Vanessa Di Paola, Stéphanie Moullet - Pourquoi le plafond de verre résiste-t-il encore ?

Vanessa Di Paola, Stéphanie Moullet - Pourquoi le plafond de verre résiste-t-il encore ?

Vanessa di Paola est Maîtresse de Conférences à la Faculté d’Économie et de Gestion d’Aix-Marseille Université. Elle est également chercheuse au Laboratoire d’Économie et Sociologie du Travail (LEST, CNRS, Aix en Provence) et Directrice du Centre Associé Régional du Céreq. Elle mène des recherches sur les inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail en particulier sur le plafond de verre en Europe. Elle a co-réalisé un film documentaire intitulé « Les Femmes et le Top Management : quand les organisations résistent » pour sensibiliser le grand public sur les véritables enjeux de la lutte contre les discriminations dans le monde du travail.

Stéphanie Moullet est Maîtresse de Conférences en Sciences Économiques à Aix-Marseille Université et chercheuse au Laboratoire d'Économie et de Sociologie du Travail (LEST, CNRS, Aix en Provence) et Directrice de l’Institut Régional du Travail (IRT) d’Aix Marseille Université. Ses recherches en économie du travail et de l’éducation portent sur la relation formation initiale - emploi et les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes et plus spécifiquement sur les discriminations salariales.

Pourquoi le plafond de verre résiste-t-il encore ?

Vanessa DI PAOLA, Stéphanie MOULLET 

Introduction

L’objectif d’égalité professionnelle entre femmes et hommes est affiché par l’Europe depuis sa création en accordant une place centrale à la promotion de l’accès des femmes aux postes à responsabilité. En France, l’égalité femmes-hommes est un principe inscrit dès 1946 dans le Préambule de la Constitution. Dès 1972, la loi pose le principe « à travail de valeur égale, salaire égal ». Depuis, de nombreuses lois sont venues la compléter. En 2019, le décret d’application de l’Index d’égalité professionnelle fixe désormais une obligation de résultats aux entreprises et non plus seulement de moyens. Les entreprises d’au moins 50 salarié·es doivent calculer et publier sur leur site internet la note globale de l’Index de l’égalité femmes-hommes, ainsi que la note obtenue à chacun des 5 indicateurs le composant. En cas de non-publication de ses résultats et de non mise en œuvre de mesures correctives ou d’inefficience de celles-ci, l’entreprise s’expose à une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1% de sa masse salariale annuelle. La dernière loi de 2021- dite loi Rixain - fixe des quotas de 40% de femmes cadres dirigeantes de grandes entreprises d'ici à 2030.

Pourtant, malgré cet arsenal législatif, les femmes ont toujours moins de chances d’occuper des postes à responsabilité, comme l’illustrent les travaux sur le plafond de verre défini comme « l’ensemble des obstacles visibles et invisibles qui séparent les femmes du sommet des hiérarchies professionnelles et organisationnelles » (Laufer, 2004, 2005 ; Buscatto et Marry, 2009). Elles y sont également moins rémunérées. Quels sont alors les points de résistance majeurs au processus de féminisation de l’encadrement supérieur ? Ceux-ci tiennent de l’enchevêtrement complexe de multiples dimensions d’ordre individuel, familial, culturel, organisationnel, législatif et institutionnel.

Au niveau individuel, le diplôme reste la meilleure arme pour accéder aux positions de cadre. Durant ces dernières décennies, avec la massification de l’enseignement supérieur, les niveaux de diplômes n’ont cessé de s’accroître, en particulier pour les jeunes femmes. Mais, cette avancée ne suffit pas à ce que les femmes des jeunes générations brisent le plafond de verre.

Dans le même temps, les choix d’orientation sont restés fortement différenciés entre les filles et les garçons, en dépit de nombreuses politiques publiques destinées à permettre leur diversification. Cette division sexuée de l’orientation influence fortement les trajectoires professionnelles respectives. Les femmes et les hommes continuent de se répartir de façon différenciée dans les différents secteurs d’activité et métiers, ainsi qu’à différents échelons de leur hiérarchie, alimentant la coexistence d’une ségrégation horizontale et verticale. La ségrégation horizontale participe à faire obstacle aux femmes pour occuper des postes à responsabilité hiérarchique, dit autrement à la résistance du plafond de verre.

