Geneviève Cresson, François-Xavier Devetter, Julie Lazès - Être une femme et travailler chez soi : les assistantes maternelles entre disponibilité étendue et rémunération limitée

Geneviève Cresson, François-Xavier Devetter, Julie Lazès - Être une femme et travailler chez soi : les assistantes maternelles entre disponibilité étendue et rémunération limitée

Geneviève Cresson sociologue, retraitée.  Elle était PR de sociologie à l’université de Lille et au Clersé. Ses travaux concernent la famille, la santé, la petite enfance et le genre ainsi que leurs articulations. Elle a notamment publié La petite enfance : entre familles et crèches, entre sexe et genre. (L’Harmattan, 2007) avec Coulon Nathalie ;  « Indicible mais omniprésent : le genre dans les lieux d'accueil de la petite enfance » Dans Cahiers du Genre 2010/2 (n° 49) ; « Qualité du travail, qualité des emplois et qualité d’accueil dans les métiers de la petite enfance » (2011) avec Delforge S., Devetter F.-X. et Lemaire D. ;  « Le travail familial comme réponse majeure à la dépendance des jeunes enfants et des personnes âgées », dans : Vieillir en société Une pluralité de regards sociologiques. Sous la direction de F. Le borgne-Uguen, F Douguet, G Fernandez, N Roux, G. Cresson PUR Rennes, 2019.

François-Xavier Devetter est chercheur au Clersé (Université de Lille) et à l'IRES. Ses travaux de recherche portent sur le temps de travail et les emplois à bas salaire, tout particulièrement les agentes et agents d'entretien, les aides à domiciles et les assistantes maternelles agréées. Il a publié récemment Aides à domiciles, un métier en souffrance : sortir de l'impasse avec Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant aux éditions de l'Atelier.

 

Julie Lazès est enseignante-chercheuse à l’IMT Nord-Europe et au Clersé (Université de Lille). Elle travaille sur les usages numériques et leurs impacts sur des dynamiques territoriales (activité de communes insulaires) ou sur des conditions de travail et d’emploi (assistantes maternelles).

  

Être une femme et travailler chez soi : les assistantes maternelles entre disponibilité étendue et rémunération limitée 

Geneviève Cresson, François-Xavier Devetter, Julie Lazès

Dans notre pays, le recours aux assistantes maternelles reste la première solution de garde pour les jeunes enfants avant 3 ans et leur scolarisation. L'enquête emploi de l’INSEE compte 390 000 assistantes maternelles dont 80% sont salariées du particulier employeur. Leur rémunération mensuelle moyenne nette est de 1233€ selon la même enquête.

Ce métier reste essentiellement féminin (à plus de 97%) même si les textes officiels en parlent au masculin - ce que nous ne ferons pas ici. Il est traversé par des paradoxes proches de ceux des autres métiers féminins considérés comme peu qualifiés (cf. la contribution de Séverine Lemière et Rachel Silvera) : il est indispensable au bon développement de l’enfant comme au bon fonctionnement de l’économie, en permettant aux parents, et spécialement aux mères, de rester en emploi. Le métier d’assistante maternelle, comme l’ensemble du secteur de la petite enfance, devrait constituer ainsi un pilier des politiques d’investissement social (Carbonnier et Palier, 2022).

Pourtant, cet emploi n’est pas reconnu à la hauteur des enjeux, et ne fait pas l’objet d’une véritable politique publique complète et cohérente, tout au plus d’aménagements successifs et ponctuels des conditions d’accueil ou de rétribution (Cresson et Devetter, 2020). Le fait que ce soit des femmes qui accomplissent ces tâches, qui plus est à leur propre domicile et auprès de très jeunes enfants – considérés trop souvent comme l’apanage des femmes -, explique sans doute la relative méconnaissance et la mauvaise évaluation des conditions d’emploi des assistantes maternelles, de leur charge de travail et de leur rémunération, parfois fantasmée, mais qui reste modeste et précaire.

En abordant dans un premier point les temps de travail, qui dépassent le plus souvent l’ampleur horaire reconnue elle-même très importante, nous montrerons quelques-unes des caractéristiques de ce métier. Nous ne détaillerons pas le contenu de leur travail auprès des jeunes enfants, qui reste très attractif, mais nous montrerons dans une seconde partie que leurs conditions de travail le sont beaucoup moins, ce qui pourrait expliquer la diminution de leurs effectifs depuis une dizaine d’années (l’enquête emploi dénombre 315 000 assistantes maternelles salariées par des particuliers employeurs en 2019 contre 380 000 en 2013). Ces tensions s’accentueraient selon France Stratégie avec plus de 106 000 postes non pourvus en 2023.

