François-Xavier Devetter, Julie Valentin - Les " travailleurs et travailleuses du nettoyage " : deux millions de personnes au cœur des désordres du travail

François-Xavier Devetter, Julie Valentin - Les " travailleurs et travailleuses du nettoyage " : deux millions de personnes au cœur des désordres du travail

François-Xavier Devetter est chercheur au Clersé (Université de Lille) et à l'IRES. Ses travaux de recherche portent sur le temps de travail et les emplois à bas salaire, tout particulièrement les agentes et agents d'entretien, les aides à domiciles et les assistantes maternelles agréées. Il a publié en 2023 Aides à domiciles, un métier en souffrance : sortir de l'impasse avec Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant aux éditions de l'Atelier.

 

Julie Valentin est maître de conférences au CES (Université Paris 1). Ses travaux de recherche portent sur les formes de mobilisations de la main d'œuvre alternatives au CDI et l'analyse économique du droit du travail.
Ils sont les auteurs du livre 2 millions de travailleurs et des poussières : l'avenir des emplois du nettoyage dans une société juste, publié en 2021 aux éditions Petits Matins.
LES "TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU NETTOYAGE" : DEUX MILLIONS DE PERSONNES AU COEUR DES DESORDRES DU TRAVAIL
François-Xavier Devetter (Clersé, Université de Lille et IRES) et Julie Valentin (CES, université Paris 1)

Nettoyer (ou plus largement entretenir un espace de vie) est une activité à la fois commune et très spécifique. Commune car elle occupe une partie du temps de tout individu ou presque (en moyenne 5% du temps éveillé quotidien avec toujours d’énormes inégalités entre femmes et hommes). Commune également sur le plan professionnel car ce sont près de 8% des salariés dont l’une des fonctions importantes consiste à nettoyer des espaces privés ou publics. Mais cette activité apparaît également très spécifique en raison du sens qu’elle revêt fréquemment (« corvée domestique », métier ingrat ou invisible), et du fait des conditions dans lesquelles elle s’exerce.
Dans un premier temps nous chercherons à définir quels sont ces métiers du nettoyage et en quoi ils sont au cœur d’enjeux sociaux actuels majeurs. Pourtant, et c’est ce sur quoi nous insisterons dans un second temps, ces métiers, qui concourent à une même activité, peuvent s’exercer sous des formes et dans des cadres dont les différences ont une influence significative sur le type et le cumul des pénibilités associées. Comprendre cette hétérogénéité et ses effets peut alors aider à identifier certaines difficultés qui traversent plus largement le monde du travail.  
1. Deux millions de personnes ont le nettoyage comme fonction principale de leur métier
Pour définir les emplois du nettoyage nous croisons des critères liés à la fonction principale exercée (où l’on peut identifier le nettoyage à côté de la production, de l’enseignement, le soin à la personne, la comptabilité, la vente, …) et la description des professions que fournit l’Insee. Par ce biais nous identifions huit professions : les agents de service (des écoles, des administrations et collectivités territoriales ou encore des établissements hospitaliers), les salariés intervenant au domicile des particuliers (aides à domicile et employées de maison) et les agents d’entretien du secteur privé (femmes de chambres dans l’hôtellerie, nettoyeurs de la branche de la propreté ou directement employés par d’autres entreprises). Cet ensemble regroupe environ 2 millions de travailleurs et travailleuses ce qui représente, parmi les salariés, 1 homme sur 50 mais plus d’une femme sur 10. Ces métiers sont ainsi au cœur de plusieurs enjeux socioéconomiques majeurs du monde du travail actuel : les inégalités entre femmes et hommes, le développement des (très) bas salaires qui alimente la pauvreté laborieuse et la question de la soutenabilité des emplois sur toute une vie professionnelle.  
