Anne-Cécile Ott : une postdoctorante entre monde d'avant et le monde d'après

Anne-Cécile Ott : une postdoctorante entre monde d'avant et le monde d'après

  • Anne-Cécile Ott (Image Bernard Corminboeuf)Anne-Cécile Ott (Image Bernard Corminboeuf)

Anne-Cécile Ott est chercheure postdoctorante au CRIS depuis le mois de février 2023. Elle collabore au projet MaMa - Du Monde d’Avant au Monde d’Après - porté par le CNRS.  

Anne-Cécile, quel est votre champ de recherche ? 

J’ai mené mes travaux de thèse au laboratoire Géographie-cités, en géographie sociale et culturelle, dans une perspective assez sociologique et pluri-méthodologique. Mon sujet portait sur la sociogénèse des manières de représenter le monde. J’ai interrogé 248 enfants de primaire, de profil social varié, pour étudier leurs représentations de l’espace mondial. Au travers de discussions individuelles ou collectives, de dessins ou de jeux, cette approche m’a permis d’appréhender la diversité des manières enfantines de penser le monde mais aussi la construction de stéréotypes ou d’enjeux éthiques et moraux - comme le rapport à l’altérité ou à l’environnement - à des échelles très éloignées du quotidien de la maison ou de l’école.
J’ai observé de fortes différenciations entre les représentations des enfants, qui sont parfois imputables à l’âge où à l’influence de l’Ecole mais aussi à leur socialisation familiale, par les médias ou entre pairs. Les représentations du monde ont fonctionné comme un laboratoire permettant d’observer la socialisation en train de se faire et de montrer que la socialisation des enfants au monde et par le monde crée et renforce des rapports de domination structurant le monde social  

Mon arsenal méthodologique est assez varié : enquête qualitative par entretien, statistiques descriptives, analyse textuelle… L’ancrage sociologique est évident ; c’est ce qui guide mes recherches.
Je suis qualifiée dans deux disciplines : en géographie et en sociologie.

En quelques mots, qu'étudient les chercheurs du projet MaMa ?

C’est un projet que l’on peut qualifier de multidimensionnel. Lancé par le CNRS et l’InSHS, il associe 6 laboratoires de recherche, avec plusieurs équipes par laboratoire, pour étudier les dynamiques, les processus et les reconfigurations sociales provoquées par la crise du Covid-19. Il intègre des chercheurs en santé, éducation, travail, ou culture, qui doivent apporter des éléments permettant de mesurer ce qui a changé ou pas avec la pandémie.

Le volet culture est pris en charge au CRIS et à Géographie-cités, sous la direction de Philippe Coulangeon (DR CNRS) et de Thomas Louail (CR CNRS).

Quelle est pour vous la question centrale ?

Au cœur de ce volet culturel, il y a la différenciation sociale des pratiques culturelles et numériques, notamment musicales, la formation des goûts et leur évolution dans le temps, avec une attention sur les périodes de confinement. Un des premiers enseignements est d’ailleurs que les gens semblent avoir de plus en plus de mal à se souvenir de cette période.

Quelles sont les données utilisées ?

L’étude des pratiques culturelles avant et après Covid utilise 3 types de données :

- une enquête par questionnaire que nous menons auprès des membres du panel ELIPSS (Sciences Po – CDSP, il s’agit d’un échantillon représentatif de la population française qui existe depuis 2012 et permet ainsi de disposer de données longitudinales),
- des données d’écoutes musicales venant d’un partenariat avec la plateforme Deezer que je vais utiliser sur le terrain. Ce partenariat était déjà effectif pour le projet RECORDS qui arrive bientôt à son terme et impliquait des chercheurs du CRIS et de Géographie-cité.  
- deux séries d’entretiens approfondis, de 1h30 en moyenne, qui sont de ma responsabilité, du design à l’exploitation des récits. Ces entretiens avec les abonnés DEEZER contiennent des moments d’écoute de morceaux sélectionnés pour susciter des réactions, des impressions. Les commentaires recueillis alors peuvent être très différents des réponses spontanées ou par questionnaire. C’est toute la richesse que permet l’exploitation de la mixité des matériaux collectés dans le projet

Anne-Cécile OttQu’est-ce qui vous apparait le plus motivant dans ce projet ?