 

Une disponibilité horaire très élevée

Alors que leur métier est souvent perçu comme permettant une bonne conciliation des temps familiaux et professionnels pour les parents de jeunes enfants, les assistantes maternelles (ci -après AM) sont soumises à des exigences très élevées en termes de disponibilité temporelle. Le cadre réglementaire dans lequel leurs temps de travail s’inscrivent est complexe et conduit à des amplitudes horaires importantes auxquelles s’ajoutent d’autres temps de travail peu visibles et non payés.

Le cadre réglementaire complexe permet des amplitudes importantes 

L’organisation du travail et du temps des assistantes maternelles dépend de trois niveaux de règles. La réglementation centrée sur l’enfant accueilli précise que pour chacun d’eux, « la durée de l’accueil indiquée dans la convention collective est de 45 heures par semaine. (…) La durée habituelle de la journée d'accueil est de 9 heures » (Service-public.fr, 2022). Les attentes des parents déterminent les demandes de l’employeur. Ce sont jusqu’à quatre employeurs différents qui vont exprimer des besoins multiples et rarement identiques d’un jour à l’autre. Si une famille demande une garde à temps partiel, certains jours ou à certains horaires, cela peut impliquer un sous-emploi relatif ou dégager de la place à temps partiel. Enfin, l’assistante maternelle est soumise aux réglementations du droit du travail, et règlements propres à ce métier, que nous citons ici longuement pour bien en souligner l’extrême souplesse : « l'assistante maternelle bénéficie d'un repos quotidien de 11 heures de suite minimum, tous contrats de travail confondus et ne peut pas être employée plus de 6 jours de suite. En cas de situations exceptionnelles ou imprévisibles, des heures peuvent être effectuées, d'un commun accord, au-delà de celles prévues par le contrat de travail. L'employeur ne peut pas exiger de l'assistante maternelle de travailler plus de 48 heures par semaine. Cependant cette durée de travail peut être dépassée si l'assistante maternelle donne son accord écrit. »  (Ministère de l’intérieur, 2022).

Tout cela encadre la tension entre les besoins des enfants, définis et protégés par la loi, les horaires demandés par les familles, et le respect des droits des assistantes maternelles en tant que salariées. On est loin des 35 heures, des dérogations sont prévues (avec l’accord de l’assistante maternelle, mais peut-elle toujours le refuser ?) et un lissage sur des longues périodes permet d’accepter ou d’organiser la surcharge.

L’analyse secondaire des enquêtes emploi de l’INSEE permet de relever que les assistantes maternelles du particulier employeur ont une durée hebdomadaire de travail particulièrement élevée (39h54 en 2005 et 41h48 en 2019) en comparaison avec l’ensemble des employées (32h25 pour ces deux années-là) ou aux personnels des services directs aux particuliers (respectivement 31h35 et 31h12). En 2017, on relève une moyenne de 40 heures/semaine (plus de 49 heures pour une assistante maternelle sur quatre, mais aussi moins de 33 heures pour une sur quatre) (Vroyland et Paliod, 2017 ; Unterreiner, 2018). De fortes disparités existent puisque 10% des assistantes maternelles n’accueillent pas d’enfants pendant les vacances scolaires, et jusqu’à 16% pendant celles de l’été. Par ailleurs, un quart d’entre elles travaille moins de 33 heures par semaine. D’autres disparités existent, selon les régions ou les villes, selon l’intensité ou la rareté de la demande, ou selon la part des emplois aux horaires atypiques dans le bassin d’emploi et donc chez les parents-employeurs.

Les durées travaillées sont très longues et occupent des plages horaires qui échappent largement aux rythmes actuels du travail salarié en France. Plus du quart des assistantes maternelles travaillent très tôt le matin : selon les enquêtes Conditions de Travail de la DARES, à 7h00, 30% des assistantes maternelles sont en emploi contre environ 15% de l’ensemble des salariés. Dans nos observations, sur vingt assistantes maternelles, sept commencent avant 8 heures, huit commencent à 8 heures. Le soir onze d’entre elles terminent entre 18h30 et 19h30. Les amplitudes horaires déclarées pour leur journée type varient entre 9h15 et 12h45, avec une médiane à 10 heures par jour, soit entre 46h30 et plus de 70h pour les assistantes maternelles qui travaillent du lundi au vendredi, ce qui est le cas de la grande majorité d’entre elles.