Des emplois au cœur des inégalités de genre (et d’origine nationale)
À l’image de l’inégalité de la répartition des tâches domestiques, la répartition genrée de ces professions est forte : ces emplois sont occupés à plus de 80% par des femmes (EE, 2021) soulevant ainsi la question de l’avenir de l'emploi peu qualifié des femmes et des inégalités de genre. Pour n’en donner qu’une illustration : si l’on exclue ces emplois du champ des salariés alors les hommes ne gagnent plus 26% de plus que les femmes mais 20% (EE, 2021). 

Les logiques de ségrégations professionnelles associées à ces métiers sont également perceptibles au regard de la surreprésentation des personnes issues de l'immigration dans les métiers du nettoyage, en particulier en région parisienne et dans les grandes villes. Alors que cette part est de 12% parmi les autres emplois relevant des professions ouvrières et employées, elle est de 24 % pour l’ensemble des agentes et agents d’entretien et de 28% pour celles et ceux, appartenant au secteur privé où ne s’applique pas le critère de nationalité pour l’accès à la fonction publique. Ce taux atteint même 73 % en Île-de-France, contre 37 % pour les autres professions ouvrières et employées (EE 2021). 
Des emplois à bas salaire qui alimentent la pauvreté laborieuse (et la polarisation)
Ces emplois participent également à la polarisation du marché du travail. En effet, 45% des personnels du nettoyage relèvent des emplois à bas salaire, c'est-à-dire rémunérés à moins de 60 % du salaire mensuel médian contre 13,5 % dans l'ensemble des emplois en France. Cette faiblesse des salaires mensuels tient à la prévalence du temps partiel (55% contre 18% sur l’ensemble des emplois et 66% si on se restreint au champ du secteur privé de ces professions) avec une fréquence forte des durées hebdomadaires sous le seuil des 24 heures minimum issue de la loi de 2014 – de fait, la convention collective des entreprises de la propreté y déroge avec une durée minimale à 16 heures. Environ 40% des nettoyeurs et nettoyeuses du secteur de la propreté et des aides à domicile travaillent ainsi moins de 24 heures par semaine. Or, ces horaires réduits sont mal localisés sur la journée, avec une concentration des heures de travail entre 6 et 9 heures du matin et entre 18 et 21 heures, notamment pour les salariés du secteur privé. Ces localisations qui compliquent la vie sociale mettent à mal l’hypothèse d’un temps partiel choisi par les femmes pour mieux concilier leur vie professionnelle à leurs contraintes de famille. 
La (non) régulation des temps de travail se répercute également sur la fragmentation des horaires : les journées sont hachées et impliquent de nombreuses coupures (et souvent des déplacements) qui n’entrent que très partiellement dans le temps de travail décompté. C’est ainsi que ces salariés sont payés à temps partiel alors que l’emprise du travail sur leur vie est celle d’un temps plein (graphique 1). 
Graphique 1 : fragmentation du temps de travail selon les professions (pour 100 personnes tirées aléatoirement)
Lecture : Périodes travaillées en foncé, non travaillées en gris clair. Les barres verticales correspondent à 8h et 17h. 
Source : CDT 2019
Ainsi, dans bien des cas, le décompte du temps de travail se limite aux périodes d’activités intenses et met de côté les activités plus « creuses » comme les temps de préparation, de récupération ou de déplacement. Les périodes d’inactivités (relatives) sont ainsi sorties de ce que l’employeur rémunère quitte à intensifier les heures réellement payées (Poilpot-Rocaboy et al., 2017) et rendre le travail de moins en moins soutenable.
Des emplois non soutenables 
La troisième caractéristique des emplois du nettoyage est en effet d’être exposé à de nombreuses pénibilités physiques : 60% déclarent des postures pénibles, 67% des mouvements douloureux, 57% le port de charges lourdes (contre respectivement 34%, 36% et 40% pour l’ensemble des actifs occupés). Ils et elles sont ainsi 75% à déclarer des douleurs régulières contre 61% des autres personnes en emploi (CDT, 2019). 