La diversité des données que nous récoltons et qui entrent en synergie pour répondre aux objectifs de recherche. Je mène 48 entretiens auprès de parents et adolescents abonnés à Deezer pour comprendre les logiques de socialisation familiales aux pratiques culturelles et aux styles musicaux : la construction du goût... et du dégoût. Chaque individu est échantillonné en fonction des plusieurs variables comme le niveau de diplôme, le genre, l’âge, et la composition du foyer (adelphie). Dans tous les cas, nous disposons des données d’usage de Deezer, non seulement individuelles, mais aussi de l’abonnement « famille ». Je peux ici interroger les représentations et les pratiques, mais aussi mesurer l’écart entre le déclaratif et les pratiques réelles des abonnés, via les statistiques de stream enregistrées par la plateforme. Peu de chercheurs disposent de cette richesse et diversité de données… qui ouvrent d’autres angles d’étude. 


N’est-ce pas une situation un peu violente de confronter discours et usage dans un face à face ?

Nous avons des techniques pour susciter des commentaires sur les pratiques des volontaires ayant accepté l’entretien. Un petit outil développé par un chercheur (Robin Cura) permet de visualiser les données d’historique d’écoute. On confronte les gens à leur pratique sous forme ludique : des devinettes sur leurs morceaux favoris, les temps d’écoute, le Top 10 des artistes…

Avez-vous déjà des éléments sur cette transmission des goûts ? Peut-on penser qu’on idéalise ou sanctuarise souvent les musiques écoutées par nos parents ?

Moi j’avais un parti pris un peu inverse en m’attendant à des réactions critiques, de rejet. Mais en effet, j’ai été un peu surprise par la manière très positive dont les répondants, à l’âge adulte, parlent des goûts musicaux de leurs parents. D’où notre envie d’enquêter également auprès d’adolescents, à une période où les relations parents-enfants sont potentiellement plus conflictuelles. En fait, il ne faut pas considérer de manière trop verticale la socialisation. Elle émane de plusieurs sources : l’école, les média, les copines, les cousines… On perçoit parfois des traumatismes vécus pendant l’enfance qui se manifestent par un puissant rejet des pratiques familiales et qui serviront de guide pour la transmission à ses propres enfants.

Ces questions ne sont-elles pas redevables d’autres disciplines, comme la psychologie ?

Nous ne prenons pas les mêmes angles. Par exemple, les études sur les représentations spatiales des enfants, ont longtemps été l’apanage des psychologues. Pour Jean Piaget, dans les années 20, ces représentations évoluent par stades successifs de développement. D’abord la maison, puis le quartier… Mes travaux centrés sur les dynamiques sociales montrent des éléments allant dans un autre sens : les enfants ont des représentations de l’espace mondial dès leur prime jeunesse, et le milieu social à une influence primordiale sur la construction des représentations. Je me positionne donc différemment. D’autres chercheurs peuvent choisir des angles complémentaires. 

Comment ce travail va-t-il être valorisé ? Cela vous incite-t-il à réorienter vos travaux de recherche ?

Il y a bien entendu le rapport final remis à l’INSHS qui reprendra mes conclusions, mais aussi, dans  un planning très serré, la co-rédaction d’un article scientifique dans une revue anglo-saxonne à la fin de mon contrat. Nous avons choisi une revue reconnue en sciences sociales, compatible avec le sujet et les méthodes déployées. Le  budget pour externaliser les retranscriptions a permis  de se concentrer sur le design et le traitement des questionnaires.
Je considère que ce postdoctorat enrichit ma problématique de socialisation familiale et transmission de dispositions éthiques et morales, déployée depuis le Master.

Êtes-vous satisfaite des conditions d’accueil et d'intégration au CRIS ?

Les lieux sont magnifiques, il y a des postes de travail en open space mais on peut demander un bureau, je peux participer à tous les séminaires du laboratoire et j’ai petit à petit partagé des moments de convivialité avec les doctorants. L'environnement de travail est très stimulant. 

  

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