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La fraternité contre l’égalité

Un mythe à revisiter

La France, pays dit des droits de l’homme, est-elle porteuse d’une égalité exemplaire ?

C’est à répondre à cette question que s’emploie Réjane Sénac, dans son ouvrage  « Les non-frères au pays de l’égalité »* en analysant l’égalité « à la française » comme un mythe.

Les non-frères au pays de l'égalité Réjane Sénac Presses de Sciences PoDe fait, analyser cette égalité comme un mythe, c’est examiner les enjeux contemporains des héritages conscients et inconscients du triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité ». Adopter cette démarche, c’est poser  une question à la fois fondamentale et en angle mort : qui sont les frères et qui sont ceux qui ont été exclus de cette fraternité républicaine –  qualifiés de “non-frères” ?

Qualifier l’égalité à la française de mythe, c’est dire et dénoncer l’idéalisation d’un principe non réalisé. C’est aussi la comprendre comme une mythologie, dans le sens développé par Roland Barthes : c’est-à-dire comme révélant un univers de sens occulté et dépolitisé.

Afin de lever le tabou sur le péché originel fraternel de la République française, elle interroge l’histoire, mais aussi la modernité des frontières entre les « frères » et les « non-frères ». Ainsi, malgré le fait que la République se définisse comme « une et indivisible », elle n’a cessé de  classifier et hiérarchiser les citoyen.ne.s. Il apparaît donc nécessaire de  déceler comment se manifeste aujourd’hui ce paradoxe républicain.

Selon elle, les appels actuels à refaire fraternité pour répondre à la peur de la segmentation de la population, à sa “communautarisation », sont significatifs de la cécité d’une société française qui continue à prôner le lien et l’unité à travers un mot la fraternité, qui charrie  une conception exclusive de la démocratie.

La tentation d’une égalité sous conditions de performance

La diffusion dans le débat public d’arguments tels que « les femmes font de la politique autrement », « plus de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises, c’est une valeur ajoutée» ou « la diversité, c’est bon pour le business » relève-t-elle d’un pragmatisme efficace et bienveillant à l’égard des non-frères ou d’une idéologie conservatrice reconfigurée dans une apparence plus respectable ?

Réjane Sénac répond à cette interrogation à travers l’étude de rapports, de discours, et d’enquêtes qualitatives portant sur les justifications publiques des politiques d’inclusion des « non-frères » –  la promotion de la parité pour les femmes et de la diversité pour les « non-blanc.he.s ». Elle teste ainsi l’hypothèse de la modernisation croisée du mythe de l’égalité et de la complémentarité des non-frères.

Selon elle, la dimension pragmatique de l’injonction à la performance de la mixité ne doit pas occulter son caractère politique. Dans un contexte de crise et de défiance, la tentation est forte de porter les politiques d’égalité comme un investissement social, sans prendre conscience que l’égalité s’en trouve sacrifiée à la démonstration de la performance de la différence comme valeur moderne et pragmatique.

Pour dépasser cette tentation, Réjane Sénac analyse la continuité entre un processus historique qui a exclu les « non-frères » au nom de leur prétendue « moins-value » naturelle (cf. les arguments justifiant l’exclusion des femmes du droit de vote) et l’inclusion qui leur est aujourd’hui proposée en raison de la performance de la mixité. Elle montre comment et pourquoi il est rhétorique de croire que la fin justifie les moyens sans considérer que les moyens déterminent la fin.

Le temps de la résistance : Libérer l’égalité de la fraternité et du marché

La justification des politiques d’égalité par l’argument de la performance de la mixité ou de la lutte contre les discriminations soulève en effet, selon elle, des interrogations en termes de rigueur scientifique, de portée idéologique, et de conséquences concrètes.
Les implications pratiques de ce type de justification sont de deux ordres. D’une part, quand  la performance de la mixité est démontrée, les non-frères sont inclus comme complémentaires et non comme égaux. D’autre part, si la performance de l’égalité ou de la lutte contre les discriminations n’est pas démontrée, l’égalité deviendra une option irrationnelle.

Ainsi, d’après Réjane Sénac, au lieu de sacraliser la fraternité et de vouloir la refonder, le moment est venu de la révoquer parce qu’elle est excluante. Il est en effet indispensable de penser une alternative pour porter une société de non-domination aussi bien au niveau individuel que collectif. Pour cela,  le temps de la résistance est venu.: une double résistance qui demande de libérer l’égalité de la fraternité et du marché.

En savoir plus sur Réjane Sénac

*Les non-frères au pays de l’égalité », janvier 2017, Presses de Sciences Po.