Bilan de l’après élection de mi-mandat

Le bilan des élections de mi-mandat au Mexique, qui ont eu lieu le 7 juin passé, tient en trois points: (1) malgré la mauvaise image du Président de la République, des scandales de corruption et des problèmes d’insécurité et de violence, le parti politique au pouvoir n’a pas trop souffert des conséquences électorales; (2) les candidatures indépendantes, en place par la première fois, ont connu un succès. Néanmoins, les défis de cette nouvelle figure dans le paysage politique ne font que commencer; (3) le désenchantement face au vote qu’attendaient plusieurs analystes  ne s’est pas produit: le niveau de participation attendu en baisse n’a finalement pas diminué et les vote blancs n’ont pas atteint un pourcentage supérieur à celui de 2009.

Le PRI et ses alliés : sortir de l’élection sans trop d’égratignures

Tel que les sondages l’avaient prévu, il n’y a pas eu de vote sanction clair contre le Parti Révolutionnaire Institutionnel, PRI. En dépit de la chute sans précédent de la popularité du Président , la faible performance de l’économie, les scandales de corruption présumée, ainsi que la crise d’insécurité et de violence – en particulier en Michoacán et à Guerrero –, le PRI et ses alliés n’ont pas connu de dommages importants, ni au niveau fédéral ni à l’échelle locale.

Les résultats de l’élection fédérale  donnent 29.18% des votes pour les députés de la majorité relative (MR) au PRI, ce qui correspond à 156 sièges au Congrès sur un total de 300. Cependant, à l’image du PAN qui assuma la présidence du pays durant deux mandats continus (2000-2012), le PRI a également perdu des votes lors des élections intermédiaires. Pour mémoire, il a été crédité de 50.4% des votes lors des élections fédérales de 1988, pourcentage qui monta à 61.5% en 1991. Mise à part ce cas, ce parti fut crédité de 50.27% des votes lors des élections fédérales de 1994, pourcentage qui chuta à 26.62% durant les élections intermédiaires de 1997. En 2012, le PRI recupéra la présidence en obtenant 35.79% des votes lors des élections fédérales, pourcentage qui chuta lors des dernières élections (29.18%). Cette tendance est commune au PAN lors de sa période à la tête du gouvernement : de 38.18% de votes obtenus en 2000, il passa à 33.19% lors des élections de mi-mandat de 2003 et respectivement de 34.6% en 2006 à 29.6% en 2009. À l’exception des élections intermédiaires de 1991, le parti au pouvoir voit généralement son pourcentage de vote diminuer comparativement à celui qui lui permet d’accéder à la présidence. 

Dans la dernière élection, la répartition des 200 sièges à la proportionnelle (RP) en ajoute 47 autres au parti du Président pour atteindre un total de 203 sièges sur 500. Même si cela implique que le parti a perdu 11 sièges par rapport à la législature précédente, il reste le parti avec le plus grand nombre de députés. L’impasse dans laquelle se trouve le Parti Action National, PAN, ainsi que la fragmentation des partis de gauche tendent à relativiser l’importance des sièges perdus par le PRI. Ainsi, les partis d’opposition plus anciens ont été clairement vaincus.

  

De plus, le pourcentage de votes gagné par les anciens alliés du PRI, même satellites : Parti Vert Écologiste du Mexique, PVEM (6.91%) et le Parti Nouvelle Alliance, PANAL (3.72%) anticipent la construction d’une majorité favorable au Président pour la seconde partie de son mandat.

Au niveau local, le PRI a démontré sa puissance face à ses concurrents tout au long du processus électoral. En effet, sur un total de 9 entités fédérales dans lesquelles se sont déroulées les élections des gouverneurs, le PRI a été une alternative compétitive dans la majorité, confronté au PAN dans 6 d’entre elles, et au Parti de la Révolution Démocratique, PRD dans une (Guerrero). Seules exceptions, le Michoacán dans lequel le parti était opposé au PRD et au PAN, et enfin le Nuevo León remporté par un candidat indépendant : Jaime Rodríguez Calderón, « El Bronco ».