Ces contraintes sont d’autant plus préjudiciables que les ressources dont bénéficient ces personnes pour y faire face sont au contraire souvent limitées. Le taux d’encadrement est faible et même parfois dérisoire comme dans l’aide à domicile (moins de 7%) ou dans la branche de la propreté (moins de 5%), l’isolement est très fréquent, les matériels parfois insuffisants ou inadaptés, la formation, rare dans l’ensemble de ces métiers et quasiment inexistante dans certains segments comme au sein des entreprises prestataires ou dans le champ du particulier employeur (Burie et al., 2021). Enfin, ce cumul ‘fortes contraintes / faibles ressources’ est d’autant plus complexe à gérer pour ces personnes que celles-ci ne bénéficient pas d’opportunités de mobilités professionnelles.  Les différents secteurs sont marqués par des organisations avec très peu d’échelons hiérarchiques et qui ne permettent pas de mobilité ascendante au sein de l’organisation. Les compétences accumulées dans ces métiers sont par ailleurs peu reconnues et valorisables en dehors : loin d’être des emplois « tremplins », les postes du nettoyage constituent souvent des impasses dans lesquelles les salariées doivent terminer leur vie professionnelle. Tous ces éléments se cumulent pour rendre les emplois insoutenables sur le long terme et rendre la situation des salariées concernées particulièrement dramatiques en termes de santé : ainsi près de 30% agents d’entretiens de plus de 55 ans subissent des difficultés à effectuer des gestes de la vie quotidienne contre moins de 20% pour l’ensemble de la population (EE 2019 ; Devetter, 2020). 
Ces trois difficultés ont été particulièrement mises en exergue à l’occasion des différentes crises ou tensions récentes. La crise sanitaire a montré l’énorme décalage entre la nécessité de ces emplois et la faible reconnaissance dont ils bénéficient. Ils constituent ainsi des pans importants des métiers décrits comme « essentiels » sans pour autant avoir bénéficié d’un quelconque plan de revalorisation (à l’exception, partiellement et dans la douleur, d’une partie des aides à domicile et des agents de service hospitalier). Les crises sociales liées aux difficultés de pouvoir d’achat les ont également placés bien souvent en première ligne, notamment sur les ronds-points occupés par les Gilets Jaunes (Blavier, 2021). Enfin la réforme des retraites apparaît, pour eux et surtout elles, comme un durcissement particulièrement préjudiciable des conditions d’obtention d’une pension décente. Ainsi, près de 32% des agentes et agents d’entretien de 50 à 64 ans ne sont ni en emploi ni en retraite (Amossé et Erhel, 2023). Dans le champ dit de « la seconde ligne », c’est le taux le plus élevé après les emplois non qualifiés du bâtiment (48%). Le taux de licenciement pour inaptitude des salariés du nettoyage du secteur privé est également très élevé, plus de 3 fois supérieur à celui observé sur l’ensemble des salariées (Signoretto et Valentin, 2023). En ce qui concerne le niveau des pensions, les débuts de carrière étant souvent difficiles pour les nettoyeuses, dont les trajectoires sont fréquemment heurtées et entrecoupées de périodes sans activité pour la garde de leurs enfants, leur situation est plus dégradée. Nombre d’entre elles arrivent en effet à la retraite avec des droits inférieurs aux minima sociaux, de sorte qu’elles bénéficient plus fréquemment du minimum vieillesse que du minimum contributif. Ces personnes sont surreprésentées dans le cumul activité/retraite après 65 ans (Flamand et al., 2018), et les aides à domicile et les agentes et agents d’entretien font partie des personnes qui connaissent les plus fortes fréquences de sortie précoce de l’emploi, c’est-à-dire sans liquidation de la retraite, pour raisons de santé. 