On ne peut s’intéresser aux mécanismes à l’œuvre dans la permanence de ce plafond de verre sans considérer le rôle joué par la constitution de la famille pour les femmes comme pour les hommes. Or, si les maternités ralentissent toujours les déroulements de carrières des mères, les paternités favorisent celles des pères.

De plus, les politiques familiales ainsi que les représentations des rôles genrés affectent la manière dont l’arrivée d’un enfant est susceptible d’interférer avec l’occupation de fonctions managériales. En particulier, la possibilité de faire carrière pour les femmes tient pour partie aux modes de soutien institutionnel dont elles peuvent bénéficier dès lors qu’elles deviennent mères, ainsi qu’à la culture des organisations et des sociétés vis-à-vis des rôles de genre.

Ainsi, nous montrons que les politiques familiales et les représentations traduisant l’état des rapports sociaux de sexe dans une société donnée sont des leviers pertinents pour favoriser l’exercice des femmes aux fonctions d’encadrement et l’égalité professionnelle entre femmes et hommes en général.

Un plafond de verre qui résiste

Si en 1970, la population active ne comptait que 35 % de femmes, on est aujourd’hui quasiment à la parité (48 % en 2020). Pour autant, elles restent moins nombreuses à participer au marché du travail (en 2020, 68 % des femmes contre 74 % des hommes entre 15 et 64 ans, Insee 2020). Si depuis la crise entamée en 2008, leur taux de chômage est devenu équivalent à celui des hommes (8 %), c’est qu’elle a surtout affecté l’emploi industriel, l’intérim et la construction, secteurs particulièrement masculinisés, quand on a observé de fortes créations d’emploi dans le secteur des services où les femmes sont surreprésentées. Elles sont un peu moins nombreuses à être en emploi (65 % vs 70 %), l’emploi féminin étant particulièrement impacté par la maternité. Ainsi, ce sont pour les 25-44 ans que les taux d’emploi des deux sexes s’écartent le plus, pour se rapprocher ensuite et tendre à converger.

 

En France, contrairement à d’autres pays européens, le développement de l’activité féminine s’est assez modérément opéré par le développement du travail à temps partiel, comme c’est le cas en Allemagne ou au Pays-Bas, où respectivement 47% et 77% des femmes en emploi sont à temps partiel. 28% des femmes travaillent à temps partiel en France, mais c’est seulement 8 % des hommes. Selon l’Insee (2020), en 2020, les femmes sont, plus encore que les hommes, majoritairement salariées en emploi considéré comme stable (CDI ou fonctionnaires) : 77 % versus 73 % pour les hommes. Mais en réalité, elles sont surtout davantage fonctionnaires (22 %, contre 12 %), mais moins fréquemment en CDI (55 %, contre 61 %). Parallèlement, plus d’une personne sur deux (54 %) occupant un emploi à durée limitée (CDD, intérim) est une femme.

Enfin, femmes et hommes en emploi n’occupent pas les mêmes catégories socioprofessionnelles : les femmes occupent plus souvent que les hommes des emplois peu ou pas qualifiés (23% sont employées ou ouvrières non qualifiées, contre 14 % des hommes) mais moins souvent cadres (18 % des femmes contre 23 % des hommes), et ce même si la part des femmes parmi les cadres a plus que doublé sur les quarante dernières années, passant de 21 % en 1982 à 43 % en 2020.

Si l’emploi cadre n’a cessé de progresser globalement en France, il a surtout profité aux femmes pour qui la part des cadres a été multipliée par 6 alors qu’elle n’a fait que doubler parmi les hommes. Elles ont progressivement investi certaines positions professionnelles autrefois réservées aux hommes. Pour autant, on observe surtout une persistance de bastions masculins et féminins, les hommes étant toujours plus présents parmi les ingénieurs et cadres techniques d'entreprise (77 %) quand les femmes sont surtout professeures, professions scientifiques (55 %) et cadres de la fonction publique (50 %) (Insee, 2020). Si la part des femmes cadres a fortement progressé, l’accès des femmes cadres aux positions de management et de direction demeure difficile. Ainsi, les femmes cadres accèdent moins aux responsabilités hiérarchiques que les hommes (35 % versus 43 %) et lorsqu’elles sont managers, leur poste s’apparente plus souvent à du management de proximité (équipes plus restreintes, moindre responsabilité de budget/chiffre d’affaires) (Apec, 2021).

