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02.06.2025
Former par la recherche-action : trois étudiants explorent l’efficacité des lois climat
Au cours de l’année universitaire 2024-2025, Emma Constable Maxwell, étudiante à l’École de droit (Master Droit économique), ainsi qu’Apolline Delagrange et Gatien Martinez, étudiants à la Paris School of International Affairs (Master in Environmental Policy), ont participé au projet “Global Framework Climate Law Project” en collaboration avec l’organisation environnementale ClientEarth, dans le cadre du programme clinique Justice Environnementale et Transition Écologique (JETE).
Sous la supervision d’Anaïs Morin Guerry, ce projet de recherche-action vise à rédiger un rapport sur l’effectivité et l’efficacité des lois climatiques « cadres » adoptées par neuf pays choisis pour leur intérêt comparatif.
Les trois étudiants partagent avec nous leur expérience tant sur leur projet que sur leur participation à la Clinique de l’École de droit.
Pouvez-vous nous présenter votre projet clinique ? Quelle en a été l’origine, quels sont ses objectifs et quelles sont les prochaines étapes envisagées ?
Alors que de nouveaux pays adoptent des lois climat cadres, notre projet s’inscrit dans la démarche de ClientEarth : conseiller et défendre des lois fortes et complètes pour une transition écologique efficace. Les besoins de ClientEarth s'organisent autour d’une analyse des composantes de la finance climatique dans chaque loi cadre climat : notre projet prend pour point de départ ces demandes.
L’objectif du projet est d’identifier des garanties à l’effectivité juridique et à l’efficacité climatique d’une loi-cadre climat. Nous avons choisi de nous focaliser sur les aspects financiers puisqu’ils sont clés pour la mise en œuvre concrète des dispositions de la loi.
Dans un premier temps, nous finaliserons et publierons un rapport portant sur les conditions normatives et institutionnelles qui garantissent l’effectivité des lois-cadres climatiques, en mettant particulièrement l’accent sur les dimensions financières et leurs implications. Ensuite, si le projet est reconduit l’année prochaine avec un nouveau groupe clinique, il pourra servir de base pour accompagner les étudiants dans l’exploration des étapes suivantes, notamment l’extension de l’analyse comparative à un plus grand nombre de pays, en particulier en Afrique et en Asie. Ce renouvellement permettrait également d’approfondir d’autres thématiques comme les stratégies d’adaptation et d’atténuation et la “transition juste”.
Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre la Clinique de l’École de droit ?
Emma : Mon choix pour la Clinique JETE s’inscrit dans mon parcours en droit, spécialisé en droit de l’environnement, avec une volonté d’en faire le cœur de ma carrière après Sciences Po. Convaincue que le droit est un levier essentiel pour impulser des changements concrets face aux défis environnementaux, j’ai vu dans la Clinique JETE une opportunité unique d’approfondir ma compréhension des mécanismes juridiques qui encadrent les politiques climatiques. J’étais particulièrement attirée par son approche mêlant analyse juridique et engagement pratique, permettant d’explorer des questions fondamentales du droit de l’environnement tout en contribuant à un projet concret en partenariat avec des professionnels du secteur.
Apolline : J’ai choisi la Clinique de l’École de droit en partie pour sa méthodologie et aussi pour ce projet avec ClientEarth. N’ayant pas fait d’études de droit avant, j’ai vu la clinique comme une chance de découvrir la discipline à partir d’un projet précis. La diplomatie environnementale est un domaine qui m’intéresse et pour lequel il me semble nécessaire d’avoir une connaissance des lois climatiques nationales à travers le monde. J’ai donc aussi saisi ce projet clinique comme une opportunité unique de lire les lois dans le texte, avec l’appui des précieux conseils de notre tutrice Anaïs ainsi que des nombreux intervenants.
Gatien : En tant qu'élève en première année du master Environmental Policy à la Paris School of International Affairs (PSIA), la Clinique de droit m'a attiré pour son côté professionnalisant. Le choix de rejoindre la Clinique JETE était logique : son large panel de projets et ses cours de droits de l'environnement au premier et deuxième semestre consistait en une bonne introduction aux interactions entre le droit et le changement climatique, sujets qui m'intéressent. De plus, le projet avec ClientEarth m'a particulièrement attiré, dans sa portée internationale et juridique. Travailler avec Anaïs, une spécialiste dans le domaine du droit de l'énergie, est une chance. Dernièrement, le fait de sortir d’un cadre purement académique pour contribuer à une analyse juridique pour un problème concret est très motivant: un possible impact se dessine à mesure que le projet avance.
En quoi votre participation à la Clinique contribue-t-elle à la construction de vos projets professionnels et personnels ? Quelles compétences ou connaissances en avez-vous retiré ?