Tel que la carte 1 le montre, les résultats préliminaires de l’élection donnent une victoire au PRI dans 4 des 9 États où ont eu lieu les élections de gouverneur (Campeche, Guerrero, San Luis Potosí et Sonora). Il est encore possible pour le PRI d’en gagner même une cinquième, Colima, qui reste contestée dû à un résultat très serré : l’alliance PRI-PVEM-PANAL a recueilli 40.01% des voix contre 39.66% pour le PAN. 

En Campeche, le PRI a renforcé son contrôle politique en gagnant 40.94% des votes contre 30.46% pour le PAN. Ainsi, cet État fédéré continue de ne pas connaître d’alternance au niveau de l’exécutif local. A l’inverse, le PRI a emporté 3 Etats en provoquant une alternance : Guerrero, San Luis Potosí et Sonora. 

Au Guerrero,  le PRI a été crédité de 43% des votes contre 35.8% pour le PRD-PT. Ce cas est frappant si on prend en compte le fait que cet État a traversé une notable crise de violence, marquée notamment par la disparition des 43 étudiants (dans la municipalité d’Ayotzinapa). Si les électeurs du Guerrero ont puni quelqu’un pour cette raison, cela n’aura pas été le parti du Président de la république.

Dans l’État de San Luis Potosí, le PRI a obtenu 35.78% des voix contre 33.47% pour le PAN ; et au Sonora, l’alliance PRI-PVEM-PANAL a réuni 47.49% des voix contre 40.77% pour le PAN.

Néanmoins, les résultats préliminaires mettent en lumière trois revers du PRI notés par la perte du contrôle de l’exécutif local au Michoacán, Nuevo León et Querétaro. Au Michoacán, un autre État très touché par la violence et l’insécurité, le PRD a récupéré le pouvoir en gagnant 36.06% des votes au détriment du PRI-PVEM qui a n’a obtenu que 27.8% des voix. Au Nuevo León, le candidat indépendant, Jaime Rodriguez « El Bronco », a obtenu 48.86% des voix, soit plus que le PRI (23.57%) et le PAN (22.52%) réunis. 

 

En ce qui concerne l’échelle municipale,  les résultats préliminaires confirment un triomphe  du PRI dans la majorité des États où ont eu lieu des élections locales. Le PRI affiche un avantage électoral dans 75 municipalités, ce qui contraste avec les 21 municipalités obtenues par le PAN et les 20 municipalités acquises par le PRD. Cependant, le PRI a perdu 17 des 94 communes qu’il gouvernait dans l’État de Mexico, traditionnellement considéré comme un de ses principaux bastions. De plus, dans trois villes de l’État de Jalisco (Guadalajara, Zapopan et Tlaquepaque), des représentants du parti Mouvement Citoyen, MC, ont été élus maires pour la première fois. Cela représente un échec du bipartisme, puisqu’il s’agissait d’entités qui étaient gouvernées par le PRI ou le PAN.

La chute de popularité du Président, tout comme les scandales de corruption dans lesquels la famille présidentielle et d’autres priistas ont été impliqués, aurait pu être annociateur de l’effondrement du parti. Si on considère en plus que le PVEM a été au centre de scandales durant la campagne, ayant subi de fortes sanctions économiques pour usage de fonds inappropriés et excessifs ainsi que pour publicité hors des périodes légales, les bons résultats obtenus par l’alliance PRI-PVEM, bien qu’annoncés par les sondages, sont étonnants.

Même si les citoyens n’ont pas montré clairement leur mécontentement envers le parti au pouvoir lors des élections fédérales, le succès des candidats indépendants à l’echelle locale fait ressortir le rejet d’une parti de la population envers le système de partis et des partis traditionnels. Lors de ces élections, les électeurs ont créé une distinction entre d’une part les partis politiques et d’autre part les candidats indépendants. Cependant, dans ce contexte de plurialisme politique, les résultats des élections ont également révélé que la machine électorale du PRI est encore capable de mobiliser une grande partie des électeurs grâce aux pratiques telles que le clientélisme.