Pour la première fois en 2013, parmi les jeunes en emploi trois ans après leur entrée sur le marché du travail, la part de jeunes femmes cadres est devenue équivalente à celle des jeunes hommes (20 %). La parité n’est, en revanche, pas encore acquise parmi les jeunes cadres qui encadrent : les cadres hiérarchiques restent surreprésenté·es parmi les hommes (35 % des cadres masculins contre 28 % des cadres féminins) (di Paola et al., 2017).

En résumé, malgré une amélioration significative de la proportion de femmes qui atteignent désormais les fonctions de cadres, les attributs de l’autorité et du pouvoir via l’occupation de fonction d’encadrement restent toujours fortement associés au genre masculin.

La sensibilisation croissante des pouvoirs publics et des entreprises aux disparités de salaires entre femmes et hommes n’est, semble-t-il, pas restée sans effet puisque les écarts de salaires tendent à se réduire. Pour autant, tous temps de travail confondus, les hommes gagnaient en moyenne en 2020, 29 % de plus que les femmes et 17 % de plus en équivalent temps plein (à savoir le salaire converti à un temps plein pendant toute l’année, quel que soit le volume de travail effectif). Plus on progresse dans l’échelle des salaires, plus l’écart entre les femmes et les hommes s’agrandit, de sorte que les inégalités de salaire sont les plus fortes chez les cadres. 


Ainsi, outre le fait que les métiers majoritairement féminins sont systématiquement moins valorisés, tout se passe comme si un plafond de verre empêchait les femmes d’atteindre les postes aux hauts et très hauts niveaux de salaires.

En début de vie active, salaires féminins et masculins tendent à se rapprocher. La crise de 2008 ayant surtout affecté le secteur industriel, elle a induit une modération salariale ayant plus affecté les emplois masculins. Ainsi, c’est plutôt la tendance à la baisse des salaires masculins qui a favorisé le rapprochement des salaires, et non pas la hausse des salaires des femmes (di Paola et al. 2017a).

... malgré des investissements éducatifs féminins plus importants

Les diplômé·es de l’enseignement supérieur sont les mieux armé·es pour occuper des positions de cadres, et plus encore de cadres avec des responsabilités hiérarchiques. Aussi, l’un des principaux éléments à l’origine de la réduction des écarts d’accès à la catégorie cadre est l’élévation du niveau d’études des jeunes femmes et leur importante progression dans l’enseignement supérieur depuis plusieurs générations. Ainsi, en France, depuis les années 2000, l’offre de formations supérieures s’est fortement modifiée et a conduit à un déplacement vers le haut des niveaux de diplôme des jeunes, lequel a davantage profité aux femmes, en particulier aux niveaux les plus élevés : en 2020‑2021, à 18 ans, 55 % des femmes sont inscrites dans le supérieur, contre 44 % des hommes (Insee, 2022).

Les femmes sont majoritaires parmi les diplômé·es du supérieur mais, à niveau de formation équivalent, on constate des écarts de revenus et de carrières significatifs à leur détriment : les jeunes femmes diplômées de l’enseignement supérieur devraient être davantage cadres qu’elles ne le sont, les hommes étant surreprésentés dans ces fonctions de pouvoir. Or, à niveau de diplôme donné et en prenant en compte d’autres caractéristiques que le diplôme (l’origine sociale, l’expérience professionnelle, etc.), elles ont non seulement moins de chances que leurs homologues masculins d’accéder à une position de cadre au cours de leurs trois premières années de vie active, mais aussi une probabilité d’exercer une responsabilité hiérarchique de 30 % inférieure à celle des hommes (di Paola et al., 2017a ; di Paola et al, 2018 ; Dupray et Epiphane, 2020). Si le lien entre diplôme et fonction d’encadrement est fort, il l’est autant pour les femmes que pour les hommes. Ainsi, malgré des avancées et un rapprochement des situations, les femmes restent pénalisées de sorte que l’on peut conclure à la résistance du plafond de verre, y compris pour les jeunes générations. Ceci n’est pas sans lien avec la stabilité relative des filières sexuées : par exemple, en 2017, elles ne sont que 28 % parmi les diplômé·es des écoles d’ingénieur·es (DEPP, 2020).