Emma : Participer à la Clinique JETE a été une expérience particulièrement formatrice, tant sur le plan académique que professionnel. Cette immersion m’a permis d’aller au-delà des concepts théoriques pour comprendre les réalités concrètes de l’élaboration et de l’application des lois environnementales. En travaillant aux côtés de ClientEarth, acteur engagé, j’ai développé une meilleure appréhension des défis juridiques liés à la transition écologique et renforcé ma capacité à mobiliser le droit comme outil d’action.
Apolline : Le projet clinique est une véritable expérience professionnelle, en tant qu’il se réalise avec un partenaire externe à Sciences Po. Les apprentissages à cet égard sont nombreux, allant de la planification, préparation et co-animation de réunions à la gestion du travail en groupe pour rendre dans les temps le travail attendu.
Gatien : En tant qu'expérience professionnelle, la Clinique m'a permis d’approfondir mes compétences de travail en équipe, de communication et de rédaction. La Clinique m’a aussi familiarisé avec le droit de l'environnement, sujet qui m'était jusqu'alors flou. De manière personnelle et professionnelle, cette familiarisation est stimulante et ouvre de nouvelles perspectives. Le projet s’écoulant sur deux semestres, la Clinique m'a appris à gérer mon temps et construire un plan de travail sur plusieurs mois, compétence utile dans le monde professionnel.
Quels conseils donneriez-vous à un étudiant qui aimerait rejoindre la Clinique de l’École de droit ?
Emma : Je conseille vivement de se lancer dans le projet clinique de choix, car c’est une expérience extrêmement enrichissante. Travailler sur un projet concret pendant ses études, en collaboration avec des professionnels, permet d'acquérir une dimension pratique qui complète la théorie apprise en cours. De plus, c'est très motivant de savoir que l'on contribue à une cause importante tout en développant des compétences pratiques. Travailler en équipe est aussi un aspect très positif, car cela permet d’échanger, de se soutenir et de progresser ensemble. Une fois dans la clinique, il est essentiel d’être bien organisé et d’avoir une communication fluide au sein de l’équipe, car le temps passe vite et les tâches sont nombreuses. S’investir pleinement dès le début permet non seulement de mieux gérer la charge de travail, mais aussi de tirer le meilleur parti de l’expérience.
Apolline : La clinique est une opportunité unique que je recommanderais vivement de saisir. Il faut être sincèrement motivé par son projet, car il s’agit d’un engagement qui demande de fournir un effort conséquent sur toute l’année. La dimension collective est néanmoins une vraie force et permet d’aller loin dans le projet. Au-delà de l’équipe de travail, un lien solide se tisse avec l’ensemble des autres étudiants de la clinique.
Gatien : Il ne faut surtout pas hésiter ! La Clinique permet de combiner cours sur le droit de l’environnement, projet professionnel, croissance personnelle et professionnelle. Il faut cependant être conscient de la charge de travail, qui, même si elle reste dans les limites du raisonnable, est importante.
Anaïs Morin Guerry nous parle de son engagement dans le projet clinique.
QUEL EST VOTRE PARCOURS ACADÉMIQUE ET PROFESSIONNEL ?
J’ai effectivement deux parcours : l’un académique, l’autre de praticienne.
S’ils s’enrichissent mutuellement, il est parfois difficile de les conduire en parallèle.
Pourtant mon parcours académique nourrit bien ma pratique du droit à l’égard des acteurs de transition et inversement je tire de ma pratique du droit des enseignements très intéressants pour éclairer, illustrer des travaux de recherche en droit.
Cette position est difficile à tenir en France en l’état actuel, je trouve cela dommage. Car elle m’apparaît particulièrement adaptée aux transformations du réel que nous avons besoin de conduire dans des conditions démocratiques, c’est-à-dire au moyen du droit.
D’un point de vue académique, j’ai soutenu une thèse de doctorat en droit public, primée en 2024, faisant elle-même suite à de premiers travaux consacrés au droit de la transition énergétique, primés en 2013.
Après de nombreuses, laborieuses et fabuleuses années de recherche en droit comparé (franco-allemand) sur le droit de la transition, j’ai défendu une thèse qui se présente comme un essai de droit constitutionnel. Elle expose des pistes d’approfondissement du droit de la transition écologique, en prenant pour exemple les secteurs de l’énergie et de la mobilité, tout en essayant de légitimer une vision dynamique du droit constitutionnel pouvant participer à mieux impulser un mouvement de transformation socio-environnementale par l’adoption de lois plus précises et applicables.
J’ai poursuivi ce parcours au sein d’un post-doctorat à l’université de Pau et des pays de l’Adour dédié à la justice des mobilités, pendant lequel j’ai travaillé aux conditions juridiques d’application du “droit à la mobilité” pour tous.
