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07.04.2021

Hommage à Emmanuel Gaillard, professeur de droit international et lumière de l’arbitrage du XXIe siècle

Emmanuel Gaillard
Emmanuel Gaillard

Une lumière s’est éteinte le 1er avril 2021 avec la disparition soudaine d’Emmanuel Gaillard, professeur émérite de Sciences Po. À Sciences Po, où il arriva en 2012, l’École de pensée sur l’arbitrage transnational qu’il aura défendu avec passion inspirera le LLM in Transnational Arbitration & Dispute Settlement de l’École de droit, dans lequel il enseignait et dont il présidait depuis sa création le comité scientifique de direction. Il enseignait également chaque année dans les Écoles de droit des universités de Yale et de Harvard, ainsi que dans le MIDS à Genève.

L’extraordinaire émoi que sa disparition a suscité bien au-delà des murs de Sciences Po dans le monde entier est à la hauteur de l’homme [1]. Les témoignages et hommages personnels, académiques, professionnels et institutionnels se succèdent à rythme constant. Ils offrent un ultime portrait en mosaïque de ce maître du droit international du XXIe siècle qui aura également brillé par sa générosité et bienveillance sans pareilles : avocat et arbitre dans les plus grandes affaires [2], acteur de premier rang de la réforme du droit français de l’arbitrage, professeur et penseur du droit international mais aussi du droit comparé et, avant tout, une figure de mentor pour des générations de juristes [3].

Emmanuel Gaillard était incontestablement une lumière dans le monde particulier de l’arbitrage. Il a su éclairer, par sa pensée, et baliser, par ses écrits, les chemins qui sont aujourd’hui empruntés par celles et ceux qui tiennent à lui rendre un dernier hommage. La postérité retiendra évidemment un premier ouvrage de référence, le célèbre traité Fouchard-Gaillard-Goldman co-écrit avec ses mentors [4]. Elle retiendra également son séjour à l’Académie de droit international de La Haye où il a professé en 2007 un remarquable cours sur les Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international [5], désormais traduit en plusieurs langues et sur lequel reposent aujourd’hui encore les plus intenses débats de la doctrine de l’arbitrage. Il préparait depuis plusieurs mois le prestigieux cours général de droit international privé qu’il devait délivrer à La Haye en 2022. Il a par ailleurs été l’un des premiers à anticiper, décrypter et in fine retranscrire la jurisprudence émergente du CIRDI [6]. Il a revisité la notion de lex mercatoria et n’a cessé de promouvoir les vertus de la transparence. Il poursuivait plus récemment sa réflexion sur l’arbitrage en s’autorisant les objets de recherche les plus variés et en parvenant à ajouter avec chaque publication une nouvelle facette à l’œuvre qu’il laisse derrière lui. Il est permis de souligner encore plus récemment les écrits sur les aspects sociologiques de l’arbitrage [7], la lutte transnationale contre la corruption [8], le chaos inhérent aux procédures parallèles (et selon lui parfois nécessaire) [9] ou encore ses chroniques sur la récente jurisprudence de la Cour de Luxembourg sur l’arbitrage [10].

Pour autant, il ne faudrait pas réduire la contribution d’Emmanuel Gaillard aux seules questions d’arbitrage. Comparatiste hors pair [11], Emmanuel Gaillard était également un éminent professeur de droit international et un intellectuel fin parmi les plus élégants. Directeur du Journal du droit international (Clunet), il fréquentait tant les rives du droit international public que celles du droit international privé. Sans doute sa vision même du droit international l’incitait-elle à côtoyer ces deux rives pour toujours faire avancer sa pensée ; souvent à contre-courant des opinions dominantes. S’il incarnait et défendait pour beaucoup l’élégance de l’arbitrage à la française, sa vision de l’arbitrage transnational était transnationale et d’aspiration universaliste.

Une lumière s’est éteinte avec son départ précipité. Le professeur proche, modeste et toujours disponible laisse un terrible vide derrière lui [12]. Nul ne doute que les générations de juristes qu’il a su éduquer et accompagner tout au long de sa vie s’acharneront à honorer sa mémoire et défendre ses valeurs.

