Thomas Breda, Paul Dutronc-Postel, Marion Leturcq, Joyce Sultan Parraud, Maxime Tô - Quel est l’impact de l’Index de l’égalité professionnelle ?

Thomas Breda, Paul Dutronc-Postel, Marion Leturcq, Joyce Sultan Parraud, Maxime Tô - Quel est l’impact de l’Index de l’égalité professionnelle ?

Thomas Breda est professeur associé à l’École d’économie de Paris et chargé de recherche au CNRS. Il est également responsable du programme Travail et Emploi à l’Institut des politiques publiques. Ses recherches portent notamment sur les inégalités au travail et les discriminations.

 

Marion Leturcq est chargée de recherche à l’Ined (Institut National des Études Démographiques). Ses travaux portent sur les inégalités femmes-hommes de patrimoine ainsi que sur le marché du travail, en lien avec l’évolution des modes de vie en couple. 

 

Paul Dutronc-Postel est économiste sénior à l'IPP et responsable du programme Environnement à l’Institut des politiques publiques. Il travaille sur les problématiques liées à la fiscalité des ménages, au marché du travail, aux entreprises et à l’environnement.

 

Joyce Sultan Parraud est économiste sénior à l'IPP. Diplômée de l’École d’économie de Paris, elle participe aux travaux de l’IPP liés au marché du travail et à l’emploi. Elle s’intéresse notamment aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes dans les entreprises et aux discriminations à l’embauche selon le sexe et l’origine.

Maxime Tô est responsable du programme retraites à l’IPP. Il travaille en particulier sur les questions d'offre de travail, sur les inégalités salariales entre les femmes et les hommes et sur la réforme du système des retraites.

 Quel est l’impact de l’Index de l’égalité professionnelle ?

Thomas Breda, Paul Dutronc-Postel, Marion Leturcq, Joyce Sultan Parraud, Maxime Tô

Afin de lutter contre les inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail, la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a fait évoluer le cadre normatif en soumettant les entreprises à une obligation de transparence et de résultat en matière d’égalité professionnelle. Elle témoigne d'un changement de paradigme : alors que les diverses politiques antérieures soumettaient essentiellement les entreprises à une obligation de moyen, cette loi introduit pour la première fois une obligation de résultat. Celle-ci est basée sur la création d'un instrument de mesure commun des inégalités professionnelles : l’Index de l’égalité professionnelle.

Le décret du 8 janvier 2019 définit les modalités pratiques de calcul de cet Index. Celui-ci est composé de quatre indicateurs et a pour objectif une meilleure application du principe inscrit dans la loi : « à travail de valeur égale, salaire égal ». L’obligation de publier l’Index a été échelonnée. Elle concerne les entreprises de plus de 1 000 salariés depuis le 1er mars 2019, celles de plus de 250 salariés le 1er septembre 2019, puis toutes les entreprises d’au moins 50 salariés depuis le 1er mars 2020. Les entreprises dont l’Index est en-dessous du score de 75 points ont trois ans pour mettre en place des mesures correctives (avec des possibilités d’assouplissement).

L’étude sur l’Évaluation de l’Index d’égalité professionnelle, publiée par l’Institut des politiques publiques et présentée dans cette contribution, propose une évaluation de l’effet de la mise en place de l’Index sur les écarts salariaux et plus généralement les inégalités entre les femmes et les hommes dans les entreprises concernées (Breda, T. et al, 2023). Pour cela, elle mobilise des sources de données administratives couvrant l’ensemble des salariés de l’ensemble des entreprises françaises ainsi que les données déclaratives des entreprises sur la valeur de l’Index et ses différentes composantes. Les données administratives nous ont permis de calculer les inégalités entre femmes et hommes dans chaque entreprise française selon divers indicateurs, dont la plupart de ceux composant l’Index. Elles permettent donc d’examiner comment évoluent les inégalités selon le sexe au cours du temps pour les entreprises concernées et non concernées par l’Index. Elles permettent également d’examiner si les notes déclarées par les entreprises à l’Index correspondent aux inégalités recalculées. Nous dégageons cinq résultats principaux de cette étude. 1. La couverture de l’Index est très imparfaite, une note à l’Index est déclarée par la moitié des entreprises seulement et seul un quart environ des salariés du secteur privé y est pris en compte ; 2. l’Index tend à invisibiliser les inégalités réelles entre femmes et hommes du fait notamment des choix méthodologiques retenus pour calculer l’Index ; 3. les entreprises reportent des notes à l’indicateur d’écart salarial qui sont en moyenne largement plus élevées que celles recalculées à partir des données administratives ; 4. les entreprises qui déclarent leur Index ne sont pas plus vertueuses que celles qui ne déclarent pas ; 5. la mise en place de l’Index n’a pas d’effet détectable sur les inégalités femmes-hommes dans les entreprises concernées entre 2018 et 2020 alors que les notes déclarées par les entreprises progressent en 2019 et en 2020. Nous détaillons ces résultats ci-après après avoir rappelé la méthode de calcul de l’Index de l’égalité professionnelle.