La mixité des professions n’est pas gage d’une plus grande égalité entre femmes et hommes dans l’accès aux positions de cadre

Cette ségrégation éducative nourrit une ségrégation professionnelle horizontale (Couppié et Épiphane, 2006), symptomatique du désavantage économique des femmes. Elle correspond à l’assignation de droit ou de fait des travailleur/euses à des professions différentes en fonction de leur sexe. En effet, les inégalités salariales, dès qu’elles naissent en début de vie active, tiennent pour partie au fait que les femmes sont davantage que les hommes employées dans les métiers les moins rémunérateurs (Couppié et al., 2014). La composition sexuée des professions est également susceptible de faire obstacle à l’entrée des femmes dans les fonctions de cadre, ces emplois n’étant pas distribués uniformément selon les univers professionnels : rares parmi les professions féminines et particulièrement concentrés parmi les métiers dont la composition sexuée est mixte (Briard, 2020).

Ainsi, pour les salarié·es de 25 à 49 ans, cœur de la vie active, occuper une profession mixte plutôt que masculine ou féminine accroît, « toutes choses égales par ailleurs », les chances d’occuper des fonctions de cadre exerçant des responsabilités hiérarchiques. Pour autant, c’est dans ces professions mixtes que les femmes s’avèrent le plus pénalisées ; elles le sont moins dans les professions féminines et encore moins dans les professions masculines. De sorte qu’il existe des phénomènes d’ascension sélective pour les femmes et les hommes minoritaires dans les professions auxquelles elles et ils appartiennent :  les femmes exerçant dans les professions masculines s’en sortent mieux que celles dans les professions féminines et réciproquement pour les hommes dans les professions féminines.

Quelles pistes explicatives à ces constats ?  Dans les univers masculins, le processus de sélection que les femmes ont connus pour s’y maintenir (poursuite d’études en étant minoritaires, ténacité, persévérance pour réussir dans une culture masculine) ferait qu’elles sont particulièrement « aptes » à occuper des postes à responsabilité. Dans les professions féminines, on peut supposer que pour contrebalancer une certaine dévaluation sociale de ces métiers (leur moindre rémunération notamment), les hommes chercheraient à « rétablir leur masculinité », adopteraient ce qu’ils considèrent comme un comportement masculin, devenant particulièrement orientés vers la carrière et l’obtention de postes de pouvoir et d’autorité. Enfin, dans les professions mixtes, les femmes pourraient baisser la garde en étant moins attentives aux critères informels de promotion (réseautage, présentéisme…), tandis que les hommes afficheraient des comportements plus offensifs, de compétition et de conquête dans des secteurs d’emploi où leur domination ne peut plus être fondée sur leur nombre (di Paola et al, 2022).

La mixité en soi n’est donc pas gage d’un processus assurant dans tous les cas une meilleure égalité de traitement entre femmes et hommes. Aussi, il faut être particulièrement vigilant·es en matière de promotion dans les professions mixtes, afin de prévenir la discrimination indirecte qui pourrait résulter de pratiques de cooptation et de réseautage qui sont des leviers de carrières managériales mais aussi des modèles de management, notamment axés sur la performance de la diversité, qui entretiennent ces discriminations (directes et indirectes) au lieu de les combattre (di Paola et Epiphane, 2021). 

Toujours un malus aux maternités et un bonus aux paternités

Nombre de travaux mettent en lumière le fait que les inégalités professionnelles entre femmes et hommes se creusent lorsque les un·es et les autres deviennent parents.

En France, l’arrivée d’un enfant conduit à un partage plus déséquilibré des activités professionnelle et familiale entre conjoint·es, ce qui n’évolue guère pour les générations les plus récentes (Couppié et Epiphane, 2022). De sorte que les implications de la construction de la famille sur la carrière pèsent toujours davantage sur les épaules des femmes. Nos résultats sur les salarié·es de 25 à 49 ans montrent que la présence d’enfant(s), quel que soit leur âge, limite les chances des femmes d’occuper des fonctions de cadre ; en revanche, la présence d’enfant(s) de moins de 6 ans pour les pères leur confère un avantage. Ceci renvoie pour partie à la tendance à une re-spécialisation des tâches entre conjoint·es après une naissance (et au-delà) et à un regain de l’investissement professionnel des hommes. Ainsi, la présence d’enfant(s) entrave toujours l’avancée des femmes dans ces fonctions et s’avère procurer un « bonus » aux pères de jeunes enfants (di Paola et al., 2018).