La victoire des indépendants : le plus difficile commence à peine

Bien que le processus électoral favorise toujours le système partisan, les candidatures indépendantes, autorisées pour la première fois lors de ces élections, ont triomphé cinq fois (sur 125 possibles) au niveau fédéral et au niveau local. En plus de l’élection de Jaime Rodriguez « El Bronco » au Nuevo León, Manuel Clouthier Carrillo est élu député fédéral au Culiacán, Sinaloa, ce qui lui assure une représentation au Congrès de l’Union. Pedro Kumamoto Aguilar gagne quant à lui un mandat local dans le district 10 à Zapopan, Jalisco; José Alberto Méndez Perez devient le maire de la municipalité de Comonfort à Guanajuato et Alfonso Martínez sera en charge de la municipalité de Morelia au Michoacán. 

Les analystes se rejoignent sur le fait que les candidats indépendants sortent vainqueurs lors de ces élections. L’élection de 2015 montre qu’il est possible de gagner le poste de gouverneur d’un état fédéral économiquement très puissant comme le Nuevo León sans soutien d’un parti politique.  Par ailleurs, le candidat indépendant élu député local à Jalisco a prouvé qu’une campagne électorale austère plutôt que médiatique, peut être couronnée de succès. Ce sont, sans doute, de bonnes nouvelles pour la démocratie. Néanmoins, il faut rester prudents et ne pas se réjouir trop tôt au risque d’être déçu. Gagner a été l’un des défis que cette nouvelle figure doit relever. 

Il serait réducteur de mettre toutes les candidats indépendants dans le même sac. Pour évaluer précisément ces candidatures, il est nécessaire de réaliser une analyse plus fine des réseaux de financement utilisés par les candidats au cours de leur campagne électorale ainsi que le poids politique que certains d’entre eux ont acquis durant une période préalable d’adhésion à un parti politique.

En ce sens, le recours du candidat Jaime Rodriguez « El Bronco » au financement privé grâce à des soutiens dans les secteurs industriels se différencie de la candidature de Kumamoto Aguilar à Jalisco, seul candidat sans aucun passé de militantisme partisan et qui est connu pour son usage limité des ressources économiques et des médias traditionnels. Si les candidats indépendants représentent une alternative rassurante pour les citoyens qui ne souhaitent pas voter pour les partis politiques traditionnels, il est important de savoir à quel point le candidat indépendant s’éloigne du système partisan qu’ils rejettent. S’ils reproduisent les mauvaises pratiques des partis, ils augurent une nouvelle source de déception pour les électeurs. 

De plus, les indépendants qui ont gagné sont maintenant face à un grand défi : exercer leur mandat sans les ressources politiques qu’implique l’appartenance à un parti. Le cas de « El Bronco » est peut-être le plus éloquent à cet égard. Après une campagne très contestataire envers les partis politiques, il doit construire un gouvernement dont le système partisan est encore important. Il semble naïf de penser qu’il n’aura pas besoin des partis politiques pour gouverner. Comment panser les blessures de la campagne et travailler avec un Congrès local et des maires décidés à faire obstacle à son travail ? Comment articuler les alliances nécessaires sans trahir sa condition d’indépendant en jouant le pire jeu des partis ?

Les élus sans adhésion à un parti politique sont face au défi de montrer que, au moment de mettre en marche leur mandat, le manque de parti politique n’est pas une faiblesse mais une force. Pendant la période des campagnes électorales, il suffisait de tirer profit de la mauvaise image des partis, mais gouverner et légiférer est bien différent. Ils sont appelés à faire montre d’une performance efficace et effective, rien de facile sans le soutien d’une structure partisane. S’ils réussissent, l’élection de 2018 pourrait être une opportunité précieuse pour tous les candidats dépourvus de parti politique.

Malgré tout, les mexicains se sont rendus aux urnes

L’élection a eu lieu dans un contexte marqué par le mécontentement et plusieurs complications. Au mépris de cela, le niveau de participation  a atteint un niveau attendu dans une élection de mi-mandat. En plus, le vote blanc n’a pas augmenté par rapport à celui de l’élection de 2009.

