présence de:
Pauline Blistène, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre de philosophie contemporaine
de la Sorbonne.
Marine Guillaume, Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères
Ronald Hatto, Chargé d'enseignements à Sciences Po
Thomas Lindemann, Professeur des universités en sciences politiques à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
L'Enjeu mondial
Guerres et conflits armés au XXIe siècle
Presses de Sciences Po, 2018
Benoit Pélopidas, Frédéric Ramel
Avec les contributions de: Bertrand Badie, Thierry Balzacq, Laure Bardiès, Didier Bigo, Pauline Blistène, April Carter, Miguel Centeno, Daniel Compagnon, Frédéric Coste, Charles-Philippe David, Mathias Delori, Général Vincent Desportes, Daniel Deudney, Adrien Estève , Aude-Emmanuelle Fleurant, Éric Frécon, Frédéric Gros, Marine Guillaume, Ronald Hatto, Thomas Hippler, Bruno Latour, Thomas Lindemann, Benjamin Oudet, Yannick Quéau, Alexis Rapin, Hew Strachan, Vicki Yang
Plus d'information sur le site compagnon de L'Enjeu mondial
Responsables scientifiques: Benoit Pélopidas et Frédéric Ramel
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Commentaire de Ronald Hatto
Cette carte souligne l'importance de la participation des Etats en développement dans les OMP. Au 31 juillet 2018, sur le dix premiers contributeurs, cinq étaient des pays africains et cinq des pays asiatiques. L'Ethiopie venait en tête avec 8 325 personnels en uniforme. La Chine arrivait à la 11e place avec 2 519 militaires et policiers et le premier pays occidental, l'Italie, occupait la 21e place avec 1 042 personnels. Le Secrétariat de l'ONU tente d’établir un meilleur équilibre entre les pays contributeurs sans trop de succès. Le retour des pays « riches » au sein des OMP permettrait non seulement de démontrer une plus forte solidarité internationale entre les peuples mais aussi d’améliorer les missions sur le plan tactique. Les armées de Etats développés sont en effet bien mieux équipées et leurs soldats souvent mieux entraînés. Fin 2018, le retour des Etats contributeurs traditionnels (Canada, Irlande, Pays-Bas, pays scandinaves) s'effectue de façon timide au Mali au sein de la MINUSMA.
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Commentaire de Ronald Hatto
La répartition des contributions au budget du maintien de la paix, malgré un effort d'ajustement depuis le début des années 2000, repose encore sur trop peu d'Etats. Les Etats-Unis ont d'ailleurs réduit leur contribution au budget ordinaire et au budget du maintien de la paix depuis 1999. Malgré ces réductions, le taux de contributions des Etats Unis au budget du maintien de la paix pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018 s'élevait à 28,4% et celui pour le financement du budget ordinaire pour l'exercice biennal 2018-2019 était de 22%. La Chine contribue dorénavant à hauteur de près de 7% au budget du maintien de la paix et environ 8% pour le budget ordinaire. Si les Etats-Unis réduisent encore leur contribution, les autres Etats devront compenser ces pertes pour éviter de voir l'ONU réduire ses activités.
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Commentaire de Ronald Hatto
Les graphiques démontrent que depuis l’an 2000, les OMP sont devenues de plus en plus dangereuses pour les soldats de la paix, les policiers et le personnel civil. Ils permettent également de montrer que certaines opérations très courtes ont été extrêmement meurtrières comme l’ONUC au Congo (1960-1964), la FORPRONU en ex-Yougoslavie (1992-1995) ou la Somalie (1992-1995). Le site du DOMP (https://peacekeeping.un.org/en/fatalities) présente différents documents qui précisent les causes de la mort des différents personnels. Il est également possible de voir quelles missions et quelles années ont été les plus meurtrières.