Une autre piste explicative des pénalités à la maternité et des primes à la paternité, tient aux comportements discriminatoires des employeur·es. Cette discrimination est sous-tendue par des stéréotypes et normes de genre toujours en vigueur sur le rôle des mères (et des pères) et leurs positions sur le marché du travail. Anticipant les comportements sociaux des femmes, notamment leurs intentions de fécondité, les entreprises seraient plus réticentes à les promouvoir comparativement aux hommes, notamment sur les postes les plus qualifiés. Et, même avec des carrières continues, les femmes seraient désavantagées dans leur évolution du fait de leur rôle de mère (ou future mère) et de la présomption de désengagement professionnel à long terme (Meurs et Pora, 2019).

Politiques familiales et représentations des rapports sociaux de sexe : des leviers pour une égalité réelle ?

Le plafond de verre persiste quasiment partout en Europe (Korpi et al., 2013 ; Grönlund et Magnusson, 2016). Or, les contextes institutionnels nationaux, dont les politiques familiales, sont plus ou moins facilitants pour battre en brèche ces inégalités et permettre une meilleure articulation des sphères professionnelle et familiale. Ainsi, les effets de la parentalité pourraient être exacerbés dans certains contextes, amenuisés dans d’autres selon l’orientation des politiques publiques - plus ou moins family-friendly - et les représentations des rapports sociaux de sexe - plus ou moins favorable au partage égalitaire des charges domestiques et familiales.

La France se caractérise par un taux d’activité féminin relativement élevé et un taux d’emploi à temps partiel plus faible que d’autres pays européens. Cette situation tient notamment à une dissymétrie entre une politique d’égalité sur le marché du travail, instrumentée par des lois successives depuis les années 1970 et une politique familiale généreuse mais dont les effets s’exercent parfois à l’encontre du premier objectif. L’empreinte d’un modèle nataliste et familialiste où les droits octroyés aux femmes sont, en effet, plus fortement associés à leur statut de mère de famille qu’à leur place sur le marché du travail en est au principe (Périvier, 2010).

Au travers de l’examen de données relatives à 17 pays d’Europe, on montre qu’un volume important d’enfants d’âge préscolaire qui ne peuvent bénéficier d’un système formel de garde défavorise la carrière des femmes mais s’avère sans effet pour les hommes, confirmant que la charge familiale ne se pose pas dans les mêmes termes pour les deux sexes. En outre, plus la population accorde de l’importance au partage équilibré des tâches domestiques, et plus les femmes ont des chances d’occuper des postes de cadres avec responsabilités hiérarchiques. Autrement dit, plus l’opinion sur ce partage des tâches domestiques est progressiste, plus les femmes (comme les hommes) se trouvent dans des contextes effectivement facilitateurs pour exercer des fonctions hiérarchiques (di Paola et al, 2018).

En définitive, pour lutter contre le plafond de verre auquel se heurtent toujours et encore les femmes, les politiques publiques – en particulier familiales – s’avèreraient d’autant plus efficaces qu’elles agissent en même temps sur les représentations des rôles genrés. Ainsi, instaurer un congé paternité obligatoire et de même durée que celui des mères serait une piste de changement répondant à cette exigence.

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Bibliographie

BRIARD Karine (2020), Temps partiel et ségrégation professionnelle femmes-hommes : une affaire individuelle ou de contexte professionnel ? Travail et emploi, no 161, p. 31-60.

BUSCATTO Marie et MARRY Catherine (2009), « Le plafond de verre dans tous ses éclats ». La féminisation des professions supérieures au xxe siècle. Introduction, Sociologie du travail, vol. 51, no 2, p. 170-182.

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COUPPIÉ Thomas et EPIPHANE, Dominique (2022), Lorsque l’enfant paraît : heurs et malheurs dans les carrières des jeunes couples, in Céreq Essentiels, 4, 88-96.

COUPPIÉ Thomas, DUPRAY Arnaud, et MOULLET Stéphanie (2014), Education-based occupational segregation and the gender wage gap: evidence from France, International Journal of Manpower, 2014.

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di Paola Vanessa, Dupray Arnaud et Moullet Stéphanie (2022), Does occupational gender composition affect women's chances of becoming managers? Evidence from France, Sweden, Switzerland and the UK, International Journal of Sociology and Social Policy, Emerald.

di Paola Vanessa et Epiphane Dominique (2021), L’accès des femmes au top management : Quand la banque de financement et d’investissement résiste…. Socio-économie du travail, Genre et politiques de l’emploi et du travail, 2 (8), pp.61-89.

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MEURS Dominique et PORA Pierre (2019), Gender equality on the labour market in France: A slow convergence hampered by motherhood, Economie et Statistique, vol. 510, no 1, p. 109-130.

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