Comment est calculé l’Index de l’égalité professionnelle ?

Avant de discuter les principaux résultats de cette étude, il est nécessaire de présenter brièvement les modalités de calcul de l’Index de l’égalité professionnelle. Celui-ci inclut quatre indicateurs :

1. L’écart de salaire horaire entre femmes et hommes, à catégorie d’âge et d’emploi donnée (pour un maximum de 40 points quand il n’y a pas du tout d’écart, et de zéro point quand l’écart est supérieur à 20%) ;

2. un indicateur de mobilité salariale entre femmes et hommes (35 points) :

  • pour les entreprises de 50 à 249 salariés, l’indicateur correspond aux différences de taux d’augmentation entre femmes et hommes ;
  • pour les entreprises de plus de 250 salariés, l’indicateur se décompose en deux : il prend à la fois en compte les différences de taux d’augmentation (hors promotion) entre femmes et hommes (20 points), et les écarts de taux de promotion (15 points).

3. les augmentations de salaires des femmes à l’issue d’un congé maternité (15 points) ;

4. le nombre de femmes et d’hommes parmi les dix plus hautes rémunérations de l’entreprise (10 points).

Les entreprises sont chargées de calculer et de publier l’Index chaque année. Pour ce faire, elles peuvent s’appuyer sur le simulateur-calculateur mis en place par le ministère du Travail car le calcul de l’Index est complexe, les modalités et les règles de calcul étant propres à chaque indicateur. Le résultat global pour une entreprise prend des valeurs entre 0 et 100 points : il correspond à la somme des scores obtenus aux différents indicateurs. Les entreprises s’exposent à des sanctions potentielles dès lors qu’elles n’obtiennent pas au minimum 75 points sur 100 (après un délai de 3 ans pour se mettre en conformité, et avec des possibilités d’assouplissement).

Depuis 2019, toutes les entreprises doivent envoyer leur calcul de l’Index à l’administration et celui-ci est ensuite rendu public. Néanmoins, elles peuvent déclarer leur Index non calculable si elles sont dans l’incapacité de calculer des indicateurs dont le cumul de points dépasse 25 points. Ce sera en particulier le cas si elles ne peuvent pas calculer l’indicateur d’écart salarial (qui compte pour 40 points) ou quand au moins deux des autres indicateurs, notés sur 15 ou 20 points, ne sont pas calculables. Or, l’indicateur d’écart salarial est soumis à des critères complexes d’exclusion de salariés. Il est calculé à partir de la moyenne de la rémunération horaire des femmes comparée à celle des hommes pour 16 groupes correspondants à 4 tranches d’âge (moins de 30 ans, de 30 à 39 ans, de 40 à 49 ans et 50 ans ou plus) et, par défaut, 4 catégories socioprofessionnelles (CSP) : ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise, ingénieurs et cadres. Seuls les salariés présents au moins 6 mois sur la période de référence sont retenus dans le calcul et seuls les groupes comprenant au moins 3 femmes et au moins 3 hommes sont pris en compte. Si le total des effectifs pouvant être pris en compte une fois ces exclusions effectuées est inférieur à 40% des effectifs totaux, l’indicateur d’écart de rémunération, et donc l’Index, ne sont pas calculables : l’entreprise déclare son Index non calculable.

