Le concile panorthodoxe sans Moscou

Auteur(s): 

Kathy Rousselet, Directrice de recherche, Sciences Po

Date de publication: 
Septembre 2016
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Après un long travail préparatoire entamé lors de conférences à Rhodes et Genève de 1961 à 1971, un concile panorthodoxe a été convoqué du 16 au 27 juin 2016 en Crète. L’ordre du jour était limité à six points, susceptibles d’être acceptés à l’unanimité. Christophe d’Aloisio, théologien orthodoxe et fin observateur de la scène orthodoxe, soulignait avant l’événement :

« Le futur concile ne correspondra pas à un “Vatican II ” oriental ou à des “états généraux” de l’orthodoxie. Le projet peut être vu moins comme une espérance qui jaillit du cœur du peuple ecclésial que comme l’aboutissement de longues tractations entre les hauts prélats des patriarcats et des autocéphalies. En particulier, il est indéniable que l’avancée vers la convocation du concile, préparé depuis de longues décennies, relève surtout d’un accord entre les représentants de ces deux Eglises principales que sont celles de Moscou et de Constantinople. »

Si certains analystes ont pu affirmer qu’avec ce concile, l’orthodoxie avançait vers l’unité et la modernité, les textes, fruit d’un long et difficile travail de compromis, ne portaient pas sur les questions les plus brûlantes de la vie des Eglises orthodoxes, ne présentaient en fait guère de caractère innovant, et n’apportaient pas vraiment de solutions aux questions les plus délicates comme celle concernant la concurrence des juridictions au sein des communautés orthodoxes implantées en Occident. Le texte qui a pu provoquer les critiques les plus virulentes, au sein des communautés monastiques les plus intransigeantes, est celui sur « les relations des Eglises orthodoxes avec l’ensemble du monde chrétien ». 

Pourquoi alors quatre des quatorze Eglises orthodoxes autocéphales invitées par le patriarche œcuménique, les Eglises d’Antioche, de Bulgarie, de Géorgie et de Russie, se sont-elles retirées du processus et ce, à la toute dernière minute ? Les observateurs ont, à juste titre, mis en avant la rivalité de plus en plus affirmée entre Moscou et Constantinople, rivalité en Occident, mais aussi dans l’espace post-soviétique ; l’Eglise russe est très critique à l’égard des tendances « papistes » du patriarcat œcuménique. D’autres points peuvent expliquer l’absence de Moscou en Crète. Un analyste russe, membre de l’Eglise russe, a ainsi souligné que la prise de décision conciliaire risquait d’ébranler la priorité du principe national de gouvernance sur les normes fixées au niveau international, priorité affirmée par l’Eglise comme l’Etat russes. En outre, cette Eglise, tout comme ses satellites, aurait préféré que les dernières questions litigieuses soient traitées de façon informelle avant le concile plutôt qu’au cours de discussions menées dans un esprit conciliaire. Les dissensions ecclésiastiques, en particulier après la rencontre à Cuba, en février 2016, entre le patriarche Kirill et le pape, rencontre qui a fortement altéré la figure du premier au sein de la communauté orthodoxe russe peu encline à une ouverture œcuménique, ont fini de convaincre Moscou de ne pas participer à ce concile au contenu assez indigent. L’Etat russe n’y était d’ailleurs sans doute guère favorable.

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