La participation électorale du 7 juin passé s’élève à 48%. Le pourcentage est en effet supérieur à ceux enregistrés lors des deux dernières élections de mi-mandat, à savoir en 2009 (44.6%) et 2003 (41.2%) . Ce résultat est surprenant au regard du mécontent explicite des électeurs et des difficultés rencontrées pour organiser l’élection dans certaines régions du pays.

Un sondage national réalisé par Reforma a montré que 4 électeurs sur 10 exprimaient une totale insatisfaction face à la performance du gouvernement, au fonctionnement des institutions et à l’orientation des politiques publiques. Seuls 1 sur 10 se considérait complétement satisfait. Les électeurs déçus pouvaient tomber dans l’apathie et, en conséquence, s’abstenir d’aller aux urnes s’ils estimaient que voter est inutile. Néanmoins, le taux de participation atteint révèle que même si les électeurs se disent insatisfaits, le vote reste valorisé par les électeurs.

L’insatisfaction des électeurs n’était pas la seule menace pour le taux de participation. La dégradation du climat social du aux diverses mobilisations sociales n’était pas de bon augure pour la participation. À l’échelle locale et dans la zone sud-ouest du pays, divers groupes sociaux ont exprimé leur mécontentement envers le processus électoral et le système partisan. Certaines perturbations sociales préalables aux élections ont duré jusqu’au jour du scrutin dans l’État de Guerrero. En effet, le syndicat des enseignants, Coordinadora Nacional de Trabajadores de la Educación, CNTE, ainsi que les familles des 43 étudiants disparus, ont appelé à la suspension du suffrage. De même, l’appel au boycott dans les municipalités - dans la region d’Istmo de Tehuantepec dans l’Oaxaca, dans la région de Meseta Purépecha du Michoacán, au Tixla et au Chilpancingo à Guerrero, et au Venustiano Carranza au Chiapas- a provoqué une suspension des élections voire l’impossibilité d’installer des bureaux de vote dans certaines circonscriptions électorales.

Par ailleurs, l’institution électorale a décompté 4,852 incidents durant le processus électoral, notamment des cas de retard d’ouverture des bureaux de vote, des pressions exercées sur les électeurs pour influencer leur vote, ou encore la falsification de cartes d’électeurs.

En dépit de l’environnement décrit, l’autorité électorale a fait un grand effort pour garantir les conditionnes nécessaires afin que les citoyens puissent voter dans certaines régions difficiles du pays. L’installation de la majorité des bureaux de vote dans le pays (148,409 sur 148,836 bureaux prévus) est à mettre à l’actif de l’institut électoral.

Ni l’insatisfaction des électeurs ni les mobilisations contre le vote ne se sont reflétées sur le taux de participation, soit parce que les électeurs font confiance au pouvoir du vote, parce que les campagnes de promotion du vote ont été efficaces, soit parce que, encore une fois, la machine électorale des partis a su mobiliser ses réseaux et attirer de nombreux électeurs (ou plutôt ses « clientèles »).

Quant au vote blanc, le débat animé par un groupe d’analystes n’a pas été pris en compte par les électeurs. Seuls 4.76% des personnes qui se sont rendues aux urnes l’ont fait pour annuler leur bulletin de vote. Il s’agit d’un pourcentage inférieur à celui enregistré en 2009 (5.40%) , lorsqu’un débat similaire avait occupé une part importante des espaces d’analyse électorale. Le temps consacré aux arguments pro et contre l’annulation du vote semble excessif en regard de la proportion du vote blanc observée. Combien de ceux qui ont voté blanc l’ont fait en guise de protestation ? Les résultats disponibles ne nous permettent pas de répondre à cette question. Elle devra néanmoins être élucidée afin de  mieux comprendre le comportement électoral des électeurs mexicains.

Le nouveau scénario politique issu de ces élections –élus sans parti, la gauche divisée, le parti du Président avec une forte présence au Congrès– sera aussi le scénario des élections présidentielles de 2018. Reste à voir comment va se structurer le nouveau rapport de forces entre les acteurs politiques, quel impact il aura sur les réformes qui doivent encore être engagées, et la façon dont les partis sauront, ou non, proposer des vraies alternatives. 

 

María Fernanda López Portillo, María Teresa Martínez et Ingrid Muro.



 


 

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