Pour examiner l’ampleur des inégalités salariales entre femmes et hommes au niveau des entreprises, nous nous appuyons sur des travaux antérieurs (Breda et al., 2021) et privilégions un indicateur alternatif des inégalités de salaire horaire qui n’impose ni des critères d’exclusion aussi stricts, ni les choix méthodologiques décrits ci-dessus. Cet indicateur tient également compte des différences d’âge et de catégories socio-professionnelles. Il peut être calculé pour la grande majorité des entreprises de plus de 50 salariés (91 % contre 56 % seulement pour l’indicateur de l’Index). Notre indicateur (IPP) rend compte des inégalités de salaire femmes-hommes d’une façon plus directement et facilement interprétable, et donc plus transparente. Il constitue une piste alternative envisageable. Si l’on utilise la méthodologie décrite dans le décret du 8 juillet 2019 pour construire l’indicateur des écarts de rémunération au sens de l’Index avec les données administratives que nous utilisons, nous trouvons qu’en moyenne, dans une entreprise donnée, le salaire des femmes est inférieur de 4,2 points de pourcentage à celui des hommes en 2020. Avec notre propre méthode de calcul, nous obtenons un écart de rémunération de 2,3 points plus élevé : selon l’indicateur «  IPP », dans une entreprise donnée, le salaire des femmes est  inférieur de 6,5 points de pourcentage à celui des hommes en 2020 en moyenne (cf. le tableau 3.2 de l’étude sur l’Évaluation de l’Index d’égalité professionnelle).

Il faut garder en tête que cet écart, qui reste plus faible que les différences de salaire entre femmes et hommes traditionnellement mises en avant dans le débat public (entre 10% et 25% selon la méthode utilisée et les corrections appliquées), ne leur est pas directement comparable. En effet, contrairement à ces différences qui ne tiennent pas compte de l’entreprise dans laquelle les individus travaillent, l’écart de 6,5 points correspond à un écart calculé dans chaque entreprise en corrigeant des différences d’âge et de catégories socioprofessionnelles puis moyenné sur l’ensemble des entreprises concernées.

Principaux résultats

Cinq résultats principaux se dégagent de l’étude.

Tout d’abord, la couverture de l’Index est très imparfaite : près d’un quart des entreprises normalement assujetties omettent de déclarer leur Index portant sur l’année 2020 tandis qu’un autre quart le déclare « incalculable ». C’est donc seulement la moitié des entreprises (44% pour les PME-PMI) normalement assujetties qui déclarent une note sur 100 points. La couverture de l’Index est en revanche élevée parmi les grandes entreprises : 93% des entreprises de plus de 1 000 salariés le déclarent calculable.

Cela ne suffit pas pour autant à garantir une large couverture au niveau des salariés. En réalité, le calcul de l’indicateur d’écart salarial de l’Index ne porte que sur un quart des salariés du secteur privé : 44 % des salariés sont d’emblée exclus parce qu’ils travaillent dans une entreprise de moins de 50 salariés, 12 % sont dans des entreprises de plus de 50 salariés mais qui, d’après nos estimations, ne peuvent pas calculer leur Index, 18 % sont dans des entreprises qui doivent et peuvent déclarer leur Index, mais ils sont absents du calcul du fait des critères d’exclusion (ancienneté inférieure à 6 mois ou appartenance à un groupe avec moins de 3 femmes ou 3 hommes).

Ensuite, l’Index tend à invisibiliser les inégalités réelles entre femmes et hommes. La note moyenne des entreprises déclarant l’Index est élevée par rapport au seuil de 75/100 (qui correspond au seuil des sanctions financières), et augmente au cours du temps. Elle passe de 82,4/100 en 2018 à 85,9/100 en 2021. 85/100 est le seuil en-dessous duquel les entreprises doivent depuis 2022 communiquer les mesures d’amélioration qu’elles envisagent de mettre en place. Ces notes élevées sont notamment tirées par le respect d’obligations légales (augmentation des femmes au retour de congés maternité) et des résultats élevés concernant les écarts de rémunération pour les entreprises qui les déclarent (en moyenne les entreprises obtiennent une note de 35,3 points sur 40 en 2021 pour cet indicateur). Ces résultats élevés pour les écarts de rémunération ne sont pas liés aux critères d’exclusion de salariés appliqués pour le calcul. En revanche, deux autres choix méthodologiques faits pour le calcul de l’indicateur d’écart de salaire de l’Index permettent de les expliquer : l’application d’un seuil de tolérance (tous les écarts inférieurs à 5 % sont ramenés à 0) et l’utilisation des hommes comme catégorie de référence pour normaliser les écarts (les écarts dans chaque groupe sont divisés par le salaire moyen des hommes, ce qui les réduit quand les femmes sont moins bien payées que les hommes mais les augmentent dans le cas inverse, cf. la section 3.2 de notre étude). Ces deux choix ont tendance à produire une représentation plus resserrée des écarts de salaire femmes-hommes, les réduisant de plus d’un tiers en moyenne par rapport à la mesure alternative que nous proposons.

