Election de Trump et épiscopat nord-américain

Auteur(s): 

François Mabille, Chercheur associé au GSRL

Date de publication: 
Novembre 2016

Selon le Pew Research Center, les catholiques nord-américains ont accordé majoritairement leurs votes au candidat républicain. Il y a cependant une différence notable entre les « blancs catholiques » et les « hispaniques catholiques ». Asymétrie que les évêques auront eux-mêmes à gérer dans leurs orientations doctrinales et pastorales.

Les données structurantes

La situation présente et future des relations entre la nouvelle administration républicaine et les responsables catholiques de cette Église locale doit se comprendre en fonction de plusieurs données structurantes. Premièrement, aux Etats-Unis, l’Eglise catholique a traversée plusieurs décennies de scandales liés aux abus sexuels  mais elle retrouve désormais une certaine légitimité. Deuxièmement, l’opposition au parti démocrate s’est concentrée sur les conséquences de l’Obamacare envers les établissements hospitaliers catholiques, sur la personnalité d’Hillary Clinton (pro gender) et des positions de son entourage (critique sur le conservatisme de la Curie romaine). De manière globale, l’Église catholique qui, depuis la fin de la guerre froide, n’a plus à se positionner sur le communisme, se trouve confrontée, comme dans l’ensemble des sociétés, à une nécessaire reformulation de sa pensée et de ses pratiques à l’égard du libéralisme.

L’épiscopat américain, miroir des clivages catholiques

Le catholicisme est antilibéral dans le domaine de la morale personnelle, d’un libéralisme très tempéré dans le domaine économique, et globalement libéral dans son rapport aux régimes politiques. Or, sur ces sujets, on assiste aujourd’hui à un clivage interne aux responsables catholiques de la Curie romaine, clivage qui a des interférences avec la situation politique américaine.

D’abord, s’agissant de la morale personnelle, le clivage qui traverse la curie romaine oppose le pape, partisan d’une ligne pastorale de sollicitude, aux partisans d’une ligne doctrinale, qui privilégie le rappel de la norme éthique. Cette divergence concerne les questions liées à l’avortement, l’euthanasie et l’homosexualité. L’un des principaux opposants au pape François est le cardinal américain Burke, archevêque de Saint Louis dans le Missouri, dont les positions sont relayées par le plus ancien journal catholique aux Etats Unis - le National Catholic Register - très conservateur et dirigé par un membre des Légionnaires du Christ. Burke est l’une des chefs  de file des catholiques américains très favorables aux conservateurs. Dans les priorités que l’épiscopat américain s’est données, les questions sociales et écologiques, pourtant suggérées par le pape, sont absentes, au bénéfice de thèmes classiques pour les conservateurs : évangélisation, mariage et famille, vie humaine et dignité, vocations et liberté religieuses. Le pape vient d’ailleurs de nommer Mgr Kevin Joseph Farrell, jusqu’à présent évêque de Dallas (États-Unis), à la tête du nouveau dicastère pour les laïcs, la famille et la vie.

Ensuite, dans le domaine du libéralisme économique, le pape a privilégié une ligne d’opposition forte, symbolisée par quelques expressions extrêmement médiatisées comme sa dénonciation de la « mondialisation de la misère » ou de la « globalisation qui exclut » ou son soutien aux migrants. Durant la campagne présidentielle américaine, en voyage officiel aux Etats-Unis, le pape a ainsi créé une polémique en critiquant les positions de Trump, « non chrétiennes » selon lui, sur la thématique de l’immigration. Or, les évêques américains viennent d’élire à leur tête le cardinal Daniel DiNardo, archevêque de Galveston-Houston, premier hispanique élu à ce poste et fervent défenseur des migrants. Si ce dernier est aussi celui qui encore tout récemment, présidait la commission des actions pro-life de l’épiscopat, il y a néanmoins là un indice d’une possible opposition frontale entre le nouveau président américain et l’Eglise catholique.

Troisième domaine : celui du libéralisme politique. Le pontificat de Benoît XVI a été marqué par une inflexion nette. Au nom de l’objection de conscience, les responsables catholiques refusent le fait majoritaire sur les sujets classiques de l’avortement, du mariage pour tous ou de l’euthanasie. Le pape désormais émérite a mis en avant ce qu’il a appelé des « principes non négociables », dont les conséquences ont été perceptibles dans la mobilisation des différents mouvements « pro-vie » dans les pays occidentaux : Etats-Unis, Italie, Espagne et France notamment. Or, sur ce sujet encore, il existe un hiatus entre la position du pape François et les évêques américains conduits par Burke. 52% des catholiques ont voté pour Trump, et le pape apparaît ainsi comme plus distant du nouveau président que ses coreligionnaires. Le risque est alors pour l’Eglise catholique romaine d’assister à la réaffirmation d’un néo-américanisme catholique, au bénéficie d’un tandem Trump – Pence qui pourrait engranger les dividendes de ce courant en termes de nationalisme identitaire. Au sein des équipes dirigeantes de l’épiscopat américain, l’élection de l’évêque aux armées Mgr Timothy Broglio, très conservateur, est à cet égard significative.

Derrière ce clivage s’en dresse un autre, moins apparent, mais tout aussi intéressant : le choc de deux identités américaines, nord-américaine d’un côté, latino-américaine de l’autre, dont le rapport au politique et au culturel n’est pas le même. Les évêques nord-américains néo-conservateurs sont en effet favorables à un catholicisme pilier de l’Occident pensé en terme de chrétienté, lorsque le pape met en valeur le catholicisme comme spiritualité.

Points d’attention pour le futur

Burke comme DiNardo sont signataires d’une lettre ouverte au pape, le sommant de préciser sa pensée et la ligne pastorale qu’il entend suivre dans le domaine de l’avortement et du mariage homosexuel. A terme, cette dynamique pourrait déboucher sur un processus schismatique, très évoqué actuellement à Rome, ou sur une mesure de marginalisation du pape François au sein de la Curie romaine. Les têtes de file des évêques conservateurs, et plus globalement, l’épiscopat américain, doivent être dissociés du positionnement potentiel de l’ensemble des catholiques américains. La sociologie de ces derniers montre en effet une très grande diversité.

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