Diego P. Fernández Arroyo et Alexandre Senegacnik


[1] Nous retiendrons parmi tant de témoignages et d’hommages :

M. Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la Justice : "Avec la disparition d’Emmanuel Gaillard, nous perdons un brillant avocat et un grand professeur, figure de l’arbitrage international, qui a fait de Paris une place centrale en la matière. Mes pensées vont à sa famille et à sa collègues". (Tweet du 5 avril 2021)

M. Olivier Cousi, bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris : "Nos pensées émues vont tout d’abord à la famille et aux proches d’Emmanuel Gaillard. Nous les adressons également à tous ceux qu’il a inspiré comme professeur ou comme modèle de réussite dans ce monde de l’arbitrage à la française. Notre barreau perd l’un de ses éminents membres". (Tweet du 3 avril 2021)

Harvard Law School

Branche française - International Law Association

Académie international de droit comparé

Cour internationale d’arbitrage de la Chambre internationale de Commerce

L’opinion, "L’arbitrage international perd l’une de ses stars, l’avocat d’affaires Emmanuel Gaillard" (article du 5 avril 2021)

Global Legal Post, "'An inspirational mentor, teacher, and colleague': Emmanuel Gaillard (1952-2021)" (article du 5 avril 2021)

Société française pour le droit international

Association Française d’Arbitrage

Pierre Mayer, Professeur émérite de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Avocat au barreau de Paris

Ibrahim Fadlallah, Professeur émérite de l’Université de Paris X

Shearman & Sterling

Direction du DU/LLM contentieux international des affaires de l’UPEC

Paris Arbitration

Sciences Po Arbitration Society

[2] La postérité retiendra évidemment avant tout son rôle déterminant aux côtés de Yas Banifatemi dans un arbitrage hors-norme sous les auspices de la Cour permanente d’arbitrage à La Haye, la désormais célèbre saga Yukos.

[3] Il a endossé le rôle de mentor pour des générations de praticiens et praticiennes, notamment au sein de l’équipe d’arbitrage international qu’il dirigeait au sein du cabinet Shearman & Sterling. Il venait de fonder en mars 2021 le cabinet Gaillard Banifatemi Shelbaya Disputes.

Il a endossé ce même rôle de mentor au sein de la communauté académique, y compris à Sciences Po. Ses anciens doctorants à Sciences Po témoignent du soutien sans faille et de la constante bienveillance de leur directeur de thèse.

Il a par ailleurs fondé en 2011 à Paris l’Arbitration Academy afin de permettre à des générations de juristes de se familiariser avec le droit et la pratique de l’arbitrage international.

[4] P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l'arbitrage commercial international, Paris, Litec, 1996.

[5] E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international, Académie de Droit International de La Haye, Martinus Nijhoff, collection poche, La Haye, 2008.

[6] E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, 2 volumes, Paris, Pedone, 2004 & 2010.

[7] E. Gaillard, "Sociology of international arbitration", Arbitration International, 2015(31), pp. 1–17.

[8] E. Gaillard, "La corruption saisie par les arbitres du commerce international", Revue de l’arbitrage, 2017(3), pp. 805-838.

[9] E. Gaillard, "2018 Lalive Lecture - The Myth of Harmony in International Arbitration", ICSID Review - Foreign Investment Law Journal, 2019(34-3), pp. 553–568. Voir aussi l’entrée "Parallel Proceedings : Investment Arbitration" rédigée par Gaillard dans la Max Planck Encyclopedia of International Procedural Law [MPEiPro].

[10] E. Gaillard, "L’affaire Achmea ou les conflits de logiques", Revue critique de droit international privé (2018) pp. 616-630.

[11] E. Gaillard, "Comparative Law in International Arbitration" Ius Comparatum 2020(1) pp. 1-35 [Académie internationale de droit comparé : aidc-iacl.org/journal].

[12] Il avait tenu à participer en septembre 2020 au cours International Commercial Arbitration dispensé à l’École de droit. Il s’est immédiatement prêté au jeu du format inédit développé par l’École de droit en raison du contexte sanitaire.