En troisième lieu, nous montrons que les entreprises reportent des notes à l’indicateur d’écart salarial qui sont en moyenne plus élevées que celles recalculées à partir des données administratives. La note moyenne déclarée pour les entreprises déclarantes est en effet de 35/40 en 2020 alors qu’elle n’aurait été que de 31,9/40 selon nos calculs à partir des données administratives en 2020. Cela peut s’expliquer par l’utilisation par les entreprises de catégories professionnelles différentes de celles proposées par défaut pour le calcul, par des différences dans la prise en compte des primes de pénibilité (normalement exclues du calcul officiel mais intégrées dans les données administratives), ou encore par des erreurs systématiques en leur faveur ou non-respect volontaire des règles de calcul de la part des employeurs.

En quatrième lieu, la comparaison des écarts de salaire entre les entreprises qui déclarent leur Index et celles qui ne le déclarent pas montre que les entreprises qui déclarent leur Index ne sont pas plus vertueuses – au sens de leur performance en matière d’égalité professionnelle – que celles qui ne déclarent pas. En effet, les données administratives que nous utilisons permettent de calculer les écarts de salaire entre femmes et hommes à la fois pour les entreprises qui déclarent et celles qui ne déclarent pas l’Index. La comparaison des résultats au sein de ces deux groupes montre que les entreprises qui ne déclarent pas leur Index ne sont pas plus inégalitaires que les autres. De la même manière, les entreprises qui déclarent leur Index non calculable alors même que, selon les données administratives que nous utilisons, le calcul aurait pu être fait, ne sont pas plus inégalitaires que celles qui déclarent bien une note calculable.

Finalement, et c’est sans doute le résultat principal de l’étude, la mise en place de l’Index n’a pas d’effet détectable sur les inégalités femmes-hommes dans les entreprises concernées entre 2018 et 2020. Pour le montrer, notre étude met en œuvre des méthodes d’évaluation d’impact visant à comparer l’évolution au cours du temps de groupes d’entreprises concernées et non concernées par la mise en place de l’Index. Plus exactement, nous examinons si les inégalités liées au sexe évoluent de façon similaire au sein des entreprises de moins de 50 salariés (non assujetties à l’Index, groupe « témoin ») et celles ayant juste au-dessus de 50 salariés (assujetties à l’Index, groupe « traité »). Notre analyse d'impact se concentre intégralement sur des mesures d'inégalités entre femmes et hommes dans l'entreprise établies à partir des données administratives, c'est à dire la source couramment utilisée par la statistique publique pour mesurer ces inégalités (Georges-Kot, S., 2020). Nous retenons cinq mesures d'inégalités principales : l’écart de rémunération entre femmes et hommes au sens de l'IPP (« indicateur IPP »), l’écart de rémunération entre femmes et hommes au sens du l'Index ; l’écart de salaire horaire moyen (sans aucun ajustement pour les différences d'âge ou de catégories socioprofessionnelles) entre femmes et hommes ; la proportion de femmes et d'hommes parmi les dix plus hautes rémunérations et enfin, l’écart de taux d'augmentation entre femmes et hommes au sens de l'Index.

Il apparaît que les deux groupes d’entreprises ont des trajectoires totalement similaires en termes d’inégalités femmes-hommes entre 2010 et 2020, que celles-ci soient mesurées en termes d’écarts de salaire (bruts, construits selon la définition du décret ou encore construits selon notre proposition alternative), de différences de promotions, ou de part des femmes parmi les dix plus hautes rémunérations. En particulier, nous n’observons pas de changement de tendance pour les entreprises assujetties à partir de la mise en place de l’Index (2018 ou 2019 selon la taille des entreprises). Ce constat est vrai pour les cinq mesures d’inégalités que nous avons reconstruites (voir Graphique 1 pour les écarts de salaire obtenus avec l’Indicateur IPP). Ces résultats et le caractère exhaustif des données que nous avons utilisées permettent d’exclure que la mise en place de l’Index ait eu des effets, même petits. Il est en revanche impossible d’exclure des effets à plus long terme qui pourront être examinés avec les mêmes méthodes une fois que les données nécessaires seront rendues disponibles.