 

Ces horaires lourds ne doivent pas faire oublier d’autres dimensions temporelles plus favorables. L’activité épargne ainsi largement le samedi et le dimanche (seules 13,5% des assistantes maternelles travaillent habituellement ou occasionnellement le samedi et 5% le dimanche, alors que près de la moitié des employées le font le samedi et plus du tiers le dimanche). En revanche, selon les données de l’enquête Conditions de Travail (2019) leur activité est plus morcelée que celle des autres employées, et l’obligation de devoir interrompre une tâche pour une autre est légèrement plus fréquente. Leur rythme de travail peut varier selon les moments de la journée. Aux « coups de collier » (repas, pleurs…) succèdent des moments plus calmes… qu’il est parfois difficile de faire reconnaître comme temps de travail.

Des temps de travail non rémunérés

Nous retiendrons ici quatre aspects du surtravail que doivent produire les assistantes maternelles, nécessaires à leur activité principale mais mal reconnus, peu visibles et non valorisés : le renouvellement des contrats et le changement des horaires, les dépassements horaires des familles, l’entretien du lieu de travail et enfin les activités administratives. Loin d’être anecdotiques, ces moments de surtravail sont une condition du bon déroulement de l’activité. 

Les changements de volume et d’organisation horaires sont fréquents. Ils peuvent provenir de l’évolution de la situation des assistantes maternelles (naissance, divorce, déménagement). Ils peuvent aussi être la conséquence d’événements ou de décisions de la famille des employeurs (évolution du temps de travail d’une mère, déménagement, départ à la crèche qui peut être vécu comme une sorte de trahison…). De même, le moment de la scolarisation est crucial. Plusieurs assistantes maternelles évoquent la peur de manquer de contrats qui peut les amener à accepter des « petits » contrats et donc à transformer leur emploi du temps en patchwork, ou à adapter leurs attentes face à la pression de la demande. Chaque année l’AM doit trouver de nouveaux contrats, et ses employeurs se renouvellent partiellement. Pour cela, il lui faut alimenter les pages Facebook ou internet (depuis 2021 elles sont obligées de s’inscrire sur le site monenfant.fr, de leur CAF), répondre aux mails et au téléphone, se présenter de façon convaincante et recevoir plusieurs fois les parents au domicile. Dans ces rencontres, assistantes maternelles et parents font le point sur les aspects pratiques et pédagogiques et sur les attentes réciproques. L’intérêt de l’enfant est en jeu, et il s’agit aussi d’amener des parents à remplir un nouveau rôle, celui d’employeur. Cette création relationnelle, immatérielle, occasionne une charge mentale supplémentaire, demande des compétences rarement mises en avant, et prend du temps.

La convention collective est claire, le décompte du temps de travail court depuis l’ouverture de la porte à l’enfant le matin jusqu’au moment où elle se referme sur lui et ses parents, le soir. Les temps de présence des parents au domicile de l’assistante maternelle ne sont pas des temps de loisir ou de convivialité amicale, mais bien des temps de travail : celui des transmissions. Le plus souvent celles-ci se passent bien. Mais les assistantes maternelles constatent que des parents ont – ou ont eu - du mal à respecter la règle, à être ponctuels. Si les récits de dépassements horaires sont assez fréquents, ils renvoient à des situations plutôt rares. D’autres évoquent des coups de téléphone tardifs ou pendant les week-ends, quand l’AM est en repos. Pour toutes ces situations, la question de la reconnaissance du temps de travail supplémentaire, et de sa facturation, se pose : les assistantes maternelles vont-elles se faire payer ces dépassements horaires, dûs aux comportements des parents, comme le prévoient le contrat et la convention collective ? Les AM soulignent que leur dévouement n’est pas servilité ni totale mise à disposition auprès de l’employeur. Dans ce sens, elles apprécient l’évolution des règlementations qui leur permettent d’être plus fermes sur le respect de leurs horaires. Comme dans la plupart des métiers du care, les assistantes maternelles sont tiraillées entre le souci d’être disponibles et leur volonté de faire respecter les horaires contractuels.