Il serait facile de conclure à une malédiction liée à l’activité elle-même, à une forme de fatalité face à l’existence d’emplois non qualifiés inévitablement marqués par une dimension ancillaire pour ne pas dire servile… Pourtant, une analyse plus détaillée de ces métiers et de leurs conditions d’exercice souligne au contraire une réelle diversité de la qualité des emplois. Pour le dire autrement, dans cet espace globalement dégradé du système d’emploi, certaines situations se distinguent et dessinent ainsi les pistes d’une revalorisation plus globale des emplois du nettoyage. 
2. Des fractures internes qui soulignent le rôle de la régulation (politique et sociale)
Trois grandes lignes de partage nous semblent particulièrement importantes. La première correspond au statut de l’emploi et à la nature de l’employeur. La seconde renvoie à la finalité de l’activité et à la division du travail qui en découle. La troisième est conditionnée par l’existence d’un « consentement à payer » peu compatible avec des logiques de profits immédiats.  
De la nécessité de disposer d’un employeur qui assume son rôle
On peut mettre en évidence une gradation de la qualité des emplois selon les catégories d’employeurs que l’on peut illustrer à partir du niveau des salaires dont l’élévation va de pair non pas seulement avec la durée du travail mais également avec l’ensemble des variables caractérisant la situation au travail (voir Devetter et Valentin, 2020 pour la mise en évidence détaillée de l’ensemble de ces dimensions). Du côté des aides à domicile, l’échelonnement va du particulier employeur qui offre des salaires mensuels inférieurs à 700€ aux CCAS (plus de 1150 €), en passant par le secteur privé lucratif (880€ en moyenne) et le secteur associatif (950€). Pour les agents d’entretien, on peut distinguer trois catégories d’employeurs (EE, 2019). Les entreprises du secteur de la propreté, dans le cadre de l’externalisation du nettoyage, offrent des salaires mensuels nets moyens de 930€ (médiane à 900€) alors que les fonctionnaires et contractuels employés par l’État ou les collectivités locales, souvent à temps complet, bénéficient d’un salaire mensuel net moyen de 1360€ (médiane à 1400€). Les agentes et agents d’entretien employés par les autres secteurs dans le cas du nettoyage interne du secteur privé touchent quant à eux 1083€ (médiane à 1128€). 
Ces différences de conditions d’emplois et de travail dépendent de la capacité de l’employeur à assurer les missions qui lui incombent, au-delà du seul recrutement : accompagnement à la prise de poste, prévention des risques liés à l’exercice du métier, accès à la formation, suivi médical, entretien individuel, accès à une représentation collective... Ainsi, du côté des personnes qui travaillent dans les domiciles, le ménage dit « particulier-employeur » se voit attribuer la fonction d’employeur alors qu’il se perçoit comme consommateur, achetant un service marqué par une forte dimension inégalitaire (Carbonnier et Morel, 2018). Du côté du secteur de la propreté, ces différentes missions ne peuvent être réellement assurées dans la mesure où les contrats que signent les prestataires avec les bénéficiaires de leurs services durent en moyenne entre 2 et 3 ans. La concurrence dont jouent leurs donneurs d’ordres pour faire baisser le coût de la prestation a pour effet une rotation de leur main d’œuvre qui se voit ainsi transférée de prestataire en prestataire à chaque renouvellement de contrat. Dans ces conditions, les « prestataires employeurs » ont peu de motivation à investir pour le maintien en emploi durable de leurs très temporaires salariés, et leur fonction centrale paraît être de fournir de la main d’œuvre à des organisations qui ne souhaitent plus assumer la gestion de ces « ressources humaines ». En outre, dans ces deux configurations, particulier-employeur et secteur de la propreté, la part des personnes cumulant plusieurs emplois est très élevée. Cette surreprésentation des situations de multi-employeurs parmi les personnes en charge de l’activité de nettoyage vient encore ajouter à la difficile identification d’une responsabilité pour leurs conditions d’emplois difficiles. Non seulement, les temps de déplacement sont démultipliés et allongent la journée de travail mais c’est aux salariés de trouver les créneaux de repos, de repas et d’arbitrer entre accepter une mission supplémentaire ou non et, finalement, de construire un cadre d’emploi combinant les contraintes de plusieurs employeurs et/ou plusieurs sites. 