Cette absence d’impact à court terme pourrait paraître en contradiction avec l’augmentation régulière depuis 2018 des notes déclarées par les entreprises assujetties à l’Index. Il faut ici rappeler que l’augmentation des notes déclarées par les entreprises ne saurait constituer une preuve d’un effet réel sur les inégalités femmes-hommes. D’abord, les inégalités de salaire tendent à se réduire sur le long terme, de sorte que même en l’absence de l’Index, les entreprises concernées auraient pu voir leurs niveaux d’inégalité baisser. Ensuite, l’Index offre une mesure assez imparfaite des inégalités réelles : les modalités de calcul de l’indicateur d’écart salarial sont complexes et peuvent varier au cours du temps, de sorte qu’il n’est pas certain que de meilleures notes soient effectivement synonymes de réduction réelle des inégalités salariales. Il est possible que les entreprises tirent parti au fil des années des possibilités d’adaptation du calcul qui leur sont offertes (choix de catégories socioprofessionnelles différentes notamment) afin d’afficher de meilleurs résultats.

 

Enseignements et conclusions

Si elle peut être considérée comme une avancée en matière d’égalité professionnelle, l’introduction d’une obligation de résultat via la mise en place de l’Index représente aussi un coût important pour les entreprises : le calcul de l’Index est lourd et certainement difficile à réaliser, notamment pour les PME qui manquent de services RH dédiés.

L’absence d’effet à court terme de la mise en place de l’Index sur les inégalités de salaire réelles invite à s’interroger sur la solution retenue et son efficacité au regard des coûts qu’elle induit, y compris pour les entreprises vertueuses. De nombreux éléments d’analyse suggèrent que la complexité du calcul de la note globale induit un manque de transparence et de lisibilité sur les inégalités réelles dans l’entreprise qui peut nuire à l’efficacité de l’Index (Coron, 2018 ; Coron, 2019).

En France, même si les résultats obtenus à l’Index sont rendus publics, les notes obtenues par les entreprises, élevées au regard des seuils de 75 et 85, reflètent mal les inégalités réelles et n’invitent pas à progresser. Elles ne permettent pas d’amener un véritable débat démocratique au sein de chaque entreprise et dans la société dans son ensemble sur les niveaux d’inégalité que l’on pourrait considérer comme « acceptables » (par exemple parce qu’ils sont dus à des difficultés de recrutement ou qu’ils sont considérés comme suffisamment faibles pour refléter une forme d’aléa statistique) et « non acceptables » (parce qu’ils sont élevés ou injustifiables par des éléments liés à l’organisation ou l’activité de l’entreprise). Parce qu’elles ne donnent aucune idée tangible de l’ampleur des inégalités réelles, les notes à l’Index ne permettent pas de structurer un tel débat.

Ailleurs qu’en France, l’obligation de publication des écarts de salaire entre femmes et hommes dans les entreprises a pris une forme beaucoup plus simple dans la plupart des pays en ayant fait l’expérience (e.g. écart moyen, écart médian, part des femmes dans chaque quartile). Les évaluations existantes pour certains de ces pays (Canada, Danemark et Royaume-Uni) suggèrent que cette obligation de transparence, typique des politiques de « name and shame » qui ont déjà fait leur preuve dans le milieu des entreprises, a effectivement permis de réduire les inégalités de salaire, même à court-terme et en l’absence de sanctions effectives (Baker et al., 2019 ; Duchini et al., 2020 ; Bennedsen et al., 2022). Notons par ailleurs que l’Index devra certainement être revu dans les prochaines années en raison d’une nouvelle directive de l’Union Européenne qui vient d’être votée et qui prévoit la publication obligatoire par les entreprises de statistiques simples sur leurs écarts de salaire entre femmes et hommes.