Tout au long de ce parcours, j’ai d’abord beaucoup appris, mais aussi beaucoup enseigné en tant que chargée d’enseignement, puis ATER en droit public à Sciences Po Bordeaux. Je continue d’enseigner le "droit de la transition écologique” au sein du cours clinique du programme “Justice environnementale et transition écologique” cofondé avec Aurélien Bouayad en 2019, que je nourris par mes travaux de recherche, ma pratique et les projets cliniques supervisés chaque année.
Concernant mon parcours de praticienne, j’ai commencé par être assistante parlementaire en Allemagne en 2011 auprès de la Président de la commission du développement durable, de la protection de la Nature et de la sûreté nucléaire. Tout au long de mon doctorat, j’ai été juriste au sein de différentes institutions agissant en faveur de la transition écologique par de différentes perspectives (l’investissement dans la rénovation énergétique des bâtiments publics à la Banque des territoires, les mobilités au sein d’un syndicat SRU d’envergure régionale, le conseil stratégique pour structurer les projets de transition climatiques des territoires).
Aujourd’hui, je passe le Barreau à Bordeaux pour tenter d’exercer un type de conseil juridique destiné à accompagner les projets des acteurs de transition en utilisant le droit comme levier d’organisation d’une transition plus juste car plus démocratique.
Ces allers et retours entre l'académie et la pratique s’inspirent eux-mêmes d’une démarche de recherche-action que j’ai essayé de mettre en place au fur et à mesure des projets tutorés au sein de la Clinique juridique de l’École de droit.
QUEL EST VOTRE RÔLE EN TANT QUE TUTRICE DANS CE PROJET ?
Le projet conduit en partenariat avec ClientEarth représente mon huitième projet tutoré au sein de la Clinique juridique de l’École de droit et le premier reconnu comme un “projet d’action-recherche”.
Pour cette configuration que représentent les projets d’action-recherche, les partenaires viennent vers nous avec une question particulière qu’ils posent à la Clinique sous la forme d’un projet collectif. Elle est ensuite examinée en conseil scientifique.
Dans ce processus de sélection, mais aussi de co-construction des projets cliniques avec les acteurs, puis de formation de leur équipe, nous réfléchissons aux profils correspondants le mieux aux projets, qu’il s’agisse de “praticiens du droit” ou bien de “chercheurs en droit”.
Il se trouve que dans le cadre de mon doctorat en droit comparé de la transition, j’avais non seulement étudié la formation des premières lois climatiques devenues “cadres” (adoptées en Allemagne, au Royaume-Uni et en France), mais aussi que je les avais comparées, ce qui correspondait exactement à l’exercice proposé par ClientEarth en incluant de nouveaux pays.
Il apparaissait donc pertinent que je rejoigne ce projet en tant que tutrice pour former les étudiants aux méthodes du droit comparé, positionner l’usage de la comparaison en fonction de ce que le partenaire de projet souhaitait pouvoir démontrer par une analyse juridique approfondie des lois cadres en vigueur.
Il se trouve que nous avons choisi de comparer les lois cadres pour trouver des configurations normatives et institutionnelles favorisant leur application et qu’il s’agissait de l’orientation comparative choisie pour ma thèse.
Pour ce cas-là, le partenariat entre un chercheur et un acteur permet de catalyser la réalisation de l’étude par la mise à disposition et la formation aux méthodes d’analyse adéquates, par l’orientation du travail sur des informations destinées à établir une argumentation solide et orientée vers le besoin exprimé, ou le problème soulevé, par le partenaire.
QUE TIREZ-VOUS DE CETTE EXPÉRIENCE AU REGARD DE VOS AUTRES ENGAGEMENTS AVEC LA CLINIQUE ?
Il est très intéressant de continuer à être tutrice lorsqu’on est en outre coordinatrice d’un programme clinique, ce qui consiste à organiser les équipes de projet et à se mettre à disposition des tuteurs en cas de difficulté de tout ordre.
Cela permet de mieux connaître les difficultés rencontrées par les tuteurs pour mieux agir en bonne intelligence et pour le bien être de chacun.
En tant que chercheure, la formulation des besoins par un acteur de la transition et l’éclairage que nous pouvons apporter par une formation à la recherche en droit inspirée de nouveaux travaux académiques. Ils ne seront pas les mêmes certes, parce que le rendu d’un chercheur n’est pas celui des équipes cliniques, mais ce lien avec l’action suscite toujours une nouvelle manière de voir et oriente des pistes de recherche.
En tant qu’enseignante ensuite, tutorer un projet de recherche action me permet de réfléchir au contenu du cours clinique pour mieux le mettre au service des équipes de projet. Mais l’inverse est aussi vrai, car chaque projet réalis é avec les étudiants et partenaires de terrain, représente une puissante source d’innovation pour ce cours.
D’un point de vue personnel, je tiens beaucoup à ce contact avec les étudiants et les partenaires de projet qui m’inspirent au quotidien. J’ai ainsi tendance à appeler les projets cliniques tutorés chaque année depuis 10 ans maintenant : “mes petits projets plaisirs”.