Nettoyer est toujours lié à une finalité plus large
Si l’existence d’un « employeur véritable » (et donc le statut de l’employeur) est une condition nécessaire pour envisager des conditions d’emplois acceptables, la finalité du service réalisé et l’organisation du travail semblent également des éléments déterminants. En effet, les activités de nettoyage restent marquées par des préjugés négatifs et perçues comme fondamentalement non qualifiées. Pourtant, nettoyer dans le cadre professionnel est bien différent du « travail domestique » réalisé pour soi-même. Cela demande des capacités d’ajustements des compétences relationnelles et techniques plus larges (Silvera et al., 2023). 
L’organisation du travail et le degré de division du travail engagé dépendent du modèle organisationnel choisi. Ainsi, les processus d’externalisation conduisent à réduire la diversité des tâches en limitant, tout particulièrement lorsque le travail n’est pas en « journée », la dimension relationnelle du travail (Abasabanye et al., 2018).
Cette dimension s’observe, à la fois dans les données et dans les entretiens : les personnes qui s’inscrivent dans un travail de « care » (en déclarant une fonction liée au soin ou à l’éducation par exemple) se trouvent dans des configurations bien meilleures que celles qui déclarent une fonction principale cantonnée au « nettoyage ». La situation des emplois à domicile et celle des emplois liés à l’entretien des autres locaux sont à nouveaux différentes mais largement parallèle. Dans le premier cas, l’élément déterminant correspond au public bénéficiaire du service : plus le travail consiste à répondre aux besoins de personnes vulnérables qui ne peuvent les satisfaire eux-mêmes (par rapport à des clients qui souhaitent déléguer leurs travaux domestiques), plus les travailleurs peuvent faire valoir le sens de leur travail et en souligner la complexité. Dans le second cas, c’est à nouveau l’insertion ou non des salariées dans une communauté de travail plus large qui permet de donner du sens au travail et d’ouvrir des perspectives de valorisation. C’est typiquement le cas de l’inscription dans la communauté éducative dans les établissements scolaires (Holley, 2014 ; Imbert, 2022), ou dans la communauté des soignants dans les établissements hospitaliers ou les Ehpad (Devetter et al., 2023). 
Ainsi, si nettoyer est toujours lié à une finalité plus large, certains modes d’organisation (externalisation, relation domestique auprès d’un particulier employeur) tendent à couper les travailleurs et travailleuses de la communauté au sein desquelles cette finalité se construit. Ce processus tend alors également à invisibiliser la valeur produite.
Une reconnaissance toujours limitée de la valeur produite
La question de la « valeur » ou du « sens » du travail est à nouveau reconnue comme une dimension importante de la qualité de l’emploi. Que vaut le travail effectué par les travailleurs et travailleuses du nettoyage ? Une part des emplois concernés relève de missions de service public, ils participent alors à la production d’un service dont la valeur n’est pas marchande et ne rentre pas dans la détermination d’un prix. Entretenir un bâtiment scolaire et concourir à la fonction éducative ne produit pas un bien marchand, tout comme participer au maintien de l’autonomie d’une personne âgée. Le coût du travail mobilisé dépend alors de conventions sociales… rarement en faveur des personnes concernées. Les politiques de la vieillesse comme la gestion des services publics portent une vision très restrictive du service rendu qui induit une évaluation minimale du coût : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) contraint le salaire des aides à domicile à stagner à la proximité du SMIC horaire tandis que la recherche des économies budgétaires débouche sur des volumes de travail insuffisants et des salaires relativement bas pour les agents et agentes d’entretien.  