Selon le DOMP, en nombres absolus, la mission la plus meurtrière serait celle de la FINUL au Sud Liban avec 313 morts. Toutefois, la FINUL est déployée depuis mars 1978 (il y a 40 ans aujourd’hui). La troisième mission la plus meurtrière est l’ONUC avec 249 morts mais en seulement en quatre années. Si l’on y ajoute les 161 morts de la MONUC (1999-2010) et les 150 morts de sa remplaçante la MONUSCO (depuis 2010), nous arrivons à un total de 560 morts pour le seul ex-Congo belge. Trois des 14 missions les plus meurtrières (150 morts et plus) ont donc été déployées dans l’actuelle République démocratique du Congo.
En termes relatifs, l’ONUC et la FORPRONU ont été les opérations les plus meurtrières avec respectivement 249 morts et 213 morts en quatre ans. La MINUSMA déployée au Mali depuis 2013 est en passe de devenir une mission très dangereuse. Cela se vérifie lorsque l’on compare les causes des décès. Pour la MINUSMA, sur un total de 173 morts (depuis sa création en avril 2013), 104 morts ont été causées par des actes malveillants, 36 par la maladie, 26 par des accidents et sept par d’autres causes (suicides, etc.). Par comparaison, la MINUAD au Darfour, qui arrive en deuxième position des missions les plus meurtrières après la FINUL avec 266 depuis sa création en 2007, compte 73 morts par actes malveillants, 120 morts de maladie, 43 morts par accident et 30 morts en raison d’autres causes. En fait, les missions les plus meurtrières par actes malveillants (plus de 100 morts) sont en ordre décroissant l’ONUC (135), l’ONUSOM (114) et la MINUSMA (104).
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Commentaire de Ronald Hatto
Ce tableau illustre la disparité qui existe entre les Etats dans la division du travail des opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations unies. Les pays développés ne contribuent que très faiblement en termes de « main d'œuvre », se contentant de financer le budget du maintien de la paix. Au cours de la guerre froide, à partir d'une règle implicite datant de la première véritable opération de maintien de la paix en Egypte en 1956, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ne devaient pas participer aux OMP. Si cette règle a été contournée deux fois, à Chypre en 1964 pour la Grande-Bretagne et au Liban en 1978 pour la France, elle a néanmoins été respectée jusqu'en 1991. Toutefois, avec la fin de la guerre froide, la France, la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure la Russie, a participé aux grandes OMP du début de la décennie 1990 (Yougoslavie, Cambodge, Somalie). Même les Etats-Unis ont déployé l'équivalent d'un bataillon de casques bleus en Macédoine sous commandement « nordique » de 1992 à 1995. L'échec de ces missions (sauf celle du Cambodge) et les pertes élevées dans les rangs des troupes fournies par les Etats développés ont entraîné un repli de ces derniers. Cela se traduit par une forte inégalité et une distribution des rôles entre Etats « riches » et Etats « pauvres ». Les riches payent la note alors que les pauvres versent le sang. A part la Chine qui contribue à la fois au budget et aux OMP sur le terrain, les grandes puissances économiques et politiques tardent à se réinvestir sous le drapeau onusien. A partir de 2015, certains Etats européens (Allemagne, Norvège, Pays-Bas, Suède) ont accepté de déployer des troupes spécialisées (hôpitaux de campagne, hélicoptères) au Mali. Le Canada a fait de même en 2018. Ces contributions sont néanmoins relativement peu nombreuses et le gros des troupes reste fourni par les Etats africains ou asiatiques.
Sciences Po, Centre de recherches internationales (CERI).
En savoir plus
L’ONU n’a jamais pu mettre en œuvre la sécurité collective, telle que prévue au chapitre VII de sa Charte. Entre 1948 et 1956, le Secrétariat a improvisé un mode de gestion des conflits original : les opérations de maintien de la paix (OMP). Depuis le déploiement des premiers casques bleus à Suez en 1956, les OMP sont devenues le mode privilégié d’intervention de l’ONU pour limiter les conflits. Loin d’être parfaites, elles permettent néanmoins de limiter les effets les plus néfastes de conflits armés sur quatre continents.
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