Qu’est-ce que le cinéma fait à la ville, qu’est-ce que la ville fait au cinéma ? De Paris à Marseille en passant par Los Angeles, Gwenaële Rot, professeur de sociologie à Sciences Po, membre du Centre de sociologie des organisations a mené une grande enquête sur les coulisses du cinéma. Son objectif : étudier le passage du lieu de tournage, objet de politique publique de valorisation territoriale, à l’espace de tournage tel que les équipes de film s’en emparent pour construire un film. Publiés dans « Planter le décor. Une sociologie des tournages » (Presses de Sciences Po), les résultats de cette recherche révèlent les multiples facettes du lien entre les espaces de tournage et la fabrication d’un film.
Politiques publiques et concurrences territoriales
Comme les autres secteurs productifs, le cinéma s’inscrit dans une concurrence internationale pour la diffusion des œuvres, mais aussi pour l’accueil des tournages. Les politiques publiques de soutien à la production contribuent à organiser cette concurrence en cherchant à attirer les tournages. Une mise en perspective historique sur soixante-dix ans (1946-2016) montre que les modalités de la gouvernance cinématographique se sont transformées. Les soutiens publics directs (via les fonds de soutien régionaux et étatiques) et, désormais, indirects (via des avantages fiscaux tels que des crédits d’impôts nationaux et internationaux) orientent les choix des lieux de tournage et façonnent l’offre territoriale cinématographique
Le casting des décors
Les lieux susceptibles de convenir à un projet de film ne se laissent pas facilement identifier, ne serait-ce que parce que leurs propriétés esthétiques, pratiques, juridiques, économiques changent au cours du temps et parce que les besoins des cinéastes sont eux-mêmes évolutifs. Entre studios ou décors naturels, la disponibilité des espaces qui s’offrent au cinéma ne va jamais de soi. Le faisceau de qualités qu’un lieu doit rassembler est considérable pour répondre à l’ensemble des besoins : il faut non seulement qu’il corresponde aux ambitions esthétiques du cinéaste mais également aux attentes plurielles d’ordre technique et économique des différentes parties prenantes d’un film. Parmi ces qualités, on peut par exemple penser à la facilité de circulation et de stationnement, une bonne acoustique, des lieux sécurisés, une bonne orientation, ou encore la proximité avec d’autres lieux de tournages. Le choix d’un lieu devient alors une affaire collective, parfois controversée
La ville, comme matériau de travail et espace de travail
Cet ouvrage prend l’espace du cinéma comme un moyen d’analyser les nouvelles concurrences métropolitaines mais aussi l’activité des travailleurs créatifs. Les territoires, et en particulier les villes, doivent être considérés à la fois, comme des matériaux signifiants pour la création cinématographique et comme des espaces de travail éphémères où les tournages s’accomplissent. Le tournage d’un film est une activité de chantier qui se déplace de décor en décor dans un environnement instable. Malgré tout le travail préparatoire, le cinéma entre par effraction dans les lieux qu’il investit, bouscule les organisations, les modes de vie, crée de l’inconfort. L’organisation des tournages repose sur une combinaison des activités des travailleurs de la ville et des travailleurs du cinéma.
En ouvrant les portes des plateaux de tournage, Gwenaële Rot montre comment s’opère le choix de lieux à partir du scénario, comment ceux-ci sont patiemment transformés en décors, devenant l’espace de travail d’une équipe, puis celui d’un récit porté sur grand écran.
Gwenaële Rot, professeur de sociologie à Sciences Po, chercheuse au Centre de sociologie des organisations, s’intéresse à la sociologie du travail, des entreprises et des organisations à travers les formes concrètes de la production ainsi qu’à l’histoire de la sociologie. Ses recherches portent notamment sur les modalités et les effets sur le travail de la rationalisation de l’activité économique.