Mais l’isolement et la transformation des tâches de nettoyage en services marchands ont des effets encore plus préjudiciables. La nature du service le rend peu objectivable (le propre ne se voit que par son absence), et il apparaît alors facile de chercher des économies budgétaires sur les montants des prestations de nettoyage. Dans le cas des activités à domicile, le service acheté est mis en comparaison avec l’autoproduction tandis que le nettoyage externalisé des locaux entre dans une logique de recherche du moins-disant qui enclenche des spirales : baisse des prix → réduction des volumes → diminution des salaires → dégradation de la qualité → baisse des prix… Bien souvent, les marchés publics ajustent le volume de travail de manière à maintenir le coût global constant lorsque le coût horaire augmente : « l’hypothèse » est alors que les gains de productivité doivent toujours être au moins égaux à l’inflation afin que le prix du « service propreté » soit toujours constant.
La non-reconnaissance de la valeur du service se répercute non seulement sur les salaires mais également sur l’image sociale des professions concernées. Si les enquêtes sociologiques sur le « prestige social des professions » sont peu nombreuses en France, la dernière en date (Chambaz et al., 1998) confirme ce que l’on observe au niveau international : les métiers associés au nettoyage occupent les toutes dernières places et s’inscrivent dans des logiques de « dirty work » qui les enferment dans de véritables trappes à précarité.  
Ces trois fractures ne traversent pas la seule activité de nettoyage. Bien au contraire, elles se retrouvent au cœur des évolutions du marché du travail. L’éclatement de l’entreprise et le développement de formes d’emplois comme le micro-entreprenariat, les stratégies de spécialisation et de déqualification des travailleurs sont des tendances assez générales (Thèvenot et al., 2023). Mais, sur chacune de ces dimensions, les travailleurs du nettoyage apparaissent particulièrement fragilisés. 
Références : 
ABASABANYE Placide, BAILLY Franck, DEVETTER François-Xavier (2018), Does contact between employees and service recipients lead to socially more responsible behaviours? The case of cleaning, Journal of Business Ethics, 153, 813-824.
AMOSSÉ Thomas, ERHEL Christine (2023), Les fins de carrières des seniors de la deuxième ligne


CARBONNIER Clément, MOREL Nathalie (2018), Le retour des domestiques, Média Diffusion.
CHAMBAZ Christine, MAURIN Éric, TORELLI Constance (1998), L'évaluation sociale des professions en France: Construction et analyse d'une échelle des professions. Revue française de sociologie, 177-226.
DEVETTER François-Xavier, DUSSUET Annie, NIRELLO Laura, PUISSANT Emmanuelle (2023), Les collectifs de travail dans les métiers auprès des personnes âgées : fragiles, fragilisés mais indispensables, Journal de gestion et d'économie de la santé, 9, 250-274.
Revue française de socio-Economie, (en lutte), 321-326.
FLAMAND Léa, GILLES Christel, TRANNOY Alain (2018), Qui travaille après 65 ans?, Insee Références.
HOLLEY Sasha (2014), The monitoring and enforcement of labour standards when services are contracted out, Journal of Industrial Relations, 56(5), 672-690.
POILPOT-ROCABOY Guénaëlle, DUMAS Marc, DEDESSUS-LE-MOUSTIER Nathalie, CHEVANCE Alain (2017), Dimensions du temps de travail et pénibilité: repérage des risques et des actions proposées, Revue de gestion des ressources humaines, (1), 3-19.
SIGNORETTO Camille, VALENTIN Julie (2023), Quels changements de comportements des employeurs après l’ordonnance travail instituant le barème et modifiant les règles du licenciement, Droit social, à paraître. 
SILVERA Rachel (coord), CHASSOULIER Louisa, DEVETTER François-Xavier, LEMIÈRE Séverine, PUCCI Muriel, VALENTIN Julie (2023), Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres : un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes, Rapport IRES. 
THEVENOT, N., DEVETTER, F. X., GEYMOND, M., PEREZ, C., PERRAUDIN, C., & VALENTIN, J. (2023). Face à l’éclatement des entreprises, une représentation collective mise en défaut: une analyse à partir de l’enquête REPONSE 2017 1. La Revue de l'Ires, (2), 13-40.
             
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