Le logement, à la fois domicile et lieu de travail, constitue une troisième source de travail nécessaire mais invisible. Quand la porte se referme et que le dernier enfant est rentré chez lui, le travail de l’assistante maternelle continue, chaque jour, et déborde parfois sur les jours de repos. Les tâches sont diverses : du nettoyage jusqu’au travail d’organisation ou de conception de leur activité principale dans les normes en vigueur. Les AM estiment la durée du ménage quotidien entre ½h et 1h30. Elles évoquent la nécessité de transformer, chaque jour, au moins une pièce de leur domicile en lieu de travail (et vice versa le soir). Elles doivent non seulement nettoyer, ranger mais aussi effacer ou atténuer voire escamoter les traces de l’activité qui s’immiscent dans l’intimité de la maison. Elles doivent préparer le travail du lendemain ou des jours suivants, comme les instituteurs qui préparent leurs cours et leurs classes prècise l’une d’elles, tandis qu’une autre compare sa situation actuelle à celle qu’elle occupait comme vendeuse, où son travail cessait une fois le volet roulant fermé. Le travail de l’AM est beaucoup plus diffus, à leurs yeux, « c’est un métier où on n’arrête jamais ».

Enfin, les AM réalisent un important travail administratif et de comptabilité, du fait d’un rapport salarial singulier avec les parents employeurs mais aussi de l’augmentation des demandes des tutelles ou organismes sociaux (de suivi et d’enregistrement - notamment informatique - de leurs activités, de la présence-absence de chaque enfant et des places disponibles). En tant que salariées elles ne devraient pas s’occuper de leur propre paye, mais elles y sont amenées pour deux raisons : la complexité croissante des règles de calcul et l’impréparation des parents-employeurs à cette tâche. Les calculs sont complexes, les règlements et conventions s’empilent, et les tableurs ne tiennent pas toujours suffisamment compte de la complexité de l’activité. Les assistantes maternelles finissent par entrer dans ce système informationnel, dévoreur en temps. Elles sont pour tout cela encadrées par la PMI et la CAF, et aidées par les RPE (Relais de la Petite Enfance). Les demandes des parents (photos, SMS, etc.) s’ajoutent à ces obligations.

Des conditions de travail difficiles pour des rémunérations faibles 

La très forte disponibilité temporelle des AM est d’autant plus problématique que leurs conditions de travail comportent des indices de pénibilité importants même si leur visibilité demeure partielle, y compris aux yeux des salariées elles-mêmes. Le travail réalisé les expose à la fois à des contraintes physiques et à des risques psycho-sociaux sans qu’elles ne bénéficient des ressources (notamment collectives) qui leur permettraient d’y faire face. Parallèlement, le mécanisme bien spécifique de leur rémunération les maintient à des niveaux de salaires horaires et mensuels particulièrement bas.

Des pénibilités multiples et encore souvent invisibles 

Dans les enquêtes conditions de travail (Dares), les déclarations des assistantes maternelles sont parfois paradoxales et rappellent combien la verbalisation et l’objectivation des difficultés rencontrées dépendent du contexte et de l’organisation socio-économique des métiers. Alors que les pénibilités physiques déclarées étaient sensiblement plus faibles pour les assistantes maternelles que pour les autres métiers des services en 2005, le constat est largement inversé selon l’édition 2019 de l’enquête : elles déclarent plus fréquemment effectuer des mouvements douloureux ou fatigants que l’ensemble des employés (+5 points par rapport aux autres salariés) ou porter des charges lourdes (+20 points). En revanche elles déclarent moins rester debout longtemps (-8 points), rester dans une posture pénible (-8 points) ou encore effectuer des déplacements à pieds longs ou fréquents (-13 points). Une analyse dynamique montre que toutes ces contraintes ont augmenté de manière significative et plus rapidement que dans les autres professions de services. Ce résultat peut être lié à deux phénomènes : d'une part, une forme d'intensification du travail peut être observée en raison, par exemple, d'une augmentation du nombre d'enfants pris en charge par chaque assistante maternelle ; d'autre part, il peut s'agir d'une prise de conscience progressive que certaines pratiques liées à l'activité professionnelle sont bel et bien des sources de pénibilité qui méritent d'être signalées, que porter des jeunes enfants constitue une charge lourde, par exemple.