Concluons cette contribution par quelques pistes de réflexion plus générales. Premièrement, si la mise en place de l’Index n’a pas permis de réduire les inégalités de salaire à ce stade, il semble qu’elle ait incité nombre d’entreprises à respecter leurs obligations légales concernant les augmentations au retour du congé pour maternité (Farvaque et al., 2021 ; Cart et al., 2022) Deuxièmement, pour alléger le coût du calcul pour les entreprises, les pouvoirs publics pourraient directement leur fournir un bilan de leurs inégalités salariales femmes-hommes en utilisant les mêmes données que celles que nous avons exploitées dans notre étude. Cela permettrait également d’éviter les risques de manipulation et de garantir la transmission d’informations claires et pédagogiques aux partenaires sociaux. Troisièmement, dans la perspective d’accentuer la politique de transparence et de « name and shame », les pouvoirs publics pourraient également publier le classement de chaque entreprise en termes d’écarts de salaire femmes-hommes au sein de son secteur d’appartenance.

Enfin, il faut rappeler que les écarts de salaire au sein d’une entreprise et d’un métier donnés sont de l’ordre de 5 % en moyenne, et ne représentent ainsi qu’une petite partie de l’écart total de rémunération entre femmes et hommes. Une part importante de cet écart est liée au fait que femmes et hommes travaillent dans des entreprises différentes (Breda  et al., 2021), des secteurs différents et n’exercent pas les mêmes métiers. La négociation de branche a donc un rôle clé à jouer pour réduire les inégalités au-delà de l’entreprise et en particulier revaloriser les carrières dans les métiers les plus féminisés tels que les sages-femmes (cf la contribution de Lemière et Silvera), les aides à domiciles (cf la contribution de Dussuet et al.), les assistantes maternelles (cf la contribution de Cresson et al.) ou encore le nettoyage (cf la contribution de Devetter et Valentin). Au-delà des politiques publiques directement propres au marché du travail, il est bien sûr aussi nécessaire de s’attaquer aux facteurs sociétaux plus structurels qui contribuent aux inégalités de carrière entre femmes et hommes (e.g. stéréotypes de genre, choix d’études différenciés, répartition du travail domestique, conciliation vie personnelle vie professionnelle, voir par exemple la contribution de Di Paola et Moullet).

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Consultez les autres textes de la série "Que sait-on du travail ?"

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Références : 

BREDA Thomas, DUCOULOMBIER Juliette, DUTRONC-POSTEL Paul., LETURCQ, Marion, SULTAN PARRAUD Joyce et TÔ Maxime (2023), « Évaluation de l'Index de l'égalité professionnelle ». Rapport IPP (42).

BAKER Michael, HALBERSTAM Yosh, KROFT Kory, MAS Alexandre & MESSACAR Derek (2019), ‘Pay transparency and the gender gap’, NBER.

BENNEDSEN Morten, SIMINTZI Elena, TSOUTSOURA Margarita & WOLFENZON Daniel (2022), ‘Do firms respond to gender pay gap transparency?’, The Journal of Finance 77(4), 2051–2091.

BREDA Thomas, DUTRONC-POSTEL Paul, SULTAN-PARRAUD Joyce & TÔ Maxime (2021), « Les inégalités salariales femmes-hommes dans les entreprises », Note IPP (68).

CART Benoit, PERNOD-LEMATTRE Martine & TOUTIN Marie-Hélène (2022), « L’index de l’égalité professionnelle : utile mais imparfait », Céreq Bref 428(12), 1–4.

CORON Clothilde (2018), « Quels effets des mesures d’égalité professionnelle, en fonction de leur difficulté d’appropriation ? Une étude de cas », Revue de gestion des ressources humaines, 2018/4 (N° 110), p. 41-53.

CORON Clothilde (2019), « Quantifier les inégalités salariales. La sophistication de la mesure, au risque de la justification des inégalités ? », Terrains & travaux, 2019/2 (N° 35), p. 69-90.

CULLEN Zoë & PEREZ-TRUGLIA Ricardo (2022), ‘How much does your boss make? the effects of salary comparisons’, Journal of Political Economy 130(3), 766–822.

DUCHINI Emma, SIMION Stephania & TURRELL Arthur (2020), ‘Pay transparency and cracks in the glass ceiling’, arXiv preprint arXiv :2006.16099.

FARVAQUE Nicolas, PERNOD-LEMATTRE Martine, BUSTREEL Anne, CART Benoit, DILMI Maleka, FABRE Lucas. & TOUTIN Marie-Hélène (2021), « Étude de terrain qualitative sur la mise en oeuvre de l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes ».

GEORGES-KOT Simon (2020), « Écarts de rémunération femmes-hommes : surtout l’effet du temps de travail et de l’emploi occupé », Insee Première (1803).

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