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Lutter contre la corruption

Instruments globaux, pratiques locales

Jeune docteure de Sciences Po, Sofia Wickberg a été récompensée pour ses travaux de recherche consacré à la corruption en recevant le prix de l’association #StopCorruption pour son analyse des politiques de lutte contre la corruption.
Elle revient avec nous sur sa thèse consacrée à la convergence et la traduction des politiques de prévention de la corruption se basant sur l’exemple de l’intégrité parlementaire en France, en Suède et au Royaume-Uni.

Pourquoi avoir consacré votre thèse aux problématiques de corruption ?

Sofia Wickberg : Après un master en relations internationales et politique européenne réalisé à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, j’ai voulu découvrir le monde professionnel avant de me lancer dans une thèse. J’ai ainsi travaillé au sein de la diplomatie française, de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, puis au sein de Transparency International, la principale ONG consacrée à la lutte contre la corruption.
Ce sont ces expériences professionnelles qui m’ont menée vers mon sujet de thèse. Je voulais comprendre les effets des acteurs transnationaux (organisations internationales, organisations de la société civile, réseaux d’experts etc.) sur les choix des gouvernements en matière de prévention de la corruption.
J’ai choisi d’analyser la régulation des conflits d’intérêts des parlementaires. De fait, les élu.e.s peuvent se trouver dans des situations d’interférence entre leurs devoirs d’élu.e.s et des intérêts privés de nature à influencer l’exercice de leur mandat. Cette question des conflits d’intérêts est au cœur du problème de la corruption politique en Europe, or elle reste largement incomprise.
Ma chance a été de pouvoir intégrer le Centre d’études européennes et de politique comparée où j’ai pu rencontrer des chercheurs comme Pierre Lascoumes, Philippe Bezes dont les travaux sur la criminalité en col blanc m’ont énormément inspirée. J’y ai aussi trouvé mon directeur de thèse – Colin Hay – dont les recherches portent sur la vie politique en Europe, et notamment la désaffection politique, via une approche comparatiste.

Plus précisément qu’avez-vous analysé ?

© Shutterstock

S.W. : Ma thèse part du constat que les politiques de prévention de la corruption ont suivi un processus de ‘convergence divergente’ en Europe. Je me suis interrogée sur les mécanismes, processus et configurations d’acteurs qui ont amené la France, la Suède et le Royaume-Uni à adopter des instruments de régulation similaires (registre de déclaration d’intérêts et code de conduite) et à les mettre en œuvre de manière différente, ce qui génère une divergence des pratiques de régulation. Je montre que la convergence de ces politiques de lutte contre la corruption est le résultat, de l’émulation des instruments élaborés par des États ‘pionniers’ en matière de régulation des conflits d’intérêts (États-Unis, Royaume-Uni, et Canada dans une moindre mesure) qui ont cherché à exporter leur modèle respectif et ont ainsi fortement contribué à l’internationalisation de la lutte contre la corruption. Ces instruments ont inspiré des pays comme la France et la Suède, mais également les organisations internationales et ONG qui en ont fait leurs « bonnes pratiques ». La convergence de ces politiques de prévention de la corruption est en effet une conséquence de l’émergence d’une communauté transnationale de lutte contre la corruption. Cette communauté réunit des organisations internationales (notamment l’ONU, l’OCDE et le Conseil de l’Europe) et des acteurs de la société civile (Transparency International, experts et chercheurs) ayant contribué à la légitimation de ces instruments en les inscrivant dans des conventions internationales et à leur diffusion par la production de rapports, de boîtes à outils et de benchmarks.

Pour autant, malgré la similitude des ces approches, il est apparu qu’elles sont mises en œuvre différemment en fonction des acteurs. Je m’appuie sur la notion de traduction des politiques publiques pour expliquer ces différences. Celles-ci sont le résultat de la réinterprétation de ces instruments par les acteurs nationaux et intermédiaires impliqués dans ce processus d’import/export. En outre, le contexte de politisation (existence ou absence de crise politique ou de scandale) et les agencements institutionnels façonnent également la manière dont les registres de déclaration d’intérêts et les codes de conduite ont été traduits dans les trois pays étudiés.

Les résultats de ma thèse soulignent ainsi la nécessité de considérer la dimension transnationale de la fabrique des politiques publiques. Il est impossible de comprendre l’adoption des instruments de régulation que j’ai étudiés sans prendre en compte ce qui se passe au-delà des frontières nationales. Néanmoins, en m’appuyant sur la notion de « traduction », je montre le rôle essentiel des acteurs nationaux qui réinterprètent et localisent les politiques importées, en les adaptant au contexte et aux institutions politiques.

Quels sont vos travaux de recherche actuels ?

S.W. : Dans un premier temps, je vais me concentrer sur la diffusion des résultats de mes recherches – à la fois sur le plan académique mais plus largement auprès des acteurs de la lutte contre la corruption et du grand public.
Je souhaite enrichir le débat sur les politiques anti-corruption, en soulignant la dimension politique de leur élaboration. Je veux également poursuivre la réflexion sur les méthodes d’enquête sur les politiques publiques en montrant l’intérêt de suivre des objets, comme des instruments de politique publique par exemple, pour comprendre les processus de circulation transnationale. Il m’importe aussi de présenter les bénéfices et la nécessaire réflexivité de la chercheuse embarquée que j’étais durant ma thèse, ayant un pied dans le monde universitaire et l’autre dans l’univers qu’elle étudie.

Par ailleurs, je travaille sur un nouveau projet de recherche qui s’intéresse à la fabrique de la lutte contre la corruption au niveau de l’Union européenne. J’aimerais comprendre la difficulté des institutions européennes à s’en saisir et sa fragmentation au niveau communautaire. Une piste intéressante concerne le processus de construction de la corruption comme problème européen, c’est-à-dire nécessitant une action supranationale, via l’analyse de la diversité – voire la concurrence – des approches au niveau des institutions européennes et entre les États-membres.

Sofia Wickberg est actuellement Assistant Professor en politiques publiques et gouvernance à l'Université d'Amsterdam. Elle est également affiliée au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po et a cofondé le réseau interdisciplinaire de jeunes chercheurs sur la corruption ICRNetwork.

Propos recueillis par Myriam Sefraoui, chargée de médiation scientifique au Centre d’études européennes et de politiques comparées (CEE) et Hélène Naudet, responsable de communication à la direction scientifique.