De plus, leur activité est souvent morcelée, et l'obligation d'interrompre une tâche pour en effectuer une autre est plus fréquente. En revanche, les AM semblent relativement protégées contre un rythme de travail trop intense. Elles déclarent moins souvent que les autres employées devoir se dépêcher. Si la pression pour se dépêcher est restée constante, le sentiment d'être fréquemment interrompues a fortement progressé, bien plus que dans les autres métiers de service.

Sur le plan des risques psychosociaux le métier d’assistante maternelle apparaît dans une position assez paradoxale. Si certaines dimensions semblent très positives pour ces salariées (diversité des tâches et absence de monotonie, sens du travail), elles sont au contraire très fortement exposées à certaines difficultés et notamment un isolement marqué : elles ne reçoivent que rarement l’aide de collègues ou de supérieurs. Certes ces soutiens sont en croissance mais ils sont très en deçà de ce que connaissent les autres employées. Elles ne peuvent que difficilement interrompre leur travail et doivent régler seules les incidents éventuels.  

Des mécanismes de rémunération atypiques qui conduisent à des salaires inférieurs au SMIC

Enfin en matière de rémunération, les AM connaissent également une situation atypique et peu favorable. Formellement salariées des parents qui les emploient, leur rémunération a de nombreuses caractéristiques d’un « prix » négocié selon un « marché » local. Le SMIC ne s’applique pas directement : le salaire horaire peut descendre jusqu’à 28% du SMIC. Il est par ailleurs contraint par les critères d’attribution du Complément Mode de Garde, versé aux parents sur présentation de la facture de l’AM, qui implique que la rémunération ne dépasse pas 5 fois le SMIC horaire par jour et par enfant.

Certes, les assistantes maternelles ont vu leur rémunération mensuelle croître au cours des 15 dernières années et rattraper en partie celles des autres employées, mais elle demeure parmi les plus faibles de toutes les professions. En effet, alors qu’il était nettement inférieur à celle des autres métiers de niveau employé, le salaire mensuel moyen de la profession s’en rapproche nettement aujourd’hui (tableau 2). Il dépasse par exemple celui des aides à domicile ou des agents de nettoyage et correspond pratiquement au niveau du Smic mensuel à temps plein (97,5% alors qu’il n’atteignait que 70% de celui-ci en 2005). Nous verrons cependant ci-dessous que ce rattrapage est bien moindre lorsque l’on s’intéresse aux salaires horaires. 

Cette hausse visible dans les données de l’Enquête Emploi est confirmée par les données de l’ACOSS - URSSAF (Vroylandt et Paliod, 2017) et peut s’expliquer par plusieurs mécanismes complémentaires : hausse des aides publiques accordées aux parents, accroissement du nombre d’enfants gardés par une assistante maternelle, tension sur les prix dans certaines zones géographiques notamment, etc.

Les entretiens semi-directifs permettent d’éclairer des mécanismes spécifiques comme les hausses de tarif horaire - on parle d’une voire quelques dizaines de centimes  - que des professionnelles peuvent décider unilatéralement (mais très modérément). Les niveaux de salaires se rapprochent ainsi bien plus de « prix » ou d’honoraires que de salaires au sens classique. On peut noter, outre l’importance de l’encadrement institutionnel des tarifs, le rôle non négligeable des nouvelles technologies et notamment d’internet et de certains sites (TopAssmat.fr ou Nounou.fr par exemple) dans la diffusion d’informations sur les tarifs horaires et la construction d’un « prix de marché » sur certains territoires.

Toujours selon les enquêtes emplois, si les rémunérations mensuelles ont sensiblement cru, une part de cette augmentation s’explique par un allongement de la durée hebdomadaire qui atteint près de 42 heures en moyenne (soit environ 2 heures de plus qu’en 2005) contre un peu plus de 32h20 pour l’ensemble des femmes employées (stable entre 2005 et 2019). Si les salaires horaires ont également connu une réelle croissance (+ 66% contre +17% pour les femmes employées), ils demeurent néanmoins significativement en dessous du SMIC : 6€83 pour un Smic horaire net de 7€92 en 2019. De plus, ce rattrapage doit être mis en relation avec une augmentation importante des niveaux d’étude (la part des AM sans diplôme est passée de 40 % à 22 % entre 2003 et 2019 selon l’enquête emploi) et du prix des logements et des loyers qui constituent une part du « service » produit par les assistantes maternelles (celles-ci « offrant » leur logement comme lieu de travail en plus de leur temps de travail). 

Conclusion 

Le groupe professionnel des assistantes maternelles évolue fortement depuis deux décennies : les profils familiaux se diversifient et le niveau de qualification initiale croît bien plus rapidement que dans l’ensemble de la population active (Cresson, Devetter et Lazès, 2023). La formalisation de l’emploi, voire sa professionnalisation, ont largement progressé. Elles demeurent cependant incomplètes et les conditions d’emploi restent atypiques et difficiles.

Pour les assistantes maternelles comme pour tous les métiers des services, des exigences implicites (de disponibilité, de propreté, …) impliquent des dépassements d’horaires, plus ou moins diffus, qui ne sont pas comptabilisés dans l’amplitude horaire officielle, pourtant déjà très élevée. De plus, l’approche quantitative aussi bien que les entretiens révèlent des compétences étendues, hors du cœur de métier qu’est le soin aux enfants, qui ne sont pas valorisées (sens des relations, compétences d’organisation, compétences numériques, en comptabilité ou dans l’administration). En définitive, les horaires des assistantes maternelles empiètent sur leurs temps personnels et familiaux et génèrent des conflits entre vie personnelle et vie professionnelle qui apparaissent plus fréquents que dans les autres professions d’employé-e-s. La possibilité de mieux concilier l’activité professionnelle et les charges familiales est souvent invoquée pour justifier le choix du métier, ou sa faible valorisation. Cependant, la possibilité de concilier les temps professionnels et familiaux est nettement inférieure à celle des autres employées. Elles sont certes « à la maison » mais avec des temps de travail très longs et contraints alors même que leurs conditions de travail apparaissent difficiles et leur salaire faible.

L’étude des amplitudes horaires et des conditions d’emploi des assistantes maternelles fait ainsi apparaître au moins trois manques majeurs. Le premier renvoie à la spécificité de la relation contractuelle. L’emploi direct apparaît comme un archaïsme qui prive les professionnelles de nombreuses protections liées au statut de salarié. À ce titre, le modèle des crèches familiales (où une collectivité est formellement employeur et assure l’interface administratif et comptable entre les parents et l’AM) permet des alternatives, mais ce modèle est en perte de vitesse dans notre pays. Ensuite, le travail des AM demande des ressources collectives pour être réalisé dans de bonnes conditions tant pour les enfants que pour les salariées. La mise en place d’une communauté de travail entre assistantes maternelles en lien avec les Relais Petite Enfance (RPE) commence à s’observer. Cette logique demande cependant des soutiens publics plus larges pour se développer sur l’ensemble du territoire. Enfin, les modes de fixation du salaire et du décompte du temps de travail sont des freins à la valorisation et à la professionnalisation des AM, et on ne peut que regretter que les politiques publiques soient plus soucieuses du contrôle des AM que de leur réelle promotion et professionnalisation. Ces trois éléments sont la condition pour améliorer ce métier, le rendre plus attractif et résoudre les problèmes de diminution des effectifs.

---

Consultez les autres textes de la série "Que sait-on du travail ?"

---

Références : 

CARBONNIER Clément et PALIER Bruno (2022), Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord, investissement social et économie de la qualité, Paris, PUF.

CRESSON Geneviève et DEVETTER François-Xavier (2020), « Les assistantes maternelles, une utilité́ sociale mal reconnue », dans A. L. Ulmann et P. Garnier (dir.), Regards sur les pratiques professionnelles avec les jeunes enfants, éd. Peter Lang, p.29-56.

CRESSON Geneviève, DEVETTER François-Xavier et LAZES Julie (2023), « Conditions de travail et d’emploi des assistantes maternelles du particulier employeur », Rapport CNAF, 188 pages.

LEMIERE Séverine et SILVERA Rachel (2023), « Reconnaître le travail pour établir l’égalité salariale entre femmes et hommes : le cas des sages-femmes », Site du LIEPP.

UNTERREINER Anne (2018), « Revue de littérature sur les assistantes maternelles. Position sociale, Conditions de Travail et d’emploi et quotidien ». Dossiers d’études, Caisse nationale des Allocations familiales, 197.

VROYLANDT Thomas et PALIOD Nicolas (2017), « Les assistantes maternelles ont gagné en moyenne 1108 euros en juin 2014 ». Études et Résultats, DREES, 1020, août, 8 pages.

   

Retour en haut de page